jeudi, décembre 12, 2013

Toujours la fraction du pain.

Entre ce texte et le texte précédent, il y a des redites, mais la réflexion en moi continue...

  Ils le reconnurent à la fraction du pain.

Si j’en crois l’excellent travail de Philippe Louveau sur Port Saint Nicolas, http://www.portstnicolas.org/le-chantier-naval/un-peu-d-histoire/article/source-histoire-et-comprehension-de-l-eucharistie, nous pouvons nous estimer heureux d’avoir la liturgie pour la célébration eucharistique que nous avons aujourd’hui, même si pour ma part elle laisse beaucoup désirer. Il semble que dès le Moyen Age, on « assistait » à la messe sans la suivre vraiment, de loin :le célébrant étant dos aux fidèles, l’autel parmi les clercs, les livres étant réservés aux clers et en latin etc. Ce que nous appelons l’élevation serait dû à la demande des fidèles au 17° sicle qui voulaient VOIR cette hostie sur laquelle des mots avaient été prononcés et qui était devenue corps donc présence. La fraction du pain, elle avait disparu depuis longtemps. Or cette fraction du pain si importante dans l’église des commencements «Ac 2,40,: « ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres, à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières . »,  me semble quelque chose de très important. Cette fraction est reportée avant la communion et d’une certaine manière elle est minimisée.

C’est pour moi ce qui ressort par exemple de ce texte : http://radix.ecclesiae.pagesperso-orange.fr/lit.messe.deroulement.html

RS. 73. Dans la célébration de la sainte Messe, la fraction du pain eucharistique commence après l'échange de la paix, pendant que l'on dit l'Agnus Dei; elle est accomplie seulement par le prêtre célébrant, et, si le cas se présente, avec l'aide d'un diacre ou d'un concélébrant, mais jamais d'un laïc. En effet, le geste de la fraction du pain «accompli par le Christ à la dernière Cène et qui, depuis l'âge apostolique, a donné son nom à toute l'action eucharistique, signifie que les multiples fidèles, dans la Communion à l'unique pain de vie, qui est le Christ, mort et ressuscité pour le salut du monde, deviennent un seul corps (1 Co 10, 17)». C'est pourquoi il faut accomplir ce rite avec le plus grand respect. Cependant, sa durée doit être brève. Il est très urgent de corriger l'abus, qui se répand dans certains lieux, de prolonger ce rite sans nécessité, y compris avec l'aide de laïcs, contrairement aux normes, et de lui attribuer une importance exagérée.

Or, que ce soit le soir de la multiplication des pains (où les pains sont partagés, fractionnés), le soir de la Cène, le soir de repas avec les disciples d’Emmaüs, le pain fractionné, partagé,  est pris par tous. Ce pain est là en abondance, et manger ou partager du même, lors d’un repas, fait de nous des frères. La symbolique de ce partage est reprise dans l’évangile de Jean 6 : le pain, le corps, la vie. Il me semble que l’important c’est cette notion « du même », qui crée la communauté  qui crée la fraternité. 

Partager le même pain, boire à la même coupe, cela crée du même, cela crée de la fraternité, et cela crée du corps. La dimension horizontale, voulue par Jésus, est très importante.

Ce sont les autres mots prononcés : ceci est mon corps, ceci est mon sang qui eux donnent la dimension verticale: celle de la  Présence. C’est bien parce que la mort viendra prendre cet homme  sans pour autant le détruire qui nous pouvons célébrer cela et faire cela en « mémoire » de Lui et être dans le Père.

Peut être que si l’on imagine que l’hostie qui est élevée à une heure donnée, dans un lieu donné, unique, puisqu’il y a d’autres hosties qui au même instant sont élevés dans le monde alors on peut considérer l’hostie qui est élevée là, comme un petit morceau du corps  (fraction) qui fait corps avec toutes les autres hosties données à tous les hommes.. C’est un peu une gymnastique intellectuelle, mais elle permet de voir dans l’hostie entière élevée non pas un tout, mais une partie et ce me plait bien

Il me semble aussi que ce que Jésus institue là, est très révolutionnaire par rapport ce qui se faisait dans la première alliance. 

En effet si les sacrifices ont pour fonction première de demander à Dieu de venir parmi son peuple, de le bénir, il n’en demeure pas moins que ce qui est offert lui est soit donné totalement, soit partiellement. Or le soir de cène, tout est donné, tout est distribué, il ne reste rien. Quand Dieu se donne, il se donne totalement, sans retour. Et c’est cela aussi qui fait de nous un corps.

Deux autres choses changent aussi aussi et favorisent le côté communautaire..

   D’une part le lieu car plus n’est besoin d’aller au temple pour offrir un sacrifice, toute maison où des hommes sont réunis par le nom de Jésus fait l’affaire.
  D'autre part, d'une certaine manière le rôle du sacrificateur est mis à mal (même s'il est de règle que ce soit le chef de la communauté qui officie). Et comme je l'ai déjà dit, il n'y a pas une part pour le sacrificateur, mais normalement le pain et le vin sont consommés pas les participants, et c’est cela qui les rend à la fois frères, mais aussi et représentant du Fils sur cette terre. 

Toutes ces bouchées font corps entre elles, toutes ces bouchées font que ceux qui les ont en eux deviennent frères et sœurs, nourris d’un même pain, nourris d’un même amour.

Dans la nouvelle alliance, c’est Dieu qui se donne et qui fait monter l’homme vers lui en le pendant participant de sa vie et c’est une toute autre dynamique et c’est bien cela que l’on peut appeler le Salut. Mais pour cela ait pu advenir et advienne, il a fallu qu’il y ait la brisure du corps sur la croix, brisure de mort, devenue symbole de la Vie.

« Nous  partageons le même pain
Nous buvons à la même coupe
Pour devenir celui qui nous unit,
Le Corps du Christ »
http://www.soissons.catholique.fr/download/1-28831-0/chants-temps-ordinaire-apres-pentecote-2013.pdf

mardi, décembre 10, 2013

"La fraction du pain"

La fraction (ou le partage du pain).

C’est une question qui me tarabuste beaucoup en ce moment, car lors des célébrations le prêtre dit bien: "il prit du pain, le rompit, le donna à ses disciples en disant: Prenez et mangez en tous..." mais la fraction du pain est reportée beaucoup plus loin. Quant au vin il n'est "partagé " que très récemment. Et pourtant ce geste de partage est très utilisé par Jésus. 

On le trouve le soir du partage des 5 pains et du poisson, le soir du dernier repas, le soir et avec les disciples d’Emmaüs, et peut être lors du "petit déjeuner" préparé sur les bords du lac en Jn 21. Or ce geste très utilisé dans la communauté primitive  (voir les actes des apôtres et la lettre de Paul aux Corinthiens) , est comme passé à la trappe lors des célébrations eucharistiques. Et pourtant ce geste me paraît fondamental.

Lors d’une messe récente au Prieuré (où les participants se donnent l'un à l'autre le pain fractionné par le célébrant ) j’entendais derrière moi la phrase classique (mais ici prononcée par un laïc) « le corps du Christ » et je me suis rendue compte (était ce une grâce) que oui, il y a le corps du Sauveur, non pas le corps viande mais le corps de la personne Jésus, le corps vivant. Ce n’est pas la chair d’un agneau qui est renvoie à la mort, mais la présence de quelqu’un. Quand je dis à mon mari que j’aime son corps, cela renvoie bien à tout ce qu’il est, pas à peau, pas à la chair pas aux muscles, non c’est tout lui. Et c’est de cela dont j’ai vraiment pris conscience par la parole prononcée à pleine voix derrière moi. Ce morceau de pain est bien autre chose que du pain, il est quelqu'un, il est vivant.

Ce matin en y repensant encore, je me disais que dans la Génèse, comme dans tout le premier testament ce sont des animaux (la brebis avec da graisse d’Abel), ou des éléments venant de la culture (du chanvre raconte la légende pour Caïn), de la farine, les premiers fruits, etc…donc d’une certaine manière des matériaux bruts, qui sont offerts.

Or Jésus lui prend des produits transformés, et il ne part pas de rien si l’on peut dire. Cela m’a fait penser au début de la Genèse, où le créateur est confronté à quelque chose qui existe : le tohu bohu et de cette matière primitive, il va faire quelque chose. Ce n’est pas une création à partir de rien. Le second récit de la création parle d’une terre qui est déjà là.

Même si cela pose la question d’un préexistant, il n’en demeure pas moins que ce quelque chose semble nécessaire pour que justement quelque chose puisse advenir.

Jésus ne prend pas de la farine, non il prend le produit cuit, travaillé, et ce produit devient à la fois signe de son corps (de sa chair) parce que ce pain est « béni », mis sous le regard du Père, et partage car le fractionnement fait de ceux qui le consomment des frères : manger du même ou manger le même. Ce partage fait à la fois de nous des vivants, mais elle crée aussi du corps: l'assemblée (ekklesia). 

Il en va de même pour le vin, qui remplace le sang  (élément brut si je puis dire), par un produit façonné par le savoir faire humain. Par définition le sang versé c’est la vie (on donne son sang pour que la patrie puisse vivre en cas d’agression, on donne son sang pour d’autres qui en ont besoin, on se fait aussi du mauvais sang quand on est inquiet pour un autre ou pour le futur). Le sang représente l'être humain, il est aussi présence. 

Je pense qu’on ne devrait pas séparer le pain et le vin aussi nettement que cela est fait en général dans la liturgie eucharistique, mais nous sommes héritiers d’une tradition et quand on lit un peu l’histoire de la messe, on peut penser que c’est nettement mieux que ce qui se passait à certaines périodes où les « fidèles » ne comprenaient rien à ce qui se disait, à ce qui se passait.

Et ce qui est aussi important c’est que dans la première alliance, le sacrifice est offert d’abord à Dieu et que ce qui peut en rester est plus ou moins partagé entre l’offrant et les sacrificateurs, alors que là, le partage se fait entre les frères car ce qui est partagé, pardonnez moi l’expression, c’est « du Dieu » et du coup cela fait de nous des êtres en transformation, des êtres transformés. Et cela nous revient complètement. Il n'y a plus une part pour Dieu, une part pour le célébrant, une part pour les participants, non tout est donné, tout nous est donné. 

Il y a certes le fait d’être ensemble, mais il y aussi ce partage du même, qui par ailleurs n’est pas identique pour chacun. Et ce même qui crée du corps, crée aussi un corps qui n’est pas la somme des parties, qui est autre chose, mais cela nous n’avons pas les yeux pour le voir.

Alors je me suis dit que si Dieu a en quelque sorte besoin d’une matière pour faire quelque chose, l’incarnation prend tout son sens. Il a besoin d’un être de chair et de sang, pour que cet être entièrement façonné par lui, puisse devenir sa figure, sa présence ; et si nous voulons nous être signe de la Présence, nous avons à nous laisser façonner comme Dieu l’entend. 

D’une certaine manière Jésus dans le sein de Marie a été déjà façonné par l’Esprit saint pour être à l’image du Père et tout au long de sa vie terrestre cela a continué .


Manger ce pain et boire à cette coupe, cela nous permet aujourd’hui de laisser Dieu en étant en nous de continuer ce travail du façonnage.