jeudi, février 23, 2017

Notre coeur n'était -il pas tout brûlant? Luc 24, 32

« Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au dedans de nous quand il nous parlait en chemin, et nous expliquait les écritures »


C’était le premier jour de la semaine, avec cette fête de la Pâque qui était tombée en même temps que le jour du Sabbat. La Pâque, c’est la  fête de notre libération, c’est une fête de joie. Mais pas pour nous cette année. Nous, je veux dire moi et Cléophas. Nous sommes dans la tristesse. Jusqu’au dernier moment nous avions cru, nous avions espéré que notre Maître, Jésus de Nazareth, descendrait de sa croix, et prouverait à nos grands prêtres qu’il était bien le Messie; et qu’il rendrait enfin sa liberté à notre peuple, comme Moïse l’avait fait autrefois. Mais non, il est mort sur cette croix et il a rendu son souffle. Son corps était dans un triste état, et c’est cette image là qui nous hante : un homme qui ne tient que par les clous, un homme qui saigne, un homme qui a le visage abîmé par les coups et par cette affreuse couronne d’épines que les soldats lui ont enfoncé sur la tête.
                                
Nous marchons pour rentrer chez nous, après des jours et des jours d’absence, car nous étions tout le temps avec lui, depuis qu’il avait annoncé que le Royaume de Dieu était là. Il paraît que les femmes qui étaient parties ce matin pour embaumer son corps ont trouvé le tombeau vide, et que soit-disant des anges leur seraient apparus pour dire qu’il était ressuscité; mais ça, c’est bien les bonnes femmes. Elles veulent tellement que ce soit vrai qu’elles racontent n’importe quoi. Il paraît que Pierre a vu aussi que le tombeau était vide, mais peut-être que quelqu'un est venu prendre le corps de Jésus pendant la nuit, nous ne savons pas. Sauf que nous l'avons vu mort. 

Et puis il y a un type qui est arrivé à notre hauteur, et qui s’est mêlé à notre conversation. C’était un peu bizarre, mais il avait une bonne tête. Il nous a demandé pourquoi nous faisions une tête pareille, alors que c’était un jour de joie. Alors nous lui avons expliqué que, deux jours avant, il y avait eu une mise à mort, et que celui qui avait été tué c’était pour nous un homme pas comme les autres, un homme en qui nous avions confiance, un homme qui aurait pu donner à notre nation la gloire qu’elle a perdu depuis des siècles.

Là il a eu une drôle de phrase, un peu comme si nous étions des idiots, des demeurés. Demeurés, oui nous l’étions certainement, parce que contrairement à lui, nous n’avions jamais pensé que les écritures expliquaient tout ce que Jésus avait vécu et pourquoi il fallait qu’il perde la vie pour la retrouver et pour sauver les hommes de leurs péchés, pour refaire alliance avec Dieu. Il nous a dit que nous étions des hommes sans intelligence. On n'a pas tellement aimé, mais s'il le disait c'est qu'il devait avoir ses raisons. 

Il connaissait tout ça par cœur lui, mais nous, nous nous sommes rendus compte que beaucoup de psaumes parlaient de lui, que même la phrase qu’il avait dite juste avant de mourir - "entre tes mains je remets mon esprit" - était la phrase qu’il devait prononcer. Et puis il nous a cité le prophète Isaïe, et il nous a aussi parlé de Jérémie dans sa citerne; il a parlé, parlé et le temps a passé, la nuit était sur le point de tomber et nous étions arrivés chez nous.

Il voulait continuer sa route, mais il ne nous a pas dit où il voulait se rendre; alors nous lui avons demandé de rester avec nous, de partager notre repas. Il faut dire que nous nous sentions tellement bien avec lui, et que tout prenait du sens.

Quand le repas a été prêt, il a prononcé la bénédiction, et là il nous a semblé que cette voix nous était familière; puis il a rompu le pain, et là, je ne sais comment le dire, mais nos yeux ont vu, en cet homme qui avait fait route avec nous, l'homme en qui nous avions mis notre foi, que nous avions suivi sur les routes, en Galilée et en Judée! C’était lui, il était bien redevenu vivant! Nous comprenions enfin ce qu’il avait voulu dire quand il disait qu’il allait ressusciter d'entre les morts.

Seulement au moment où nous avons compris que Jésus était bien vivant, il s'est passé quelque chose que je pourrais qualifier de fou. Lui qui avait été avec nous, lui qui marché avec nous, il n'était plus là. Il avait disparu. Nous n'étions plus que tous les deux. Mais nous savions que nous n'étions pas fous, que nous n'avions pas eu la berlue,  parce que notre coeur en nous continuait à brûler, et notre joie était parfaite. Il n'était plus là et pourtant Il était là.

Alors là, sans nous concerter, nous sommes repartis vers Jérusalem. Nous ne pouvions pas garder cela pour nous. Notre joie, nous devions la partager, cela ne pouvait plus attendre et le bonheur qui était dans notre cœur, il fallait le raconter, le transmettre. Et nous sommes partis….


Je voudrais, dans ce petit billet, essayer d’expliquer un peu ce texte est né en moi, comment parfois cela travaille en moi pour que ce travail d'écriture mais aussi de transmission devienne possible.

D’une manière générale, je me donne au moins une heure chaque matin pour, en essayant de pratiquer la « Prière du cœur »(1), me donner du temps.. Ce peut-être réfléchir sur l’évangile du jour, sur une lettre que je dois écrire, sur ce que j’ai envie de dire à quelqu’un, sur ma compréhension d’une situation. Là il s’agissait de présenter la fin du dernier chapitre de l’évangile de Luc,.

Et je me disais que le ou les pivots de ce chapitre étaient d’une part les apôtres , car c’est toujours vers eux que l’on revient, et d’autre part l’ouverture de l’intelligence des écritures, intelligence donnée par Jésus. Je me suis demandée pourquoi il n’avait pas fait cette relecture plus tôt avec ses apôtres, mais il fallait certainement que les disciples soient dans cet état de deuil pour que cela prenne sens pour eux. Ils attendaient un messie glorieux, pas le serviteur souffrant du chapitre 53 d’Isaïe , et comme le fait remarquer Luc : ils ne comprenaient pas ce que voulait dire « ressusciter des morts » et ils n’osaient pas lui poser de questions.

Puis, je me suis raconté la rencontre avec les disciples qui reviennent de Jérusalem à Emmaüs. Jésus, la dernière vision qu’ils ont de lui, c’est celle d’un mort et d’un mort bien abîmé si l’on en croit les autres évangiles. D’un homme dépouillé de ses vêtements, d’un homme troué. Alors, qu’ils ne le reconnaissent pas, pour moi c’est plus que normal. Les trous des clous seront montrés aux apôtres, mais là, il est bien évident que cet homme qu’ils rencontrent est un homme quelconque.

Ce qui a fait image en moi, ce sont ces quelques mots : « cœur tout brûlant au dedans de nous ». Quand un mot ou une courte phrase s’inscrit en moi, je sais que je dois la laisser faire son chemin, même si cela doit prendre plusieurs jours.

Je me disais, en lisant cette phrase, que ce que ces hommes décrivent, ce cœur que l’on ressent en soi tout brûlant, cela renvoie à une religion qui s’incarne dans le corps. Le ressenti existe, il traduit quelque chose de la relation, il a peut-être du mal à se mettre en mot, mais il est présent. Qu’on le veuille ou non la religion de Jésus est une religion qui s’enracine dans le corps. Lui s’est enraciné dans le cœur/corps de Marie, il a laissé son corps et son sang en nourriture, et la conversion de Paul se passe dans le corps. Et pourtant quand on dit ressentir du « physique » en soi, quand on prie,  cela a mauvaise presse… Et pourtant  si ces hommes n’avaient pas ressenti cela, seraient-ils revenus en pleine nuit à Jérusalem ? La conversion passe par le corps..

Moi, ce quelque chose je l’ai ressenti lors d’un stage de prière du cœur. Une chaleur s’est répandue en moi, et cette chaleur était bonne, elle était douce, elle était présente, signe d’une présence. Alors je me dis que notre religion est une religion qui s’est incarnée en un homme et qu’il est normal qu’elle prenne aussi corps en nous, quelle que soit la manière, car comme le dit Julienne de Norwich, la courtoisie du Seigneur fait qu’il s’adresse à chacun comme celui ci peut le vivre et le supporter. Alors, ne pas bouder les sensations quand elles viennent. Bien sûr on peut les faire contrôler (en parler) mais aussi faire confiance à cette sensation qui est une sensation transformante. Si elle n’a pas cette dimension de transformation, alors il faut se poser des questions.

Ce qui est venu ensuite, c’est cet adjectif « brûlant », qui renvoie à ces serpents à la morsure « brûlante » dont il est question dans le livre des Nombres. Or, dans l’évangile de Jean, Jésus fait référence à sa manière à cet épisode: "Quand le Fils aura été élevé", (et quand les hommes le contempleront), alors ils seront attirés à lui.. Il sera comme un aimant.

Les disciples étaient mordus par la blessure du doute, par la blessure du deuil, par la blessure de la perte, et cela brûlait en eux, et rien ne pouvait les consoler. Et Jésus, en prenant du temps avec eux, en les écoutant, en marchant à leur rythme, transforme par sa présence cette brûlure de mort en autre chose : un cœur qui se sent aimé et qui aime. Ils ressentent en eux que leur blessure s’est transformée en blessure d’amour envers cet homme qui vient de disparaître à leurs yeux, mais qui reste dans leur cœur.

C’est à ce moment là que quelque chose en moi se met en place pour écrire… Et c’est ce qui est en tête de ce billet.

(1) Seigneur Jésus, Christ  fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur; à dire sur l'inspire et l'expire. 


samedi, février 18, 2017

C comme croix. Marc 8, 35


Marc 8,35 : « En ce temps là, jésus fit venir la foule avec ses disciples et il leur dit : si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive. ».

Il semble donc quand on lit ce verset que la condition ou plutôt les conditions pour suivre Jésus sont de se renoncer à soi-même (se renier dans d’autres traductions), et de porter sa croix. Ces deux choses étant faites, alors on pourra suivre Jésus. Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est difficile. Renoncer à soi-même peut s’entendre comme ne pas se laisser conduire par son ego, mais ce n’est pas simple. Cependant cela est cohérent avec la suite du texte: celui qui veut gagner sa vie (faire de lui le centre du monde) la perdra.   

Mais mon questionnement a été, du moins dans un premier temps, de me demander ce que du temps de Jésus, la foule et les disciples mettaient sous le mot croix. Quand dans les paragraphes précédents Jésus (Mc 8 , 31) commence à expliquer à ses apôtres ce qui va se passer pour lui dans le futur, il parle de mort, mais pas de la croix. La croix était un supplice, réservé que malfaiteurs. Dans notre culture, nous avons eu longtemps la potence qui avait le même rôle. Ne dit-on pas  de certaines personnes qu’elles sont des gibiers de potence ? Alors est ce que la croix est un équivalent de la potence ? Porter sa croix, c’est porter son péché, mais c’est aussi porter sa mort. Porter sa croix est-ce que cela pourrait vouloir dire que si on se reconnait comme pécheur, alors on sera sauvé (délivré d'une certaine mort).

Est ce que suivre Jésus, c’est se reconnaître "gibier de potence" (même si ce n’est pas très valorisant et si c’est même très violent pour son petit ego-narcissisme-)? Est ce que c'est comprendre que si on fait cela, alors on peut le suivre et devenir un vivant? 

J'ai toujours fait un parallèle  entre « prendre sa croix » qui est actif (et il ne s’agit que de la sienne propre, ce qui est important), et les guérisons des deux paralytiques où Jésus leur dit de « prendre leur civière », c’est à dire le lieu où ils ont vécu ils ont été étendus, et qui ne le sert plus à rien. C’est comme une manifestation de leur résurrection : eux qui étaient couchés sont désormais des hommes debout, des marcheurs, comme Jésus qui est lui même un sacré marcheur. Alors prendre sa croix, cela pourrait être quelque chose comme prendre avec nous, pour les montrer aux autres, ces lieux où nous sommes un peu morts. Au lieu de rester couchés sur eux, de faire comme un avec eux, pouvoir se dire que le fils de l’homme nous met debout, qu'Il fait de nous des vivants avec Lui.  Et même si ce qui  fait mal est encore présent, l'esclavage de ce mal est terminé.

En d’autres termes porter sa croix ce pourrait être : afficher à la face du monde que l’on a été  un condamné à mort, que l'on a été un un malade, et que l'on est guéri. 

Mais, si je reste fidèle à moi-même, je n’aime pas trop la contrition (passer son temps à se sentir incapable de faire du bon)?  Pour moi, il y a de l’actif à porter cette croix, quelle qu’elle soit. Alors les épreuves qui nous tombent dessus, ces trucs qui nous font mal, que nous n’avons pas choisi, il est de notre pouvoir (avec l’Esprit Saint) d’en faire autre chose, de ne pas nous laisser écraser par elles, de les transmuter en vie. Mais cela, c’est bien parce que par cette croix Jésus a pu donner l’Esprit à tous les hommes que cette transmutation est possible. 

La croix est un espace qui nous est donné pour que quelque chose mue en nous, pour qu’une peau tombe et pour que ce que nous sommes apparaisse peu à peu.  Muer ce n’est pas facile, on est très fragile pendant ce temps là, surtout quand la mue atteint les yeux. Mais pour moi suivre Jésus c’est cela. Accepter de laisser tomber sa peau, c’est renoncer à soi-même, c’est prendre ce temps de souffrance comme un temps de renaissance et c’est faire confiance en la Vie donnée par le Vivant. 


Ou pour le dire autrement: deux manières de "prendre ou de porter sa croix".

     En premier, il y a la dimension se reconnaître pécheur. Suivre Jésus, c’est se reconnaître gibier de potence (même si ce n’est pas très valorisant et si c’est même très violent pour son petit ego-narcissisme-) mais c’est savoir que le suivre, rester avec lui, près de lui, donne la vie. En d’autres termes porter sa croix ce pourrait être : afficher à la face du monde que l’on est un condamné à mort, qu’on est un méchant, un mauvais, mais que suivre Jésus permet d’être sauvé de sortir de cette condition.

Alors porter sa croix, est ce que cela pourrait vouloir dire  que je  reconnais que je m’occupe plus de moi que des mes frères, que je reconnais que je ne mérite (enfin je n’aime pas ce mot), pas de vivre, mais que si je décide de marcher derrière toi, à ta suite, alors je serais dans la vie. Cette manière de voir serait assez cohérente avec la finale de l’évangile de Luc, qui est centrée sur la conversion qui conduit au pardon des péchés. Lc 24,47 47 « et on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem ».

     Et en deuxième, et c’est l’important pour moi, il y a porter sa croix, comme un chemin de transformation. Cela veut dire qu'on ne prend pas cela comme une punition, mais comme une manière de changer son regard sur soi et sur l'autre. Je ne dis pas que c'est facile, car la douleur, la souffrance l'injustice sont réelles, mais avec la force de l'Esprit un changement de regard est toujours possible et permet de ne pas tomber dans l'amertume ou la rumination.