mardi, novembre 29, 2005

A propos du livre de l'ecclésiaste

Le livre de Qohélet.Premières réactions

Il est une attitude pour commenter les textes de l’écriture qui consiste d’une certaine manière a toujours dédouaner Dieu de tout ce qui pourrait être interprété négativement. Mettre du négatif revient plus ou moins à soupçonner Dieu de ne pas être le tout bon. Or bien souvent certains événements douloureux de notre vie, (ces événements qui nous font dire, qu’est ce que j’ai fait au bon dieu pour que...) ne prennent un sens positif que longtemps après. Pour moi, ce n’est pas soupçonner Dieu d’être mauvais ou méchant, c’est exercer l’intelligence qu’Il m’a donnée pour aller ailleurs, pour ne pas l’enfermer dans des schémas ou des images, mais essayer d’actualiser ce qui a été révélé à un moment donné.

J’ai choisi pour le moment lorsque je lis un texte de la bible de me laisser prendre par le texte brut, de le lire peut-être avec l’outil « psychologue »qui est le mien, de l’analyser, de le laisser prendre son envol, sans chercher à voir forcément la bonté de Yahvé.

En travaillant en groupe le texte de Quohélet, j’ai été au-delà de la beauté de l’écriture très étonnée par le pessimisme et de l’athéisme de ce texte. On peut dire que se contenter de ce que l’on a, est une philosophie, et dénote un certain optimisme. Je n’en suis pas sûre. A aucun moment l’auteur n’aborde la possibilité d’une véritable relation entre l’homme et son Dieu. Ilse livre à une critique sévère de la religion enseignée à son époque, il en montre les limites, les incohérences, les insuffisances. La « sagesse » ne débouche pas sur une vie spirituelle.

Je sais que la conservation de ce texte parmi les livres inspirés ne s’est pas faite sans mal et cela se comprend. Mais il reste pour moi un petit chef d’œuvre d’écriture et tout ce qui est art peut être entendu comme une sorte de Révélation.

Je voudrai donc juste « parler » un peu de ce livre, tel que je le ressens aujourd’hui.

1, 7Tous les fleuves coulent vers la mer et mer n'est pas remplie. Vers l'endroit où coulent les fleuves, c'est par là qu'ils continueront de couler.

Quohélet

Souviens toi que le temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi,

Le jour décroît; la nuit augmente ; souviens-toi !

Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide. Baudelaire, « Les fleurs du mal ». L’horloge.

Si j’ai choisi ces deux textes, c’est qu’un parallèle peut être fait. Cette phrase très connue de Quohélet, me rappelle aussi que pour les juifs la mer est un lieu de mort. Ce lieu maléfique, peut être vu non comme le bel océan dont nous avons l’habitude, vaste étendue miroitant sous le soleil, mais comme une sorte de bouche désireuse d‘avaler tous les hommes qui vont ainsi finir leur vie -qu’elle soit heureuse ou malheureuse- dans ce gouffre. L’homme n’a pas le choix, la mort est là, elle le guette, et sera la plus forte.

Ceci permet le parallèle avec le poème « l’horloge », de Baudelaire. Le temps est l’équivalent de la mer, de la mort, et il se nourrit de la vie des hommes. « Le gouffre a toujours soif, la clepsydre se vide ».

C’est donc une vision assez noire assez négative du destin humain.

Le texte de l’ecclésiaste, je le connais depuis mon enfance. Mon père le citait souvent, mais en retenait des maximes qui me faisaient un peu peur, comme « ce qui est courbé ne pourra pas être redressé » et surtout « tout est vanité » que je ne comprenais pas du tout et qui me faisait penser au monsieur vaniteux du petit Prince !

En reprenant aujourd’hui ce texte dans un petit groupe, je suis prise autant par la facture de ce texte que par son négativisme et peut-être par une sorte d’athéisme ou de rejet d’un certain Dieu, celui de la rétribution.

A aucun moment contrairement aux psaumes qui magnifient le travail de Dieu dans le monde, et pour son peuple, Quohélet apprécie la beauté de ce qui lui est donné. Il n’en voit que le côté négatif. Que le style employé soit superbe est une chose, mais il n’en demeure pas moins que la désillusion est omni présente.

Il me semble que comme dans une parabole, à mots peut-être couverts car il faut être entendu par l’assemblée, le discours de Quohélet traduit sa perplexité devant l’illusion de croire en la rétribution, puisque de toutes les manières, juste ou méchant, riche ou pauvre, on n’emporte rien avec soi dans l’au-delà. Peut-être serait donc important de se déprendre de cette croyance en la rétribution ici bas, puisque de toutes les manières dans l’au-delà elle n’a pas cours. La critique est tellement cinglante, que l’on peut se demander si cette analyse n’est pas un moyen de virer à l’athéisme. Au lieu de se réjouir de ce qui est donné, Quohélet se lamente de ce qui est perdu. Et le regard donné par la religion ne lui est d’aucun secours.

Si on pense aux textes mésopotamiens qui retracent l’épopée de Gilgamesh, lorsqu’il descend aux enfers à la recherche de la plante de vie il lui est dit la vie de l’homme est bornée par la mort, que celle-ci est inéluctable. Il lui est alors conseillé de se réjouir du boire, du manger et du plaisir pris avec son épouse. Cela peut se dire comme « vis l’instant présent, et contente toi de cela ; car au-delà, il n’y a rien. Il semble bien que deux mille ans plus tard, le constat est identique.

Ce qui est étonnant dans ce texte, c’est du moins dans les 9 premiers chapitres, l’absence de référence à un Dieu sauveur, à un Dieu « juste ». Certes le mot Dieu est cité, mais d’une manière très laïque, car il s’agit d’une entité un peu lointaine, qui n’a rien à voir avec le Dieu (le Seigneur) qui s’est révélé sur le Sinaï. Ceci est en soi très différents des autres textes appartenant à la littérature sapientielle.

Les chapitres 1 à 8, renvoient à un regard de désespoir sur le monde existant. Par certains côtés cela m’évoque les « romantiques » du 19°. Ce monde est mauvais, la jouissance n’apporte rien puisque la mort en est le terminus.

En filigrane se trouve la question de la rétribution du juste et du méchant, mais il faut passer une certain nombre de versets pour avoir une sorte de réponse. Est-ce dangereux de la mettre en question ouvertement ?

On trouve par exemple au chapitre 3, la question du jugement. 3,17« Je m’étais dit en moi-même, le juste et le criminel, Dieu les jugera, car il y a un temps pour toutes choses et pour toute action ici ». Mais cette phrase reste sans réponse explicite. Une première réponse très ambiguë est donnée : Dieu n’intervient pas ; les épreuves qu’Il envoie apprennent à l’homme (lui font comprendre) qu’il a un comportement de bête (peut on dire animal) et que comme l’animal, il meurt. La réponse n’est pas la justice, mais la mort et une mort sans espoir puisque « un chien (homme du peuple) vivant » vaut mieux « qu’un lion (roi) mort ».

Mais la vraie réponse est donnée au verset2 du chapitre 9 : « Tout est le même pour tous un sort unique, pour le juste et le méchant, le bon et le mauvais, pour le pur et l’impur, pour celui qui sacrifie et qui ne sacrifie pas, pour le bon et le pécheur, pour celui qui prête serment et qui craint de prêter serment. La conclusion est alors : C’est un mal, parmi tout ce qui se fait sous le soleil, qu’il y ait le même sort pour tous.

Quohélet met donc fortement en cause la théorie de la rétribution, qui avait d’ailleurs déjà été mise à mal dans le livre de Job. Car si Job retrouve une certaine crainte du Seigneur, celle-ci lui permet de découvrir un Dieu Autre, ce qui n’est pas le cas de Quohélet.

Mais il y a une autre critique, c’est que le « comportement » de Dieu est incompréhensible ; il semble ne pas respecter les règles du jeu. Car si le méchant vit longtemps, mais pas toujours, si le juste meurt jeune et pauvre, mais pas toujours, alors comment savoir quel est le dessin de Dieu ? Et une deuxième critique apparaît : 8,11 : « Parce que la sentence contre celui qui fait le mal n’est pas vite exécutée le cœur des fils d’Adam, est plein de l’envie de mal faire ».

« Que le pécheur fasse cent fois le mal, il survit »

Ce qui est profondément injuste et contraire à la rétribution.

« Mais il n’arrive pas de bien au méchant et que comme l’ombre, il ne prolongera pas ses jours parce qu’il est sans crainte devant Dieu ».

Alors qui croire ? Il y a comme une incohérence…

« Mais moi, je sais aussi qu’il arrive du bien à ceux qui craignent Dieu parce qu’ils éprouvent de la crainte devant lui, »

Parfois le juste est récompensé, mais ce n’est pas systématique, donc difficile à comprendre.

Donc, comment comprendre le chemin divin quand tout semble aussi absurde, sans règles établies.

Quel est ce Dieu qui vit au- dessus du soleil, qui donne des règles stables aux éléments, mais si incohérentes pour l’homme ?

Ce Dieu peut-on l’atteindre ? Est Lui qui donne à l’homme le bonheur ? Il n’y a me semble t il aucune réponse explicite à cette question ce qui peut s’entendre comme un doute, somme toute très contemporain !

Ce qui est aussi étonnant, c’est que à aucun moment Quohélet ne s’extasie devant la beauté d’un coucher de soleil, le scintillement des étoiles. On dirait que cela n’est pas pour lui et cette répétition de même est finalement profondément déprimante.

Car si riche soit-il si béni de Dieu soit-il (puisque normalement la richesse est un signe de bénédiction), il n’en tire pas de la joie. Il est omnubilé par la disparition, par la mort. D’une certaine manière, Quohélet semble être un grand déprimé (ou un grand boulimique, ce qui revient à peu près au même). Il vit dans un manque que rien ne peut combler. Il entasse richesses sur richesses, expériences sur expériences, pour ressentir au fond de lui cette sensation d’une injustice totale, la mort qui dépossède et qui nivelle les différences. Il y a en lui un manque et normalement sa sagesse aurait du ouvrir, proposer une ou des solutions.

Ce que je trouve frappant dans ce texte, qui date de -330, donc à une époque où la philosophie grecque était connue de tous, c’est l’absence totale de propositions. A aucun moment il ne sort de sa bulle pour être en relation avec les autres, pour leur proposer une relation. La crainte de Dieu est elle relation ? Je n’en suis pas sûre !

Il propose de trouver un mode de vie où l’on n’est pas trop juste, pas trop sage, pas trop méchant, bref pas trop d’excès, car l’excès raccourcit la durée de la vie. 7, 16. C’est une espèce de vie à minima qu’il semble proposer. Même la sagesse ne peut être bonne: « J’ai dit je serai sage, mais c’est hors de ma portée (7, 23). Pas d’excès, profil bas : se soumettre aux ordres des puissants (qui ont le pouvoir de mettre à mort) et même dans l’étude du monde, savoir que la compréhension n’est pas pour l’homme (trop de choses lui échappent).

La relation à l’autre, qui est tellement valorisée par la torah et les prophètes, est elle aussi comme a minima : « donne ton pain à sept ou huit, car tu ne sais quel malheur peut venir sur la terre » Qo 11, 2, mais on n’est pas me semble t il dans la gratuité : donne parce que cela peut toujours servir ! De fait, dans ce texte, l’autre n’existe que comme objet d’étude, et non comme être de relation.

Quant à la relation à Dieu, peut-être peut-on entendre une louange : « Souviens toi de ton créateur aux jours de ton adolescence, avant que ne viennent les jours mauvais et qu’arrivent les années dont tu diras, je ne les aime pas » Qo 12, 1, mais la finale du texte : Qo12,13 « crains Dieu et observe ses commandements, car c’est là tout l’homme : oui, Dieu fera venir toute œuvre en jugement, tout ce qu’elle recèle de bon ou de mauvais », me semble être d’une écriture tout autre que celle du texte initial, et donc peut-être trace (rajoutée) d’une époque où la rétribution post mortem commence à faire son chemin dans le cœur du peuple d’Israël.

Et je ne peux m’empêcher de penser à Bouddha (-600). Comme Qohélet, il est prince donc à l’abri du besoin, il possède des richesses, une femme, la beauté, le luxe. Mais lui décide de sortir des murailles qui l’enferment et reçoit de plein fouet le choc de la misère, de la souffrance et de la mort. Il va essayer de donner une réponse à cette vie, en proposant une manière de vivre, une manière d’être qui permette d’accéder au bonheur. Car l’accès au bonheur est bien la question qui taraude tout être humain compte tenu de la vie qui est loin d’être un chemin de roses.

Quohélet sort aussi, mais il revient dans son confort. Il voit, il observe et la sagesse qu’il dit avoir, quelle est elle ? Si on se réfère au premier livre des rois, il s’agit du discernement. Si on se réfère à d’autres écrits, la sagesse est comme la manifestation de la présence du divin. Et la sagesse de Quohélet est autre. En quoi consiste t elle ? En fait elle dit que le monde est absurde, qu’il n’y a pas de lois sauf celles de la répétition (qui chez Freud est régie par la pulsion de mort) que les promesses de Dieu ne sont pas tenues, et que la vie est un non sens.

Alors que conclure ? Peut-être faudrait il ne pas séparer ce texte de celui qui le suit directement dans notre Bible, à savoir « le cantique des cantiques » qui lui est célébration de la relation.

« Les grandes eaux ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger »Can 8,7

dimanche, novembre 13, 2005

"Tu ne te présenteras pas devant ton Dieu, les mains vides

Catherine Lestang

Tu ne te présenteras pas devant ton Dieu les mains vides Ex 23, 15

La première fois que j’ai lu ce précepte en travaillant le livre de l’Exode, ma réaction a été : Il est gonflé ce YHWH. Pourquoi veut-Il qu’on lui apporte quelque chose alors qu’Il possède tout ? Ne fait Il pas dire au psalmiste : Ps 50,12 « Si j'ai faim, je n'irai pas te le dire, car le monde est à moi et son contenu ». Et puis demander des offrandes dans le désert loin « des villes habitées », quand on a quitté sa maison en grande hâte, même si on eu des cadeaux des égyptiens, c’est un peu paradoxal ! Je sais bien que les descriptions un peu pharaoniques de l’Exode montrent un peuple nombreux, avec des grands troupeaux, mais dans la réalité de ces tribus qui quittaient l’Egypte, qu’en était il ? Et ces troupeaux dans le désert, il faut bien les nourrir !

Je sais bien qu’entendre cette phrase au premier degré, dans sa matérialité, ce n’est peut-être pas ce qu’il faut faire, mais avant de passer à un sens plus spirituel, j’ai besoin d’explorer ce précepte tel quel qu’il est écrit. Car c’est bien le même précepte dont parle implicitement Jésus dans l’épisode de l’obole de la veuve en Luc 21,2-3.

Il m’est d’ailleurs venu à l’esprit que cette phrase pouvait fort bien avoir été écrite par les prêtres, car ce sont bien ces dons matériels, concrets, qui leur permettent de subsister. Et sous couvert d’un ordre divin, c’est quand même plus facile!

Je sais aussi, bien que cet aspect ne me soit apparu que tardivement dans mes réflexions sur cette phrase que le Tu n’est pas un tu qui va avec le je, donc qui me serait directement adressé, mais, que c’est un Tu qui est un Vous et qui comme dans les commandements s’adresse au peuple.

Ce qui revient de fait, à faire une double lecture de ce verset.

Le peuple, par l’intermédiaire des prêtres et des lévites, doit lorsqu’il prie son Dieu lui faire des offrandes, qui ont des rôles très précis(le livre du Lévitique est très explicite à ce sujet). Si on lit un peu l’histoire d’Israël, on voit l’importance de ces sacrifices. Il suffit de se référer par exemple au transfert de l’arche à Jérusalem 2,Sam 7,15-20, ou à l’inauguration du temple par Salomon 1R 8,5, ou encore aux livres d’Esdras et de Néhémie, lors du retour de l’exil. par exemple en Es3,1 dès que l’autel est restauré, des victimes animales sont offertes. Elles servent à la fois à purifier le temple de toutes les « horreurs et profanations » qui s’y sont passées, mais surtout de rendre à YHWH sa place de Dieu de l’Univers, à la fois tout puissant et créateur. Ce type de culte peut aussi s’entendre comme un moyen d’apaiser YHWH, d’éviter que sa colère ne s’enflamme et que à nouveau le peuple restant soit menacé de destruction. Car un Dieu qui ne reçoit pas d’offrande, risque fort de se retourner contre son peuple et de l’abandonner. L’offrande va avec l’alliance. D’une certaine manière le faible, manifeste son allégeance au fort en lui faisant des dons, et en contre partie il reçoit la protection.

Je peux aussi entendre dans ce don obligé, comme une contrepartie de ce que YHWH a fait pour son peuple en lui donnant la « libération ». Cela est alors rappel, mémoire. YHWH a fait sortir d’Egypte en rendant au peuple sa liberté, et en lui permettant de conquérir une terre pour y vivre, Il a donné la liberté. Alors le sacrifice, ici peut s'entendre comme donner comme pour remercier.

Il m’est encore possible d’y voir une notion de pardon : ce don servirait à se faire pardonner ! Cette notion d’holocauste pardon est fréquente dans les psaumes. « Tu n’as voulu ni offrandes, ni sacrifices, alors j’ai dit je viens » Ps40. D’ailleurs, n’est ce pas ce que l’on fait parfois quand on a mauvaise conscience ! Faire un cadeau peut désarmer l’ennemi ! A défaut de pardon, le cadeau peut servir à faire « comme si » on était réconcilié, à condition d’ailleurs d’accepter le cadeau. A ce moment là, on est dans une sorte de rituel de réparation. Et si on regarde un peu le lévitique, il y a de nombreux sacrifices prescrits pour le « péché ». Mais on peut remarquer que dans les discours prophétiques, ce n’est pas tant l’holocauste qui est demandé qu’une conversion du cœur ce qui est d’un tout autre registre.

Seulement quand je reprends la perspective du ‘’tu qui va avec le je’’, c'est-à-dire si j’entends cette phrase comme s’adressant à moi, aujourd’hui, je me rends compte que j’ai beaucoup de mal avec cette représentation d’un Dieu qui réclame. Est ce pour bien signifier sa « divinité » sa différence d’entre Lui et les humains qu’il a crées ? Si comme on le dit, il se dit Père, l’important pour un parent, n’est ce pas de savoir ses enfants à l’abri du besoin ? Alors qui est Il ce Dieu ou plutôt que désire t Il?

Et il m’est venu, qu’avec Jésus, la relation devient radicalement différente. Ne lit on pas dans l’apocalypse au chapitre 3 : « Voici que je me tiens à la porte et que je frappe » ce qui est une relation de confiance et non plus de crainte. Dans l’Exode, Dieu a frappé les premiers nés qui vivaient dans des maisons dont les portes ne portaient pas de sang de l’agneau ou du chevreau. Violence peut-être nécessaire, mais violence quand même! Et là, dans le second testament, il y a une porte quipeut s'ouvrir, et promesse d’une rencontre, d’un souper ‘’d’amoureux’’. Faut il avoir les mains pleines ou les mains vides ? L’important n’est il pas juste d’ouvrir la porte pour que la relation s’établisse ?

Or il se trouve que dans mon éducation cette phrase : « ne pas se présenter devant celui qui invite les mains vides » ou autrement dit « arriver avec un cadeau quand on est invité » a été un des précepte de mon enfance, avec un certain nombre de résonances que je vais conjuguer maintenant, et qui peuvent peut-être expliquer ma réactivité négative à ce verset.

Etre invité chez nous, n’était pas une mince affaire. Il fallait se faire beau, et surtout ne pas arriver les mains vides ! Quant à inviter c’était encore autre chose, il fallait donner une image de soi tellement différente de la réalité quotidienne, que cela me dépassait un peu. J’ai toujours eu du mal avec le faire semblant. Que faut il cacher ?

Je ne me suis d’ailleurs souvent demandé pourquoi il ne fallait pas arriver sans rien, juste avec ce que l’on est, avec sa satisfaction d’être invité et de se mettre les pieds sous la table. J’avais une tante qui notait sur un petit carnet la composition du repas servi à ses invités pour ne pas faire la même chose lors d’une prochaine invitation. Que de tracas pour éviter que les autres puissent penser que vous n’êtes pas une bonne hôtesse. Importance de l’image donnée. Narcissisme quand tu nous tiens.

Pourtant l’hospitalité ce devrait être un partage amical, un plaisir à être ensemble. Simplement dans ma famille il y avait une sorte de rituel. On ne pouvait pas se permettre d’arriver les mains et de ne pas rendre l’invitation. C’eut été une marque de mauvaise éducation (ce qui aurait voulu dire que ma mère «était une mauvaise mère) et moi je devais être une petite fille bien élevée (donner aussi de ma mère une bonne image), ce qui explique que mon Surmoi se soit emparé de cette injonction maternelle.

Curieusement, encore aujourd’hui, si j’apprécie de recevoir un petit quelque chose quand je reçois des amis ou même la famille, je suis ravie (mon esprit enfant rebelle) quand les amis arrivent les mains vides, parce que cela veut dire que la relation est vraiment de l’échange et qu’ils se sentent bien dans notre maison. Quant à compter les invitations pour les rendre….Non !

Et puis il y a aussi Jésus, qui rappelle que inviter des personnes qui peuvent rendre l’invitation n’est pas forcément ce qu’il y a de mieux, comme si dans son message à Lui, ce n’était pas le « donnant donnant » qui avait la préférence. Ce qui renvoie à la phrase citée par Paul : « Il y a plus de plaisir à donner qu’à recevoir ». Mais soyons honnêtes, recevoir fait souvent très plaisir, et se plaindre de l’ingratitude, et donc de la blessure ressentie quand on n’est pas reconnu comme un bon objet, est une attitude bien fréquente. Tout cela pour dire qu’un petit cadeau qui est comme un merci, fait plaisir, mais qu’il n’est pas nécessaire.

Pour rester dans cette optique, il me semble que dans mon enfance cette notion de « ne rien devoir à personne » était aussi très importante. La dette cela crée une obligation et on ne sait pas jusqu’où cela peut mener ou en fait on le sait trop bien. Est-on en dette avec Dieu comme on est censé l’être envers ses parents ? Dans la vie sociale, ne rien devoir, c’est un principe bien humain ! Le « donnant donnant » est à la base de tout échange et crée une relation relativement égalitaire. Quand on doit et qu’on ne peut « rendre », on rentre dans des processus qui peuvent mener à l’esclavage. On devient dépendant de l’autre. On dit bien aujourd’hui que lorsqu’il y a une catastrophe naturelle les membres de certaines églises viennent aider, ce qui leur permet ensuite de recruter ensuite plus facilement car il y a dette. En d’autre terme, la dette crée comme un devoir de reconnaissance. Peut-être peut on dire merci autrement que par un don matériel. Il y a des sourires qui font bien plus chaud au cœur qu’un bouquet de fleurs !

Je crois qu’il y avait aussi, dans ma famille, une notion qui m’est un peu étrangère, à savoir : on nous fait l’honneur à nous qui ne sommes pas de la famille, d’être dans l’intimité (relative) de cette famille. Ceci renvoie à une représentation d’infériorité, peut-être de fausse humilité qui me semble étrange. Mais effectivement si un Dieu vous fait l’honneur à vous, pauvre petit humain de vous inviter chez lui, alors peut-être faut il ne pas de présenter devant lui les mains vides. Simplement pour moi, le fait d’être un humain avec toutes ses limites mais aussi ses grandeurs, ne me dérange pas.

Dans l’Evangile, Jésus s’invite souvent et même si on met apparemment les petits plats dans les grands, d’autant qu’il ne se déplace pas seul, il ne semble pas qu’il se préoccupe beaucoup de la composition du repas. Ce n’est pas là-dessus qu’il juge celui qui le reçoit. A la limite c’est Lui qui fait honneur ! Mais que représente aujourd’hui cette notion ?

Une autre question qui me traverse, est la suivante: et si je me présente devant Dieu ; les mains vides, juste comme je suis, que va-t-il m’arriver ? Va t Il se fâcher ? Va t Il me mettre dehors (ce qui en soi ne serait pas très cohérent pour un Dieu qui se dit Père). Pourquoi mettre sur Dieu une représentation tellement humaine de la relation de parenté ! De toutes les manières, une fois le don fait (et accepté) on se retrouve bien les mains vides !

En fait, il me semble que la peur qui m’a été transmise dans mon enfance est la suivante : si je n’apporte pas un cadeau, je risque de ne plus être invitée par la suite, donc d’une certaine manière d’être mise à la porte et de devoir vivre seule, sans amitié, comme si l’amitié cela s’achetait. Il y avait finalement la peur du rejet, la peur de l’abandon. Et il me semble bien que cette peur là, elle a été projetée sur Dieu. Je ne parle pas d’un niveau conscient, mais d’un niveau inconscient. Et cela, parce que au fond de nous, nous attendons de Dieu une protection, comme le petit enfant en attend une de ses parents, alors que ce qui nous est proposé c’est d’abord une relation.

Alors finalement pourquoi se présenter devant Dieu avec une offrande ? De quoi s’agit il ? Peur d’un rejet ? Peur d’un abandon ? Une de phrase clés de l’évangile n’est elle pas « n’aie pas peur » ? Et pourtant cette peur semble rester encore très présente dans nos rituels, en particulier celui de la messe.

Si je rebascule dans l’optique du Tu est un Vous qui s‘adresse au peuple, il semble bien que tout le rituel de notre messe soit très centré sur le « donnant donnant ». Le peuple, par son prêtre (le célébrant) offre à Dieu un sacrifice qu’Il ne peut que recevoir et accepter(puisqu'il est parfait: Dieu Fils) et qui assure une réconciliation, donc -si je suis me permettre ce raccourci-, la certitude que Dieu ne se mettra pas en colère et ne tuera pas le peuple (pécheur mais sauvé) que Son Fils lui a donné. La mort de Jésus, symboliquement agneau immolé le jour de la Pâques, (fête de la libération), don total, permet la restauration de la relation entre l’homme et Dieu.

Mais si comme l’écrit J. Moingt[1] avec Jésus c’est la fin de l’ère sacrificielle, pourquoi ce mot de sacrifice, revient il si souvent dans le rituel de la messe ?

Pourquoi faut il offrir encore et encore à un Dieu Père (qui sait de quoi l’homme est fait), ce sacrifice de réconciliation (comme si un Dieu était capable d’oubli)[2].

Alors parfois je me dis que ce n’est pas Dieu, lui qui est devenu Père en laissant son Fils aller jusqu’au bout de son désir, qui a besoin qu’on lui rappelle le sacrifice de son fils. C’est nous qui devons en faire mémoire pour ne pas oublier que Dieu Père nous a fait don de son Fils et que ce don nous permet d’être dans l’Esprit.

Je veux dire qu’il est nécessaire de me rappeler(à moi, comme à ceux qui m'ont précédés et ceux qui me suivront) ce qui s’est un passé un soir de l’an 30 ou 33, à savoir un repas « prophétique », suivi d’une réalisation : un corps mis à mort (holocauste) du sang qui coule (purification et vie) et de la réssurection.

Seulement moi dans cette histoire, je dois dire que je me sens (et je me sais) les mains vides. Je reçois, je partage, mais mes mains sont vides. Et si elles sont vides, elles peuvent être remplies, si elles sont occupées à tenir, elles ne le peuvent pas.

S’il y a une chose dont je suis sûre, c’est que si je peux savoir ce que l’on reçoit, il est bien plus difficile de savoir ce que l’on donne. Je sais ce que j’ai reçu, professionnellement parlant, de tous ceux avec lesquels j’ai travaillé et ils sont finalement très nombreux, mais de là à leur avoir donné quelque chose, c’est beaucoup plus un espoir qu’une certitude. Aujourd’hui, si j’espère être « remplie » et travaillée par le souffle de l’Esprit, j’ai en moi la certitude de ne rien donner, de ne rien rendre, d’avoir des mains avec des doigts écartés, qui prennent appui sur le courant divin, comme un nageur sur l’eau, mais qui ne retiennent pas donc qui ne peuvent donner ou rendre. J’espère juste parfois transmettre, au sens d’être traversée par, mais sans retenir.

L’important pour moi, et là encore c’est une espèce de profession de foi, c’est de croire que ce qui permet à l’homme de sortir de l’animalité qui est en lui (et qui est nécessaire) ; c’est d’être en relation avec Dieu et que cela a été rendu possible par la présence de Jésus ; qui a ouvert « les cieux » c'est-à-dire qui a permis une relation dès maintenant entre l’homme et le divin.

Quand un couple décide d’avoir un enfant, il va donner de sa vie pour que ce petit être devienne un humain. Je dirai que le don des parents fabrique de l’humain. Si moi aujourd’hui, je peux donner un peu de mon temps à mon Dieu, peut-être que dans un échange un peu mystérieux, je peux contribuer à « faire » du Dieu, et que ainsi dans une mutualité qui se nourrit en permanence, l’Un de l’autre et l’autre de l’Un, je peux déjà aujourd’hui faire advenir la présence de Dieu en moi et la laisser agir. Etre créateur de Dieu en toute humilité, n’est ce pas un projet magnifique ?

Voici, je me tiens à la porte et je frappe;

Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte,

J'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi



[1] J. Moingt. La rémission des péchés. DDB 2004

[2] Je fais un peu exprès ici dans un esprit assez polémique de ne pas développer l'aspect "sacrifice de louange"