jeudi, décembre 17, 2009

"Pardonne nous nos offenses comme.." Mt 6,12


Renoncer à la vengeance : première étape du pardon.

Lors d’une rencontre autour de l’évangile de Matthieu, la phrase qui suit la prière enseignée par Jésus : Mt 6,14« En effet, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi ; 15 mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos fautes » a résonné en moi un peu comme un sorte du loi du talion ; Si tu ne pardonnes pas, Je ne pardonne pas.

Autant dire que je n’ai pas tellement aimé parce que le pardon est pour nous les humains quelque chose de très difficile (la mémoire ne permet pas l’oubli) et de plus souvent celui qui nous a fait du mal ne s’en est absolument pas rendu compte ce qui complique encore les choses.Bien souvent portons des blessures en nous qui nous ont été infligées soit par ignorance, soit "pour notre bien". De nos jours et dans bon nombre d’homélies, la pardon est comme la condition première pour être reconnu comme disciple du Christ; je connais certaines personnes auxquelles le sacrement de réconciliation n'a pas été donné parce qu'elles ne pouvaient pas pardonner les abus subis. Je sais très bien que le pardon libère (voir mon billet sur le lâcher prise), mais il faut des années, parfois une vie entière pour pardonner en vérité.


Jésus s’adressait à des juifs et ceux-ci savaient bien que bon nombre de péchés pouvaient être rachetés par un sacrifice d’expiation (holocauste), même si le "ritualisme" de l’holocauste était déjà battu en brèche dans de nombreux psaumes (un cœur brisé vaut mieux que tous les holocaustes) : un certain faire ne donne pas automatiquement le pardon (la rémission de la dette) et cela Jésus le criera haut et fort dans ce même chapitre 6.

J’ai essayé de transformer cette phrase, car il y a d'une certaine manière les péchés envers Dieu (5 premiers commandements) et ceux envers les frères (ceux de la communauté de vie). Les premiers se résument par idolâtrie, les seconds par convoitise. Si on fait référence à la fête du Yom Kippour, les péchés envers Dieu sont pardonnés, effacés, mais pas ceux envers les frères. Cela pourrait donner "Si vous pardonnez aux hommes leurs manquements en vers vous, (pas facile) alors moi, Dieu je ne tiendra pas compte des manquements envers moi". Mais cela ne me satisfaisait pas et je trouvais que Jésus mettait la barre bien haut, peut être trop haut compte tenu de ce que nous sommes. Et puis je pensais à la phrase du prophète Isaïe 1,18: Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, comme neige ils blanchiront; quand ils seraient rouge comme la pourpre, comme laine ils deviendront".

Alors la miséricorde de Dieu où est-elle? Et puis, il y a offenses et offenses: si mon frère me fait une réflexion que je n’aime pas c’est une chose, mon orgueil en prend un coup, mais s’il fait quelque chose qui nie complètement ce que je suis, s’il me fait du mal pour me faire du mal, alors c’est une autre paire de manches. S'il fait de moi "son objet", son esclave, comment puis-je lui pardonner? Je sais bien que l’amour excuse tout, pardonne tout, mais, il y a un mais…Ce n’est pas facile.

Quand Jésus remet ses fautes au paralytique il est considéré comme un blasphémateur, Lc 5,21:"Qui est-il celui-là, qui profère des blasphèmes ? Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ?". Alors comment pardonner?

Par ailleurs il faut attendre des écrits tardifs pour que le pardon accordé au frère par le frère soit abordé. Dans les psaumes, c’est Dieu qui pardonne et qui est chargé de la défaite de l’ennemi ou de l’impie. Par contre dans le Siracide on trouve quelque chose qui est très proche de ce que Jésus nous demande
: Si 28 1-7
1 Celui qui se venge éprouvera la vengeance du Seigneur
qui de ses péchés tiendra un compte rigoureux.
2 Pardonne à ton prochain l'injustice commise ;
alors, quand tu prieras, tes péchés seront remis.
3 Si un homme nourrit de la colère contre un autre homme,
comment peut-il demander au Seigneur la guérison ?
4 Il n'a nulle pitié pour un homme, son semblable ;
comment peut-il prier pour ses propres péchés ?
5 Si lui qui n'est que chair entretient sa rancune,
qui lui obtiendra le pardon de ses propres péchés ?
6 Songe à la fin qui t'attend, et cesse de haïr,
à la corruption et à la mort, et observe les commandements.
7 Souviens-toi des commandements, et ne garde pas rancune à ton prochain,
de l'alliance du Très-Haut, et passe par-dessus l'offense.



Alors il m'est venu une autre approche...

Si le peuple a connu l’exil et l’occupation, c’est bien parce qu’il a rompu l’alliance avec Dieu, en ne lui faisant pas confiance. Ces événements peuvent bien s’entendre comme une punition, mais aussi comme une « vengeance » du Tout Puissant. La mauvaise conduite envers les frères provoque aussi le courroux de Dieu et une action spécifique (punition) : Ez 34, 2-10 « Fils d’homme prophétise contre les pasteurs d’Israël… Ainsi les pasteurs ne paîtront plus eux-mêmes, j’arracherai les brebis de leur bouche. ».
Je me suis demandé à ce moment là de ma réflexion sur le pardon si la première étape du pardon n’était pas de renoncer à la vengeance, et si on accepte cela les choses deviennent beaucoup plus faciles, et je dirais plus à notre portée. Il ne s'agit plus de rentrer dans des considérations psychologiques sur nos blessures, sur nos péchés, sur nos fragilités, mais simplement de ne pas agir ce que nous dicte notre colère (même si elle est juste), notre convoitise, notre envie. Et cela c’est bien ce que Jésus a fait: ne pas rendre le mal pour le mal...

Dans la Bible, la vengeance apparaît dès le quatrième chapitre de la Genèse. Or Caïn est averti par Dieu qu'il doit lutter contre quelque chose qui est en lui, à savoir (si on met un peu de psychologie là dedans) de ne pas donner libre cours à la mise en acte de l’envie.

Ne peut-on penser que le fait que YHWH accepte l’offrande d’Abel et non celle de Caïn est une sorte de mise à l’épreuve de ce dernier? Saura-t-il enfin regarder son frère, celui qui n’a pas de consistance puisque son nom même signifie "brume" (j’ai envie de dire Abel le nébuleux) comme quelqu’un qui a du poids pour Dieu et qui doit être regardé autrement. Apprendre à regarder son frère autrement, peut-être tout simplement le regarder et voir de quoi il est capable.

Et c’est là où Caïn échoue. Au lieu d’en vouloir à Dieu il se venge sur son frère car il a subi une sorte d’affront qui touche à son sentiment d’existence. Que son offrande ne soit pas acceptée veut dire qu’il ne vaut rien, et que seul Abel a de la valeur. Or c’est justement cela que Caïn doit reconnaître, et qu’il est incapable de faire. La blessure est profonde. Abel n’y est pour rien, mais c’est lui qui subit. L’envie provoque le désir de se venger, il faut que quelqu’un paye, et peu importe la personne. Cette épreuve là, nous la vivons tous à un moment de notre vie.

Les histoires de vendetta montrent bien l’escalade de la vengeance, et c’est déjà ce que l’on lit dans la Genèse dans la bouche de Lamek: Gn4,23 : «23. Lamek dit à ses femmes : « Ada et Cilla, écoutez ma voix ! Femmes de Lamek, tendez l'oreille à mon dire ! Oui, j'ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. 24. Oui, Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek soixante-dix-sept fois. ».

Le Penteuque avec son aspect juridique permet de sortir des représailles et de la vengeance et de laisser celle ci à YHWH: Dt 32,35 : « A moi la vengeance, à moi la rétribution »

Il n’en demeure pas moins que la vengeance, même si elle est laissée à Dieu, est quelque chose de terrible. Je pense à la finale du psaume 149, qui est lu presque journellement lors de l’office des laudes : «7. pour exercer la vengeance sur les nations, des châtiments parmi les peuples, 8. pour lier leurs rois avec des chaînes et leurs dignitaires avec des entraves, 9. pour exécuter contre eux le jugement qui est écrit ! C'est un honneur magnifique pour tous ses fidèles. Louez le SEIGNEUR (Yah) ! »

Sur la croix Jésus dit: "Père, pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font", c’est à dire qu’il remet le pardon à son Père, et que l’on peut entendre (ce que hélas l’église n’a pas voulu entendre) c'est:" Ne Te venges pas ce qu’ils m’ont fait, n’exerce pas de vengeance envers eux, ne les détruis pas. Laisses leur le temps de comprendre et de se convertir".



Ne pas se venger c’est accepter de ne pas faire du mal à celui qui nous en a fait, c’est ne pas agir (action) le désir de vengeance. Ce n’est pas faire "ami ami" avec lui, car cela c'est impossible, mais c’est le laisser exister tel qu’il est. C'est aussi ne plus tourner dans notre tête et ce qu'il nous a fait et comment nous allons le lui faire payer. S’il devient un jour capable reconnaître le mal commis ce sera bien, mais la vengeance nous pouvons y renoncer et en cela nous sommes à l’image de Jésus.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas mettre les actes délictueux dans les mains de la justice, mais c’est renoncer à faire justice soi-même, à se faire justice. C’est aussi ne pas se réjouir de ce qui peut arriver de mauvais à l’autre.

Et cette manière de voir les choses allège considérablement la culpabilité, dont on charge si facilement celui qui n’est pas à même de pardonner compte tenu des sévices qu’il a subi et dont l’agresseur n’est pas forcément conscient.

J’ose espérer que la mort de Jésus sur la croix nous a permis de sortir de la peur de la vengeance de Dieu pour passer dans le registre de l’amour grâce au don de l’Esprit. Je pense que cet acte de ne pas se venger (même si dans la réalité on n’a pas les moyens de le faire) est le premier pas qui nous permettre peut-être un jour de bénir celui qui a voulu notre mort, qu’elle soit physique ou psychique, mais cet acte là il est en notre pouvoir, nous pouvons le choisir.

1 commentaire:

TOURNESOL a dit…

J'aime bien vos considérations sur
pardonnez-nous nos offenses...
Cependant comme j'ai lu une fois chez Musset : "Quand on ne peut pas pardonner il faut essayer d'oublier"... Cela rejoint peut-être de laisser l'autre exister sans se venger.
Ce qui est difficile à pardonner dans une famille c'est le "manque de reconnaissance"et de n'avoir pas
été considéré par exemple comme étant le fils de la maison.Cependant il est vrai que beaucoup de nos offenses ne sont pas voulues mais le fruit de l'ignorance et de la non-éducation.
D'où l'importance de prendre conscience de l'existence de l'autre qui n'est pas un objet qui doit servir à nos propres intérêts...
La gratuité de la violence urbaine m'effraie cependant et avoir des sentiments "neutres" qui ne sont pas de vengeance est très difficile....La recrudescence du sentiment de rejet vis à vis des étrangers est très visible!!
Allons-nous vers un nouveau fascisme? Il nous faudrait dire: Père pardonne-nous nos sentiments
car tout chez les hommes est basé sur la jalousie-la comparaison:l'autre va prendre ma place et est autre que moi.
Même des chrétiens ont ce raisonnement....