lundi, juin 18, 2018

Oeil pour oeil... Mt 5, 38


"Vous avez appris qu'il vous a  été dit: œil pour œil et dent pour dent. Et moi je vous dis de ne pas risposter au méchant". 

En pensant à ce texte ce matin et à  tout ce qui a pu être écrit sur la gifle (montrer un autre profil, ce qui arrête peut-être l'autre dans son geste), l'analyse de la gestuelle (si je montre mon côté gauche, l'autre qui utilise sa main droite va ne plus pouvoir continuer son geste),  je me suis dit que ce texte on l'écoute sans broncher, mais qu'il faut peut-être y passer un peu plus de temps. je veux dire  réfléchir aux exemples donnés par Jésus et surtout ne pas accepter cette coupure dans le texte, coupure proposée par la liturgie, mais ne pas s'arrêter au verset 42,  et aller jusqu'à la fin de ce chapitre qui se termine par "soyez parfaits comme votre père céleste est parfait" . On peut aussi se souvenir que dans la Bible, seul Dieu donne le pardon, seul Dieu venge, et Dieu ne reçoit pas le méchant chez lui. Si dans les psaumes on remplace méchant par impie, on apprend beaucoup de choses sur la manière dont Dieu se comporte envers ceux qui ne le respectent pas.

Par ailleurs cette loi du talion, qui est une loi ancienne puisqu'elle figure dans le code d'Hamourabi, n'est pas une loi individuelle. Si quelqu'un me fait du tort, cela va devant un tribunal et c'est lui qui fait la justice. Il est certain que cela permet de mettre un terme à la violence  telle qu'elle est décrite dans le début de la Genèse par Lamek un des fils de Caïn qui clame: Gn 323  "Lamek dit à ses femmes : « Ada et Silla, entendez ma voix, épouses de Lamek, écoutez ma parole : Pour une blessure, j’ai tué un homme ; pour une meurtrissure, un enfant. 24 Caïn sera vengé sept fois, et Lamek, soixante-dix-sept fois ! ". Là on est dans le vendetta, dans une violence sans fin. La loi du Talion permet de mettre en principe fin cela. Mais ce n'est pas moi forcément qui décide ce qui va devenir à celui qui m'a blessée ou volée ou...

Maintenant dans la Bible, qui est le méchant? Le méchant renvoie à quelqu'un qui est coupable de crime, mais surtout qui est hostile à Dieu (et c'est peut-être pour cela que si le mot méchant apparaît peu dans les psaumes, le mot impie lui est très présent et envoie à celui qui ne tient pas compte de Dieu dans sa vie, qui ne respecte pas sa loi, qui vit selon "son bon plaisir à lui" et qui est un violent. le "méchant" c'est celui qui a tort, qui est coupable, qui mérite la mort, qui commet le péché..Alors que se passe-t-il quand on est en butte à un tel personnage?  

Que veut dire ne pas riposter? En d'autres termes que se passe-t-il si un méchant vient m'attaquer, car le mot attaquer renvoie à un combat, au désir d'un autre de me tuer au final..Et  le méchant c'est quand  même l'ennemi, celui qui se croit tout permis, qui ne respecte pas la Loi donnée par le Seigneur.

Si on reprend les exemples donnés par Jésus, on a, me semble t il, trois exemples qui permettent de sortir de la passivité. Au lieu de subir, on prend l'initiative d'autre chose. Là où veut nous prendre notre honneur, nous saigner au quatre veines, nous rabaisser en nous rappelant que nous sommes un peuple occupé, nous relevons la tête et nous prenons l'initiative et ce faisant, nous montrons que le Dieu en lequel nous croyons fait de nous des personnes qui ne cèdent pas au désir de vengeance.

Je reprends les trois exemples donnés par Jésus, la gifle, la tunique, la marche obligatoire.  

     - On a beaucoup écrit sur la gifle, sur le fait que tendre l'autre joue c'est changer de profil, c'est montrer à l'autre qu'on n'est pas ce qu'il croit, c'est interrompre son geste. Je veux bien, mais jésus giflé la nuit de son procès n'a pas tendu l'autre joue. Il a mis des mots. Il ne s'agit pas seulement de ne pas rendre, il s'agit de prendre l'initiative d'un autre comportement qui nous rend notre dignité, qui nous fait sortir passivité et du subir. Seulement je doute que ce soit toujours possible. Mais c'est un chemin.

     - On a ensuite celui qui veut dépouiller, voler, prendre (mettre sur la paille). La tunique c'est une chose, et on peut penser à la tunique de Joseph et à celle de Jésus, qui suscitent une certaine envie.  Prendre la tunique de quelqu'un dans un cadre juridique, cela peut vouloir dire soit que j'ai (ou quelque qu'un de chez moi) a abimé la tunique de l'autre, soit que ma tunique va être prise en gage. Alors donner mon manteau, c'est tout perdre (on n'a pas le droit de prendre le manteau du pauvre sans le rendre pour la nuit). Le manteau c'est l'identité. Ce que  dit Jésus, c'est qu'il faut prendre l'initiative d'aller au delà de ce que l'autre demande, aller au delà de la loi du talion Peut-être que cela peut désarmer, je ne sais pas, mais ce que nous dit Jésus c'est qu'il vaut mieux se dépouiller soi-même que d'être dépouillé. Et là, il sait de quoi il parle parce que cela va lui arriver. Alors peut-être est-ce une attitude prophétique, cette capacité à ne pas plus rien avoir pour tout avoir: celui qui veut sauver sa vie la perdra. Mais cela permet aussi de sortir de la colère contre celui qui veut vous dépouiller injustement. Il ne me prend rien, c'est moi qui lui donne tout.

     -Etre réquisitionné, cela rappelle que la Palestine est un pays occupé. Simon de Cyrène sera réquisitionné pour aider Jésus à porter sa croix. Cela renvoie à l'humiliation. Là accepter de faire 2000 pas, qui est je crois la distance autorisée pendant le Sabbat, montre que quelque part, un peu comme pour la gifle on n'est plus passif, mais actif.

Mais ce que dit Jésus ensuite, dans les versets qui suivent c'est que l'important c'est de sortir de la logique de la haine. J'ai lu un très beau commentaire d'un rabbin sur le fait qu'il est demandé aux hébreux, moment de la sortie d'Egypte de ne pas haïr l'Egyptien. Le commentaire qui en est fait, dit que si je sors du pays, mais si je garde en moi la haine de l'Egyptien, alors j'emporte l'Egypte avec moi, en moi et que je continue à être esclave. Que seule ne pas haïr permet d'être libre. 

Je pense alors que ce que veut nous apprendre Jésus, c'est comment être libre, comment être libéré, et cela c'est bien autre chose que ne pas risposter. C'est sortir de la haine, c'est regarder l'autre autrement, c'est apprendre à devenir frères.

dimanche, juin 10, 2018

"Mais si quelqu'un blasphème contre l'Esprit Saint..." Mc 3, 29

" Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. Et Jésus parla ainsi parce que qu'ils avaient dit: "Il est possédé par un esprit impur". Mc 3, 29-30

Cela fait presque une semaine que cette phrase, ou plutôt que ces deux phrases de l'évangile de Marc, me taraudent. La phrase du début se trouve aussi dans les autres synoptiques, mais aux chapitres 12, alors que dans Marc on est au chapitre 3: et déjà les pharisiens et les hérodiens ont décidé de faire disparaitre cet homme qui fait des guérisons le jour du sabbat. La vie publique de Jésus commence et tout le monde se ligue contre lui, que ce soit sa famille qui pense qu'il est fou, qu'il a perdu la tête, et maintenant les scribes qui eux déclarent qu'il est possédé par un esprit impur. Et compte tenu de leur autorité (ils viennent de Jérusalem), ils tuent aussi Jésus à leur manière. 

Dans les évangiles de Luc et de Matthieu, la phrase qui concerne le péché contre l'Esprit est consécutive à deux miracles un peu différents: l'un concerne un homme muet (Mt 12,22-24), l'autre un homme muet et aveugle (Lc 11,14). Alors que chez Marc, il y a eu dans le début du chapitre 3 la guérison de l'homme à la main atrophiée suivie de beaucoup de guérisons et d'expulsions d'esprits qui disent de Jésus qu'il est le fils de Dieu; et c'est peut-être bien cela qui met le feu aux poudres dans le petit groupe bien fermé qui réside à Jérusalem, le groupe de ceux qui savent, qui connaissent, et qui ne veulent pas perdre leur pouvoir par cet étrange type, qui vit en Galilée, terre remplie de païens, et qui n'a pas fait d'études lui donnant la moindre autorité.

Il est intéressant de trouver dans cet extrait une sorte d'écriture en sandwich. D'abord on parle de la famille qui est en route pour se saisir de lui, puis on se centre sur les scribes qui eux sont sur place, sur la réponse de Jésus et sur cette petite parabole, et la phrase si difficile à comprendre, puis on revient à la famille qui est arrivée  et se voit supplantée par l'autre famille de Jésus, ceux qui font la volonté de son Père et qui ainsi deviennent "sa mère, son frère ou sa soeur" ce qui est quand même une vraie bonne nouvelle. 

En ce qui concerne la famille, on peut dire que Jésus prend de la distance par rapport à sa parentèle, en la remplaçant par ceux qui écoutent sa parole. Avec les savants, qui disent que c'est par Béelzéboul le chef des démons qu'il réussit à chasser les démons, il y a la réponse logique: tout royaume divisé contre lui même va à sa perte, puis la petite parabole qui fait comprendre que s'il guérit c'est qu'il a d'abord "lié celui qui ligotait les autres", et enfin cette phrase si difficile, qui est finalement aussi brutale que celle adressée à sa famille: pour eux pas de pardon, car ce n'est pas contre Jésus qu'ils ont blasphémé mais contre l'Esprit saint. Et Marc d'ajouter: il dit cela parce qu'ils avaient dit qu'Il était possédé par un esprit impur. 

Curieusement cet adjectif impur s'est associé pour moi à la vision de Pierre dans les Actes des Apôtres (chapitre 11), où Dieu lui demande de ne pas considérer impur ce que lui, Dieu, considère comme pur, ce qui lui indique aussi que désormais, tous les hommes, les juifs et les autres, sont considérés comme pouvant être sauvés - ceci étant le fruit de la mort et de la résurrection de jésus. Pierre a du mal à accepter ce qui lui est dit, parce que cela l'oblige à changer toute sa vision du monde extérieur, mais il se met en marche, et ce sera l'effusion de l'Esprit sur la maison de Corneille qui sera pour lui le signe que ces notions de pur et d'impur doivent être, grâce à la force de l'Esprit, complètement repensées. Comme on le dit parfois dans les homélies, Pierre se laisse déplacer, même si c'est difficile pour lui, si on se réfère avec ce qu'écrit Paul dans la lettre aux Galates (Ga2, 11) où il reproche à Pierre de ne plus partager le repas des incirconcis.

Les scribes font l'inverse: ils considèrent comme possédé par l'esprit d'impureté celui qui est rempli d'Esprit de Sainteté. Ils ne comprennent pas que désormais celui qui a touché un lépreux n'est pas devenu impur: parce que l'impur a été purifié.  Ils refusent d'ouvrir les yeux. 

Et c'est pour cela qu'ils n'obtiendront pas le pardon.

Les scribes voient aussi ce que fait Jésus (dans les autres synoptiques il s'agit de la guérison, soit d'un homme muet Lc11,14 soit d'un homme aveugle et muet Mt 12,21); ils refusent de comprendre ce qui se passe, car cela leur ôte leur pouvoir. On peut même dire qu'ils refusent de comprendre que les muets et les aveugles ce sont eux. 

Ils pourraient ouvrir la bouche pour louer leur Dieu d'avoir donné son Esprit comme il l'avait donné jadis à David, mais ils se servent de leur bouche en fait pour maudire, pour traiter Jésus de lépreux, de suppôt de Satan. Ils pourraient ouvrir les yeux et voir aussi la joie de tous ceux qui sont délivrés mais ils le refusent, et en cela ils sont proches des pharisiens auxquels Jésus dira: "Vous dites nous voyons, votre péché demeure" (Jn 9,41). 

Ce qui ne permet pas le pardon, c'est qu'ils refusent de voir, ils refusent d'entendre, ils refusent d'ouvrir la bouche, pour proclamer que l'homme qui est là est l'envoyé, celui que l'on attendait, celui qui est rempli d'Esprit Saint. En quelque sorte la Trinité est sous leurs yeux, mais parce que cela ne correspond pas à ce qu'ils pensent savoir de Dieu, alors ils refusent, ils attaquent et ils se ferment à l'amour. 

Dire de Jésus qu'il est possédé par un esprit impur, c'est le discréditer, le disqualifier aux yeux de ceux qui sont là. 

Et en psychologie, quand on disqualifie quelqu'un, c'est qu'on ne le reconnaît plus comme un égal, mais qu'on veut le faire taire, le tuer, le mettre à mort. 

Quand quelqu'un choisit de fonctionner de cette manière, il est dans la perversion, il se fait celui qui sait - le maitre de la loi; et son désir est un désir de mort. Et c'est peut-être cela qui est impardonnable : ne pas reconnaître en Jésus celui qui donne la vie.

En d'autres termes on pourrait dire que lorsqu'on pense que Jésus est possédé par un Esprit Impur, et que cela on le transmet cela aux autres, sous couvert d'autorité, alors on défigure complétement qui est Jésus, et on ne permet aux autres d'entrer dans le dessin de Dieu; de "comprendre avec tous les saints, tous les fidèles quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur… et  connaître ce qui dépasse toute connaissance : l’amour du Christ. …" (Ep 4,18); on les empêche d'accéder à celui qui donne la vie en sachant ce que l'on fait. Et cela ne peut être pardonné.

mardi, juin 05, 2018

"Et ils étaient remplis d'étonnement à son sujet "Mc 12,17.

Et ils étaient remplis d'étonnement à son sujet Mc 12,17.

Quand on arrive au chapitre 12 de Marc, on est bien près de la fin de l'histoire de Jésus. Cette phrase qui clôt l'histoire du piège tendu par les hérodiens, celle de l'impôt qu'il faudrait verser ou ne pas verser à César, a résonné en moi ce matin. Je veux dire qu'elle est devenue la phrase qui résumait tout ce passage. 

Mais elle a aussi évoqué ce qui se passe au début de l'évangile de Luc, Lc 2, 46-47: "assis au milieu des docteurs de la Loi : il les écoutait et leur posait des questions,47 et tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses".

La phrase est certes un peu différente, parce que là, en théorie c'est Jésus qui pose des questions. Mais on peut bien imaginer que dans ce type de discussion typiquement rabbinique, questions et réponses s'entremêlent. Et ces rabbis, devaient bien être étonnés par ce jeune garçon sorti de Galilée, qui veut s'instruire mais qui peut-être les instruit eux aussi. Et peut-être ont ils été encore plus étonnés s'ils ont entendu la réponse faite à sa mère: "ne saviez vous pas qu'il me faut être chez mon Père".  

Si je reviens au chapitre 12 de Marc, qui est consacré finalement à des joutes oratoires, mais qui peuvent conduire à la mort, puisque c'est cela dont rêvent les prêtres (Mc 11, 18 après que Jésus ait chassé les marchands du Temple), l'étonnement est en soi un bon sentiment. 

Peut-être que l'étonnement ouvre des portes? Qui est-il celui là? D'où lui vient cette capacité à ne pas tomber dans les pièges, à savoir que c'est une épreuve que nous lui avons tendue bref, qui est-il vraiment cet homme qui vient de dire aux prêtres que même si la patience de Dieu semble sans limites, ne pas le reconnaître comme le Fils, comme l'Unique envoyé,  va provoquer une catastrophe, puisque la vigne sera donnée à d'autres? 

Jésus les désarçonne donc ces Hérodiens. Il est dans une autre logique. Il ne leur fait pas de mal non plus. Il ne rentre pas dans leur jeu, mais ne pas rentrer dans le jeu de qui que ce soit, c'est bien ce que fait Jésus fait depuis qu'il est entré dans ce que nous appelons sa vie publique. Il étonne… 

Il étonne parce qu'il guérit un lépreux  en le touchant, il étonne parce qu'il donne à manger à une foule, il étonne parce qu'il se laisse toucher par une femme, il étonne parce qu'il redonne la vie à un jeune homme, il étonne par ce qu'il dit, il étonne par ce qu'il fait, il étonne par ce qu'il est. 

Alors au lieu de partir dans des considérations sur ce qu'il faut faire de nos deniers, je me suis demandée si l'important n'était pas de se laisser étonner par Jésus, étonner par ce qu'il a fait, par ce qu'il a dit, par son relèvement des morts, par l'envoi de l'esprit. 

Juste de laisser étonner par Lui, et lui demander de continuer à nous étonner tous les jours de notre vie. C'est peut-être tout simplement cela redevenir comme un petit enfant.