mardi, juin 21, 2005

"Faire mémoire"

samedi 18 juin 2005

Faire mémoire.

S’il te plaît, apprivoise moi

Prenez et mangez…

« Ceci est un mémorial pour toi et tes fils. » Premier testament.

En d’autres termes, il vous faudra transmettre ceci à vos fils, pour ne pas oublier votre histoire et qui est votre Dieu, le Dieu qui vous a fait sortir de l’esclavage et qui vous a choisi..

« Vous ferez ceci en mémoire de moi». Second testament.

Cet « ordre » de Jésus, donné la veille de sa mort et transmis; quel est son sens ?

Faire mémoire, c’est en tous les cas refuser l’oubli, refuser d’une certaine manière que la mort fasse son travail de déliaison. C’est être dans la pulsion de vie.

Les apôtres ont du faire face à deux disparitions, à deux deuils, puisqu’ils avaient vécu avec Lui. La mort sur la croix, qui signait l’anéantissement des espérances messianiques, et l’ascension : « Ce Jésus qui, d’auprès de vous a été enlevé au ciel, viendra comme cela, de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel »Ac1/11. La mort c’est l’absence. Désormais, même si Jésus est ressuscité, il n’est plus là.

Faire mémoire de l’Absent ? Faire mémoire de gestes ? Faire mémoire de paroles ? Faire, mais quoi faire ?

Le renard du petit prince de A. de Saint Exupéry, pour expliquer ce que veut dire apprivoiser dit: « moi, je ne mange pas de pain. Le blé est pour moi inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c’est triste. Mais tu as des cheveux couleur d’or. Alors ce sera merveilleux quand tu m’auras apprivoisé ! Le blé qui est doré me fera penser à toi. Et j’aimerai le bruit du vent dans le blé. Le renard se tut et regarda longuement le Petit Prince. S’il te plait apprivoise moi, dit-il.

Voir le blé prend du sens, permet de se remémorer, et de penser avec amour à quelqu’un. La couleur du blé, symbolise le Petit Prince et la relation. Même quand le Petit Prince aura disparu, le blé sera toujours symbole de la présence. Faire mémoire à l’aide d’un symbole, donne corps à l’absent. C’est une autre présence, mais surtout une évocation de la relation qui ne disparaît pas. Simplement c’est juste vrai pour ce renard là et s’il ne transmet pas à un renardeau ce chant du vent dans le blé, cela s’éteindra.

Le Jésus des évangiles synoptiques, sachant qu’il va mourir, qu’il va disparaître le jour suivant, fait des gestes, dit des mots, transmis jusqu’à aujourd’hui, des mots de mémoire. Au cours de ce repas mémoire de la sortie de l’esclavage, Jésus -je cite l’évangéliste Marc[1] -, prend du pain, le béni, le rompit et le leur donna en disant: « Prenez ceci est mon corps. ».Puis prenant une coupe, il rendit grâces et le leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude ».

A partir de ce moment, lors de ces repas qui font mémoire de la mort et de la réssurection, ce ne sera plus l’holocauste qui servira à faire mémoire, mais ce pain et ce vin qui sont devenus symbole d’un Présent, alors qu’il y a un Absent.

Peut-on dire que ces aliments sont comme des objets transitionnels ? Car le rôle de l’objet transitionnel qui pour Winnicott est un objet fourni par la mère au bébé, est faire comme apparaître la mère absente. Celle-ci reste absente, mais elle prend « corps » pour son enfant.

Ils permettent de faire mémoire du don de la vie, ils ne sont peut-être pas seulement réactualisation d’un sacrifice qui a eu lieu une fois, mais re-mémoration de celui qui reste vivant au-delà de la mort. Et faire mémoire, c’est donner vie à Celui qui donne la vie par sa mort. Jésus a disparu, mais le pain et le vin sont symboles de sa présence. Mais présence, parce que deux ou trois sont réunis en son nom et aussi parce que le don de l’Esprit est advenu.

Dans le livre des Nombres, on rapporte un épisode où Yahvé prend de l’Esprit qu’Il a mis en Moïse, pour le répandre sur 70 « chefs »; mais cet esprit de prophétie ne se maintient pas. A la Pentecôte, il en va très différemment. L’Ésprit qui se donne ce jour là, montre que la Puissance qui était prérogative de Yahvé appartient désormais aux humains, qui reconnaissent que Jésus est Fils. Elle est donnée à tous les hommes. Ce qui appartenait à l’Unique est désormais répandu.

Mais faire mémoire ce n’est pas si simple. Il y a aussi le risque de vivre dans le culte du disparu, de ne pas faire le deuil de la mort, de l’absence. Or ce n’est pas de cela dont il s’agit. Ce n’est pas un repli sur du passé, c’est vivre dans le présent avec quelqu’un ; dans la relation qui se renouvelle un jour après l’autre.

Faire mémoire, c’est donner du corps à l’absent. Faire mémoire c’est actualiser, et la mémoire pour bien fonctionner a besoin de nos sens : le voir, l’entendre, le goûter, le toucher, le sentir. Et nos sens sont sollicités…Même le sentir, par le « bouquet » du vin !

Au chapitre 15 de ce même livre des Nombres, on lit que lorsque le peuple sera installé dans le pays de Canaan il lui sera demandé en plus de l’holocauste (animal) d’apporter de la farine (blé) du vin (vigne), de l’huile (olives). Cela revient à donner à Yahvé quelque chose qui symbolise la fécondité de ce pays.

Quand Jésus partage le dernier repas avec ses disciples, et si ce repas est le repas pascal, il y partage de l’agneau. Désormais il n’ y aura plus besoin de ce rituel, puisque Jésus s’identifie à l’agneau pascal ; agneau qui à la fois soude les familles et les préserve de la mort qui passe dans tout le pays. Le mémorial de Pâques, c’est aussi faire mémoire de la fin de l’esclavage. La mort de Jésus, qui est une mort acceptée, et qui est de l’ordre du don, permet de sortir de cet autre esclavage qui a pour nom convoitise[2].

Jésus sera « absent présent », ou « présent absent ».. Si le renard fait vivre le petit Prince en regardant la couleur du blé, nous faisons vivre Jésus en regardant ce pain et ce vin qui « bornent » ce repas centré sur un agneau qui n’a plus sa raison d’être puisque la sortie de l’esclavage est réalisée. Nous le faisons vivre en prononçant les mots qui sont les siens. Et la vie circule entre Lui et nous.

L’holocauste absent est désormais symbolisé par autre chose, par des aliments, qui en eux même ont une valeur : le blé doit être écrasé pour donner la farine (le pain renvoie au cuit comme l’agneau rôti), le raisin doit être pressé pour donner le vin (ce qui renvoie au cru, au vivant, à l’âme). Il faut même lui laisser le temps de fermenter, comme il faut laisser au pain le temps de cuire.

Du coup je me demande si Jésus qui se présente comme l’holocauste; et ce une fois pour toutes, n’utilise pas ce symbolisme en le changeant, en lui donnant un autre sens. Il ne s’agit plus d’offrir un « met » d’agréable odeur à un Dieu souvent bien imprévisible et malgré tout difficile à satisfaire, mais de Le rendre présent, et de reconnaître que cette présence habite en quelque sorte, dans le pain broyé et partagé, et dans le raisin écrasé, fermenté, qui devient l’âme du vin.

Que le Tout Puissant qui dans le premier testament logeait dans une Tente, puis dans un temple, accepte de se manifester dans un morceau de pain et du pain et du vin, quel cadeau fait à l’humanité.

« S’il te plait apprivoise moi ».

Laisse moi te reconnaître dans ce pain et ce vin



[1] Marc14/22-25

[2] Je préfère remplacer mal ou péché par convoitise, parce que cela est plus parlant pour moi : désirer ce que possède l’autre, avoir envie de s’en emparer et une caractéristique de l’homme

samedi, juin 18, 2005

Arbre de la connaissance du bien et du mal: version courte

Catherine Lestang

Interdit… Vous avez dit interdit ?

"Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas"…

VERSION COURTE

1 Préalables.

Les premiers chapitres de la Genèse sont considérés comme des chapitres à portée universelle. Nous sommes encore totalement tributaires de ces récits qui racontent l’histoire d’un homme (d’un couple) crée parfait et qui par sa désobéissance fut chassé d’un lieu appelé Eden (paradis), où tout était à lui, sauf un arbre celui de la connaissance du bon et du mauvais. Même si nous savons, que cet homme là est un homme mythique, qu’il n’a pas pu sortir ainsi « prêt à l’emploi », parce que l’histoire de l’humanité est une histoire progressive et que l’animalité en nous reste très présente, il n’en demeure pas moins, que même si on ne parle plus du péché originel mais du péché des origines, nous traînons cette culpabilité d’avoir désobéi et de devoir le payer.

Bien des chants, bien des textes de la messe, sont centrés sur la colère de Dieu qu’il faut apaiser. Cette colère étant générée par la désobéissance de l’homme à l’ordre divin. Elle est toujours capable de se réveiller, malgré le don total de son fils jésus, homme parfait.

Cependant cette non perfection elle est en nous depuis nos origines. Pour survivre, il a certainement fallu tuer. Simplement au cours des âges, un temps est arrivé pour l’homme, où compte tenu de son évolution et de son emprise sur l’environnement, d’autres possibles se sont ouverts pour vivre en société et pour laisser vivre « la douceur » antidote de la violence. Et puis, ne pas être parfait crée aussi le désir d’être parfait et cela est positif ! Les religions s’appuient aussi sur ce désir de chaque humain. Elles s'appuient aussi sur des interdits/ l'interdit, inter-dit, permettant à l'homme de se structurer.

Mais qu'en est il de cet interdit précis: de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras .

2 A propos de l’interdit.

Recentrons nous tout d'abord sur la notion d’interdit. La plupart des auteurs qui commentent aujourd’hui ces textes, insistent sur la notion d’interdit et sur l’impact positif de l’interdit sur l’homme. L’interdit permettant d’une certaine manière l’humanisation de l’être humain, vu comme « pécheur ». L’interdit fonctionne en tant que limite. Il crée une césure. Ce qui est alors sous jacent à ce premier interdit biblique, ce serait l’interdit de ne pas « tout »manger, « tout » consommer, « tout » dévorer et en particulier l’autre. Il s’agit bien d’un interdit au niveau de l’oralité. Or tout interdit au niveau de l’oralité est une limite au cannibalisme et au désir primaire d’incorporation, désir que l’on retrouvera quand même, mais sublimé dans l’eucharistie.

Mais il me semble que dans la Genèse, il ne s’agit pas d’un interdit global sur l’oralité, mais d’une interdiction très particulière concernant « la connaissance du bien et du mal », et dont la transgression conduit à la mort, puisque le « tu mourras » est répété deux fois.

Or cet interdit résonne en moi en parallèle avec l’interdit de l’inceste dans nos sociétés patriarcales, interdit qui s’énonce : « toutes les femmes sauf ta mère » ou « tous les hommes sauf ton père » ou encore « toutes les filles ou tous fils sauf la tienne », encore que là dans la société, épouser quelqu’un de plus jeune que soi, ait très mauvaise réputation ! Mais ceci pose la question du rôle de l’interdit. Dans le cas de l’interdit de l’inceste, on peut dire que cela fonde d’une part la société patriarcale et d’autre part, - et c’est me semble t il le point important- empêche la confusion des générations au sein d’une même famille ou d’un même clan. Cette non confusion est indispensable pour s’y reconnaître dans les liens de parenté et donc dans la vie sociale. C’est un interdit à valeur culturelle fondamentale.

Dans l’interdit de la genèse, de quoi s’agit il, quelle confusion faut il éradiquer ? La connaissance du bien et du mal dit le serpent, vous fera être « comme des dieux ». Or il est si facile de passer « à être comme des dieux », à « être Dieu ». Car être Dieu c’est, basculer dans la tentation de la toute puissance au sens fort du terme. Je veux dire qu’il faut différencier ce que l’on appelle le fantasme de toute puissance du bébé, fantasme indispensable à la naissance de sa vie psychique, de ce que certains appellent l’hybris, avec la tentation de l’appropriation de l’autre et/ou de sa destruction pour son propre plaisir. Ce qui sous tend cet hybris, c’est la convoitise et en deçà l’envie, qui elle est meurtrière.

Comme dans l’interdit de l’inceste, le risque est celui d’une confusion. Dans les espaces qui sont l’espace du divin (Dieu) et l’humain (la terre) il y a confusion, ce qui est d’ailleurs l’inverse de ce qui est conté dans le premier récit de la création. En fait ce qui est demandé c’est de reconnaître que dans l’ordre de la création, Dieu a une place, l’homme en a une autre, et la distance entre les deux doit être maintenue, pour qu’il n’y ait ni fusion, ni confusion. Cela ne veut pas dire qu’il ne puisse y avoir un entre deux, comme l’intersection d’espaces en mathématiques modernes, mais rentrer dans l’espace de l’Autre c’est annuler la différence, ce n’est plus reconnaître l’Altérité, et ce peut aller jusqu’à le dévorer en prenant sa place.

Il y a aussi une autre valence : dans notre mentalité être Dieu, c’est faire ce que l’on veut, c’est aussi laisser libre cours à la convoitise et la convoitise est bien le moteur du mauvais en nous. L’interdit peut à la fois éviter la confusion et le divin et l’humain mais aussi permettre de considérer la convoitise comme un mal.

Mais pour ne pas transgresser cet interdit, il aurait fallu que l’humain ait atteint un état de développement qui ne semble pas avoir été le sien et qui encore aujourd’hui est loin d’avoir été atteint. Mais, en tout humain, il y a un appel à la sainteté, c'est-à-dire à un dépassement de l’animalité, qui rend capable d’accéder à un autre ordre, pour entrer dans une filiation avec Dieu, donc d’une certaine manière entrer dans cet espace qui n’est pas le notre mais qui pourra le devenir.

3-De l’obéissance passive et craintive à l’obéissance active et aimante.

L’humain est en devenir. Il est non parfait, mais perfectible. Et le désir de la perfection est en lui, non comme un état perdu (sauf si l’on fait référence au vécu in utéro), mais comme un état à acquérir et le but de l’interdit de la genèse était peut-être de lui donner un moyen en maintenant une limite à ses désirs de prise de possession des attributs de Dieu, de devenir humain au sens fort de terme, c'est-à-dire capable d’entrer en relation sans vouloir détruire, posséder ou mettre à mal et de développer en lui ce que l’on appelle l’amour. En d’autres termes, avoir donné cet interdit, était un moyen de sortir de l’animalité pour aller vers l’humanité. De ce fait, il peut être considéré comme universel.

Mais l’autre difficulté liée à ce texte est celle de la désobéissance, et de la punition. Or nous traînons aujourd’hui, comme un boulet cette notion d’homme perverti depuis les origines par un refus d’obéissance. Peut-être faut il poser les choses autrement, compte tenu de ce que nous savons sur l’origine de l’homme. On peut imaginer que la notion de Dieu s’est imposée petit à petit. Elle est liée au développement cérébral et à des modes de vie qui ont permis une certaine sécurité. L’intérêt de la genèse est de montrer comme à un moment donné, une représentation de Dieu a pu se faire et comme cette représentation a petit à petit structuré tout un peuple, le peuple « élu ».

C’est là que pour moi, intervient la notion de l’obéissance, mais pas n’importe laquelle. Quand un enfant vient au monde, au plus profond de lui, les deux arbres sont là : désir de vivre indéfiniment, désir de tout connaître. Petit à petit, il apprend à différer son désir, à accepter ce que les psy appellent la frustration. Mais cela se fait dans la relation d’amour qui le lie à ses parents. On obéit à l’autre quand il existe une relation de confiance. L’obéissance devient un moyen de concrétiser une relation d’amour et c’est cela que Jésus vient montrer comme un possible pour les hommes non parfaits -compte tenu de notre hérédité-, que nous sommes.

Si Adam n’a pas respecté l’interdit proposé, c’est peut-être parce que la relation d’obéissance demandée ne pouvait être entendue que comme une obéissance passive au supposé désir de l’autre de tout conserver par devers lui. Et la transgression était de fait inévitable. Quand Jésus parle d’obéissance en ce qui le concerne, il ne s’agit pas d’obéir pour obéir, mais d’abord et avant tout d’aimer, d’aimer jusqu’à donner sa vie. Car si Jésus possède la vie éternelle et le discernement, c’est bien parce qu’il a été capable non pas uniquement d’obéissance, mais d’obéissance amoureuse, ce qui change complètement les choses. Mais on peut dire aussi que par sa double nature, Jésus a été le trait d’union manquant entre les deux univers, et que désormais, parce qu’Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix, alors la vie éternelle et le discernement (don de l’Esprit) sont accessibles à tous et c’est peut-être cela le salut. Le salut étant la possibilité pour l’homme d’entrer dans cet autre espace fondé sur l’amour.

En guise de conclusion.

Dans le premier livre des rois, il est rapporté que Salomon demande à Yahwé le discernement, la capacité de juger le bien et le mal. Et cela lui est accordé. Jésus en rétablissant d’une certaine manière la circulation entre le divin et le terrestre, (l’alliance peut s’entendre comme cela), a peut-être rendu caduque cet interdit.

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paysage d'Ol�ron:Juin 2005 Posted by Hello