dimanche, novembre 13, 2005

"Tu ne te présenteras pas devant ton Dieu, les mains vides

Catherine Lestang

Tu ne te présenteras pas devant ton Dieu les mains vides Ex 23, 15

La première fois que j’ai lu ce précepte en travaillant le livre de l’Exode, ma réaction a été : Il est gonflé ce YHWH. Pourquoi veut-Il qu’on lui apporte quelque chose alors qu’Il possède tout ? Ne fait Il pas dire au psalmiste : Ps 50,12 « Si j'ai faim, je n'irai pas te le dire, car le monde est à moi et son contenu ». Et puis demander des offrandes dans le désert loin « des villes habitées », quand on a quitté sa maison en grande hâte, même si on eu des cadeaux des égyptiens, c’est un peu paradoxal ! Je sais bien que les descriptions un peu pharaoniques de l’Exode montrent un peuple nombreux, avec des grands troupeaux, mais dans la réalité de ces tribus qui quittaient l’Egypte, qu’en était il ? Et ces troupeaux dans le désert, il faut bien les nourrir !

Je sais bien qu’entendre cette phrase au premier degré, dans sa matérialité, ce n’est peut-être pas ce qu’il faut faire, mais avant de passer à un sens plus spirituel, j’ai besoin d’explorer ce précepte tel quel qu’il est écrit. Car c’est bien le même précepte dont parle implicitement Jésus dans l’épisode de l’obole de la veuve en Luc 21,2-3.

Il m’est d’ailleurs venu à l’esprit que cette phrase pouvait fort bien avoir été écrite par les prêtres, car ce sont bien ces dons matériels, concrets, qui leur permettent de subsister. Et sous couvert d’un ordre divin, c’est quand même plus facile!

Je sais aussi, bien que cet aspect ne me soit apparu que tardivement dans mes réflexions sur cette phrase que le Tu n’est pas un tu qui va avec le je, donc qui me serait directement adressé, mais, que c’est un Tu qui est un Vous et qui comme dans les commandements s’adresse au peuple.

Ce qui revient de fait, à faire une double lecture de ce verset.

Le peuple, par l’intermédiaire des prêtres et des lévites, doit lorsqu’il prie son Dieu lui faire des offrandes, qui ont des rôles très précis(le livre du Lévitique est très explicite à ce sujet). Si on lit un peu l’histoire d’Israël, on voit l’importance de ces sacrifices. Il suffit de se référer par exemple au transfert de l’arche à Jérusalem 2,Sam 7,15-20, ou à l’inauguration du temple par Salomon 1R 8,5, ou encore aux livres d’Esdras et de Néhémie, lors du retour de l’exil. par exemple en Es3,1 dès que l’autel est restauré, des victimes animales sont offertes. Elles servent à la fois à purifier le temple de toutes les « horreurs et profanations » qui s’y sont passées, mais surtout de rendre à YHWH sa place de Dieu de l’Univers, à la fois tout puissant et créateur. Ce type de culte peut aussi s’entendre comme un moyen d’apaiser YHWH, d’éviter que sa colère ne s’enflamme et que à nouveau le peuple restant soit menacé de destruction. Car un Dieu qui ne reçoit pas d’offrande, risque fort de se retourner contre son peuple et de l’abandonner. L’offrande va avec l’alliance. D’une certaine manière le faible, manifeste son allégeance au fort en lui faisant des dons, et en contre partie il reçoit la protection.

Je peux aussi entendre dans ce don obligé, comme une contrepartie de ce que YHWH a fait pour son peuple en lui donnant la « libération ». Cela est alors rappel, mémoire. YHWH a fait sortir d’Egypte en rendant au peuple sa liberté, et en lui permettant de conquérir une terre pour y vivre, Il a donné la liberté. Alors le sacrifice, ici peut s'entendre comme donner comme pour remercier.

Il m’est encore possible d’y voir une notion de pardon : ce don servirait à se faire pardonner ! Cette notion d’holocauste pardon est fréquente dans les psaumes. « Tu n’as voulu ni offrandes, ni sacrifices, alors j’ai dit je viens » Ps40. D’ailleurs, n’est ce pas ce que l’on fait parfois quand on a mauvaise conscience ! Faire un cadeau peut désarmer l’ennemi ! A défaut de pardon, le cadeau peut servir à faire « comme si » on était réconcilié, à condition d’ailleurs d’accepter le cadeau. A ce moment là, on est dans une sorte de rituel de réparation. Et si on regarde un peu le lévitique, il y a de nombreux sacrifices prescrits pour le « péché ». Mais on peut remarquer que dans les discours prophétiques, ce n’est pas tant l’holocauste qui est demandé qu’une conversion du cœur ce qui est d’un tout autre registre.

Seulement quand je reprends la perspective du ‘’tu qui va avec le je’’, c'est-à-dire si j’entends cette phrase comme s’adressant à moi, aujourd’hui, je me rends compte que j’ai beaucoup de mal avec cette représentation d’un Dieu qui réclame. Est ce pour bien signifier sa « divinité » sa différence d’entre Lui et les humains qu’il a crées ? Si comme on le dit, il se dit Père, l’important pour un parent, n’est ce pas de savoir ses enfants à l’abri du besoin ? Alors qui est Il ce Dieu ou plutôt que désire t Il?

Et il m’est venu, qu’avec Jésus, la relation devient radicalement différente. Ne lit on pas dans l’apocalypse au chapitre 3 : « Voici que je me tiens à la porte et que je frappe » ce qui est une relation de confiance et non plus de crainte. Dans l’Exode, Dieu a frappé les premiers nés qui vivaient dans des maisons dont les portes ne portaient pas de sang de l’agneau ou du chevreau. Violence peut-être nécessaire, mais violence quand même! Et là, dans le second testament, il y a une porte quipeut s'ouvrir, et promesse d’une rencontre, d’un souper ‘’d’amoureux’’. Faut il avoir les mains pleines ou les mains vides ? L’important n’est il pas juste d’ouvrir la porte pour que la relation s’établisse ?

Or il se trouve que dans mon éducation cette phrase : « ne pas se présenter devant celui qui invite les mains vides » ou autrement dit « arriver avec un cadeau quand on est invité » a été un des précepte de mon enfance, avec un certain nombre de résonances que je vais conjuguer maintenant, et qui peuvent peut-être expliquer ma réactivité négative à ce verset.

Etre invité chez nous, n’était pas une mince affaire. Il fallait se faire beau, et surtout ne pas arriver les mains vides ! Quant à inviter c’était encore autre chose, il fallait donner une image de soi tellement différente de la réalité quotidienne, que cela me dépassait un peu. J’ai toujours eu du mal avec le faire semblant. Que faut il cacher ?

Je ne me suis d’ailleurs souvent demandé pourquoi il ne fallait pas arriver sans rien, juste avec ce que l’on est, avec sa satisfaction d’être invité et de se mettre les pieds sous la table. J’avais une tante qui notait sur un petit carnet la composition du repas servi à ses invités pour ne pas faire la même chose lors d’une prochaine invitation. Que de tracas pour éviter que les autres puissent penser que vous n’êtes pas une bonne hôtesse. Importance de l’image donnée. Narcissisme quand tu nous tiens.

Pourtant l’hospitalité ce devrait être un partage amical, un plaisir à être ensemble. Simplement dans ma famille il y avait une sorte de rituel. On ne pouvait pas se permettre d’arriver les mains et de ne pas rendre l’invitation. C’eut été une marque de mauvaise éducation (ce qui aurait voulu dire que ma mère «était une mauvaise mère) et moi je devais être une petite fille bien élevée (donner aussi de ma mère une bonne image), ce qui explique que mon Surmoi se soit emparé de cette injonction maternelle.

Curieusement, encore aujourd’hui, si j’apprécie de recevoir un petit quelque chose quand je reçois des amis ou même la famille, je suis ravie (mon esprit enfant rebelle) quand les amis arrivent les mains vides, parce que cela veut dire que la relation est vraiment de l’échange et qu’ils se sentent bien dans notre maison. Quant à compter les invitations pour les rendre….Non !

Et puis il y a aussi Jésus, qui rappelle que inviter des personnes qui peuvent rendre l’invitation n’est pas forcément ce qu’il y a de mieux, comme si dans son message à Lui, ce n’était pas le « donnant donnant » qui avait la préférence. Ce qui renvoie à la phrase citée par Paul : « Il y a plus de plaisir à donner qu’à recevoir ». Mais soyons honnêtes, recevoir fait souvent très plaisir, et se plaindre de l’ingratitude, et donc de la blessure ressentie quand on n’est pas reconnu comme un bon objet, est une attitude bien fréquente. Tout cela pour dire qu’un petit cadeau qui est comme un merci, fait plaisir, mais qu’il n’est pas nécessaire.

Pour rester dans cette optique, il me semble que dans mon enfance cette notion de « ne rien devoir à personne » était aussi très importante. La dette cela crée une obligation et on ne sait pas jusqu’où cela peut mener ou en fait on le sait trop bien. Est-on en dette avec Dieu comme on est censé l’être envers ses parents ? Dans la vie sociale, ne rien devoir, c’est un principe bien humain ! Le « donnant donnant » est à la base de tout échange et crée une relation relativement égalitaire. Quand on doit et qu’on ne peut « rendre », on rentre dans des processus qui peuvent mener à l’esclavage. On devient dépendant de l’autre. On dit bien aujourd’hui que lorsqu’il y a une catastrophe naturelle les membres de certaines églises viennent aider, ce qui leur permet ensuite de recruter ensuite plus facilement car il y a dette. En d’autre terme, la dette crée comme un devoir de reconnaissance. Peut-être peut on dire merci autrement que par un don matériel. Il y a des sourires qui font bien plus chaud au cœur qu’un bouquet de fleurs !

Je crois qu’il y avait aussi, dans ma famille, une notion qui m’est un peu étrangère, à savoir : on nous fait l’honneur à nous qui ne sommes pas de la famille, d’être dans l’intimité (relative) de cette famille. Ceci renvoie à une représentation d’infériorité, peut-être de fausse humilité qui me semble étrange. Mais effectivement si un Dieu vous fait l’honneur à vous, pauvre petit humain de vous inviter chez lui, alors peut-être faut il ne pas de présenter devant lui les mains vides. Simplement pour moi, le fait d’être un humain avec toutes ses limites mais aussi ses grandeurs, ne me dérange pas.

Dans l’Evangile, Jésus s’invite souvent et même si on met apparemment les petits plats dans les grands, d’autant qu’il ne se déplace pas seul, il ne semble pas qu’il se préoccupe beaucoup de la composition du repas. Ce n’est pas là-dessus qu’il juge celui qui le reçoit. A la limite c’est Lui qui fait honneur ! Mais que représente aujourd’hui cette notion ?

Une autre question qui me traverse, est la suivante: et si je me présente devant Dieu ; les mains vides, juste comme je suis, que va-t-il m’arriver ? Va t Il se fâcher ? Va t Il me mettre dehors (ce qui en soi ne serait pas très cohérent pour un Dieu qui se dit Père). Pourquoi mettre sur Dieu une représentation tellement humaine de la relation de parenté ! De toutes les manières, une fois le don fait (et accepté) on se retrouve bien les mains vides !

En fait, il me semble que la peur qui m’a été transmise dans mon enfance est la suivante : si je n’apporte pas un cadeau, je risque de ne plus être invitée par la suite, donc d’une certaine manière d’être mise à la porte et de devoir vivre seule, sans amitié, comme si l’amitié cela s’achetait. Il y avait finalement la peur du rejet, la peur de l’abandon. Et il me semble bien que cette peur là, elle a été projetée sur Dieu. Je ne parle pas d’un niveau conscient, mais d’un niveau inconscient. Et cela, parce que au fond de nous, nous attendons de Dieu une protection, comme le petit enfant en attend une de ses parents, alors que ce qui nous est proposé c’est d’abord une relation.

Alors finalement pourquoi se présenter devant Dieu avec une offrande ? De quoi s’agit il ? Peur d’un rejet ? Peur d’un abandon ? Une de phrase clés de l’évangile n’est elle pas « n’aie pas peur » ? Et pourtant cette peur semble rester encore très présente dans nos rituels, en particulier celui de la messe.

Si je rebascule dans l’optique du Tu est un Vous qui s‘adresse au peuple, il semble bien que tout le rituel de notre messe soit très centré sur le « donnant donnant ». Le peuple, par son prêtre (le célébrant) offre à Dieu un sacrifice qu’Il ne peut que recevoir et accepter(puisqu'il est parfait: Dieu Fils) et qui assure une réconciliation, donc -si je suis me permettre ce raccourci-, la certitude que Dieu ne se mettra pas en colère et ne tuera pas le peuple (pécheur mais sauvé) que Son Fils lui a donné. La mort de Jésus, symboliquement agneau immolé le jour de la Pâques, (fête de la libération), don total, permet la restauration de la relation entre l’homme et Dieu.

Mais si comme l’écrit J. Moingt[1] avec Jésus c’est la fin de l’ère sacrificielle, pourquoi ce mot de sacrifice, revient il si souvent dans le rituel de la messe ?

Pourquoi faut il offrir encore et encore à un Dieu Père (qui sait de quoi l’homme est fait), ce sacrifice de réconciliation (comme si un Dieu était capable d’oubli)[2].

Alors parfois je me dis que ce n’est pas Dieu, lui qui est devenu Père en laissant son Fils aller jusqu’au bout de son désir, qui a besoin qu’on lui rappelle le sacrifice de son fils. C’est nous qui devons en faire mémoire pour ne pas oublier que Dieu Père nous a fait don de son Fils et que ce don nous permet d’être dans l’Esprit.

Je veux dire qu’il est nécessaire de me rappeler(à moi, comme à ceux qui m'ont précédés et ceux qui me suivront) ce qui s’est un passé un soir de l’an 30 ou 33, à savoir un repas « prophétique », suivi d’une réalisation : un corps mis à mort (holocauste) du sang qui coule (purification et vie) et de la réssurection.

Seulement moi dans cette histoire, je dois dire que je me sens (et je me sais) les mains vides. Je reçois, je partage, mais mes mains sont vides. Et si elles sont vides, elles peuvent être remplies, si elles sont occupées à tenir, elles ne le peuvent pas.

S’il y a une chose dont je suis sûre, c’est que si je peux savoir ce que l’on reçoit, il est bien plus difficile de savoir ce que l’on donne. Je sais ce que j’ai reçu, professionnellement parlant, de tous ceux avec lesquels j’ai travaillé et ils sont finalement très nombreux, mais de là à leur avoir donné quelque chose, c’est beaucoup plus un espoir qu’une certitude. Aujourd’hui, si j’espère être « remplie » et travaillée par le souffle de l’Esprit, j’ai en moi la certitude de ne rien donner, de ne rien rendre, d’avoir des mains avec des doigts écartés, qui prennent appui sur le courant divin, comme un nageur sur l’eau, mais qui ne retiennent pas donc qui ne peuvent donner ou rendre. J’espère juste parfois transmettre, au sens d’être traversée par, mais sans retenir.

L’important pour moi, et là encore c’est une espèce de profession de foi, c’est de croire que ce qui permet à l’homme de sortir de l’animalité qui est en lui (et qui est nécessaire) ; c’est d’être en relation avec Dieu et que cela a été rendu possible par la présence de Jésus ; qui a ouvert « les cieux » c'est-à-dire qui a permis une relation dès maintenant entre l’homme et le divin.

Quand un couple décide d’avoir un enfant, il va donner de sa vie pour que ce petit être devienne un humain. Je dirai que le don des parents fabrique de l’humain. Si moi aujourd’hui, je peux donner un peu de mon temps à mon Dieu, peut-être que dans un échange un peu mystérieux, je peux contribuer à « faire » du Dieu, et que ainsi dans une mutualité qui se nourrit en permanence, l’Un de l’autre et l’autre de l’Un, je peux déjà aujourd’hui faire advenir la présence de Dieu en moi et la laisser agir. Etre créateur de Dieu en toute humilité, n’est ce pas un projet magnifique ?

Voici, je me tiens à la porte et je frappe;

Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte,

J'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi



[1] J. Moingt. La rémission des péchés. DDB 2004

[2] Je fais un peu exprès ici dans un esprit assez polémique de ne pas développer l'aspect "sacrifice de louange"

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