lundi, août 29, 2016

Pas capable, coupable?

Ce billet sera le premier d'une série de réflexions sur la culpabilité, la honte, et peut-être l'humilité qui n'a rien à voir avec l'humiliation. Il est un peu là pour prendre date, mais il sera certainement modifié et "relooké" par la suite.

Pour avoir parlé avec un certain nombre de personnes qui ont été humiliées dans leur enfance, déshonorées, et qui vivent avec le sentiment que la honte est inscrite sur elles et en elles (en dit-on pas que l'on est couvert de honte, comme si celle ci faisait corps avec vous, vous enveloppait dans ses plis), il me parait important de dissocier honte et culpabilité et de voir ce que le regard de Jésus peut nous dire aujourd'hui, sans pour autant négliger ce que peut nous apprendre la psychologie, mais aussi l'expérience.

C'est en lisant le commentaire proposé par le Frère Pascal Martin qui est un des dominicains qui anime "Marche dans la Bible'  et qui commentait la vie du roi David, que cette envie de reprendre une réflexion sur la culpabilité, le péché, la honte est revenue.

De fait c'est la phrase: « Car non seulement la sainteté n’est pas incompatible avec le péché, mais la conscience du péché, ce sentiment d’être coupable d’une incapacité à aimer vraiment, est le seuil de tout progrès dans la foi. Là peut agir le pardon de Dieu. Il vient laver les fautes et purifier le sens aimer » qui a mis si je puis dire le feu aux poudres (ce qui n'est pas nouveau).

Est ce que le sentiment d'être coupable d'une incapacité à aimer vraiment est un péché? Un sentiment c'est très subjectif, alors un jour oui, un jour non selon mon état psychologique. Mais surtout est ce que le fait d'être incapable d'aimer (comme Jésus l'a demandé) doit être reconnu comme une faute, et en sommes nous coupables?

Pour le dire autrement, je suis bien entendu d’accord sur sa conclusion : se rendre compte que l’on n’est pas capable d’aimer comme Jésus nous l’a montré et demandé, est un moteur (de sainteté),  mais pourquoi faut-il s’en sentir coupable ? L'idée de faire de la peine à Jésus qui a donné sa vie pour moi, n'est pas trop motrice pour moi. Par contre, se rendre compte que l'on est peu capable d'aimer vraiment, que l'on est souvent aveugle, sourd à l'autre, cela me permet de demander à Esprit Saint de travailler en moi pour que la cécité s'allège, pour que j'écoute mieux ce que Dieu a envie de me dire, mais je ne me sens pas coupable de cela. En fait, ma joie est justement de laisser agir l'Esprit en moi, me laisser travailler, modeler, un jour après l'autre.

Ce qui dans l'histoire de David reste étonnant, c'est sa cécité par rapport aux actes qu'il pose: il voit une femme qui se baigne sous ses yeux (et pardonnez moi l'expression), mais il s'ennuie et il veut se la faire. Bien sûr on pourrait aussi se demander pourquoi une femme mariée, dont le mari est à la guerre, se donne ainsi en spectacle, non loin d'un roi qui lui n'a pas grand chose à faire de ses journées, puisqu'il ne se bat pas.

 Est-ce une épreuve que Dieu propose à David? Si c'est la cas, c'est un échec, qui va quand même fort loin. Car cette femme, il fait "mander", il couche avec elle, et quand il apprend qu'elle va avoir un enfant de lui (on est quand même en plein adultère) il essaye de s'arranger  (ruse et de la ruse il en a) pour que le mari puisse penser être le père de ce bébé. Comme ce plan échoue et que David risque donc d'être accusé, il se débarrasse de lui en le faisant tomber au combat.: vraiment rusé le roi, mais c'est bien une de ses caractéristiques.  Cela fait quand même beaucoup d'actes mauvais. Il faut que Nathan arrive avec une jolie histoire, où il est beaucoup plus question de vol d'une petite brebis, que d'autre chose, pour que David ouvre les yeux et se repente (en se rendant compte peut être qu'aux yeux de Dieu, il a commis des actes mauvais).En même temps, nous qui avons lu l'histoire, nous savons que cela permettra la naissance de Salomon, ce roi "sage" enfin pas si sage que ça, mais qui donnera sa grandeur au royaume d'Israël.

On peut se demander comment ce roi, que Dieu appelle son Fils, qui a été choisi par Lui, soit aussi aveugle. Car David comment une belle série d'infractions. Est-il coupable ou n'a t il pas été capable de refréner son désir et à partir de là, tout s'est mis en place? Il semble évident, du moins dans notre logique, que David, tout roi qu'il était, savait parfaitement qu'en prenant la femme d'un autre (Ex 20,14) et qu'il est donc coupable.Il savait aussi en envoyant Urie au casse pipe (Ex 20,13)  De fait il est plus coupable de la transgression de la Loi que de ce qu'il a fait avec Urie. Tous nous avons des oeillères, tous nous avons de la cire dans les oreilles, quand nous ne voulons ni voir, ni entendre. Mais est ce que nous ne confondons pas trop souvent coupable et capable? Parce que nous ne sommes pas capables d'aimer comme Jésus a aimé (et donc aller jusqu'à aimer "comme lui" est ce que nous sommes coupables?

Je crois, mais j'y reviendrai que le fait de ne pas être capable, engendre de la honte qui est différente de la culpabilité. Ne pas être à la hauteur, décevoir, se décevoir ou décevoir l'autre n'est jamais facile.

La culpabilité dans le développement de l'enfant, revoie à la relation. C'est dans la relation que l'enfant se rend compte qu'il fait du mal à sa mère, qu'il "l'offense" et que cette offense il se doit de la réparer, ce qui met en lui en route à la fois la réparation (qui est liée à l'amour), mais aussi des capacités de symbolisation pour montrer qu'il aime. La culpabilité est un moteur de développement, de croissance et d'invention.

La honte, elle est différente, elle renvoie au regard social, ne pas porter atteinte à l'honneur du groupe, car elle rejaillit sur tout le groupe. Celui qui a déshonoré est banni, mis à l'écart, et souvent humilié publiquement. Elle crée un sentiment d'infériorité, un sentiment d'exclusion, un sentiment de non existence. Elle coupe la relation ce qui n'est pas la cas de la culpabilité. Elle est certainement très liée à la culpabilité, mais elle atteint l'identité du sujet qui devient un objet de honte, même si la honte n'est pas sienne. 

En français ce mot coupable est un mot très fort, car on y entend le verbe couper. Et pourtant  Il renvoie au mot faute, la culpa. Se battre la coulpe, c'est battre l'endroit d'où vient l'origine des fautes, à savoir le coeur, ce qui est important. La faute est liée au coeur défaillant, au coeur qui n'est plus un leu d'amour, au coeur de chair enkysté dans  un coeur de chair. Pourtant des fautes nous en commettons tous, sans ce que cela soit dramatique et bien souvent nous ne faisons pas exprès. Il y a une différence entre ces fautes (comme les fautes d’orthographe qui ne font de mal à personne, mais qui peuvent nous rendre honteux) et ce que l’église appelle le péché, mais c’est un peu subtil et il me semble que ce mot coupable, est employé un peu trop facilement.

Quand dans le confiteor on nous demande de reconnaitre que nous avons péché (passé composé) en pensées, en paroles, par action et par omission, j'ai toujours l'impression que je dois reconnaître qu'en moi, il n'y a rien de bon, et cela me déplait fortement, car tout n'est pas si mauvais en moi ou en l'pitre humain. Je pense que reconnaitre cela, permet essentiellement de se positionner par rapport à Dieu, et à se reconnaitre tiré de l'humus, de la terre (ce qui n'a rien de glorieux), et de pouvoir en le contemplant dans sa gloire, se reconnaitre dans sa finitude, et son incomplétude, mais cela n'a rien à voir avec la culpabilité ou l'offense. Je ne pense pas que Dieu puisse être offensé, abîmé par nous, mais qu'il est important que nous nous rendions un peu compte de qui nous sommes, de ce que nous sommes capables de faire (et au fil des générations, le mal est omniprésent), mais aussi de ce qui est bon en nous.

Comme je refuse de croire à la création d'un humain "parfait" qui aurait perdu sa perfection suite à la transgression d'un interdit, je ne peux pas imaginer que l'homme a été capable jadis d'aimer réellement, sans agressivité, sans violence, sans rancune, sans vengeance. Non l'homme est un être de désir, un être fragile, un être en devenir. Il est un peu comme un handicapé. Et un handicapé est-il coupable de ne pas être capable de réaliser ce que font les autres sans difficultés? 

Peut-on demander à un cul de jatte de se sentir coupable de ne pas courir comme un valide ? La réponse est non. Qu’il se sente coupable parce qu’il en a assez de se battre et de faire des efforts, peut-être, parce que au fond de lui, il fait référence à ceux (les kinés, les médecins, les parents) qui ont voulu l’aider à vaincre son handicap, et là oui, il se sent coupable, car car la culpabilité se joue dans la relation à l’autre. On n'a pas trop le droit de décevoir l'autre! Mais au delà de la culpabilité, il y a la honte. Si du temps de Jésus les infirmes étaient rejetés parce que considérés comme portuaires d'une faute commise par eux ou par leurs parents, cela renvoie à la honte. Etre porteur d'un handicap, parce que ce handicap touche à toute la personne, rend différent, abîmé, rend honteux (même si cela ne se dit pas ou ne se dit plus). Mais si cette personnes tombe quand elle veut monter dans un bus, elle n’est pas coupable, il n’en n'aa pas été capable. 

Et moi, je me considère un peu comme un être handicapé.

Car oui, je sais que je ne sais pas aimer comme il le faudrait ou comme j’imagine qu’il le faudrait, mais c’est ma nature qui fait cela. Je ne suis pas capable de faire certaines choses, mais je ne suis pas coupable de ne pas y arriver ou de ne pas les réaliser. Je peux ressentir une grande insatisfaction en moi, je peux inventer des moyens pour apprendre à faire un petit mieux, encore que je pense que seul l’Esprit Saint en moi peut réaliser cela, en redonnant de la vie à ce qui n’en n’a plus.

Je crois aujourd’hui que Dieu propose à chaque homme, ce que j’appellerai un chemin d’humanisation, sortir de ce qui est de l’animal en lui (ces listes proposées par Paul dans les épitres et qui se résument par les mots d’envie et de convoitise). En Jésus, nous voyons ce qu’est l’homme entièrement humanisé, en qui Dieu est totalement vivant, sans zone d’ombre. Avec lui, nous apprenons comment nous humaniser. Mais chacun est libre de choisir ce cheminement qui prend toute une vie (et peut-être une autre vie).

Quand David voit Bethsabée qui prend son bain, il est libre de choisir de coucher ou de ne pas coucher ; il pose un choix qui va vers un choix de mort. Par la suite, il faudra Nathan pour q’il admette que lui le roi, n’a pas le droit de faire ce qui lui plait et que dans sa vie, il doit tenir compte de la Loi données par Dieu. Et David ressent de la honte plus que de la culpabilité. D’ailleurs il ne peut pas rendre la vie à Urie… Il ne répudie pas Bethsabéee..

Il y a, me semble-t-il une confusion entre ces deux mots. L’ancien testament parle souvent de la honte, et la honte c’est se rendre compte parfois que l'on a voulu faire semblant d'être plus fort que ce que l'on est. Et quand on retombe sur ses fesses et qu’on loupe son saut, et qu'alors qu’on croyait être une lumière, on est une toute petite bougie. N'est ce pas ce qui se passe pour Adam qui veut en mangeant ce fruit qui n'est pas pour lui, devenir comme un Dieu, et qui se retrouve tout nu, tout fragile et quid découvre (heureusement) que sa compagne n'est pas faite comme lui.. 

Et là on se rend compte que Dieu lui ne vous regarde pas comme ça, qu’Il vous regarde avec amour, tout péteux que vous soyez, parce qu’il sait que vous êtes comme cela et qu’il veut que vous vous sentiez aimé envers et contre tout.

Alors vous, ce Dieu là, vous commencez à le craindre, non pas dans le sens d’en avoir peur, mais dans le sens de ne pas en faire assez pour lui, pour lui montrer petitement humblement combien vous l’aimez. La crainte du Seigneur c’est cela, c’est craindre de lui faire du mal en ne l’aimant pas assez, en n’étant pas assez attentif à lui, à ce qu’il désire et avoir cette envie de lui fait plaisir, tout doucement, un jour après l'autre, mais tenir compte de lui dans toute sa vie, parce que lui seul, peut voir ce qui est en devenir et ne pas vous regarder dans vos échecs. 



" Je suis venu apporter un feu sur la terre..." Lc 12,49

Dans la mythologie grecque, un titan, Prométhée, qui est en partie le créateur des humains, vole le feu et le donne aux hommes. Ce feu volé, qui est considéré comme la connaissance, a permis à l'humanité de devenir ce qu'elle est. Les arts du feu permettant le passage du cru au cuit, mais surtout la confection des instruments de guerre.

Quand Adam consomme le fruit qui doit le rendre comme un Dieu, on peut voir cela comme un essai de s'emparer de la connaissance. Et, comme avec Prométhée, les choses ne se passent pas trop bien puisque l'homme perd son logement (un jardin), que la terre sera dure à cultiver (donc il aura faim alors qu'auparavant il avait tous les fruits des arbres à sa disposition), que sa femme ne donnera pas facilement la vie. Bref il perd une qualité de vie, mais il a déjà été capable d'assembler des feuilles de figuier (arbre de la connaissance) pour en faire un vêtement qui le couvre et qui le protège de la honte de la nudité; il devient inventeur, ce qui n'est pas si mal.

Quant à Jésus lui, il ne vole rien. Il apporte sur la terre un feu, que nous appelons ou appellerons Esprit Saint, feu qui à la fois purifie, purifie de la honte qui est celle des hommes qui ont voulu se faire comme des dieux, et qui redonne l'Esprit du Père et qui fait de nous des fils, avec la capacité de devenir comme Dieu, des créateurs. Ce feu de Dieu, il est là, non pas pour une élite, mais pour tous.