mardi, septembre 20, 2016

Les paraboles de la miséricorde. Luc 15

Les paraboles de la Miséricorde en Luc 15.

Si on replace les paraboles dans leur contexte  on sait que Jésus, qui une fois de plus est critiqué par les pharisiens et les scribes, car il se souille en partageant le repas de ceux qui sont considérés comme des pécheurs (des impurs). Un « juste » ne devrait pas faire cela, c’est mal. Alors Jésus propose ces trois histoires que nous connaissons bien et qui se centrent toutes sur la joie quand on retrouve ce que l’on a perdu, et ici, ce que Jésus affirme c’est qu’il y a au ciel de la  joie pour un pécheur qui se convertit que pour cent juste qui n’ont pas besoin de conversion. Ce qui veut dire quand même qu’il existe de justes au regard de Dieu. En d’autres termes Jésus ouvre un pont entre la terre et le ciel, quand un pécheur est sauvé (quand il se convertit) cela procure de la Joie dans le ciel et les anges eux-mêmes se réjouissent, alors qui sont-ils ces pharisiens qui jugent ? Il est important de ne pas oublier qu’à force d’observer la loi, de la scruter, de la disséquer, de l’analyser, il y a un risque d’en perdre la « substantifique moelle » et de la chosifier, de la rendre lettre morte..

Ce que je veux dire, c’est que ces paraboles prennent beaucoup plus de saveur et de poids si l’on n’oublie pas les destinataires. Car la dernière parabole, celle des deux fils, représente finalement d’une manière simplifiée le « peuple ». Le second fils, représente tous les pécheurs, tous ceux qui simplement parce qu’ils comprennent qu’ils se sont mis dans certaines « galères »parce qu’ils se sont détournés de celui qui donne « la vie, la substance et l’Etre » retournent vers lui, pas forcément avec des très beaux et très bons sentiments, et qui découvrent quelqu’un qui les attend, qui se réjouit et qui a souffert de leur absence. Quant au premier fils, il représente tous ces hommes qui se veulent les bons serviteurs, qui travaillent pour leur Maitre, mais qui ne se permettent pas le moindre écart et qui finalement en veulent à tous ceux qui ne vivent pas comme eux. Et on peut penser que Jésus se désole de cette fermeture. Eux devraient se réjouir de ces pécheurs qui changent de vie, au lieu de leur tourner le dos et tourner aussi le dos à celui qui se dit le Père. Que ce clivage entre pécheur et scrupuleux, nous permette de réfléchir à ce qui en nous relève de ces deux aspects, bien sur, mais il me semble important de ne pas oublier quels sont les destinataires ; Si nous sommes devenus des pharisiens, alors malheur à nous, sauf que nous apprenons que le maître, le Père, est patient.

Je propose avant de réfléchir à ce que ces paraboles peuvent nous du manque, de la perte, de les repenser telles qu’elles ont été dite, c’est à dire pour les pharisiens qui trouvent que Jésus n’est vraiment pas un « Juif comme il faut », en en partageant le repas des ceux qui à leurs yeux sont des « pécheurs ».

La première parabole s’adresse directement aux pharisiens : « si l’un d’entre vous à cent brebis ». Jésus les compare donc à des bergers et c’est important si l’on fait référence aux texte d’Ezéchiel sur les bergers qui ne s’occupent pas de leurs brebis. Là Jésus les compare à des bons bergers qui vont à la recherche de leur brebis et qui ne cherchent pas à savoir pourquoi elle s’est sauvée mais qui veulent la retrouver avant qu’il ne lui arrive du mal. Et le berger fait alors la fête, et il devient comme Dieu qui se réjouit chaque fois qu’un pécheur se convertit. Ce que Jésus semble leur dire : vous qui vous réjouissez quand vous a retrouvé votre brebis, n’êtes vous pas capable de vous réjouir quand un pécheur change de vie (ce que vient de faire Lévi) ?

La seconde parabole, celle de la pièce perdue, renforce un peu le clou, la pièce d’argent représente le pécheur, mais la pièce est aussi celle de la couronne portée par la mariée le jour de ses noces, elle est donc nécessaire et on comprend mieux que la femme cherche, cherche encore, et qu’elle se réjouisse avec ses amies. La pièce retrouvée, c’est le mariage, c’est l’alliance et cela devrait réjouir les pharisiens, seulement eux savent avec qui Dieu fait alliance et c’est cela le problème.

Quant à la troisième parabole, peut –être que Jésus veut leur faire comprendre qu’ils sont certes le deuxième fils, mais qu’ils sont aussi à l’image du Père, et qu’ils ont à attendre tous les jours le retour de ceux qui se sont éloignés au lieu de rester bien à l’abri dans leurs certitudes.

Alors en chacun d’eux, il y a du berger, il y a de la bonne ménagère, il y a du père et il y a du fils.. Et cela c’est surement vrai aussi pour nous. Comment ces parties là de nous réagissent elles quand nous avons perdu quelque chose ou quand quelque chose ou quelqu’un s’éloigne de nous ? Souvent, quand nous perdons quelque chose, quand un objet disparaît, nous ne sommes pas bien. La perte cela rend malade, et cela peut aussi mettre en colère : pourquoi est-il parti, pourquoi m’a-t-il laissé tomber ? Alors j’ai eu envie de relire ces histoires en pensant aux personnages mis en scène par Jésus, mais en n’oubliant pas à qui Jésus d’adresse, et ce qu’il veut faire entendre de ce visage du Père qui semble inconnu.

Il y a d’abord le berger.  Pour lui, la journée s’est passée comme d’habitude, mais en comptant ses bêtes, là il y en a une qui manque. Et là c’est ce coup au cœur, ou ce coup dans le ventre : elle n’est pas là. Bien sûr on peut imaginer que cette bête là, par définition elle est un peu rétive, un peu pas comme les autres, mais ce n’est pas dit dans le texte ; simplement elle manque à l’appel et il est normal que le berger parte à sa recherche. C’est son travail de berger. Et quand il la retrouve, au bout d’un bon nombre d’heures, comme sa brebis est épuisée parce qu’elle n’a pas mangé, et qu’elle a eu peur, alors il la prend sur ses épaules, et pour avoir vu des moutons, ce n’est pas rien que de porter ça sur ses épaules pendant des kilomètres et pendant la nuit. Et c’est certain que le berger a envie de fêter ça avec les autres bergers. Peu importe la raison pour laquelle elle est partie. Mais l’important c’est que le berger qui a vécu la perte de cette bête, ne se laisse pas déprimer. Je veux dire qu’il ne se dise pas : tant pis pour elle, c’est de sa faute, on verra bien demain. Le manque le met en route et c’est cela l’important. Et là nous pouvons nous poser cette question : est ce que moi j’ai envie de me lever, de marcher toute la nuit pour aller vers cette personne que je sais en perdition, qui risque de ne pas rentrer ? Ce qui est important, c’est que cette « figure » renvoie à un personnage actif, qui fait des pieds et des mains pour retrouver sa brebis parce qu’il sait qu’elle a besoin de lui.

Il y a ensuite la femme qui a perdu sa drachme. Quand on perd ses lunettes, son porte monnaie, on se demande où on a bien dû le poser et on cherche, on cherche. Des fois on trouve, des fois on ne trouve pas et c’est le drame. Comme je l’ai dit au début de ce texte, j’ai entendu dire que cette drachme n’est pas n’importe laquelle. Elle fait partie d’une couronne que l’on porte pour des fiançailles ou pour un mariage. Alors si la pièce est perdue, c’est vraiment la catastrophe, car les pièces d’une couronne à l’autre sont différentes. Alors la retrouver c’est vraiment vital. Car que fera ma fille si je ne peux pas lui transmettre cette couronne quand elle va se marier ?  Et quand on la retrouve, même si on s’en veut d’avoir été négligent, même si on a l’impression qu’il y a comme cela des objets qui se sauvent tout seul, quand on la retrouve enfin c’est le soulagement, car la pièce est restée dans la maison.. Et oui, on va raconter à ses voisins et on fait la fête. Le manque ici permet le nettoyage en grand de la maison et cela c’est aussi une bonne chose. Et la joie se comprend. Mais est ce que moi j’ai envie de faire le grand ménage ? Est ce que la perte me met en route, me déplace ? Car là encore, on a une figure active, la femme retourne tout parce qu’elle sait que la pièce qui s’est glissée est quelque part dans la maison et elle n’a de cesse que de l’avoir retrouvée. C’est une autre représentation de Dieu qui ne baisse pas les bras, qui ne se lamente pas, mais qui agit et qui envoie son fils pour retourner la terre et y retrouvez les pièces perdues que sont ses enfants.

Quant au père de la parabole du fils dit prodigue, c’est complexe, parce que lui non seulement il est confronté au manque lié au départ de son fils, mais il va être confronté à un autre manque : découvrir que son ainé ne l’aime pas et lui en veut. On peut dire que contrairement aux deux autres paraboles, le père est « passif », il laisse l’autre faire son chemin, il n’est pas « directif », il attend, il est prêt, il accueille.

« Moi, j’ai, enfin j’avais deux fils. L’aîné me ressemble, le second c’est le portrait de sa mère et sa mère, elle est morte en le mettant au monde. J’aurais pu prendre une autre femme, je ne l’ai pas fait. Et à mon second, je ne sais rien refuser. Alors le jour où il a demandé sa part d’héritage, j’aurais dû dire non, parce que ce n’ était pas juste par rapport à son aîné, mais j’ai cédé et mon fils je l’ai perdu. Il est parti mener grande vie m’a t on dit, et puis je n’ai plus eu de nouvelles, et j’attends. Je suis bien sûr qu’il a dû tout dépenser, et j’espère que cela le poussera à revenir vers moi, mais quand…Je suis un peu comme la mère de Tobit qui attendait tous les jours le retour de son fils. Le mien me manque, mais c’est de ma faute.. Mais qu’est ce que je voudrais qu’il revienne, qu’il me revienne. L’autre mon ainé, il travaille a faire fructifier le sol, mais il ne me parle pas. Il m’en veut d’avoir cédé, mais comment lui expliquer que sa mère me manque tant et que maintenant son frère me manque. Lui, il travaille, il ne me demande rien, il vit sa vie et nous sommes l’un à côté de l’autre.

Aujourd’hui, je suis là, et j’attends. Et il me semble bien que mes yeux voient quelqu’un qui arrive vers ma propriété. Peut-être que c’est un journalier qui cherche du travail, peut –être que c’est un démarcheur qui veut me vendre quelque chose, mais là c’est à mon fils de se débrouiller avec. On dirait qu’il a du mal à marcher, il est tout courbé, et pourtant quand je le vois marcher, je reconnais la démarche de mon fils. Alors je cours vers cet homme qui est peu-être un étranger, mais tant pis si je me trompe. Et c’est lui, mais dans quel état.. Il n’a que la peau sur les os, il est sale, il est pied nus.. Mais c’est mon fils et il me repousse presque en me disant qu’il a péché contre le ciel et contre moi (comme si je ne le savais pas) qu’il n’est plus digne d’être appelé mon fils (je comprends qu’il soit honteux), et qu’il veut être traité comme un de mes ouvriers (alors là, ça me fait mal, il est mon fils. Je comprends qu’il puisse dire cela, mais moi je ne peux pas l’accepter). Plus tard il me dira qu’il y a eu une famine dans la contrée où il était, qu’il en était réduit à garder les porcs d’un de ceux qui l’avait déplumé au jeu, et qu’il s’était dit que tout compte fait, il serait mieux pour lui de revenir, de reconnaître qu’il avait tout loupé, qu’il ne se considérait plus comme mon fils, mais qu’il me demanderait de l’accueillir comme un serviteur. Alors je l’embrasse, je le prends dans mes bras malgré sa crasse, malgré cette odeur qui fait penser à une odeurs de porcs qui l‘imprègne et dès que nous arrivons à la maison, je demande à mes serviteurs d’en faire « un homme » si je puis dire. Je veux qu’il revête une belle tunique, un beau manteau, que ses pieds soient chaussés et même qu’il porte une de mes bagues, car il est mon fils. Et je leur demande de préparer un festin, d’inviter tous nos amis car je suis dans la joie. Il est revenu celui qui était comme perdu.

Et nous avons fait une fête, une vraie fête, et il y avait de la musique, et des amis et de la joie. Et voilà que l’un de mes serviteurs vient me tirer par la manche pour me dire que mon aîné est dehors, qu’il est très en colère, qu’il veut me parler. Et oui, il est très en colère ; Il me reproche de dépenser des sous pour son vaurien de frère, alors que lui il n’a jamais fait la fête avec ses amis. Et là, je n’ai pas compris que lui soit resté comme un petit garçon, qu’il n’ait pas compris que ce qui était à moi était à lui. Je crois que c’est parce que je me suis trop enfermé dans mon chagrin pour m’occuper de lui, pour être avec lui. Il a été comme un intendant, il a fait tout fructifier et moi je ne lui ai jamais dit merci. Seulement aujourd’hui, je ne veux pas qu’il me vole la joie des retrouvailles. Mais je me lèverai moi aussi et j’irai vers ce fils et je lui dirai «  prends tout, et sois dans la joie ». Mais lui seul trouvera le moment.

Ce père, qui dans un tableau de Rembrandt est représenté avec deux mains différentes, un main d’homme et une main de femme, est certes le modèle de la miséricorde, et Jésus veut montrer combien Dieu est heureux quand un de ses enfants revient vers lui, mais aussi combien il est difficile de comprendre ce qu’est la miséricorde quand on veut faire de lui un Dieu de justice tel que nous la concevons, ce qui est le cas des pharisiens auxquels Jésus s’adresse.

Quand pour accomplir ses dessins, Dieu a besoin d'un homme que lui sait être pécheur,fut-il ou non pharisien, il sait comment s’y prendre ? N’a-t-il pas renversé un certain Saul pour en faire le témoin de l’amour qu’il nous donne au travers de son fils ?


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