samedi, décembre 30, 2017

"La Parabole du Semeur" Mc 4,1-10


Nous avons travaillé, ou du moins relu cette parabole dans notre petit groupe "Autour de la Bible". Si on admet que l'explication de cette parabole n'est pas de Jésus, mais de la première communauté qui s'adressait à ses nouveaux membres et se centrait sur le combat contre le malin, peut-être que d'autres possibles s'ouvrent.

Quand Jésus parle du semeur (et j'y reviendrai) il présente deux cas de figure: soit la graine semée a un rendement de 0% (le terrain pierreux, le terrain rocailleux, le terrain mal entretenu), soit la graine "donne", mais avec des rendements différents: 30, 60 et 100.  

Ma réflexion va porter sur ces terrains, et leur donner une certaine géographie. Mais avant il faut regarder un peu ce semeur, qui comme dans la publicité du petit Larousse d'autrefois, sème à tout vent, sans trop se préoccuper de savoir s'il sera possible de moissonner, et qui sème largement...

J'ai l'impression qu'il ne regarde pas; ce qui lui importe c'est de semer: un peu comme, autrefois, il a semé de l'organisation dans un univers informe et vide rempli par le tohu-bohu; un peu aussi comme dans ce jardin premier où des arbres portant semence étaient là, à portée de main; un peu comme s'il voulait restaurer, par cette parole qui ne revient pas sans avoir porté son fruit, une terre d'abondance, une terre où le mal est vaincu.

Parfois la pierre, le cœur de pierre, peut se transformer en cœur de chair; et la parole peut alors s'enraciner et porter son fruit. Parfois la rocaille du désert se transforme en jardin, et là encore la parole peut porter son fruit; car il y a aussi des oasis dans le désert. Parfois les ronces peuvent être coupées avant qu'elles n'envahissent tout, et permettre à la parole de prendre son essor et de s'envoler elle aussi. Il m'est arrivé, lors de "certains chants en langue", d'avoir des images de grands champs de blé, du blé mur; et le vent qui faisait se courber les épis les envoyait aussi dans toutes les directions. Pour moi, le vent c'était l'esprit, qui était comme le moissonneur, mais qui ne gardait rien pour lui; qui, comme le semeur, semait à nouveau largement.

Mais je reviens aux terrains.

Le premier chemin serait un chemin de pierre qui borde ou délimite les champs. Et je me suis dit qu'en Israël, si on repense au livre des rois où le roi Achab se déprime parce qu'il ne peut acquérir un terrain qui jouxte le sien, les champs ne devaient pas être loin des villes. Alors j'ai pensé que les pierres représentent les villes: et les malédictions que Jésus adresse aux villes de Galilée montrent bien que la parole semée rebondit, et ne pénètre pas. Encore qu'il y a des maisons où elle peut s'enraciner.

Et même s'il y a parfois des interstices entre les pierres, elle a du mal a porter du fruit, et, oui, les oiseaux du ciel (que je n'ai pas forcément envie de considérer comme des agents du mal - avalant la parole avant qu'elle ne puisse être reconnue bonne par les destinataires) peuvent avoir aussi du grain (ils ne sèment ni ne moissonnent, mais ils comptent pour le Seigneur). Alors, pour moi, Jésus parle de la difficulté - qui d'ailleurs sera la sienne - de semer dans les villes. Quand il sera à Jérusalem, ce sera le sang de la parole qui donnera le fruit qu'est l'Esprit Saint. C'est quand même à Jérusalem que le jour de la Pentecôte la flamme de la Parole va se répandre et ira envahir le monde.

Le second terrain, rocailleux, évoque pour moi le désert de Palestine, ce désert qui n'est pas de sable, mais de sable et de pierre, ce désert qui pour moi a été lieu de la Présence. Et dans ce désert il suffit d'une pluie pour que tout refleurisse; mais tout ne peut prendre racine, sauf que les graines sont là, qu'elles restent enfouies et que, là encore, la pluie ou l'onction de l'esprit pourra un jour la faire lever. Alors ce n'est pas perdu. Je ne sais pas si un jour le désert pourra être recouvert de champs de blé, mais si les graines sont là, pourquoi pas? Les sources existent, et peut-être que le Divin Sourcier peut créer des oasis au milieu de cette rocaille?

Le troisième terrain me fait penser à une campagne qui n'est pas entretenue: tout pousse un peu n'importe comment. C'est une sorte de combat entre la nature et l'homme; parfois la nature gagne et semble tout envahir, mais il suffit que l'homme ait le désir de cultiver, et alors c'est lui qui gagne, même si c'est difficile (c'est un peu lutter contre la malédiction que l'on trouve dans le livre de la Genèse: la terre qui refuse de donner son fruit). Mais - en soi - ce terrain là, somme toute, il est fertile et parfois sur les ronces on peut trouver des fruits… Certes il nécessite un combat, mais ce n'est pas perdu. Mais c'est un combat au quotidien: déraciner, arracher…Là encore n'avons nous pas un allié dans la présence de l'Esprit? Et si on pense au malheureux ricin du livre du prophète Jonas, parfois Dieu lui-même peut trouver le moyen de faire périr les ronces, et de laisser un terrain net; et là, le blé poussera.

Donc, peut-être ces terrains qui ne rendent rien ne sont-ils pas si désespérants que cela: il ne faut pas grand chose pour que la ville accueille la parole, pour que le désert refleurisse, pour que les ronces soient arrachées. Alors ce semeur qui sème partout, qui n'oublie aucune zone, qui ne dédaigne aucune zone, parce qu'il sait que la vie est la plus forte, il n'est pas fou, il est LE SEMEUR.

Quant aux terrains qui sont des terres cultivées, leurs rendements sont quand même très différents! Si le 100% évoque la parabole des talents (ou des mines) où chaque talent rapporte le double, le 60% et le 30% montrent bien qu'il y a du travail à faire pour amender la terre, pour enlever les pierres, pour lui mettre de l'engrais; mais que l'important c'est cette production. Et peut-être que parfois il faut mettre en jachère pour que la terre se repose (c'est d'ailleurs prévu par le Lévitique); et ce repos, qui est aussi un repos en Dieu, c'est de laisser le Semeur décider s'il ne veut pas planter autre chose dans le temps qui vient.

Alors, en regardant autrement les terrains, en regardant peut-être autrement le Semeur, pour moi, ce texte est finalement trinitaire. Car le semeur (le Père) envoie le Fils qui est son verbe; et la parole du verbe ne prend racine que si la rosée de l'esprit saint est là; et ce finalement quel que soit le terrain.


dimanche, décembre 17, 2017

"Mon enfant, tes péchés te sont pardonnés" Mc 2, 5

"Mon enfant, tes péchés te sont pardonnés" (Mc 2,5)

En travaillant pour notre groupe "Autour de la Bible" les deux premiers chapitres de l'évangile de Marc, je suis tombée en arrêt devant cette phrase, qui est différente de celle qu'on trouve dans l'évangile de Luc, qui lui emploie le mot homme.

Je n'avais jamais vraiment remarqué que dans l'évangile de Marc, quand Jésus s'adresse à cet homme qui vient littéralement de tomber du ciel pour se trouver à ses pieds, il l'appelle "mon enfant". Appeler quelqu'un mon enfant, quand il s'agit d'un pair, cela me semble très étonnant; mon ami, oui; mais mon enfant... Et en même temps je me dis que cet infirme, après un passage qui a dû être éprouvant pour lui et pour les porteurs, est aussi comme un enfant qui vient de sortir de l'utérus et qui se trouve à l'air libre: il était dehors, il est dedans, même si c'est l'inverse de ce qui se passe pour une naissance.

Pour en revenir à ce mot "enfant", il est important de se souvenir qu'en latin "l'infans" est celui qui ne parle pas, qui est parlé par les autres. Et cet homme couché, ce n'est pas lui qui demande: on ne l'entend pas, il ne dit rien, il est porté, il est transporté il est posé. C'est Jésus qui lui adresse d'abord une parole qui est dite au passif, puis une seconde qui est une sorte d'impératif, qui met en marche.  

Aux paroles de Jésus, et au grognement des pharisiens, répond le silence de cet homme, qui passe d'un statut de chose (il est porté sur son brancard) et semble ne rien demander, à un statut de sujet, puisqu'il se lève, prend son brancard et rentre chez lui; ce qui provoque d'ailleurs la louange de ceux qui voient ce miracle, les "petits"; contrairement aux savants qui refusent de voir en Jésus celui qui vient.. Dans l'évangile de Luc, c'est lui, l'infirme guéri, qui loue; et cela me semble important qu'il puisse chanter les merveilles de ce que Dieu a fait pour lui, grâce à Jésus et à sa parole.

On dit souvent que Dieu est à la fois père et mère. Il me semble que, par ce "mon enfant", Jésus montre toute l'affection, toute la sollicitude qui est en lui, surtout quand il voit la confiance qui lui est faite. Mais il se montre aussi sous un jour nouveau, il est aussi Père, comme le père du fils prodigue qui en accueillant le fils aîné qui râle, l'appelle "mon enfant", comme s'il voulait restaurer avec lui une relation de tendresse et non d'autorité.

Si on revient au texte, on voit donc que ce qui surprend Jésus c'est la foi, la confiance de ces hommes, confiance qui leur a fait franchir les obstacles (porte close et trop de monde); et cela le pousse à dire quelque chose de totalement inattendu, la rémission des péchés de l'homme couché, homme auquel il s'adresse en l'appelant "mon enfant". C'est aussi peut-être un moyen, dès le début de cet évangile, de faire comprendre que le Jésus qui guérit les infirmités et chasse les démons, est bien autre que celui qu'ils ont devant les yeux. Il est figure d'autorité, et de même qu'il chasse les esprits mauvais, il a le pouvoir lui "le Fils de l'homme", comme il le dira à la fin de cet épisode, de remettre les péchés, même si la première phrase dite par lui, est une phrase passive. 

Par ailleurs, l'infirmité, qu'elle soit de naissance ou la conséquence d'un accident, est considérée comme une punition liée au péché. Remettre le péché ou les péchés, car ici il y a un pluriel, c'est comme si toute l'histoire de cet homme (qui peut-être à un niveau symbolique peut aussi évoquer l'humanité paralysée par le mal qui est en elle et qui l'aveugle) était comme purifiée, nettoyée, lavée. Quand Jésus lui dit que ses péchés sont remis, peut-être que l'on peut entendre que la paralysie intérieure qui l'empêchait d'être un être de désir, est levée, qu'il ne porte plus le poids de ses péchés, qu'il est allégé et qu'il pourra se mettre debout. Jésus lui redonne sa place d'homme vivant.
Commencer par la rémission des péchés, c'est donner une "âme neuve" une âme qui vient de naître, à cet homme dont finalement nous ne savons rien, et qui ne dit pas un mot durant toute cette scène.


Je pense que si ce texte, que je connais presque par cœur, a eu cet impact en moi, c'est que j'ai certainement envie de m'entendre appeler comme cela par celui dont on va fêter la naissance, l'incarnation. Alors je crois que ce passage donné au début du temps de l'Avent, c'est un  cadeau pour moi qui aime tant laisser résonner les mots, voire un mot. Et pour le dire un peu autrement, si cet évangile doit être mon fil rouge du ce temps de l'Avent, j'ai aussi à demander à l'Esprit de creuser en moi un trou suffisamment large pour que le Seigneur puisse passer de ma tête dans mon cœur, de manière à pouvoir rendre témoignage à la Lumière.


vendredi, décembre 01, 2017

Marie douleurs..

Les tableaux et les statues qui me représentent, du moins en Occident, me mettent un beau sourire sur les lèvres. C'est peut-être le sourire que j'ai maintenant quand je viens pour vous parler, pour vous demander de prier sans vous lasser. Pourtant, lorsque je vois le monde dans lequel vous êtes, les conflits, les guerres, et aussi pour tant d'humains réduits à l'état d'objets, alors que mon fils était venu pour que chaque être puisse être rempli de justice, de paix, de joie, j'aurais envie de pleurer.

Je pense que me voir souriante vous rassure, parce qu'une maman c'est censé rassurer, et que ce sourire veut dire aussi que je vous aime; mais je n'ai pas toujours eu envie de sourire quand j'étais sur terre, du temps de mon fils.

Si vous connaissez un peu les icônes, vous verrez que souvent, quand je regarde mon fils, mon petit garçon, il y a de l'inquiétude dans mon regard. Il y a de l'inquiétude, parce que même si je sais qu'il est le Fils du Dieu qui a créé le ciel et la terre, même si je sais qu'il est rempli d'Esprit Saint, même si je sais tout cela, il est le fruit de mes entrailles; je sais aussi qu'un glaive de douleur transpercera mon cœur, et que ce fils tant aimé me sera enlevé. Et perdre son fils, c'est la pire des choses qui puisse arriver à une mère...

Il y a aussi des icônes qui me représentent avec des larmes qui coulent de mes yeux; parfois même des larmes de sang, comme le sang qui a coulé du corps de mon garçon quand il était dans ce  jardin, juste avant d'être arrêté.

Est ce que vous avez déjà pu imaginer que, juste après avoir célébré la Pâque avec ses amis, il est parti dans ce jardin en sachant ce qui allait arriver; mais en ne sachant pas quand cela allait arriver. C'est aussi pour cela qu'il avait tant besoin que ses disciples ne dorment pas, qu'ils fassent un peu rempart entre lui et ce qui allait arriver. Il savait qu'il allait être traité comme un malfaiteur, un bandit, qu'il serait condamné au supplice de la croix, mais là, il ne pouvait qu'attendre. Et moi, je n'étais pas là... J'aurais tellement aimé pouvoir juste être là, sans rien dire, mais être là. Et cette nuit là, elle est aussi inscrite en lettres de sang en moi.

Ce n'est qu'après que j'ai su ce qui s'était passé. Imaginez un résistant qui sait qu'il va être arrêté, que tout est en marche, mais qui ne sait pas quand "ça" va frapper à la porte (ou que la porte va être enfoncée), imaginez son angoisse. Bien sûr mon Fils a choisi, mais on peut dire qu'à la fois il maîtrise et il ne maîtrise pas. Imaginez son angoisse. Bien sûr il avait dit qu'il était venu pour jeter un feu sur la terre, qu'il voulait que ce feu soit déjà allumé, et qu'il devait être baptisé d'un baptême. Et que son angoisse était grande, parce que qui dit baptême dit bien être "plongé dans", et moi j'ai toujours su que ce baptême, ce serait un baptême dans le sang.

Ce qui s'est passé ensuite, ce sont les compagnons de mon fils qui sont venus me prévenir: que les choses ne se passaient pas du tout comme ils l'avaient pensé, que Judas l'avait livré. Qu'il était entre les mains de Pilate, ça je l'ai vu de mes yeux.

Quand vous pensez à cela, vous parlez de mystères douloureux. Mais pourquoi mystère. Que peut-il y avoir de pire pour une mère que de voir le corps de son fils déchiré par le fouet, plein de sang qui coule, le visage bleui par des coups, le nez cassé, le front percé par ces épines que vous souhaiteriez enlever à mains nues, les mouches qui sont là, la foule qui regarde, les soldats qui veulent bien, parce que je suis la mère, me laisser approcher; et ne pas m'effondrer. Attendre et supplier au fond de moi que ça aille vite. Et vous ne pouvez rien faire. Jamais on me voit pleurer, et pourtant! Oui même si on ne le dit pas, j'ai crié ma douleur, j'ai crié vers Dieu qui prenait mon (son) fils. Et mon fils n'est pas descendu de sa croix, il est mort, mort mort. Et moi, j'étais la mère du condamné dont le corps devait être mis dans une fosse commune; même son corps allait m'être pris. Heureusement que Joseph d'Arimathie est venu le réclamer ce corps, ce corps rompu, comme le pain qu'il avait donné à ses disciples, ce corps vidé de son sang, de ce sang qui contrairement au sang d'Abel ne criait pas vengeance. Il y a de splendides sculptures qui me représentent avec mon fils sur les genoux. Mais ce sont des sculptures. Elles sont là pour vous. En fait je n'étais pas là, il fallait que je me cache, parce que les soldats pouvaient très bien s'en prendre aussi à moi. Avec les Romains, on ne sait jamais.

Depuis toujours, la peur de le perdre a été là. Vous, aujourd'hui vous parlez de "mystères joyeux", mais peut-être pas...

Quand on est une jeune fille de 14 ans, quand on entend une petite voix qui vous parle avec respect et qui vous demande si vous acceptez, parce que vous avez été choisie pour cela, d'être la mère de celui qui sera le Messie, est ce que vous ne pensez pas que le oui prononcé est aussi rempli de crainte? Parce que nous vivions dans un monde occupé, un monde où les romains étaient les maîtres, où des messies s'étaient déjà levé et avaient été tués, et parce qu'être la servante du Seigneur, même si comme on le raconte j'ai été préparée à cela en passant mon enfance - comme jadis Samuel - dans le Temple, je sais ce que ce n'est pas facile. Je connais l'histoire de mon peuple, je connais l'histoire des prophètes; et être élu, ce n'est pas simple, ce n'est pas facile. Alors oui, être la mère de Dieu, se dire qu'on est l'arche qui contient le Tout puissant, c'est exaltant, mais…

Mais il fallait en parler à Joseph, celui qui m'a été destiné, mon "promis"; et oser demander à Dieu qu'il ouvre le cœur de cet homme, pour qu'il ne me répudie pas. Oui, Joseph a eu un songe; je peux dire que le Seigneur a répondu à ma prière, mais dans ma prière il y avait déjà des larmes. Quand Joseph m'a dit que le nom de ce bébé, qui ne serait pas le sien, serait Jésus, j'ai repris aussi courage, parce que ce prénom, la petite voix qui avait parlé en moi l'avait déjà indiqué. Et là j'ai rendu grâce; mais "Dieu Sauve", qu'est ce que cela veut dire?

Et puis il y a eu la naissance. Pour vous, c'est Dieu qui prend chair, qui s'incarne, mais moi c'était mon premier: personne pour m'aider, parce que - péché originel ou pas péché originel - un bébé il faut bien qu'il passe, qu'il sorte; et en cela j'ai été comme toutes les femmes.  Heureusement qu'auparavant la petite voix en moi m'avait aussi annoncé que ma cousine Elisabeth, ma cousine "la stérile", allait avoir un enfant, et que j'avais été là lors de la naissance; parce que cela m'a permis de savoir que faire. Curieusement la naissance de Jésus a été très différente de celle de son cousin Jean. Il n'y a eu que très peu de sang, la naissance a été rapide; et il m'a semblé qu'à la fin de cette naissance quelque chose se remettait en place dans mon dedans: comme si une porte s'était ouverte pour permettre la naissance, et se refermait. Mais c'est une impression?

Et puis il y a eu cette menace du roi Hérode, et il a fallu fuir loin de tout; attendre, attendre, pour revenir à la maison. J'ai dû me montrer forte pour que mon bébé ne se rende compte de rien; mais partir comme cela, être exilé, c'est affreux. Je me suis dit que peut-être le Seigneur voulait que son fils comprenne dans son corps ce que cela fait de partir en exil, parce que comme cela il comprendrait mieux plus tard ce qu'avaient vécu les Hébreux. 

Vous le savez, Luc, avec qui j'ai beaucoup parlé, raconte ce qui s'est passé dans le Temple  quand nous sommes allés présenter notre bébé et offrir ce qu'il fallait pour "son rachat". Je dois dire que c'est quand même un peu fou: c'est lui qui s'est donné en rachat pour que tous les hommes puissent avoir en eux l'amour du Tout Puissant, et il a fallu le racheter Lui ! Il y a eu cet homme âgé, qui a pris mon tout petit dans ses bras, et j'ai vu qu'il y avait entre eux deux un échange de regards, comme si le tout petit communiquait avec le tout ancien. Et ce que l'ancien m'a dit, c'est comme si mon tout petit me le disait par avance, qu'un glaive de douleur transpercerait mon cœur, parce que mon fils ne serait pas accepté, qu'il serait rejeté et que pour que le dessein de Dieu se réalise, il fallait qu'il y ait de la mort.

Il y a eu aussi cette première montée au Temple. Vous appelez cela "Perdu et retrouvé", et souvent vous vous dites que si ça avait été votre fils vous auriez été très en colère. Moi, j'étais surtout très angoissée: trois jours pour le retrouver, trois jours où je me demandais s'il n'avait pas été enlevé, parce que les brigands ça existe. Finalement, le retrouver dans le Temple ça a été un soulagement. Je savais bien que sa vraie maison, c'était là où on parlait et où on priait son Père; je ne savais pas si j'avais envie de rire ou de pleurer. Mais en moi, ça me disait que cette première fois serait suivie de beaucoup d'autres.

Et des beaucoup d'autres, il y en a eu. Vous, vous considérez que c'est normal, que c'est comme cela que la bonne nouvelle devait être annoncée; Oui, d'un côté j'étais heureuse parce qu'il guérissait les malades, il chassait les esprits mauvais, il montrait que le Royaume était là: était en train de se construire. Et il y avait autour de lui des hommes sûrs, comme ce brave Simon qui était pêcheur à Capharnaüm, mais il y en avait d'autres comme ce Judas qui ne me plaisaient pas.  Et au fond de moi, malgré tout, malgré ma confiance, il y avait une crainte, crainte qu'il ne soit trahi, crainte qui finisse comme ces messies qui ont été mis à mort au cours des dernières années.

Alors oui il y a mon sourire, mais derrière mon sourire, si vous regardez bien, il y a un autre regard, un regard qui est aussi un regard de souffrance, un regard qui ne juge pas, un regard qui contient peut-être toute la tristesse du monde. Et c'est bien parce que cette souffrance, cette tristesse, je l'ai vécue, que je suis aujourd'hui votre mère à tous. N'oubliez pas que derrière ce sourire que vous mettez sur mes lèvres il y a mon regard, un regard qui comprend vos souffrances, vos douleurs, parce que les ai vécues, malgré les grâces qui m'ont été données.

 On m'appelle souvent la nouvelle Eve, mais Eve d'après ce que disent nos livres était dans un jardin d'où le mal était absent. Alors que moi, j'ai toujours vécu dans un monde dans lequel le mal était là; et voulait empêcher la Lumière qu'est mon Fils de luire, et de réveiller le monde.