dimanche, mai 07, 2006

Thomas dont le nom signifie le jumeau

Catherine Lestang


Thomas le Didyme: nom, prénom, surnom?
Jn 20,24-28

J'ai toujours été étonnée par la phrase "Thomas dont le nom signifie jumeau" car cela revient à dire que cet homme n'avait pas de prénom mais un surnom. Comment peut-on se sentir existant quand on est "le double" d'un autre.

Je me demande si l'épisode rapporté en Jn 20,24-28 n'est pas un épisode fondateur pour cet apôtre qui voulait "mourir avec Jésus".

Je cite le texte de Jean, texte qui est la conclusion de cet évangile:


20,24
Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.

20,25
Les autres disciples lui dirent donc : «Nous avons vu le Seigneur» ! Mais il leur répondit : «Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas» !

20,26
Or 8 jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit : «La paix soit avec vous».

20,27
Ensuite il dit à Thomas : «Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi».

20,28
Thomas lui répondit : «Mon Seigneur et mon Dieu».


Quand le nom de Thomas est cité dans les évangiles, il est presque toujours accolé à celui de jumeau. Pour moi, c’est un peu comme un sobriquet, comme si celui qui portait ce surnom n’avait pas de nom »propre ».

Ne pas avoir pas de nom à soi est un lourd handicap.

On sait aujourd’hui à quel point la vie des jumeaux est difficile. Il y a un dominant et un dominé, et entre les deux il y a une sorte de lutte pour arriver à s’affirmer. Il y a eu des civilisations où les jumeaux étaient mis à mort à la naissance. Ce n’est pas le cas chez les israélites, mais l’épisode de Jacob et d’Esaü montre bien combien la cohabitation est difficile et encore dans cet épisode de la Genèse, ce ne sont pas de vrais jumeaux

Si Thomas a eu un jumeau, comment lui s’est-il constitué ? Comment s’est-il différencié de l’autre, de son double ? Un autre sens du mot toma en araméen est celui du double..

Alors peut-être que son attitude face à celle du « groupe » des apôtres est un essai bien maladroit d’exister enfin de manière indépendante, en se singularisant, et s’opposant. « Vous dites que vous l’avez vu et bien moi, je ne veux pas coller à votre dire, je veux exister.Je veux voir par moi-même, ne pas être une éternelle doublure ».

Et peut-être que la scène entre Jésus et Thomas permet à ce dernier, (comme une autre scène au bord du lac de Tibériade permettra à Pierre de prendre sa stature de pierre de fondation) d’exister autrement. Simplement peut-être un peu comme Pierre au bord du lac, ce qui lui est demandé de vivre (triple affirmation de Pierre) n’est pas si simple. Car lui aussi fait une profession de foi !

Car si on essaye de se représenter les choses, le terme qui vient c’est « la honte » pour Thomas. Jésus dit haut et fort ce que normalement Il ne peut avoir entendu. Alors Qui est Il devenu Celui là qui a été mis à mort ? Quelle stature a –t Il acquise ?

Il y a de quoi avoir et peur et honte, voire même de rentrer sous terre. Il y a bien une phrase de Jésus qui dit:Lc12,3 : « C'est pourquoi tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera entendu au grand jour, et ce que vous aurez dit à l'oreille dans les pièces les plus retirées sera proclamé sur les toits » .Et c’est bien ce qui se passe. Jésus reprend les termes employés par Thomas, « in extenso » et il y a de quoi se sentir très très mal à l’aise.

Se pose alors pour moi la question de ce qui a été donné à voir à Thomas. Je ne peux imaginer des plaies sanguinolentes. J’imagine (et j’aime imaginer) qu’il ne s’agit pas de cicatrices, mais que les trous sont présents, mais au lieu d’être signe de mort ils sont vie, comme si de la matière que je peux me représenter, mais pas nommer rayonnait à partir de ces trous sans les masquer, sans les cacher, sans les annihiler. Rien ne dit que Thomas soit passé à l’acte, mais la phrase qu’il prononce, qui est sienne le constitue en témoin et non plus en image d’un autre.

Curieusement dans ma mémoire, cette phrase de Thomas « Mon Seigneur et mon Dieu », se serait accompagnée d’une prosternation, mais il n’en est rien. Thomas est un homme debout, qui reconnaît en Jésus le tout Autre et cette reconnaissance le constitue lui en un être unique, singulier. Il n’est plus un double ou une doublure.Il est celui qui ira jusqu’en Inde pour annoncer la nouvelle de la résurrection.


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