mardi, avril 25, 2017

Voir le Royaume, entrer dans le Royaume: Jn 3, 3-5

À moins de naître d’en haut on ne peut voir le Royaume. Jn 3 , 3
À moins d’être né de l’eau et de l’esprit, on ne peut entrer dans le Royaume. Jn 3, 5

Le début du chapitre 3  de l’évangile de Jean, l’entretien avec Nicodème, mentionne deux fois le mot royaume. C’est Jésus qui prend l’initiative d’employer ce mot qui est un mot pratiquement inconnu dans cet évangile. On ne le retrouve que lors de l’interrogatoire avec Pilate Jn 18, 36 : « si mon royaume était de ce monde », mais souvent ce mot royaume est remplacé par royauté. Dans l’évangile de Matthieu, ce même mot est employé 48 fois…

Si on reprend un peu ce qui s’est passé avant, Jean nous montre un Jésus qui a reçu le baptême de Jean, qui a changé l’eau en vin à Cana, qui est allé à Jérusalem et qui y demeure et qui a chassé les vendeurs du Temple. Il semble bien que ce jeune prophète qui parle bien, mais qui parle haut et fort, pose question à Nicodème qui voudrait « comprendre » de quoi parle cet homme et s’il ne serait pas celui que l’on attend, le libérateur. Seulement on ne peut pas dire que Jésus remplisse les critères et si Nicodème va lui-même chez  Jésus de nuit (la peur des autres, de ne plus être considéré comme un « bon » pharisien, ou la peur de devoir changer sa manière de croire et de pratiquer la loi, la peur d’être vu avec Jésus), c’est bien parce qu’il se pose des questions sur qui est ce jeune homme, qui a tant d’assurance alors qu’il n’a même pas quarante ans, et qui est quand même très respectueux de la Torah puisqu’il vient au Temple pour y prier comme cela est demandé par la Loi et qui est rempli d'une colère qui est peut-être aussi celle de Nicodème quand il voit le trafic qui se fait dans le Temple.

Le verset 3 est en partie censé répondre à la salutation de Nicodème, qui est venu voir Jésus (c’est lui qui s’est déplacé) et le reconnaît comme un Rabbi (enseignant de la Torah) venant de la part de Dieu, et accomplissant des signes qui prouvent que Dieu est avec lui. Ce verset « Amen Amen je te le dis (ce qui est une affirmation solennelle) à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu », est quand même désarçonnant.

il est difficile de savoir si Jésus parle de lui, où s’il répond au désir profond de Nicodème (et à notre désir) de voir le Royaume. Manifestement Nicodème, prend les choses pour lui, parce que s'il prend le risque d’aller voir Jésus, c’est qu’il y a son désir à Lui en découvrant qui est Jésus de découvrir ce qui l’habite cet homme et de devenir son disciple. Mais est-ce si simple quand on est un notable? 

Alors la phase traduit peut-être un certain désespoir. Comment naître d’en haut, comment renaître ? On ne peut pas revenir dans le ventre de sa mère, alors c’est impensable, en tous les cas pour lui. C’est un peu comme s’il disait à Jésus, que c’est fou ce que ce dernier propose. Peut-être que Lui Jésus est né d’en haut (et c’est ce que Jésus fera comprendre par la suite), mais lui, le pauvre Nicodème, comment va t il s’y prendre, alors qu’il sent bien que cet homme là, est possédé par quelque chose, qui est radicalement différent et qu’il aimerait tant avoir, avoir pour « voir », pour contempler, pour être un peu comme Isaïe ou ces prophètes qui ont vu et contemplé la Gloire de  Dieu.

Le verset 5 complète la première affirmation, mais il ne s’agit plus de voir, mais d’entrer : «  Amen Amen je te le dis, personne à moins d’être né de l’Eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu »  

Jésus, lors du baptême de Jean, est si l’on peut dire né de l’eau et de l’Esprit. L’esprit, le souffle, est don de Dieu. On ne peut pas se donner ce souffle tout seul. Il est donné par un autre, et cet autre c’est Jésus qui le donnera mais bien plus tard, sauf que dans le présent de Nicodème, la parole en tant que telle, la parole qui est souffle est déjà transformante.

Entrer dans le royaume nécessite donc une transformation. Pour entrer dans le royaume, la loi ne suffit pas ou ne suffit plus. Quand Jésus affirme «  le vent souffle où il veut, tu entends sa voix mais tu ne sais pas d’où il vient et il va » peut-être parle t il de lui, qui est celui qui donne le souffle, mais aussi de nous : nous entendons sa voix, et entendre la voix transforme, même si la « connaissance » du phénomène qui crée le vent, nous ne l’avons pas.

Ce désir de voir le royaume, d’entrer dans le royaume, je pense qu’il est le notre, en tous les cas le mien. Ce que dit Jésus dans la suite du texte, c’est ce qu’il développera tout au long de cet évangile, c’est qu’il est celui qui est. C'est la foi en lui, qui en changeant un peu le cœur profond, permet aussi de changer son regard, et de passer de l’obéissance à l’amour (de passer du faire à l’être) et obtenir la vie éternelle.

Parce que le royaume c’est peut-être cela ; non pas vivre éternellement, juste pour ne pas être plus fort que la mort, mais vivre dans ce présent et dans cet ailleurs qui est la brise légère de la présence hors de soi et en soi de Dieu.


vendredi, avril 21, 2017

"Il se jeta à l'eau" Jn 21, 7

"Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre: c'est le Seigneur. Quand Pierre eut entendu que c'était le Seigneur, il passa un vêtement car il n'avait rien sur lui, et il se jeta à l'eau.Les autres disciples arrivèrent en barque, trainant le filet plein de poisson, la terre n'était qu'à une centaine de mètres".

Avec mon esprit terre à terre, ce petit texte m'a toujours posé problème. Pierre qui normalement ne sait pas nager (cf l'épisode où il sort de la barque pour marcher avec Jésus sur les eaux), saute dans l'eau. Certes cela va bien avec son caractère en tout ou rien, mais pour quelqu'un qui ne sait pas nager, dans un lac où le fond est profond, c'est quasiment suicidaire. Cela pourrait se comprendre à la rigueur pour quelques mètres mais pas d'une centaine. Pierre risque sa vie ni plus ni moins et parfois se jeter à l'eau ou se jeter dans l'eau c'est vouloir se tuer. Cela renvoie toujours à un risque. Maintenant que la voix de Jésus porte aussi loin, je veux bien, mais je suis un peu dubitative. 10 ou 20 mètres oui, 100, cela fait quand même beaucoup.

Quant au vêtement, c'est aussi curieux. Car nager avec un vêtement (j'en ai fait l'expérience) ce n'est pas facile. Cela alourdit, ne facilite pas les mouvements et entraîne vers le fond. Et puis, je me dis que les nuits sont quand même fraiches en Galilée, alors pourquoi "pas de vêtements", pourquoi "tout nu"?

Traditionnellement les baptisés reçoivent un vêtement à leur sortie du passage dans l'eau? Là c'est l'inverse: Pierre n'a pas de vêtement, il est dans sa barque, il a semble t il ôté son vêtement. Il est tout nu, un peu comme un bébé qui vient de naître. Il est peut-être fragile, mais il  met totalement sa confiance dans cet homme qui est sur la berge et qui lui a tendu jadis la main quand les vagues menaçaient de l'avaler. Mt 14, 28-31). La référence à ce texte est d'ailleurs interessante. Pierre met en quelque sorte Jésus à l'épreuve: si c'est bien toi, dis moi de venir jusqu'à toi. Là, Pierre se jette à l'eau tout seul, même s'il doit en mourir pour aller vers celui qui l'attend sur le rivage. Alors peut-être qu'il remet-il son vêtement pour reprendre le geste d'Elie sur l'Horeb quand ce dernier reconnait la présence de son Dieu dans la brise légère qui suit la tempête et le tremblement de terre? Je dois dire que cette hypothèse me plairait assez. Pierre sait que son Seigneur est là, un Seigneur différent même s'il leur parle amicalement, alors en quelque sorte il manifeste son respect.


Alors qu'est ce que l'évangéliste veut nous faire comprendre?

Ne s'agit-il pas du baptême de Simon, fils de Yonas, pour qu'il devienne Pierre (puisque c'est comme cela que Jésus le nomme dans la suite de cet épisode avant de lui confier la charge de faire paître ses brebis)?

Pierre a revêtu son vêtement, il a traversé l'eau (où il aurait pu trouver la mort), car il sait que de l'autre côté se trouve le vivant, celui qui a vaincu la mort, celui qui donne la vie. Je pense que Pierre (que Jésus appelle Simon dans la suite de cet évangile) fait à sa manière, en se jetant à l'eau, l'expérience que font tous les baptisés, tous ceux qui passent par les eaux pour aller vers la vie. Il fait lui aussi une expérience de mort et de résurrection.

Peut-être que nous aussi, quand quelqu'un nous dit que le Seigneur est de l'autre côté, en train de préparer un repas pour nous, cela vaut la peine de se jeter à l'eau et d'y aller, même si on a peu peur...





samedi, avril 15, 2017

Marie-Madeleine et le jardinier: Jn19-20


Après la mort de Jésus, l’évangéliste Jean écrit : Jn 19 41 A l’endroit où Jésus avait été crucifié il y avait un jardin, et dans ce jardin un tombeau tout neuf où jamais personne n’avait été déposé. 42 En raison de la fête juive de la Préparation, et comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.

Si on lit ce texte, on apprend juste qu’il y a un jardin, encore un autre puisqu’il y avait déjà le jardin où Jésus a été arrêté; et dans ce jardin un tombeau tout neuf. Mais personne ne sait ni ne nous dit à qui il appartient. Comme la fête de Pâques est proche, il semble donc que Joseph et Nicodème posent ce corps, somme tout bien encombrant, dans ce tombeau qui leur ouvre les bras; tombeau qui appartient certainement à quelqu’un, et à quelqu’un de riche, puisqu’il ne s’agit pas d’un trou dans la terre. On peut imaginer que cela s’est fait dans la hâte, et que même s’ils ont pris avec eux un linceul et des aromates, ils n’ont pas été aussi soigneux qu’une femme aurait pu l’être. On a vraiment l'impression que ce tombeau qui se trouve là sur leur chemin est vraiment un cadeau de Dieu.. Ils peuvent faire leur devoir, et donner pour le moment un lieu décent à ce corps abîmé. 

Puisque ce tombeau est dans un jardin, et qu’il a peut-être été utilisé sans consulter son propriétaire, on comprend beaucoup mieux ce qui se ensuite au chapitre 20: Marie-Madeleine entre dans le jardin, va vers l’endroit où elle sait que le corps a été déposé: pour s’en occuper, pour le faire « beau ». Mais le corps n’est plus là; après avoir averti Pierre et Jean, elle y retourne, avec peut-être le secret espoir que le corps est revenu, et là, malgré les hommes vêtus de blanc qui lui parlent et qu’elle entend à peine, c’est la panique.

Qui a pris le corps de celui qu’elle aime, corps somme toute déposé dans un lieu qui n’est pas le lieu où il doit être déposé, pour le mettre ailleurs ? Alors, quand apparaît un homme qui pour elle est certainement plus le "gardien du jardin" qu’un "jardinier" au sens où nous pouvons l’entendre, il est certain pour elle que ce homme a fait le ménage : il a pris le corps qui occupait une place qui ne lui appartenait pas, il l’a mis ailleurs; et là, Marie, n’écoutant que son courage, se propose, elle une femme, d’aller prendre ce corps grand et lourd pour s’en occuper. Le gardien a peut-être fait son travail de gardien, mais elle, elle veut faire son travail de femme, elle veut rendre sa dignité à ce corps.

En arrière plan de ce récit, on peut penser à un autre jardin: ce jardin d'Eden où l’être humain doit justement être le jardinier; et dont il a été exclu par le maitre du jardin, celui qui s’y promène à la brise du jour (ou du soir), celui qui a crée ce jardin et qui y a mis l’ arbre de la vie et l’ arbre de la connaissance.

Et Marie, quand elle reconnaît ce jardinier, qui est à la fois le nouvel Adam (dira Paul), et le Maître du jardin (Dieu), accède à la fois à l’arbre de la vie, car la mort a été vaincue, et à l'arbre de la connaissance: car en Lui elle voit certes « son Rabouni », mais surtout, au-delà de l’homme, elle voit celui qui est le Fils; celui est redevenu le Vivant, et le Tout Autre.


mercredi, avril 12, 2017

Jn 13, 21: bouleversé ou troublé (en esprit).

Jn 13, 21 « Ayant dit cela ; Jésus fut troublé intérieurement ».

La traduction liturgique emploie le mot « bouleversé » qui est peut-être plus fort que « troublé » employé par la B.J ou la TOB. Pourtant la notion de trouble renvoie à quelque chose de soudain, non prévu, qui vient perturber  le calme, un peu comme une pierre qui en tombant dans de l’eau pure, crée à la fois des rides mais aussi altère la pureté de l’eau s’il y a de la boue dans le fond.

En lisant l'évangile proposé par la liturgie, dans un premier temps, ce mot  « bouleversé » m’a travaillée et je me disais que je l’avais entendu il y a peu. Et effectivement on le trouve en Jean 11, lors de la résurrection de Lazare. Quand Jésus rencontre Marie en pleurs, entourée de ses amis qui pleurent aussi, le texte dit : Jn 11, 33 : « quand il la vit se lamenter, elle et les judéens qui l’accompagnaient, Jésus frémit intérieurement et il se troubla ». Nous qui connaissons le récit, nous savons que si Jésus a attendu la mort de son ami pour venir à Béthanie, c’est qu’il fallait que Lazare soit mort et enterré pour que la résurrection puisse avoir lieu.

 Mais pourquoi Jésus est-il bouleversé ? Certes les pleurs de ses amis, la mort de son ami peuvent y être pour quelque chose, mais il va devoir prendre une décision à la vue de tous les judéens qui sont proches du Temple, décision qui va conforter les grands-prêtres à prendre de véritables mesures pour le mettre à mort. Il y a de quoi être bouleversé quand on sait que la décision que l’on prend, même si elle est conforme au dessein de Dieu, va vous conduire à la mort, car Jésus qui pleure avec ceux qui pleurent est bien un homme et sa propre mort peut l’effrayer. Alors ce bouleversement est en quelque sorte lié à la mort de Lazare, mais aussi à la sienne. Et on peut aussi penser que pour Jésus, il peut y avoir une tentation importante : ressusciter Lazare c’est se condamner lui-même à mort; ne pas le faire, en rester à la résurrection telle que la décrit Marthe, serait tellement plus simple. Alors ce bouleversement intérieur qui est rapporté peut à la fois renvoyer à la sensibilité de Jésus mais aussi à ce choix qu’il doit faire.

Je pense que pour le second passage où ce mot est employé, il en va de même. Jésus peut-être certes bouleversé par ce qui se passe et va se passer  mais aussi par le choix qu’il doit poser et qu'il y a en lui un combat, une tentation si je puis dire.

Dans les synoptiques, lors de la tentation au désert après le Baptême, il est question du diable qui s’en va, mais qui va revenir. Et dans ces moments qui précèdent ce que nous appelons la Passion, le diable est présent pour Judas, mais aussi pour Jésus.

Si on reprend le chapitre 13 dès le début, quand Jésus affirme être Maitre et Seigneur et quand il demande à ses disciples de l’imiter, il leur rappelle que le serviteur n’est pas plus grand que le maître ni l’envoyé plus grand que celui qui l’envoie.

ll est possible que ce soit là un message pour Judas qui est celui qui « en mangeant le pain avec lui,  a levé contre lui le talon ». Si Judas indique aux prêtres le lieu où Jésus se cache pour qu’ils puissent l’arrêter (mais il est possible que pour Judas l’arrestation ne soit pas la mise à mort) c’est que son regard sur Jésus a changé. Il le considère peut-être encore comme un maître puisqu’il l’appellera Rabbi au moment de l’arrestation, mais sûrement plus comme le Seigneur. Peut-être que Jésus dit à sa manière à Judas, que s’il le livre (mais il fallait bien que quelqu’un le fasse) il risque lui aussi de perdre sa vie, car le serviteur n’est pas plus grand que le maître. Et si Judas s’ôte la vie, c’est peut-être bien parce qu’il croit avoir perdu, avec l’arrestation de Jésus, la vie qui était en lui.

Maintenant envoyer Judas faire ce qu’il devait faire, c’est bien aussi pour Jésus, comme cela s’était passé devant la sépulture de Lazare, accepter de ne pas reculer, être confronté en un instant avec tout ce qui doit lui advenir. Et il y a de quoi être bouleversé.

Pour en revenir à ce mot qui a fait écho en moi, que ce soit troublé ou bouleversé, il me semble que Jésus a une clairvoyance totale de ce qui va lui arriver, et que l’homme qui est en lui, le serviteur, qui a pourtant désiré cette heure, ressent une certaine peur, ce qui est plus que rassurant pour nous. Quand Jésus ressent ce trouble ou ce bouleversement, c’est qu’il est confronté à ce qu’il doit choisir. Il peut ressentir la tentation de ne pas faire, mais il choisit librement (et c’est ce qui va être développé dans les chapitres suivants) et montre ainsi ce que veut dire pour lui « aimer ».