mercredi, décembre 21, 2016

La honte comme précurseur de la culpabilité. Gn 3


Il peut être intéressant de reprendre le début du livre de la Genèse (Genèse 2 et 3) et d‘essayer de comprendre comment la honte est entrée dans le monde, en ne se centrant pas sur le péché sur le péché dit "des origines". Quand un petit enfant commet ce que l'on appelle une faute, en général ce n'est pas de la culpabilité qu'il ressent, parce qu'il ne sait pas vraiment qu'il a mal agi, mais de la honte, parce qu'il n'a pas été à la hauteur et parce qu'il a déçu ses parents. Ce qui est manifeste dans le chapitre 3 de la Genèse, c'est qu'Adam a peur de son créateur, c'est qu'il a honte de sa nudité, mais qu'il ne semble pas se rendre compte de sa culpabilité, qu'il rejette d'ailleurs sur la femme, qui elle-même rejette sur le serpent. Ce que je veux dire c'est que faute et honte sont intimement liées mais que si la faute avouée est pardonnée (voir le psaume 50), la honte colle à la peau, et qu'il est beaucoup plus difficile de l'évacuer. Seul l'amour inconditionnel de quelqu'un peut redonner l'honneur perdu.

Même si on admet que la Genèse (dans sa version écrite) date peut-être du temps de l’exil et avait pour but de donner un sens à ce que vivait le peuple de Dieu arraché à sa terre et à ses traditions, il ne faut pas oublier qu'elle s'adressait à un peuple qui vivait dans la honte et l'humiliation. Les petits romans que sont les livres de Judith, d'Esther ou de Tobie nous le dont bien comprendre. Quand Daniel écrit: Dn 9, 7-8 "A toi Seigneur la justice, à nous la honte au visage,comme en ce jour, à nous, gens de Juda, habitants de Jérusalem, tout Israël, proches et lointains, dans tous les pays où tu nous as chassés à cause des infidélités commises à ton égard,Yahvé, à nous la honte au visage, à nos rois, à nos princes, à nos pères, parce que nous avons péché contre toi." on voit bien le lien entre péché et honte. Le péché crée de la honte, rend honteux, mais comment sortir de la honte? Dans la Bible seul Dieu peut le faire en redonnant la victoire, car il montre au monde sa force et da puissance.

Être arraché à sa terre, fait d’un être humain un déraciné. Lui raconter la création de deux manières différentes peut l'aider à trouver du sens à ce qu'il vit. . Que l’écrivain se soit servi de mythes existants pourquoi pas, mais on peut lire au travers de la vie d’Adam l’éveil à la vie l’éveil au la société.

Je propose une relecture des chapitres 2 et 3 de la Genèse, pour mettre en évidence que la honte qui "vous couvre comme un manteau" que "l'on lave souvent dans le sang" est décrite comme antérieure à a reconnaissance de la faute, du péché qui est une rupture de lien. En termes psychanalytiques, je dirais que la honte renvoie au narcissisme primaire et la culpabilité plus au narcissisme secondaire. La honte sous-tend beaucoup de nos actions, de nos actes, mais nous ne nous en rendons plus compte. 

Temps un: Gn 2, 5-17 
Contrairement à  beaucoup de mythologies, Adam est crée seul à partir d’une terre (poussière) et il a une fonction : servir et entretenir le jardin de son créateur (son papa). La relation est donc apparemment « fonctionnelle ». L’homme est nu pas vêtu or le vêtement est quand même le signe de la vie sociale. Que cela renvoie à l’innocence de l’enfant, oui, j’en reparlerai. Mais dans notre imaginaire, les sociétés où l’homme est nu sont des sociétés sans cultures, des sociétés qui furent les réservoirs de nos esclaves à partir du 16° siècle. Par ailleurs, si Adam doit s’occuper du jardin, il subit les ardeurs du soleil et s’il est nu, il est fragile. Alors peut-être qu’Adam est noir, ce qui lui permet de résister aux brulures et qui irait dans le sens d’une origine noire de l’humanité. Adam a le gite et le couvert, mais aussi l’interdit de manger d’un arbre, celui de la connaissance du bon et du mauvais (du bien et du mal).Il lui est dit que s’il mange de cet arbre, il en mourra, ce qui veut dire deux choses : tout n’est pas bon dans ce jardin, et la mort est présente, même si elle est présentée comme une menace. Peut être qu’en lui-même l’arbre n’est pas nocif, mais pour l’homme il l’est, de même que le chocolat n’est pas nocif pour l’homme, mais l’est pour le chien. Ce qui peut vouloir dire que c’et Dieu qui comme tout père va apprendre à Adam ce qui est permis ou défendu, ce qui fait mal, ce qu’il faut éviter. On est dans un processus d’éducation, seulement l’homme est souvent pressé de franchir les étapes.

La nudité peut avoir une autre explication, elle renvoie certes à l’état de l’enfance où la pudeur n’existe pas et où la nudité peut être règle, mais elle renvoie surtout à une vision fantasmatique de ce lieu où l’on peut en toute sécurité être nu les uns devant les autres, reconnu dans la sexualité par l’autre, sans que la pulsion ne prenne le devant de la scène (c’est ce qu’exprime la malédiction donnée à Eve : ton désir te poussera vers l’homme et lui te dominera Gn 3, 16. Elle renvoie donc littéralement au paradis tel que nous pouvons l’imaginer : un lieu où la convoitise n’existe pas.

Temps deux Gn 2, 18-25, 4
Dans un deuxième temps, Adam qui a trop de travail, demande une aide. Il est donc confronté au manque et demande donc que dieu lui donne quelqu’un pour l’aider. On assiste alors à la création du monde animal, avec Adam qui « crie » le nom des animaux mais qui est déçu après chaque création. L’important étant peut-être que l’homme a la parole et que s’il nomme les animaux qu’il ne crée pas (ce qui reprend la création du premier chapitre de la genèse) il  a pouvoir sur eux puisqu’il les nomme. Là encore il y  a reprise du premier chapitre où le couple domine les animaux et la terre et à condition de manger comme eux de l’herbe est le maître de l’univers.

Alors se passe une sorte de scène primitive, puisqu’Adam est endormi et qu’il va donner naissance non pas à un enfant (encore que l’on puisse se poser la question), mais à la femme qui porte ici un nom « générique » isha, « elle » qui est décrite comme la chair de sa chair, les os de ses os, mais cela c’est ce qu’un couple peut dire à la naissance de ses enfants. Alors cette Isha est elle sa fille ou sa sœur? On pourrait opter pour sœur. Reste la question de la côte (os) ou du côté qui semble plus intéressante et qui renvoie de fait à la perte d’une partie de soi et du coup de la recherche de la complémentarité, ce qui se passe dans tous les couples quand ils se forment. Ce qui est certain c’est qu’elle ne porte pas non plus de vêtements. "Ils étaient nus sans se faire mutuellement honte" Gn 2? 25

Temps trois Gn 3, 1-6
Arrive la scène dite de la tentation. Qu’on fasse porter le chapeau au serpent, c’est normal, mais peut-être que le désir d’expérimenter qui est en chacun de nous et qui est peut-être une marque de divin fonctionne chez la femme qui n’a pas reçu directement l’interdit. Celui çi a été transmis par le grand frère. Il faut dire que le serpent s’y prend très bien. Pour un animal « sauvage », peut-être que sauvage renvoie à l’idée qu’il n’est pas domestiqué, qu’il est son propre maître, il est quand même très fort. Il oblige la femme à se centrer sur l’arbre qui est au centre du jardin.

La notion de centre est certainement importante, être le centre de l’attention, être le centre de tout, cet arbre symbolise la présence du Dieu absent, et c’est là dessus que le serpent instille son venin. Il insiste sur la vue : vous verrez les choses telles qu’elles sont, vous serez comme lui, capable de savoir ce qui est bon ou mauvais. Voir les choses telles qu’elles sont, qui d’entre nous n’a pas ce désir de voir ce qui est au delà du vu, au delà du regardé. Qu’est ce qui se cache derrière ? Mais cela c’est la base de la recherche scientifique.. La femme se rend à l’évidence : ce fruit est beau. Et c’est là que l’intelligence non développée raisonne mal, raisonne comme celle d’un enfant de 4 ans.. C’est beau, donc c’est bon et si c’est bon il faut que ce soit expérimenté par la bouche, puisque l’oralité est le premier sens qui se développe chez l’enfant. Ce qui est décrit là, c’est le processus par lequel tous les enfants acquièrent la connaissance et apprennent aussi à discerner ce qui est bon et ce qui est mauvais.

Pourquoi le fait de désobéir ne lui ouvre pas les yeux, cela reste un mystère. Peut être que par le biais du serpent, la femme propose une épreuve à l’homme et que celui ci oublie l’interdit, oublie la présence de Dieu, et consomme.

Or s’il consomme, c’est pour être comme Dieu, et quel enfant n’a pas envie d’être comme son papa ou sa maman qui peut faire tout ce qui lui plait.

Et là quelque chose se passe, qui n’était pas prévu du tout.. Ils acquièrent bien une connaissance, ils se voient tels qu’ils sont, sexués et nus. Manger du fruit c’était le désir d’être grand (stade phallique) se rendre compte que l’on est nu, fragile, et différent c’est une véritable chute, c’est la perte de l’illusion, c’est se voir tel que l’on est, avec du coup la peur. La honte apparaît. La honte c’est cette impression d’être sale, laid, c’est avoir envie de disparaître. Mais avec sentiment arrive la capacité de création : coudre des feuilles de figuier. La lutte contre la honte est un moteur très important. Pour cacher le déshonneur, l’échec, l’homme est capable de bien des choses : du meilleur comme du pire..


Temps quatre Gn 3, 7-24

Arrive alors Dieu, Dieu qui n’était pas là, Dieu qui avait pourtant été explicite : ce fruit il est poison pour toi.. Il te fera mourir. Mais il n'est pas possible de toujours croire les parents qui passent leur temps à vous faire peur, arrive un moment où on veut expérimenter par soi même.

Et l’homme pour la première fois de sa courte vie, expérimente la peur. Peur d’être petit et fragile, devant son papa, peur de ce corps qu’il ne connaît pas bien mais qui jusque là ne le gênait pas, peur de ce qui va arriver.

Il est sorti de ce qu’on appelle l’innocence pour passer à la honte, honte qui le concerne lui, puis à la peur, qui renvoie à se relation à l’autre.

Arrive ce dialogue qui pourrait être drôle, mais qui ne l’est pas.. Car l’homme envoie la faute sur la femme (en d’autre termes, si Dieu n’avait pas créé la femme, lui l'homme, jamais il n’aurait pas désobéi). C’est à la fois de sa faute à elle, mais aussi de la faute de Dieu qui n’a pas crée la « bonne » femme. Que de fois ne pensons nous comme cela :  «  si Dieu n’avait pas mis sur notre chemin telles ou telle chose, alors nous n’aurions pas commis quelque chose qui nous retombe sur le dos, donc c’est de sa faute » !.

La femme, elle renvoie sur le serpent, et Dieu lui, maudit…

- Maudit le serpent, el le condamnant à ramper, c’est à dire à être au ras de la terre, de perdre sa position verticale, avec la prophétie que la descendance du serpent (le mal) sera un jour écrasée, mais que la femme mordue au talon perdra la marche..

- Maudit la femme dans sa génitalité. Et la menace de la stérilité fait entrer dans la honte.

- Maudit l’homme dans sa relation à la terre et là encore la stérilité de la terre renvoie à la honte.

- Enlève l'immortalité en chassant du jardin, et la mort qui signe la déchéance est bien signe de honte.

Il est possible quand même de penser que la sanction est quand même bien sévère, car Adam, tel qu’il nous est présenté, semble être un enfant qui fait confiance à sa sœur, qui se laisse attirer par la texture et l’odeur du fruit bref qui agit avant de réfléchir et qui est loin d'être réellement autonome; mais cela donne du sens à ce que vit le peuple choisi au moment de la rédaction de ce livre.

Il n'en demeure pas moins, que la sanction est effrayante. Qui d’entre nous mettrait son enfant à la porte s’il avait désobéi ?

La honte du côté du créateur... 

Et je me suis posée une question que je n’aurais peut-être pas dû me poser, mais qui pourrait expliquer la violence de la sanction. Si on en croit les psaumes, quand Dieu crée l’homme, il le crée à peine moindre qu’un Dieu (Psaume 8), donc au dessus des anges et c’est d’ailleurs ce que dira Paul dans l’épitre aux Romains. Et les anges, « prennent l’homme sur leurs ailes, pour qu’à la pierre leur pieds ne heurte : ils sont tout puissants certes, mais ils veillent sur l’humain. 

Alors, et en cela on peut s’appuyer sur les midraschs qui parlent de la création de monde, on sait que les anges n’étaient pas du tout d’accord pour que leur Dieu crée l’humain. Mais Dieu passe outre. Et voilà que son humain, en ne respectant pas les clauses, en tombant à la première tentation, lui fait perdre la face à lui Dieu, il ne lui fait pas honneur. La honte qui est en lui qui se trouve tout nu, se retrouve aussi en Dieu qui a loupé son coup, qui n’a pas été à la hauteur. 

Alors un Dieu qui connaît la honte, il a de quoi se mettre très très en colère, parce qu’il perd la face si j’ose dire. Et la sanction se comprend mieux, car il y a des témoins, les anges et les esprits qui habitent dans cet ailleurs que nous ne connaissons pas. Comment Dieu va –il être lavé de l’affront subi par la faute du satan, parce que c’est quand même bien de ce combat là qu’il s’agit ?  Qui va laver cette honte ?

Sortir de la honte.

En permanence des hommes se dressent, que ce soit Moïse, que ce soient les prophètes, certains rois, mais… 

Mais seul Jésus pourra lui le Serviteur, rendre à l’homme sa dignité (le laver de cette honte qu’il porte depuis toujours, même s’il la refuse et la remplace souvent par la culpabilité qui est plus facile à porter que la honte, car par la réparation on peut s’en débarrasser, ou par les sacrifices), mais surtout permettre à Dieu d’être Père de cette humanité qu’il a mis dans le monde.

On peut toute fois remarquer que déjà, la petite histoire de Job, montre que l’humain, même malmené par la vie, peut rester « fidèle » à Dieu, certes discuter, hurler, rugir, mais que de ce dialogue sorte une connaissance qui permet à l’homme d’être en relation « visuelle » avec ce Dieu qui si souvent paraît lointain (Je te connaissais par ouïe dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu : Jb 42,).

On peut lire, même si ce n’est pas habituel toute l’histoire du peuple choisi, comme ce combat entre Dieu et ces forces qui en permanence veulent mettre son projet pour l’humain à mal. On assiste à un renversement car Job le discutailleur, ne se détourne pas de ce Dieu qu’il ne comprend pas, de ce Dieu qui semble avoir tout pris, de ce Dieu qui va se révéler comme le tout autre et lui ouvrir les yeux, renversement qui se poursuit à travers l’épreuve de l’exil et le retour dans la terre promise, mais surtout que se termine si je puis dire avec Jésus. Car là, le mal est vaincu et en l’homme Jésus, Dieu peut recevoir l’honneur non seulement des hommes mais du ciel, car  (pardon pour ce que j’écris) mais le déshonneur du Père est lavé par le sang du fils  et leur Gloire se révèle au monde par le don de l’esprit qui fait de l’homme un homme debout à l’image du fils.




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