samedi, décembre 24, 2016

Voici que je me tiens à la porte Ap 3, 21

Ce verset a été lu récemment lors d'une messe.  Je le cite en entier (traduction Bible de Jérusalem).

"Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; 
si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, 
j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi."

"Voici que je me tiens à la porte".
Certains tableaux représentent Jésus devant une porte qui ne s'ouvre de que l'intérieur. Comme il est question de souper, nous supposons qu'il s'agit du soir et que ce qui nous est proposé serait un peu comme une répétition de ce qui s'est passé avec les disciples d'Emmaüs: "reste avec nous il se fait tard". Mais je me suis demandé si cette manière de voir ce verset n'était pas un peu faussée. Je veux dire que pour nous, surtout en France, le souper est un repas du soir, mais c'est loin d'être la cas des autres pays francophones. Alors peut-être que j'aimerais remplacer souper par repas et non pas par "cène" (qui est effectivement un repas pris le soir, après le coucher du soleil) comme le propose la traduction de la TOB.

"Et je frappe"
Reprenons la scène: il y a quelqu'un qui toque à la porte. Là je me demande si c'est ma porte, celle de ma maison, donc qu'il s'agit d'une relation individuelle qui m'est proposée (ouvrir ou ne pas ouvrir), ou si c'est d'une autre porte qu'il s'agit, par exemple la porte d'une ville (me voici devant tes portes Jérusalem Ps 121) , là ce serait davantage à un niveau collectif. Qui ouvrira? Jésus trouvera-t-il la foi sur la terre? Car ouvrir, c'est faire confiance. Et dans ce chapitre 3 de l'Apocalypse, ces lettres aux Eglises ne sont pas tendres. Alors aurons-nous le désir d'ouvrir ou de rester entre nous, bien au chaud dans nos différentes églises? 

"Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte"
C''est là où l'on peut se poser la question de savoir de quelle porte il s'agit. Est ce la porte de mon coeur? Est ce que mes oreilles ne sont pas un peu bouchées? On a un peu l'impression qu'il y a une voix, mais que peu l'entendent, que peu ont envie d'ouvrir la porte. Et pourtant cette voix n'est-elle pas celle du bien-aimé qui descend des collines? Qui va ouvrir, est ce que je vais reconnaître cette voix et ouvrir? Car c'est le son de la voix qui permet de reconnaître qui frappe. N'est ce pas le son de la voix de celui que Marie de Magdala prend pour un jardinier qui ouvre son coeur? Jn 20,16.

"J'entrerai pour souper"

Alors, là c'est le problème... J'ai ouvert la porte, mais le repas n'est pas prêt, il n'y a rien, parce que ce jour-là je n'avais pas envie de faire à manger. Alors qu'est ce que je vais offrir? Et là, j'ai imaginé en entendant ce verset que les choses pouvaient se passer différemment de ce que nous souffle la tradition, à savoir offrir un repas à celui qui est dehors. Je veux dire que si j'ouvre la porte, parce que j'ai reconnu sa voix, celui qui entre, celui-là apporte à manger. Jésus ne l'a-il pas fait avec ses disciples, au petit matin, au bord du lac, alors qu'ils n'avaient rien pris de la nuit (Jean 21). C'est lui qui les a appelés et qui a tout préparé. Alors oui, je pense que Jésus n'arrivera pas les mains vides. 

Il ouvrira son sac, il posera les provisions sur la table, peut-être juste du pain et du vin, peut-être du fromage, peut-être du poisson, et nous serons ensemble pour partager. Et ma joie sera parfaite, comme cela est suggéré dans le discours après la Cène dans l'évangile de Jean. Et ce sera la joie de l'abondance du don reçu. Je veux dire que voir les choses comme cela permet de passer du faire et de l'agir, au recevoir, à l'être avec. 

Et pour conclure...

J'ai voulu associer ce verset de l'Apocalypse qui commence par une affirmation: "Voici que je me tiens à la porte et que je frappe", qui est suivie par une phrase qui commence avec un si: "si quelqu'un écoute ma voix..", avec une autre phrase de l'évangile de Jean (Jn14,23) dans laquelle on trouve aussi un si: "si quelqu'un m'aime, mon père l'aimera et nous viendrons en lui et nous ferons en lui notre demeure". 
Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui (faire sa demeure) moi près de lui et lui près de moi. 
Ne peut-on pas penser que cette relation là c'est celle qui nous sort de l'isolement, de la solitude, de la peur? Encore faut -il ouvrir la porte à l'inconnu. Est ce que Noël ça ne serait pas ça? 


vendredi, décembre 23, 2016

Joseph. Mt 1, 18-25

Joseph.

"Moi qui suis un charpentier, j’aime quand les choses sont à l’équerre, bien d’aplomb. J’aime faire de belles armatures pour que mes maisons ou mes bateaux aient de l’allure. Je crois que je suis un peu comme le bois que je travaille et que j’aime travailler, un homme droit, bien ajusté. Mais là, je suis en plein désarroi.

Celle avec laquelle j’allais me marier, après un séjour chez sa cousine, celle qui est de la tribu d’Aaron , est venue chez moi ce matin. Elle m'a dit que quelque chose s’était passé, qu’elle se devait de me le dire avant qu’elle ne vienne habiter chez moi, dans cette maison que je suis en train de bâtir pour elle.

Et ce qu’elle m’a dit m’a bouleversé, renversé. Elle m’a dit qu’elle attendait un enfant, qu’elle n’avait rien fait de mal, mais qu’elle comprendrait que je ne veuille plus d’elle. Alors le ciel s’est écroulé sur ma tête. Parce que Marie, ma douce, ma jolie, celle que je l’aime, je veux faire ma vie avec elle. Alors que dois-je faire ?

Si seulement j’étais comme celui dont je porte le prénom, Joseph, l’homme aux songes comme ses frères l’appelaient, je saurais peut-être quoi faire, mais là... Ce qui est sûr c’est que je dois la renvoyer chez ses parents, ils se débrouilleront avec elle, mais je ne veux pas la répudier, parce que ce serait la condamner à mort, elle et le bébé qu’elle dit porter.

Je me suis couché, le cœur lourd. Je me tournais et me retournais dans tous les sens. Impossible de dormir. Pourtant j’avais comme tous les soirs récité les prières et les psaumes, mais impossible. Et puis je me suis senti m’endormir.

Et voilà que dans mon sommeil, j’ai vu, oui j’ai vu un personnage qui était certes un homme, mais qui n’était pas un homme. J’ai eu peur, un peu comme dans ces rêves où on voudrait prendre la fuite, mais où on n’y arrive pas.

Cette apparition m’a dit de ne pas avoir peur, mais surtout, elle m’a dit de prendre chez moi Marie, mon épouse et que l’enfant qu’elle portait avait été engendré par le Souffle de Dieu, par son Esprit, que je devrais donner à cet enfant le nom de Jésus, et qu’il serait le sauveur que nous attendons tous en ce moment. J’aurais bien voulu poser des questions, mais quand on dort, parler c’est presque impossible. Pour me conforter dans ce qu’il m’avait dit, il m’a rappelé la prédiction du prophète Esaie : « la vierge enfantera un fils et on lui donnera le nom d’Emmanuel ». Bien sûr, pour certains ce fils était le fils du roi Achab, mais pour beaucoup d’entre nous, c’est une prophétie, une de ces merveilles dont seul notre Dieu est capable. Et moi je le crois capable de tout.


Quand je me suis réveillé, ce rêve était vivant en moi, et j’ai couru chez Marie, pour la chercher et la prendre avec moi, et l’installer dans notre maison, qui je l’espère sera pour tous la maison du pain".

mercredi, décembre 21, 2016

Caïn et Abel

Abel et Caïn.


Nous avons l’habitude de toujours considérer Caïn comme le méchant, le très méchant même, (un peu comme Judas dont on sait dès le début qu’il aura le rôle du traitre) et Abel comme la victime, comme le gentil. Si l’on se souvient que le prénom donné à ce dernier est évocateur de brume ou d’haleine, bref quelque chose qui est ténu, qui n’a pas de poids, on est malgré soi poussé à vouloir donner du poids à ce deuxième né, et être bien content que son offrande soit acceptée. Or c’est en mourant qu’il acquière une présence : un poids, ( le sang de ton frère crie contre toi). Pourtant il est fréquent que dans une fratrie il y ait un bon et un méchant, et que parfois le méchant nous fasse un peu pitié, c’est le cas d’Esaü qui se fait berner par son jumeau Jacob, mais ce n'est pas le cas de Caïn.

Une des difficultés du livre de la Genèse, c’est qu’il ne s’agit pas d’un livre historique, mais d’un livre rempli d’histoires, un écrit qui permet de comprendre un certain nombre de choses sur la vie, la mort, le mal, de donner des explications et du sens pour ce peuple que Dieu s’est choisi, peuple qui a besoin de comprendre ce qu'il en est de ses origines et de son Dieu, et qui a besoin de se donner un enracinement alors qu’il vit une expérience de déracinement (je fais référence à l’Exil)..

Si on reprend un peu l’histoire de ces deux frères, les choses ne sont pas si simples, ni si limpides. Oui, Caïn est le premier né, mis au monde par Eve, c’est-à-dire la MERE DES VIVANTS (je mets des majuscules parce que cette nomination fait quand même d’elle un peu une déesse).

Une fois en dehors de ce jardin « merveilleux », ce jardin « cultivé » donc peut-être aussi lieu de culture, puisque Dieu y vient aussi, il faut affronter la vie dans les champs, l’insécurité, la peur. Et si l’on relit la malédiction qui est tombée sur Adam : on lit entre autre « maudit soit le sol à cause de toi. A force de peines tu en tireras ta subsistance tous les jours de ta vie (donc elle n’est plus donnée comme avant). Il produira pour toi épines et chardons et tu mangeras de l’herbe des champs. A la sueur de ton visage tu mangeras ton pain jusqu’à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré ». En d’autre termes, la vie est loin d’être facile. La vie du paysan est dure quand la terre est hostile.

Avoir un premier né, qui va pouvoir comme tout premier-né mettre la main à la pâte, c’est une bonne chose. Dire « j’ai acquis un homme de par le Seigneur », montre aussi qu’en ce petit enfant, il y a déjà l’homme qui est là. Caïn a eu d’emblée un rôle qui a pesé sur ses  épaules, être un homme. Pas un enfant, non un homme utile et responsable. Alors « on » lui en a peut-être un peu trop demandé à cet enfant, qui n’a pas pu être un enfant.

Arrive Abel, et là on apprend que Caïn reprend la tâche confiée à son père : cultiver le sol donc une tâche pas facile, compte tenu de la malédiction qui a été lancée contre le sol. Cultiver le sol est dur et fatigant. Abel lui s’occupe du petit bétail. Mais pour nourrir le petit bétail, il faut de l’herbe, et l’herbe bien souvent ce sont les agriculteurs qui la font pousser, car le petit bétail ne se contente pas d’épines et de chardons. Alors on peut imaginer qu’entre ces deux là, ça ne doit pas toujours être l’entente parfaite.

Que cet épisode renvoie aux querelles entre les agriculteurs et les bergers, entre les sédentaires et les nomades, c’est bien possible. Que cet épisode qui se conclue par l'éloignement de Caïn, permette aussi de comprendre le pourquoi des villes, puisque Caïn, chassé de la terre paternelle en construira, c’est également possible. Mais peut-être faut il chercher autrement.

SI Abel offre à Dieu les premiers nés de son troupeau et même leur graisse, c’est qu’il s’agit d’un sacrifice comme les prêtres en font, avec mort de l’animal et offrande de la graisse pour Dieu. Les meilleurs morceaux sont en principe pour les prêtres, mais celui qui offre quand il ne s’agit pas d’un sacrifice pour le péché, partage la viande restante avec la famille . Il est quand même curieux de voir qu’alors que l’humain est censé ne manger que de l’herbe, il offre de la viande… Ce qui est présenté là, c'est bien un holocauste, et on est dans le sacré. Caïn, lui, offre plutôt un sacrifice végétal, mais ritualisé aussi. On est donc dans un autre contexte et ce qui est peut-être dit aux lecteurs, c'est que le sacrifice doit être offert avec un coeur pur. 

Et puis comment sait-on que Dieu accepte ou n’accepte pas un sacrifice. Ce qui est certain aussi c’est que Caïn qui s’est échiné à tirer du sol (avec ou sans son père) des plantes plus ou moins chétives (c’est que les Midrachs rapportent) il peut trouver que son labeur n’est pas récompensé. Peut-être a-t-il une bonne raison de ne pas être content. Abel qui se contente de faire paître le petit bétail et de le faire prospérer (en détruisant peut-être les cultures de Caïn) est « béni » et lui, le bosseur (un peu comme le fils aîné de la parabole des deux fils Luc 15) est laissé sur la touche. Alors oui, il y a de quoi être en colère, et surtout de ressentir de la honte.

Et voilà que pour couronner le tout, Dieu s’en mêle. Il met en garde Caïn, mais du coup, comme le dirait Paul, il révèle en nommant (visage abattu et colère) ce qui se passe dedans. D’ailleurs l’adjectif abattu, renvoie au comportement d’Achab dans le livre des Rois, qui ne pouvant entrer en possession de la vigne de Nabot, se couche de dépit et refuse de manger, ce qui évocateur de dépression. Alors peut-être que au-delà de l’irritation il y a le sentiment que Dieu se détourne, que lui l’homme en quelque sorte « donné par Dieu » à sa mère, se trouve seul, abandonné avec son offrande qui lui reste sur les bras.

Dieu (ou l’auteur sacré) utilise une comparaison entre le péché et une bête tapie en soi (et celui qui s’occupe des bêtes c’est Abel), une bête qui n’est pas du petit bétail, mais une bête féroce, celle de l’envie. En tout humain, il y a de l’agneau et du loup. Dans cette histoire, Caïn se met à nourrir le loup qui est en lui et plus la colère monte, et plus le loup devient fort. La fin de l’histoire nous la connaissons: le loup ne parle pas, il agit, il tue et c’est ce que fait Caïn.

Normalement quand un père n’est pas content de ce que fait son fils, il lui explique comment faire mieux, comment faire autrement. Parfois le rôle du frère, de la mère, des sœurs, c’est de consoler. Or là, on a seulement une mise en garde d’un Dieu qui sait ce qu’il y a dans le cœur de l’homme, c’est à dire de l’envie, de la jalousie, de la convoitise et que cela peut mener au meurtre. Puis Dieu s’en va et Caïn reste seul avec lui-même, avec cette offrande pas acceptée, pendant qu’Abel (pardon pour l’imagination) va boire un coup avec les autres bergers pour célébrer le fait que son sacrifice ayant été accepté, il y aura beaucoup de naissances dans les mois à venir. Alors chez l’aîné, ça gronde et ça gronde d’autant plus que son père ne dit rien, ne se manifeste pas. Où est-il le Père ? Où est-il celui qui pourrait peut-être offrir autre chose ?

On peut penser que le refus de l'offrande a provoqué de la honte chez Caïn, surtout s'il y a le regard des autres. La honte, est liée à l'humiliation et l'humiliation, il faut la venger. Qu'elle se traduise par de la jalousie, de l'envie, de la colère, oui, mais la honte est un vêtement mauvais, et s'en débarrasser ne peut se faire que si l'on se sent écouté et Caïn ne semble pas avoir été épaulé ou écouté par qui que ce soit.

Ce qui reste étonnant c’est que comme son père, Caïn ne s’excuse pas. Ce qu’il a fait il l’a fait et dire qu’il n’est pas le gardien de son frère, est quand même une phrase très curieuse. On peut faire l’hypothèse que Caïn a lavé dans le sang, la honte qu’il a ressenti quand son petit frère est passé devant lui. Et de cela au fond de lui, il est fier…

L’ennui c’est le travail de la terre lui étant interdit, il devient un nomade mais en devenant nomade il devient aussi créateur de culture ( les villes, le métal, la flute, c’est à dire les métiers et les arts). Comme quoi la honte même si elle est lourde à porter peut aussi être productive. Mais pour cela, la confiance ou le regard des autres est indispensable.



Honte et culpabilité.

Honte et culpabilité.

Il me semble que de nos jours, si à un niveau collectif on peut parler de la honte  par exemple en disant " parce que Un tel a dit ou fait quelque chose, alors c’est « la honte »" pour un certain nombre de personnes, on préfère et de loin remplacer ce mot par culpabilité . Or la culpabilité renvoie à une faute commise contre quelqu’un, elle est donc dans la relation (les psychanalystes parlent de Surmoi) alors que la honte renvoie à une image de soi abimée, et renvoie au Moi Idéal et donc au Narcissisme.

Il me semble que cette confusion est grave. La culpabilité peut être réparée on peut demander pardon, la honte elle se lave, dans le sang bien souvent car elle va avec le déshonneur, l’humiliation. Je pense que bien souvent c’est la honte sous-jacente à la culpabilité (même si la faute est grave) qui pousse au suicide.

De manière simple on pourrait dire qu’il y a plusieurs types de honte. 

Il y a la honte personnelle : je veux faire quelque chose de bien et je n’y arrive pas (et le regard des autres est là pour se moquer de moi) c’est le cas du petit qui ne veut plus porter de couches et qui se mouille quand même. C’est la honte échec et le regard de l’autre est très important. Si le regard de l’autre n’est pas consolateur (tu n’y es pas arrivé, mais tu y arriveras la prochaine fois) un vécu d’échec s’installe et la confiance en soit se perd. Il y a un autre ennui, c’est que dans une famille, l’échec d’un enfant est parfois l’échec de la famille. C’est le cas quand un enfant vient au monde avec un handicap, ou quand l’enfant par la suite, ne fait pas honneur à la famille. Cette honte là (pour les psychanalystes, on pourrait parler de narcissisme primaire), façonne un certain type de personnalité, mais quand on quitte le registre de la honte pour aborder celui de la culpabilité, l’enfant se croit responsable d’avoir fait quelque chose de mal, sans savoir ce qu’il a fait et cela peut être très nocif sur son développement.

Il y a la honte liée à l’autre : la comparaison entre soi et l’autre, entre un plus faible et un plus fort. Quand le plus fort est vaincu par le plus faible, l’humiliation est insupportable et ne peut se laver que par violence. C’est ce qui se passe entre Caïn et Abel. Caïn pour une fois n’est pas le meilleur et cela lui est tellement insupportable que le seul moyen de laver ce qu’il vit comme un affront est de tuer Abel. Bien sûr, on peut parler de rivalité, d’envie, mais à aucun moment Caïn ne se reconnait coupable et il conteste même la sanction divine qui est l’exclusion du clan et le refus de la terre de lui donner son fruit alors qu’il était agriculteur.
C’est le cas de toutes les guerres. Le vaincu est dans la honte, il est humilié, il a perdu. Le vainqueur en profite, le vaincu devient victime d’humiliations sans nombre, pour qu’il comprenne bien qui est le plus fort.  Cette honte là, se lave souvent dans le sang car elle renvoie au déshonneur, mais souvent elle se traduit aussi par une haine ou des haines qui perdurent au-delà des siècles..

Il y a enfin la honte subie consécutive à ce que vous a fait subir un autre. C’est la honte dont parle tous ceux qui ont été en position de victime. Cela renvoie à l’esclavage de toute nature, en particulier sexuel. Normalement c’est celui qui se sert de l’autre qui devrait être porteur de la honte, mais il n’en n’est rien. C’est la victime qui est honteuse, car elle n’a pas pu se défendre, dire non, riposter, mais elle se vit à juste titre comme salie, bafouée.

Réflexions sur la honte.

La honte par définition se cache. C’est un peu un tabou. Ces secrets de famille qui empoisonnent tant les relations et même les vies sont bien liées à ce tabou : on ne dit pas ce qui a provoqué la honte, le déshonneur, donc l’exclusion de son groupe social, ou sa place dans sa famille. La honte il faut la masquer voire l’enterrer. Et pourtant, elle est là, elle stigmatise un individu, une famille, un village, une nation. 

La question de la « honte » est une question qui me semble importante, car les personnes que je connais et qui ont vécu des abus dans leur enfance, parlent certes de culpabilité (c’est de leur faute si telle ou telle chose leur est arrivée parce qu’elles n’ont pas su crier ou de défendre ou dire non), elles l’ont bien cherché.. Mais surtout, ce sont ces actes mauvais, défendus par la société, qui les ont couvertes de honte, alors que ce devrait être l’auteur de ces actes qui devrait en être couvert. Or souvent ceux qui font ce tels actes hors norme, s’en glorifient, et se considèrent comme des héros. Ce qui serait héroïque, serait qu’ils puissent demander pardon à leur victime, reconnaître ce qu’ils ont fait, car seule cette reconnaissance permettrait aux victimes de vivre et non plus de survivre.

Mais ce mot de honte,  (j’ai honte d’être ce que je suis devenu ou ce qu’on m’a fait devenir) n’est que rarement prononcé, car en lui-même il fait honte. La honte doit être cachée. Et pourtant ces personnes, portent sur elles et en elles, cette espèce de peau (un peu comme Peau d’Ane) qu’elles sont seules à voir et à porter, mais qu’elles imaginent être vue par tous ceux qui les croisent. Alors, souvent elles sont voutées, parfois à la limite de l’obésité, elles n’osent pas poser de questions aux autres, elles n’osent pas demander de renseignements et elles se cachent. Elles vivent dans la peur (comme Adam dans le livre de la Genèse) que quelque chose ne se voit.

Aujourd’hui dans ma pratique, il me paraît fondamental de dissocier ce qu’il en est de la honte (ne pas avoir été à la hauteur, ne pas faire honneur, être un objet de dégoût pour soi-même et pour les autres) de la culpabilité qui fait que l’on se sent fautif, pas bon, mais en relation avec un autre. Que la honte comme la culpabilité puissent permettre, pour lutter contre ces sentiments intérieurs de se montrer inventif, c’est certain, car sortir du déshonneur pousse souvent à des actes de valeureux, mais est ce suffisant ? Sortir de la faute en luttant contre l’agressivité peut permettre de de donner le meilleur de soi ? Mais est ce suffisant si on ne retrouve pas la confiance en soi et la confiance en l’autre. Il me semble que seule la confiance faite et donnée, permet de sortir de cet enfer.

On peut dire que souvent la honte est inculquée à l’enfant avant même qu’il ne sache vraiment parler. il ne doit pas faire honte à sa famille . C’est une phrase qu’il entend quand il est invité avec sa famille à l’extérieur, il doit dire ‘s’il te plait’, il ne doit pas faire dans sa culotte (enfin avec les couches culottes cela change la donne, mais peut-être pas l’odeur). Ne pas faire honte, c’est montrer que sa famille est une bonne famille, qui l’éduque selon les règles. Il fait donc honneur à  sa famille. Elle est socialisée et la honte de l’un atteint en général tous les autres et elle pousse à se terrer, à se cacher ou à faire semblant.

Mais il arrive que cette sensation, ce sentiment de honte, soit présent avant même que l’enfant ne s’en rende compte. Il ne correspond à ce qu’on voulait, il n’a rien réparé (parfois il doit réparer la mère ou la famille) et il est même ce n’est pas dit, un objet de honte et cela fabriquera ce qu’on appelle un narcissisme primaire de mauvaise qualité qui fera le lit de la culpabilité inconsciente : l’enfant ne comprend pourquoi il n’est pas aimé et s’en attribuera la faute. Alors on parlera de culpabilité alors qu’il s’agit de honte . Les psys savent que dans ce contexte l’enfant commettre des fautes pour se faire punir puisqu’il se sait être mauvais, pas bon donc coupable, et que faire des actes qui mettent à la punition permettent de comprendre. Ils donnent un sens que l’enfant ne peut trouver par lui-même à ce moment de sa vie. Parfois on parle de l’enfant merveilleux qu’il faut comme réanimer tellement il est bâillonné  par cette honte.

Réflexions sur honte et culpabilité

La honte est associée au déshonneur, et le déshonneur en principe ne se lave que dans le sang (voir toutes les histoires de vendetta qui perdure des générations) . SI les victimes parlent si peu, c’est que parler c’est jeter le déshonneur sur toute la famille et que cela est plus que difficile,  d ‘autant que bien souvent  se taire, c’est justement assurer un rôle de protection que de porter sur soi le déshonneur en protégeant sa famille et du coup d’avoir au moins un petit rôle positif à jouer.

La culpabilité, du moins telle qu’elle est décrite en général consiste à faire quelque chose qui va blesser l’autre, qui donc atteint la relation. Le petit enfant , le nourrisson lors de son développement (normal) se rend compte que par son comportement il fait du mal à sa mère (refus de manger par exemple), et comme il aime sa mère, il ne demandera pas pardon, parce qu’il est trop petit pour cela, mais il va soit essayer de réparer, soit de plaire et par exemple de faire des efforts d’autonomie, car il sent que cela fait du « bon » pour sa maman. La culpabilité a donc un versant positif, surtout quand la maman valorise son enfant qui sourit, qui gazouille, qui accepte mieux qu’elle ne soit pas à sa disposition.

Les psychanalystes parlent en fait de deux culpabilités et de deux hontes. Car chacune d’entre elle, suivant ce qu’elle atteint dans l’enfant, donne naissance à des comportements différents . Il y a une culpabilité primaire (l’enfant ne sait pas ce qu’il a fiat, mais il l’a fait qui touche à l’identité et à la réparation impossible) et une culpabilité secondaire, celle que nous connaissons tous plus ou moins et qui si elle coupe la relation peut quand même (le pardon) permettre de rétablir ce qui a été coupé. De même il y a une honte primaire, qui peut être liée à l’histoire de la famille, à la maladie, qui d’emblée ne permet pas à l’enfant d’avoir sa place de sujet, et la honte plus banale liée à ces échecs que nous connaissons tous et qui renvoient à l’analité et au stade phallique.

On peut dire qu’ Il y a une culpabilité qui permet la créativité, la réparation la symbolisation, et une culpabilité qui détruit l’être, l’identité, et qui est dangereuse. Il y a une honte qui est liée à certaines expériences et qui permet de grandir (on ne refera plus jamais, on inventera autre chose- et une honte qui vous stigmatise, vous détruit à tout jamais, vous fait comprendre que vous n’avez aucune valeur, pas le droit à l’existence, qui fait de vous un objet et non un sujet.

Il n’en demeure pas moins, que la culpabilité est toujours mise en avant (ne faut-il pas se reconnaître pécheur lors des célébrations liturgiques et demander pardon pour cela), alors que bien souvent en amont de la culpabilité il y a cette honte qui paralyse, qui bloque, qui isole et la reconnaître c’est aussi reconnaître que Dieu dans sa miséricorde (et là pour moi, ce terme a sa vraie valeur) nous regarde avec amour et nous lave de ce vêtement de deuil.

Je dirai que ce en quoi (ou en qui) je crois, me permet de dire que seule la certitude d’être aimé tel que l’on est, connu tel que l’on est, et de savoir que quoique l’on fasse, on a de la valeur, permet de sortir de la honte. Et cela c’est le don de l’Esprit. Oui les thérapies sont importantes, mais, à condition qu’elles permettent à la personne de faire cette rencontre avec cette partie qui est en elle, qui est déjà en elle, et qu’il fallait faire naître.

Sortir de la honte?


Le comportement de Jésus dans les évangiles est bien de permettre à tous , à tous ces malades qui portent le péché de leurs parents inscrits dans leur chair de sortir de la honte, de se mettre debout et de retrouver leur place dans la société, l’estime des autres et aussi ce changement du cœur que seule la confiance peut donner ou permettre de retrouver. Jésus fait confiance et lui, l’homme qui a vécu la honte de la croix, peut nous en faire sortir par le don de l’Esprit qui régènère.