dimanche, avril 27, 2008

"Lier, délier, relier" : à propos du pardon.

Quand j'ai commencé à travailler en groupe sur la Bible, j'ai beaucoup utilisé la triade: Lire (le texte tel quel,) le dé-lire (avec ou sans jeu de mots) c'est à dire se poser toutes les questions qui viennent , utiliser ma propre grille de compréhension, mettre à plat pourrait-on dire, et enfin le "Re lire", c'est à dire en quelque sorte me l'approprier, le faire mien, l'incorporer. Le texte est alors habité, ce qui ne veut pas dire que la lecture reste figée, mais il est vivant. 

Hier pendant l'eucharistie, je réfléchissais à la question du pardon. Cela n'avait rien à voir avec la thématique proposée qui tournait autour du mot "monde" employé dans l'évangile de Jean et qui avait conduit le célébrant à nous faire réfléchir sur ce que l'église reproche au monde et ce ce que le monde reproche à l'église.

Mais, et c'est peut-être cela qui a été le moteur, l'oraison précédant les lectures avait été modifiée par le célébrant: à la phrase "fais nous revenir à Toi" il avait ajouté "Fais nous revenir à nous, à ce qui est notre profondeur, ce qui nous constitue,  pour que ton souffle le fasse vivre". 

Or il y a beaucoup de personnes que je connais qui sont d'une certaine manière dépossédées de leur intérieur, qui l'ont perdu. parce que les relations qu'elles ont subi ont été dévastatrices. Comment est-il possible de pardonner comme c'est demandé dans la prière "modèle" de Jésus quand on a été dépossédé de sa propre identité, quand on a été utilisé comme un objet.

Alors une autre triade m'est revenue "lier, délier" relier". 

Lier
Le mal commis par un autre, le mal subi, cela "lie" au sens fort du terme. Quand Jésus guérit la femme courbée, il emploie ce terme de lier: cette femme qui était liée (possédée) depuis 18 ans, ne fallait il pas, même un jour de Sabbat enlever ce poids qui pesait sur elle, au point qu'elle ne pouvait plus regarder que le sol? Le mal, l'abus crée une relation de pouvoir entre deux personnes.

Il est important dans un premier temps de se rendre compte que ce lien est mauvais et que pour être vivant, il est nécessaire de prendre conscience que ce lien est pathogène, de se reconnaître victime, et de traverser les étapes décrites par Elisabeth Kübler Ross (déni, colère, dépression acceptation). 


Délier
Ensuite quand on veut rompre le lien (et là je ne parle pas de pardon, mais de libération personnelle),cela  il me semble indispensable de passer par une "dé-liaison". La problème c'est que dans la théorie freudienne les forces de déliaisons sont des pulsions de mort, qui s'opposent aux pulsions de vie qui créent des liens et que la déliaison n'a pas très bonne presse. Pourtant là, il il s'agit de rompre un lien pathogène. Rompre ce lien permet  à chacun de vivre sa vie. Jacques Salomé décrit la relation entre deux personnes comme une écharpe que chacun tient aux deux bouts. Il devient nécessaire de lâcher son propre bout quand la relation est pathogène. Mais c'est loin d'être facile. 

Je me représente (et cela est vrai pour moi et m'a beaucoup aidée) l'autre, celui qui m'a fait mal et du mal comme un ballon qui flotte dans l'air au dessus de moi et que je garde prisonnier en me cramponnant à la ficelle qui le relie à moi. Tenir cette ficelle est épuisant, mais cela me donne l'illusion de contrôler le ballon. Arrive un jour où je me rends compte que l'énergie que je consomme à tenir cette ficelle est un leurre. Je me fatigue pour rien, je me fais du mal pour rien. Alors je décide de lâcher la ficelle. Le ballon peut aller où il veut, ce n'est plus de ma responsabilité. Au sens fort cela s'appelle du lâcher prise, mais ce n'est pas le pardon. Je peux très bien imaginer que le ballon aille au diable, qu'il crève ou que sais-je encore. Mais cela ce n'est plus mon problème et je récupère pour moi l'énergie que j'utilisais pour contrôler les choses.

Par expérience je sais que cette expérience de coupure, il est nécessaire de la faire  et parfois de la refaire et de la refaire encore, parce que la mémoire est là, qu'il y a des dates anniversaires qui réactivent le passé, des événements du présent qui raniment d'une certaine manière ce passé. 

Ce lâcher prise, par certains côtés son pourra dire qu'il est égoïste: je ne me préoccupe pas de l'autre, je veux me débarrasser de lui. Au moins il permet de se sentir allégé d'un poids et d'entrer dans un processus de guérison (de vie). 

Relier

Le pardon est pour moi la possibilité de me "relier" à nouveau à cette personne, mais d'une manière nouvelle. Cela ne veut pas dire que j'en sois capable, mais c'est quelque chose d'envisageable.

Un ami expliquait que "aimer" ce n'est pas faire du sentimentalisme: le bon samaritain n'aime pas au sens affectif  le blessé. Mais il le respecte en tant qu'individu et il "prend soin" de lui.  Le "prendre soin" s'entend au sens propre, mais aussi au sens figuré. Cette manière d'aimer qui est une relation entre deux être, peut me semble-t-il se re créer,, et c'est cela que je comprends par pardon. 

Un jour il me devient possible de souhaiter du bon (de bénir) cette personne qui m'a fait du mal et que j'ai haï du plus profond de mon être.

La première fois que j'ai eu cette représentation de la relation sous la forme du ballon, je me suis dit qu'en s'accrochant au filin, j'empêchais l'autre personne (décédée) de faire son chemin à elle, que d'une certaine manière je mettais une entrave à son devenir, et qu'il était important, quel que soit son devenir que je n'entrave en rien son présent et son futur. Que je ne sois pas un poids pour elle. Qu'elle soit libre de moi comme je suis libre d'elle. 

Curieusement, même si dans l'évangile il est dit de pardonner 77 fois 7 fois à son frère qui vient demander pardon, je ne suis pas certaine que d'un point de vue psychologique ce soit une bonne chose; c'est trop facile de dire "je te demande, n pardon, donc tu dois me le donner et si tu ne fais pas, tu n'es pas un bon". Le pardon est là aussi pour promouvoir un changement de la relation, pas de pérenniser une relation qui n'est pas bonne. Si je demande pardon c'est bien que je me rends compte que j'ai blessé l'autre et que que je désire que ça change. 

Quand Jésus guérit, il délie, quand cette guérison entraîne un changement  alors il "relie", il crée du nouveau. Il recrée une relation entre l'homme et Dieu, il restaure le divin qui est en l'humain.Quand il dit au paralytique tes péchés te sont pardonnés, c'est qu'il lui propose déjà une restauration, mais cette proposition, dont on ne sait pas si elle heurte l'infirme, n'est pas entendue par l'auditoire et c'est une autre thématique qui va se développer. 

Quand Jésus nous suggère de demander que Dieu " nous pardonne  nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui  nous ont offensé", ne parle-t-Il pas  de la "relation" entre l'humain et Dieu. Il ne s'agit pas tant d'être pardonné parce que nous pardonnons, ce qui fait un peu loi du talion, mais de maintenir la relation entre Dieu et nous. Si je me suis détournée de Dieu, que Lui ne se détourne pas de moi, que la confiance se maintienne (et Dieu sait que la confiance, la foi, ce n'est pas chose facile). 


L'histoire d'Israël montre bien (ou essaye de démontrer) qu'il existe une fidélité de Dieu, même si l'humain se détourne de Lui. Il y a un prix à payer (l'exil, l'occupation), mais la relation perdure, se modifie et s'incarne. La miséricorde de Dieu ce n'est pas tant la non sanction de la faute que la permanence de la relation (même si parfois nous avons du mal à le percevoir, parce que nous ne parlons pas très bien la langue de dieu).

Je veux dire que je crois qu'il est possible (mais pas toujours) de me relier à cet autre qui m'a fait du mal d'une manière complètement différente, complètement nouvelle. Il s'agit non pas de dire j'oublie ce que tu m'as fait, parce que cela c'est impossible, mais de désirer qu'une autre relation se construise, et ce même si la personne est décédée.

Il pourra alors m'être possible de désirer du bien pour cette personne (et pas qu'elle croupisse en enfer pour le restant de son éternité). 

Quand Jésus dit sur la croix, "pardonne leur ils ne savent pas ce qu'ils font", certes Lui ne pardonne pas, mais Il remet le pardon à son Père. Mais en même temps Il demande que la relation ne soit pas brisée parce que du mal a été accompli.

Il me semble qu'en rétablissant par sa mort sur la croix la relation entre l'humain et le divin (le chemin et la vie), le salut est là parce que d'une certaine manière Jésus se fait aussi pardon en inaugurant une relation nouvelle, qui va permettre le don de l'esprit à tout homme.   








1 commentaire:

carmela a dit…

Bonjour Madame !
Je m'appelle Carmela et je suis italienne. Je suis counselor et je m'occuppe tout particulièrement d'écriture autobiographique.
J'aime vous remercier pour votre reflexion sur le pardon : un chemin qui demande ses étapes et ses temps.Par donner, c'est donner toujours, pas seulemt à l'autre, mais à soi-meme.
Merci,encore et bonne journée!
Carmela

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