jeudi, avril 28, 2005

"Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas"

Catherine Lestang

Interdit… Vous avez dit interdit ?

"Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas"…

VERSION LONGUE

1 Préalables.

Les premiers chapitres de la Genèse sont considérés comme des chapitres à portée universelle. Nous sommes encore totalement tributaires de ces récits qui racontent l’histoire d’un homme (d’un couple) crée parfait et qui par sa désobéissance fut chassé d’un lieu appelé Eden (paradis), où tout était à lui, sauf un arbre celui de la connaissance du bon et du mauvais. Même si nous savons, que cet homme là est un homme mythique, qu’il n’a pas pu sortir ainsi « prêt à l’emploi », parce que l’histoire de l’humanité est une histoire progressive et que l’animalité en nous reste très présente, il n’en demeure pas moins, que même si on ne parle plus du péché originel mais du péché des origines, nous traînons cette culpabilité d’avoir désobéi et de devoir le payer.

Bien des chants, bien des textes de la messe, sont centrés sur la colère de Dieu qu’il faut apaiser. Cette colère étant générée par la désobéissance de l’homme à l’ordre divin. Elle est toujours capable de se réveiller, malgré le don total de son fils jésus, homme parfait.

Cependant cette non perfection elle est en nous depuis nos origines. Pour survivre, il a certainement fallu tuer. Simplement au cours des âges, un temps est arrivé pour l’homme, où compte tenu de son évolution et de son emprise sur l’environnement, d’autres possibles se sont ouverts pour vivre en société et pour laisser vivre « la douceur » antidote de la violence. Et puis, ne pas être parfait crée aussi le désir d’être parfait et cela est positif ! Les religions s’appuient aussi sur ce désir de chaque humain.

Avant de repenser ce qui peut être entendu aujourd’hui de cet interdit, je voudrai commenter librement certains versets de Genèse 2 et 3. Quand j’écris librement, il s’agit de l’approche qui est la mienne, c'est-à-dire une approche psychologique, voire psychanalytique.

2 Des commentaires.

Gn2/9

Yahvé fit pousser du sol toute espèce d’arbres séduisants à manger. Et l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.

A mes yeux, l’arbre de la vie, est un arbre très enviable. C’est « ne pas mourir » ou mourir quant on le souhaite, quand réellement on ne veut plus vivre, quand on a la certitude d’avoir fait son temps. L’immortalité est en général l’apanage des dieux et le désir de l’homme c’est soit de s’emparer de cet aliment (qu’il soit fruit ou boisson), soit de durer dans le temps par la procréation et dans l’espace par la possession. C’est d’ailleurs comme cela que l’on peut entendre la promesse faite à Abraham : avoir une descendance que l’on ne peut compter et une terre.

Quant à la connaissance du bien et du mal, du bon et du mauvais, c’est autre chose. Quand on est enfant, on croit que les parents qui autorisent et interdisent, ont ce savoir là, et que souvent ils l’exercent pour « leur plaisir » et que ces « non » n’ont pas leur raison d’être et qu’ils n’y connaissent rien ! C’est un premier aspect de la connaissance. Mais il y en a un autre. Avec la découverte de sa propre sexualité, l’enfant comprend que ses parents ont un savoir qui ne lui appartient pas, et que ce qui se passe entre eux est « bon » et qu’il voudrait bien savoir ce que c’est et le faire. Ce que je veux dire, c’est que cette connaissance touche aussi bien à la vie en société avec ses règles (variables d’une société à l’autre) qu’à la sexualité.

Quand certains auteurs écrivent que la sexualité et même l’initiation par le biais du serpent (avec la symbolique phallique de cet animal qui de surcroît de par sa mue peut sembler immortel) est le « fruit défendu », ils touchent à une certaine réalité. L’accès à la sexualité fait sortir de l’enfance et du sommeil pulsionnel, et par certains côtés Adam semble un « endormi ». Dans beaucoup de religions « l’éveil » est essentiel. Et l’ouverture des yeux qui suit la « transgression » est de cet l’ordre. Ces deux arbres sont donc très chargés de sens et de fait très désirables et objets de convoitise, car ils sont des attributs des deux..

Gn2/16

Et Yahvé fit à l’homme ce commandement : Tu peux manger de tous les arbres de ce jardin. Mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal Tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras,tu mourras. Ou comme le traduit A.Chouraqui: «Oui, du jour où tu en mangeras, tu mourras, tu mourras »

Actuellement les commentaires qui portent sur ce commandement, insistent sur la notion d’interdit : ne pas tout manger… Seulement il ne s’agit pas de ne pas dévorer tous les autres arbres (là on ne parle plus de fruit), mais de renoncer à un arbre qui est la source de l’envie, car c’est l’arbre qui fait d’une certaine manière sortir de l’enfance, qui permet non pas de devenir le parent, mais comme le parent. Alors la menace est énorme : la peine de mort, Comme si être le parent signait son propre arrêt de mort ! Si le fils veut prendre la place du père, alors il va mourir… On retombe la dans la problématique de « totem et tabou » de Freud.

Gn3/1

Le serpent dit à la femme, « Alors Dieu a dit : vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? » La femme répondit : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort ».

Là, on ne sait plus bien de quel arbre il s’agit : arbre au milieu du jardin. Mais il s’y greffe un autre interdit : ne pas toucher. Ne pas toucher c’est certes maintenir à distance mais la question est pourquoi la femme transforme t elle partiellement l’interdit initial. Cela fait un peu penser à ces clôtures électrifiées avec une tête de mort : attention danger. Et c’est là aussi que le serpent va introduire le doute: « mais si, tu peux toucher et tu vas voir qu’on t’avait raconté des histoires, il ne t’arrivera rien ». En général quand un petit enfant touche un objet, c’est pour le porter à la bouche et voir si c’est comestible ou non. C’est aussi pour apprendre à la connaître. Pour aller au goûter, il nous faut passer par le toucher.

Le serpent répliqua à la femme: « Pas du tout, vous ne mourrez pas. Mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal ».

La convoitise est exacerbée par le serpent, qui suggère que ce fruit permet d’être comme des dieux». Il est trop malin pour dire : vous serez Dieu, parce que Eve aurait certainement pris peur devant une telle affirmation. Il se contente du comme, qui va jouer son rôle et créer le besoin. Simplement dans notre univers, le fait de devenir « comme » se fait dans le temps et à travers un certain apprentissage, par essais erreurs et par une transformation progressive du corps, Cette transformation physique qui s’accompagne d’une transformation des processus intellectuels et affectifs, permet de réaliser ce désir, sans pour autant « tuer » l’autre, le couple parental pour simplifier. Il y a une nuance très importante entre être Dieu ou être comme des Dieux… Mais quand on veut inciter l’autre à transgresser, il faut être malin et utiliser correctement le langage comme un appât.

La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir et qu’il était cet arbre désirable pour acquérir le discernement. Elle prit de son fruit et mangea

Peut-être que là, il se passe quelque chose que nous connaissons bien : on voit l’enveloppe, l’extérieur, le contenant, et on imagine que le contenant et le contenu sont identiques ; et on est dans une certaine confusion entre le dedans et le dehors. Mais ces expériences là, sont pour l’humain, qui contrairement à ce que dit la genèse n’est pas un être « parfait », fondamentales, ou fondatrices, parce qu’il faut passer par ces erreurs pour pouvoir d’une certaine manière accepter l’interdit.

Il ne s’agit pas de « ne pas manger tout », mais de « ne pas se jeter sur », de « ne pas s’approprier » quelque chose quand on n’est pas en mesure de le comprendre, de l’intérioriser. Il s’agit aussi d’apprendre que certaines choses bonnes rendent malade et que d’autres mauvaises au goût sont bénéfiques et peuvent même guérir de la maladie. Mais pour cela il faut en général un guide et lui faire confiance.

Si la connaissance du bien et sont des attributs de dieu, il est normal que l’humain qui dérobe, qui vole ce qui de fait est à la base de toute civilisation, soit mis à la porte. D’une certaine manière, le bien et le mal ce peut être tout le système qui va régir la vie sociale. C’est pouvoir s’ériger en juge et avoir aussi pouvoir de vie ou de mort sur le prochain. C’est la punition normale de tout humain qui s’approprie un savoir qui permet à l’homme de se civiliser, de s’humaniser. C’est le cas de Prométhée et le feu c’est la sortie de l’animalité et le début de la culture.

3 A propos de l’interdit.

Recentrons nous maintenant sur l’interdit. La plupart des auteurs qui commentent aujourd’hui ces textes, insistent sur la notion d’interdit et sur l’impact positif de l’interdit sur l’homme. L’interdit permettant d’une certaine manière l’humanisation de l’être humain, vu comme « pécheur ». L’interdit fonctionne en tant que limite. Il crée une césure. Ce qui est alors sous jacent à ce premier interdit biblique, ce serait l’interdit de ne pas « tout »manger, « tout » consommer, « tout » dévorer et en particulier l’autre. Il s’agit bien d’un interdit au niveau de l’oralité. Or tout interdit au niveau de l’oralité est une limite au cannibalisme et au désir primaire d’incorporation, désir que l’on retrouvera quand même, mais sublimé dans l’eucharistie.

Mais il me semble que dans la Genèse, il ne s’agit pas d’un interdit global sur l’oralité, mais d’une interdiction très particulière concernant « la connaissance du bien et du mal », et dont la transgression conduit à la mort, puisque le « tu mourras » est répété deux fois.

Or cet interdit résonne en moi en parallèle avec l’interdit de l’inceste dans nos sociétés patriarcales, interdit qui s’énonce : « toutes les femmes sauf ta mère » ou « tous les hommes sauf ton père » ou encore « toutes les filles ou tous fils sauf la tienne », encore que là dans la société, épouser quelqu’un de plus jeune que soi, ait très mauvaise réputation ! Mais ceci pose la question du rôle de l’interdit. Dans le cas de l’interdit de l’inceste, on peut dire que cela fonde d’une part la société patriarcale et d’autre part, - et c’est me semble t il le point important- empêche la confusion des générations au sein d’une même famille ou d’un même clan. Cette non confusion est indispensable pour s’y reconnaître dans les liens de parenté et donc dans la vie sociale. C’est un interdit à valeur culturelle fondamentale.

Dans l’interdit de la genèse, de quoi s’agit il, quelle confusion faut il éradiquer ? La connaissance du bien et du mal dit le serpent, vous fera être « comme des dieux ». Or il est si facile de passer « à être comme des dieux », à « être Dieu ». Car être Dieu c’est, basculer dans la tentation de la toute puissance au sens fort du terme. Je veux dire qu’il faut différencier ce que l’on appelle le fantasme de toute puissance du bébé, fantasme indispensable à la naissance de sa vie psychique, de ce que certains appellent l’hybris, avec la tentation de l’appropriation de l’autre et/ou de sa destruction pour son propre plaisir. Ce qui sous tend cet hybris, c’est la convoitise et en deçà l’envie, qui elle est meurtrière.

Comme dans l’interdit de l’inceste, le risque est celui d’une confusion. Dans les espaces qui sont l’espace du divin (Dieu) et l’humain (la terre) il y a confusion, ce qui est d’ailleurs l’inverse de ce qui est conté dans le premier récit de la création. En fait ce qui est demandé c’est de reconnaître que dans l’ordre de la création, Dieu a une place, l’homme en a une autre, et la distance entre les deux doit être maintenue, pour qu’il n’y ait ni fusion, ni confusion. Cela ne veut pas dire qu’il ne puisse y avoir un entre deux, comme l’intersection d’espaces en mathématiques modernes, mais rentrer dans l’espace de l’Autre c’est annuler la différence, ce n’est plus reconnaître l’Altérité, et ce peut aller jusqu’à le dévorer en prenant sa place.

Il y a aussi une autre valence : dans notre mentalité être Dieu, c’est faire ce que l’on veut, c’est aussi laisser libre cours à la convoitise et la convoitise est bien le moteur du mauvais en nous. L’interdit peut à la fois éviter la confusion et le divin et l’humain mais aussi permettre de considérer la convoitise comme un mal.

Mais pour ne pas transgresser cet interdit, il aurait fallu que l’humain ait atteint un état de développement qui ne semble pas avoir été le sien et qui encore aujourd’hui est loin d’avoir été atteint. Mais, en tout humain, il y a un appel à la sainteté, c'est-à-dire à un dépassement de l’animalité, qui rend capable d’accéder à un autre ordre, pour entrer dans une filiation avec Dieu, donc d’une certaine manière entrer dans cet espace qui n’est pas le notre mais qui pourra le devenir.

4-De l’obéissance passive et craintive à l’obéissance active et aimante.

L’humain est en devenir. Il est non parfait, mais perfectible. Et le désir de la perfection est en lui, non comme un état perdu (sauf si l’on fait référence au vécu in utéro), mais comme un état à acquérir et le but de l’interdit de la genèse était peut-être de lui donner un moyen en maintenant une limite à ses désirs de prise de possession des attributs de Dieu, de devenir humain au sens fort de terme, c'est-à-dire capable d’entrer en relation sans vouloir détruire, posséder ou mettre à mal et de développer en lui ce que l’on appelle l’amour. En d’autres termes, avoir donné cet interdit, était un moyen de sortir de l’animalité pour aller vers l’humanité. De ce fait, il peut être considéré comme universel.

Mais l’autre difficulté liée à ce texte est celle de la désobéissance, et de la punition. Or nous traînons aujourd’hui, comme un boulet cette notion d’homme perverti depuis les origines par un refus d’obéissance. Peut-être faut il poser les choses autrement, compte tenu de ce que nous savons sur l’origine de l’homme. On peut imaginer que la notion de Dieu s’est imposée petit à petit. Elle est liée au développement cérébral et à des modes de vie qui ont permis une certaine sécurité. L’intérêt de la genèse est de montrer comme à un moment donné, une représentation de Dieu a pu se faire et comme cette représentation a petit à petit structuré tout un peuple, le peuple « élu ».

C’est là que pour moi, intervient la notion de l’obéissance, mais pas n’importe laquelle. Quand un enfant vient au monde, au plus profond de lui, les deux arbres sont là : désir de vivre indéfiniment, désir de tout connaître. Petit à petit, il apprend à différer son désir, à accepter ce que les psy appellent la frustration. Mais cela se fait dans la relation d’amour qui le lie à ses parents. On obéit à l’autre quand il existe une relation de confiance. L’obéissance devient un moyen de concrétiser une relation d’amour et c’est cela que Jésus vient montrer comme un possible pour les hommes non parfaits -compte tenu de notre hérédité-, que nous sommes.

Si Adam n’a pas respecté l’interdit proposé, c’est peut-être parce que la relation d’obéissance demandée ne pouvait être entendue que comme une obéissance passive au supposé désir de l’autre de tout conserver par devers lui. Et la transgression était de fait inévitable. Quand Jésus parle d’obéissance en ce qui le concerne, il ne s’agit pas d’obéir pour obéir, mais d’abord et avant tout d’aimer, d’aimer jusqu’à donner sa vie. Car si Jésus possède la vie éternelle et le discernement, c’est bien parce qu’il a été capable non pas uniquement d’obéissance, mais d’obéissance amoureuse, ce qui change complètement les choses. Mais on peut dire aussi que par sa double nature, Jésus a été le trait d’union manquant entre les deux univers, et que désormais, parce qu’Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix, alors la vie éternelle et le discernement (don de l’Esprit) sont accessibles à tous et c’est peut-être cela le salut. Le salut étant la possibilité pour l’homme d’entrer dans cet autre espace fondé sur l’amour.

En guise de conclusion.

Dans le premier livre des rois, il est rapporté que Salomon demande à Yahwé le discernement, la capacité de juger le bien et le mal. Et cela lui est accordé. Jésus en rétablissant d’une certaine manière la circulation entre le divin et le terrestre, (l’alliance peut s’entendre comme cela), a peut-être rendu caduque cet interdit.

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