jeudi, avril 12, 2007

"Une famine sévère survint dans le pays" Luc 15,14

Catherine Lestang.

A partir de la parabole du fils prodigue : quel sens peut avoir un événement mauvais ?

En relisant l’évangile que l’on appelle « le fils prodigue », la phrase « Quand il eut tout dépensé une famine sévère survint en cette contrée et il commença à ressentir la privation »Lc 15, 14. ma semblée être comme le pivot de cette parabole.La famine est en soi un malheur, un événement porteur de mort. Ici elle va devenir autre chose, elle prend une valeur positive, du moins pour le jeune homme qui fait l’expérience de la faim.

Dans l’ancien testament, ce fléau, est souvent liée à la colère de Dieu. Du moins c’est ainsi que les choses sont perçues et racontées, pour servir de leçon. Car si YHWH ne donne pas la pluie qui rend la terre fertile, (il s’agit là d’une punition), c’est que le peuple ou le roi s’est détourné de lui, a sacrifié à d’autres dieux donc a péché. C’est ce qui se passe, par exemple avec Elie qui promet une sécheresse au roi Achaz, qui ne respecte pas le Dieu Unique d’Israël. 2R17. La famine est donc synonyme de punition. Elle est comprise comme sanction du péché. La punition a pour but d’obliger le peuple et/ou le roi à s’amender, à se reconnaître pécheur.

Le péché dans l’optique du premier testament étant soit de se détourner du seul Dieu en rendant un culte aux dieux locaux, ou de se laisser conduire par la convoitise ( je pense ici à David qui perd le premier né qu’il a avec Bethsabée car cet enfant est lié à un meurtre). Le péché conduit donc à la mort. C’est le changement intérieur qui permettra que le Seigneur se lasse de sa colère.

Donc d’une certaine manière l’événement doit permettre une prise de conscience : qu’est ce qui a pu déclencher cela, ou autrement dit, qu’est ce que j’ai fait (ou avons fait) de mal ? C’est le sens du psaume 51, « le miserere » attribué à David.

Il me semble pourtant et c’est un peu ce que m’apporte cette parabole, qu’il est possible de regarder les événements qui nous atteignent douloureusement, non un signe d’une colère contre nous, mais comme une occasion de changement, de réajustement, de conversion.

Un événement est d’abord un fait. Dans notre culture, il a presque toujours une origine que l’on peut comprendre, trouver. Que cette origine soit souvent liée à des comportements mauvais de l’humain, c’est certain. Par exemple, le fait d’être alcoolique est porteur de conséquences souvent désastreuses et pour soi et pour ses proches . Mais il me semble difficile d’y voir la main d’un dieu vengeur, destructeur, qui ne connaîtrait que ce moyen là pour pousser l’être humain à changer. Nous nous débrouillons bien tous seuls pour nous mettre dans des situations difficiles !

Dans le texte de Luc, cette famine est un peu semblable à la famine qui va pousser les fils de Jacob, à partir en Egypte et finalement à s’y établir. C’est un événement qui va obliger le jeune homme à changer de comportement, à se mettre en mouvement. Peut-être en arrière plan, pour les auditeurs de l’époque faisait- elle écho à la tempête qui se lève quand Jonas essaye de ne pas aller à Ninive et peut-être à l’inconduite de jeune homme, mais cela n’est pas dit. Ce qui semble certain c’est que le jeune homme ne se sent pas responsable de la famine et pourtant comme le dira son frère, il a vécu comme un impie.

Ce qui me frappe dans la parabole c’est que « ce fils à papa » est confronté à une situation difficile. Il a faim et cette faim, ce manque, provoque chez lui d’abord de l’envie par rapport aux porcs qui eux n’ont pas le ventre vide, puis un retournement. La traduction de la B.J. dit : Lc 15, 17 : « alors il rentra en lui-même et se dit ». Ce retournement provoqué par la faim ne donne pas quelque chose de très glorieux. Il ne se repent pas, il se dit juste que là-bas il y a à manger. On a même l’impression qu’il s’est renseigné pour savoir si la famine est localisée à cette contrée. Et il se met en route avec le discours que nous connaissons bien : Lc 15, 19 : « Père, je ne suis pas digne d’être appelé ton fils, et traite moi comme l’un de tes mercenaires ». Il n’est pas ou à peine question de repentance. On a l’impression d’un discours convenu qui est censé faire impression sur le père. De fait l’attitude du fils, assez mesquine, met en valeur celle du Père et c’est bien ce que Jésus veut faire entendre à ses auditeurs.

La famine a provoqué donc une mise en route de quelque chose de nouveau. Elle a servi de tremplin. Et en cela elle est bonne. Elle a pris une autre valence pour cet homme-là. Elle lui a permis de découvrir ce qu’est un père et de ce fait de se découvrir fils, autrement que comme dilapideur d’un héritage !

Ce qui me semble important, pour moi, dans ma réflexion, c’est que parfois un événement négatif peut être positif pour une personne donnée. La famine reste quelque chose d’affreux,qu ‘elle soit matérielle ou psychique. Mais faut-il l’associer au péché, y voir une punition qui peut conduire à la mort ? Ce Dieu là est- Il celui dont parle Jésus dans la parabole? Car peut-être que cette famine a encore une autre portée : le fils s’était fait (comme nous) une certaine image de son père, et ce qui lui arrive avec le père qui l’attend, qui ne pose pas de questions, lui permet d’accéder à une autre représentation de la paternité, représentation qui sera rejetée par le fils aîné. Nos représentations de Dieu ont sans cesse besoin d’être « mises à jour » et souvent des événements douloureux permettent ce changement.

Pourtant, trop souvent certains discours religieux à l’image du premier testament insistent, essentiellement sur le négatif de l’événement . Tout événement qui me fait du mal est vécu comme la punition d’un détournement, d’une faute.

Je deviens en quelque sorte la victime de quelqu’un que j’ai offensé (et qui devient persécuteur si toute fois je peux me permettre d’employer ce terme pour un Dieu tout puissant qui veut le bien (la vie) d el’homme). Il me faut alors apaiser cette divinité en me reconnaissant la cause de l’événement et en l’apaisant (soumission et dons) . La religion en me proposant des actes d’alliance (de repentance et de soumission), va devenir sauveteur. J’ai décrit là le « triangle dramatique », qui comme chacun sait, peut hélas se pervertir. Mais la relation à Jésus ressuscité permet de sortir de cela car curieusement il est victime et sauveur et ce en refusant de toutes les forces de son être devenir persécuteur

Mais en cas d’épreuve, une association gravée au fond de nous se réactive presque à notre insu : il m’arrive quelque chose de mauvais, c’est donc que je suis puni , j’ai fait quelque chose de mal . Ce peut être parfois le cas, mais pas toujours. Ce qui veut dire que je risque de vivre dans la peur constante de faire mal ce qui va créer du malheur et dans une sorte de pensée magique, reliquat de l’enfance.

Pour éclairer cette attitude, je peux rapporter le souvenir suivant. Ma mère m’avait toujours dit, que par peur du mauvais œil, il ne fallait pas se vanter de ses réussites, bref, ne jamais dire que l’on se sentait bien, que l’on était heureux. Le mauvais œil, je ne savais pas ce que c’était, mais je savais qu’il fallait faire attention. Bref, j’allais avoir 6 ans, le printemps était superbe et je me suis surpris à me dire que je me sentais très très bien et que la vie était belle, que j’étais heureuse. Le lendemain , j’étais au lit avec une grosse rougeole. Il a fallu des années pour que je puisse dire que j’allais bien sans avoir peur de provoquer une catastrophe..Il y a des phrases qui s’impriment en soi et qui ont des effets durables et négatifs. D’une certaine manière, compte tenu du discours maternel, j’avais provoqué les choses. Si je ne m’étais pas « vantée » d’aller bien, rien ne serait arrivé, ce qui bien entendu est faux, mais à 6 ans, on ne le sait pas et on n’a pas les moyens intellectuels de remettre les choses à leur place. Avoir une rougeole au printemps est tout à fait normal, mais cela personne ne vous le dit, et par ailleurs on ne raconte pas à sa maman que l’on était si bien si heureux, juste avant de tomber malade, pour ne pas entendre la phrase : « je te l’avais bien dit ». Le problème est qu’il se crée un certain type de raisonnement qui est faux et qui crée des comportements qui demeurent infantiles et qui peuvent être nocifs pour la vire d’adulte.

L’association entre malheur punition est fréquente dans la bible. Elle sert aussi de moteur de conversion, mais c’est une conversion « nécessaire » pour que le malheur cesse. Si on prend par exemple un autre texte de cette même période de carême, un extrait du livre des nombres, on peut voir comment se fait la « genèse » d’une telle association. Je vais reprendre le début du chapitre 21 la morsure des serpents qui vient en châtiment aux récriminations du peuple.

On peut tout à fait imaginer que dans ce milieu désertique, où les serpents sont nombreux, le passage d’un peuple a dérangé les serpents et a provoqué des attaques (défense du territoire).Lors d’un pélérinage que j’ai fait il y a bien longtemps en Israël, une personne de mon groupe a été mordue la nuit par une vipère blanche qui était tombée d’un eucalyptus. On nous a alors expliqué que ces vipères fréquentes dans cette région avaient du changer d’habitat à cause des cultures en bordure du lac. Peut-être est-ce qui est arrivé lors de la migration d’Israël dans le désert. Il y a souvent une explication « normale ». Mais cette jeune fille qui a failli mourir a-t-elle vécu cet événement ? Quel sens lui a t elle donné, car l’important c’est bien le sens que l’on donne à ce qui nous arrive. Cela je ne le saurais jamais.

Mais comme ces événements arrivent à un moment où le peuple en plein désert en a assez de cette vie et récrimine (comme le feront plus tard les scribes et les pharisiens avec Jésus), alors ils prennent un autre sens, sens qui correspond à une manière qui me semble infantile de voir les choses : j’ai dit du mal de mon père, alors il s’est vengé en me faisant du mal. Comme cela je ne recommencerai pas. On peut aussi penser que le Dieu tout puissant peut intervenir dans l’histoire de son peuple en créant cet événement. Là je ne trancherai pas, parce que je ne sais pas.

La notion de être puni par où on a péché se manifeste ici : par mes paroles je l’ai mordu alors lui, il m’a fait mordre par des serpents. Je ne dois pas dire du mal, sinon je vais être puni et mourir.

On peut scinder ce récit en plusieurs unités.
Acte 1: « Au cours de sa marche à travers le désert, le peuple d'Israël, à bout de courage, récrimina contre Dieu et contre Moïse : « Pourquoi nous avoir fait monter d'Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n'y a ni pain ni eau ? Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! ».

Ce qui est certain c’est que le peuple a faim, soif, qu’il se sent en danger de mort. Si à ce moment là, il s’était retourné vers son dieu en lui demandant une autre nourriture, il n’y aurait pas de suite. Mais c’est la « récrimination » qui semble être vécue par YHWH comme une insulte, comme une morsure, qui provoque la punition.

Acte 2 :Alors le Seigneur envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante, et beaucoup en moururent dans le peuple d'Israël.

On est presque dans une réaction « stiimulus réponse ». Ce qui laisse à supposer que le Seigneur (qui entend tout, voit tout), n’aime pas cette attitude de revendication et au lieu de « consoler » ce qui ne veut pas dire « changer la situation », se sent offensé parce que le peuple a oublié que c’est lui qui l’a fait sortir d’Egypte et qui a donné la nourriture quotidienne. Alors il invente une punition qui fait mourir encore plus sûrement que cette absence relative de nourriture. Cela a certainement un but : si on récrimine, il vous arrive des bricoles…Donc il se fait dans le peuple, -comme chez l’enfant- une association entre ce qui fait mal (malheur) et punition. C’est parce que j’ai protesté que je suis puni. Ou encore : si tes paroles me blessent (me mordent) je te mords. D’ailleurs c’est parfois ce qu’il faut faire avec un enfant pour qu’il comprenne que son geste fait mal. Le peuple est à ce moment-là considéré comme un petit enfant qui doit apprendre qu’on ne mord pas papa ! C’est peut-être un procédé éducatif, mais c’est un procédé très rude.

Acte 3 Le peuple vint vers Moïse et lui dit : « Nous avons péché, en récriminant contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu'il éloigne de nous les serpents. ». L’association entre péché et malheur qui vous tombe dessus semble être faite. On retrouve ici la phrase du fils : « j’ai péché contre le ciel et contre toi ». Le peuple a compris que ces serpents ne sont pas le fait du hasard, et qu’il a fait quelque chose de mal et qu’il est puni. Comme l’enfant puni, il demande à un personnage tutélaire ( dirait F.Dolto) d’intercéder pour lui, de lever la punition, puisque maintenant il a compris ce qu’il a fait de mal. Du coup, il n’est même plus question de la faim, de la soif, de l’insécurité.

Actes 4 et 5 . Moïse intercéda pour le peuple, et le Seigneur dit à Moïse : « Fais-toi un serpent, et dresse-le au sommet d'un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu'ils le regardent, et ils vivront ! »
Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet d'un mât. Quand un homme était mordu par un serpent, et qu'il regardait vers le serpent de bronze, il conservait la vie !
D’une certaine manière, il demeure une punition : la morsure qui peut se traduire par : tu m’as mordu en récriminant contre moi, alors toi aussi tu souffriras de la morsure, mais tu seras délivré du poison qui fait mourir, ce poison du doute. Ce qui pour moi reste un peu problématique c’est que le serpent outre le fait qu’il est une divinité égyptienne, est évocateur du caducée, symbole des médecins, des guérisseurs. Double valence du serpent ? Mort ou vie ?

Il semble donc que la leçon est claire : si tu me mords, je te mords…
Si tu es mordu par quelque chose, essaye de trouver ce que tu as fait de mal.
Si tu veux éviter le mal fais ma volonté.
Si le mal t’arrive c’est que tu n’as pas fait ma volonté.

Or si des relectures des événements peuvent être fait comme cela et provoquer une conversion, remettre Dieu dans notre vie à sa vraie place et de ce fait utiliser tout ce qu’il y a de bon (et de moins bon) en nous, pour nous laisser humaniser, pourquoi pas. Mais le risque est celui d’une culpabilisation importante : si tu ne guéris pas (si le malheur reste sur toi) c’est que tu ne pries pas assez, par exemple, ou parce que tu n’as pas assez de foi, donc c’est de ta faute.

Car le malheur dans la parabole du fils, permet le retournement et il semble bien que ce soit là la direction dans laquelle il faille chercher. D’ailleurs n’est-ce pas ce que dit Jésus a propos des galiléens mis à mort par Pilate ou de l’effondrement de la tour à Siloe : ce n’est pas une punition, mais cela peut vous aider à réfléchir : si la mort vous prend de manière impromptue, si vous n’êtes pas des « justes » alors vous serez morts. Lc 13,1 : « si vous ne vous repentez pas ,vous périrez tous de même ».

Alors comment sortir de l’association entre le malheur et l’événement négatif vécu comme une punition . Du fait de l’éducation, et des aléas de la vie, cette la dissociation n’est pas aisée.Il est difficile de se débarrasser des injonctions parentales qui ont eu leur valeur et leur nécessité à un moment donné, mais qui doivent céder la place autre chose. Nous avons une intelligence qui nous permet peut-être de remettre les choses à leur place et de donner si c’est possible un sens à l’événement que nous avons à vivre.

Dans la bible, pour revenir à elle, il y a le mot d’épreuve. Quand Abraham croit qu’il doit donner son fils, il s’agit d’une épreuve. Dans notre humanité, tous les « héros » qu’ils viennent de la mythologie ou des contes doivent d’une certaine manière « se mettre au monde » pour devenir des héros. On peut appeler cela un baptême, un passage.

Peut-être que le mal qui fait partie de notre monde a ce rôle. Il permet la gestation de ce que nous sommes. Il peut alors pousser à autre chose et parfois même à la révélation d’un Dieu qui veut la divinisation de l’homme et non sa perte.

Quand le malheur ou la grande difficulté se présente, peut-être faut il prendre du temps pour ne pas rentrer dans une spirale aspirante vers le bas, qui serait de se croire mauvais, nul, puni. C’est bien ce que fait Job au grand dam de ses amis qui veulent à tout prix expliquer son malheur par son péché .

C’est reconnaître que nous sommes dans un monde difficile (la vie n’est pas un chemin de roses) et si c’est possible peut-être devons nous dans la mesure du possible considérer ce qui nous arrive comme une épreuve qui va nous permettre de changer, de nous adapter , de créer, bref de devenir plus quelque chose au lieu de moins quelque chose.

Il nous faut aussi admettre aussi qu’il y a des moments où « ça n’a pas de sens » ce qui ne veut pas dire que ça n’en prendra pas un jour.

En fait, aujourd’hui, je crois profondément que cette ou ces épreuves, en donnant une autre direction à ma vie peut me permettre curieusement de rencontrer la trace de Dieu.. Mais dans cette approche, l’épreuve permet une ouverture et non une fermeture. Elle peut permettre de se rendre compte qu’il y a autre chose de présent en soi, que cet autre chose cela peut être l’Esprit, cette force qui travaille en soi à rendre plus humain, plus vrai. Peut-être aussi que cela s’appelle la croix, pour aller vers le Père avec l’Esprit.