lundi, mai 11, 2009

Accompagnement: quand l'accompagnateur est blessé


Reflexions .

Je ne pensais pas que mon arbre (mon majestueux platane aux feuilles nombreuses et avec plein de ramifications) me serait aussi utile pour me sortir d'un vécu difficile. Je l’avais beaucoup utilisé pendant ma radiothérapie, pour qu’il aspire en quelque sorte les effets nocifs de rayons et rejette dans l’atmosphère quelque chose du purifié. Je le visualisais pendant les séances comme une sorte de bouclier bienfaisant.

Si j’explicite un peu plus, cela peut se visualiser de la manière suivante : à l’inspiration je vois tout le mauvais qui est en moi et qui est pris dans les feuilles. A l’expiration, le mauvais passe dans l’arbre descend dans la terre par les racines et est éliminé. Ce qui se passe ensuite est trop compliqué, mais il y a purification.

Cela se cale sur la prière du coeur, Seigneur Jésus fils de Dieu (Lumière purificatrice), aies pitié de moi pécheur( élimine le mal qui est sur moi).

Pourquoi ai-je eu recours à cette technique ? Parce que récemment dans un accompagnement j’ai été extrêmement blessée par la personne que j’accompagne au jour le jour. Oui je dis bien au jour le jour, ce qui est peut-être un peu fou, mais c’est comme ça .

Cette personne a voulu d’un coup rompre la relation que nous avons. Je n’ai pas compris ce qui se passait en elle, je me suis sentie rejetée, mise à la porte, et je dirais après un certain recul complètement reniée comme dans une famille il peut arriver que le père ou la mère renie son enfant en le mettant à la porte et d’une certaine manière en rompant tous les liens qui ont pu exister.

Je suis allée me coucher, très mal dans mon psychisme, très blessée et ayant un intense besoin de me mettre en boule sur ma blessure, un peu comme un petit chat qui a besoin de temps pour se guérir. J'avais rarement été blessée aussi profondément. Concrètement cela s’est traduit pour cette personne par le fait que je pouvais pas, contrairement à ce que je fais habituellement passer du temps avec elle. Je me connais suffisamment pour savoir aussi que ce temps était indispensable pour moi, pour réfléchir, pour me remettre et même si elle allait considérer cela comme une punition, il était important que je signifie ma manière d’exister et mon refus de me laisser détruire, car cela à long terme ne pouvait qu’augmenter la culpabilité de cette personne.

Je veux dire que quand quelqu’un a vécu des choses extrêmement douloureuses, il a souhaité la mort de la personne qui lui a infligé cette souffrance et il est important que cela reste à l’état de fantasme, car sinon cela bascule dans la "toute puissance de la pensée" et c‘est extrêmement dommageable,car cela maintient à un niveau très régressé.

Puis en réfléchissant à cette attaque, et à ce que j’avais ressenti, je veux dire ce reniement, je me suis rendue compte que compte tenu de son histoire, cette personne m’avait fait à sa manière comprendre ce que elle avait vécu et vivait encore au quotidien, à savoir cette exclusion, ce rejet.

En termes techniques cela s’appelle l’identification projective. C’est un mécanisme très archaïque, utilisé par le bébé à un moment où bien entendu il est incapable de comprendre ce qui se passe en lui. Il envoie alors dans sa mère tout le mauvais qui l’envahit, ce qui lui permet de s’en débarrasser, mais la mère porteuse du mauvais devient aussi très dangereuse puisqu’elle pourrait se venger. Je veux dire que si le bébé en veut à la mère de mourir de faim (d'être dévoré par la faim), il va se voir lui en ogre dévorant, projeter cette représentation sur sa mère qui risque donc de le dévorer, sauf et c’est là que le rôle maternel normal apparaît à plein,si elle comprend ce qui passe pour son bébé, lui donne non seulement le sein mais aussi des mots doux et enveloppants pour lui faire comprendre qu’il n’est pas méchant et qu’elle l’aime.

Bion qui est un psychanalyste anglais, élève de Winnicott et de Mélanie Klein appelle ce rôle de la mère « la machine à penser les pensée » et je crois que c’est une des fonctions du thérapeute quand il est confronté soit à des personnes qui n’ont pas ou peu de paroles pour exprimer ce qu’elles ressentent (polyhandicapés ou patients autistes),soit à des personnes qui ont vécu des traumatismes très précoces et dont une partie d’eux-mêmes est restée bloquée à un stade très archaïque de développement.

Je veux dire que me rendre compte que ce cette personne voulait (inconsciemment) me faire comprendre par cette blessure qu’elle m’infligeait, quelle était l’intensité de sa souffrance à elle qui avait été considérée depuis toujours comme un déchet.

A partir de ce moment là mon regard a commencé à changer et sur elle et sur moi. Je pouvais dire qu’elle me permettait de comprendre du dedans l’intensité de sa souffrance à elle, d’enfant pas désiré, pas accepté, reniée en permanence.

J’ai parlé dans ce blog de l’impact qu’a eu sur moi du livre de Sogyal Rinpoché : le livre tibétain de la vie et de la mort.

Dans un premier temps, il fallait me « restaurer ». Alors j’ai considéré cette blessure comme un nuage toxique dont il fallait me débarrasser pour que je redevienne guérie. J’ai utilisé donc la visualisation, l’arbre aspirant mon mal et le rejettant dans les profondeurs de la terre, mais avec cette représentation du souffle, il y avait aussi la représentation de Jésus qui peut tout guérir et qui a pris (comme mon arbre) toutes les souffrances sur lui, car lui aussi a été renié.

Dans un deuxième temps, après une soirée assez difficile, car quand une personne a été autant blessée, elle réagi ensuite en tout ou rien c’est à dire qu’elle n’est pas capable de fonctionner avec le et (c’est à dire qu’un individu peut être bon et méchant, ce qui est la signature de l’acquisition de la position dépressive décrite par Mélanie Klein), mais avec le ou (ou méchant ou gentil, ou accueillant ou reniant), j’ai pu commencer à me sortir un peu de ma propre peine et à pouvoir comme cela est raconté dans le livre cité, commencer à voir cette souffrance comme une sorte de fumée noire qui empêche cette personne de vivre, qui est comme une espèce de maladie.

Je peux alors commencer à la regarder avec compassion et désirer la débarrasser de cette fumée noire. Pour ma part, étant chrétienne, je prends appui sur le Christ et surtout sur l’Esprit Saint, car je me sais moi incapable de venir à bout de ce nuage de souffrance, mais j’ai une demande précise à formuler dans la prière.

Si je continue à suivre un peu ce que j’ai retenu de ce livre, cela me permet d’élargir considérablement ma prière à tous ceux et toutes celles qui ne se senti jamais accepté par leur famille, qui en ressentent une honte considérable, car ne pas être comme les autres, provoque automatiquement le sentiment de honte.

Cela m’a permis aussi de revenir à la passion de Jésus et de me dire que si quelqu’un a bien vécu tout ce qui humilie et défigure l’humain c’est Lui, et qu’Il peut donc agir , puisqu’Il sait ce que c’est.

Puis toujours si je suis les enseignements de ce livre, il me faut reconnaître que cette fumée noire qui s’est en quelque sorte emparée de moi, elle a un rôle. Elle est là pour détruire quelque chose en moi, quelque chose de pas bon. Cela c’est ma dernière découverte et elle est de taille.

Dans les psaumes il est souvent question d’un cœur brisé, d’un cœur broyé. Je crois que ce que j’ai vécu durant ces quelques jours, doit permettre à mon cœur si j’accepte au plus profond de moi cette brisure, une nouvelle vie.Ce n'est plus une puissance de mort, mais une puissance de vie et cela permet aussi d'entrer dans la louange telle que la décrit M.Carrother).

Je veux dire que seule la mort librement acceptée permet une sorte d’éclatement et ensuite de restructuration qui est la vie qui se manifeste. La seule image que j’ai pour expliciter ceci est le kaléidoscope. Il faut que les morceaux s’écartent s’éclatent pour qu’un nouveau dessin encore plus beau apparaisse.

Ce que je veux dire, mais ce n’est pas encore très aisé, c’est qu’après une phase de révolte, ce n’est pas juste, je n’ai rien fait pour ça, qui m’a conduit à comprendre ce que ma « patiente » (celle qui souffre) vivait au plus profond d’elle même, je pouvais accepter cela comme presque un cadeau qui me permet de changer en acceptant la mort.

Je veux dire aussi que compte tenu de l’histoire de cette personne, je me demande si cela ne va pas me pousser au lieu de haïr la mère qu’elle a eu, à prier pour que la noirceur qui est en cette mauvaise mère puisse elle aussi être absorbée et changée. Je ne suis pas concernée directement bien sûr, mais peut-être est –il possible d’avoir une certaine compassion (pas un truc nian nian) mais désirer que la Lumière l’envahisse.

Je ne peux que dire merci à mon arbre d’avoir été un compagnon fidèle, qui m’a permis parce qu’il m’apportait un purification et une consolation d’aller bien au delà et de pouvoir accepter une certaine brisure du cœur pour que la Vie se manifeste.