jeudi, juillet 26, 2018

Réflexions sur le chapitre 10 de Matthieu

Mt 10,28 "Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps". 

Cette phrase m'a toujours interrogée, car quel est celui qui a le pouvoir de faire périr dans la géhenne l'âme aussi bien que le corps? Cette phrase je l'ai interprétée dans un sens psychologique, http://giboulee.blogspot.com/2012/12/reflexions-pas-encore-assez.html, en réfléchissant sur la question du mal, car les personnes qui ont été la proie du mal dans leur enfance, bien souvent semblent (et cela est très lié à la structure psychologique induite par ce "malheur") avoir bien du mal à vivre et non pas à survivre (ce qu'elles disent toutes). 

Est-ce qu'il s'agit de Dieu lors d'un jugement, ou bien est-ce qu'il est question du diable (le Mal), qui peut corrompre tellement l'âme qu'au moment de la mort, l'être humain ne pourra pas vivre dans le royaume? 

Il m'a paru intéressant, de reprendre l'ensemble de ce chapitre 10 de l'évangile de Matthieu, pour remettre la phrase dans son contexte.  

Au début de ce chapitre, on voit que Jésus, après avoir choisi ceux qui vont le représenter, donne à ses douze "envoyés "des pouvoirs qui sont les siens, du moins en partie: expulser les démons, et guérir toute maladie et toute infirmité. Il ne leur a pas donné le pouvoir de pardonner, mais de guérir et de délivrer. 

Vient ensuite une liste de recommandation qui s'adresse certes aux apôtres: "aller vers les brebis perdues de la maison d'Israël" (terme qui renvoie certainement au livre d'Ezéchiel Ez 34, c'est à dire ces personnes qui ne savent plus où aller, qui ont perdu leurs repères, faute de berger), mais aussi à nous aujourd'hui.

 Il s'agit peut-être simplement, là où nous sommes, dans nos communautés, d'aller vers ceux qui sont perdus ou qui se sentent perdus (encore qu'il faut réfléchir à ce que l'on met sous ce mot). Que Jésus leur demande de ne pas entrer dans les villes des nations païennes et chez les samaritains paraît un peu étonnant, (surtout depuis que le pape François parle des périphéries), mais il y a ce risque dénoncé dans le premier testament de "se faire avoir" par les faux dieux, et peut-être qu'à ce moment là Jésus veut protéger ses apôtres de certains risques. Et peut-être que parfois c'est aussi un risque pour nous.

Puis les pouvoirs des apôtres sont en quelque sorte étendus, et cela est bon de à entendre: ils doivent guérir, ressusciter, purifier, expulser (je ne garde volontairement que les verbes). Et cela permet de comprendre que le royaume de Dieu est là, qu'il est tout proche. 

Une fois munis de ce viatique, ils peuvent se mettre en route, mais tels qu'ils sont: pas de provisions, car ils doivent apprendre à faire confiance à ceux qui vont les recevoir, et aussi à faire confiance - cela sera dit à la fin du chapitre - à l'Esprit Saint, qui leur enseignera à la fois ce qu'il faut dire pour annoncer la Bonne Nouvelle, et pour se défendre le jour où la persécution arrivera.

Arrivent alors ces recommandations qui peuvent faire un peu peur à celui qui se veut missionnaire: être comme des brebis au milieu des loups, être malgré tout prudents comme des serpents et candides (simples) comme des colombes, risquer les coups, les arrestations, la mise à mort. Et c'est là qu'apparaît la phrase qui est pour moi un questionnement depuis fort longtemps -  "Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l'âme, mais craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l'âme aussi bien que le corps" - qui, dans le cas d'une église en train de se construire, a tout son sens. 

L'évangile de Matthieu étant, comme tous les évangiles, une catéchèse qui s'adresse entre autres aux juifs qui ont reconnu que Jésus est l'envoyé, le messie, le sauveur, le Fils du Très Haut, veut - en reprenant des phrases que Jésus a peut-être employées - leur dire que si on les met à mort parce qu'ils refusent de renier celui en qui ils ont mis leur foi, c'est leur corps qui sera mort, mais leur âme restera vivante quoiqu'il arrive. Mais s'ils cèdent à des propos pernicieux, s'ils abandonnent leur foi, alors ils risquent de se retrouver corps et âme dans ce lieu de tourment que l'on appelle la Géhenne. La mort de l'âme dans ce contexte, c'est de renier Dieu, mais c'est aussi se renier soi-même, renier ce en quoi on a mis sa foi, son espérance, sa manière de vivre. C'est perdre ce noyau qui permettait de se sentir existant, mais qui permettait aussi d'exister pour et avec le Tout Autre. Ce que dit, je crois, Jésus, c'est que l'être humain ne peut tuer que le corps de celui qui croit, mais que si celui qui a cru, sous la contrainte est mis à mort et en même temps perd la foi, alors il se retrouvera, par le jugement de Dieu, exclu du royaume.

La question qui se pose pour moi est bien celle de la mort de l'âme, de tuer l'âme comme le dit le texte. Bien sûr, on peut répondre en terme de péché (voir tout ce qui a pu être écrit sur les péchés dits "mortels"). Et on pourrait se lancer dans toute une réflexion sur l'homme qui s'est détourné de Dieu (qui est devenu l'esclave du Péché, du mal, du tentateur, de Satan) et auquel Jésus par sa mort et sa résurrection redonne vie en le libérant de ce qui l'aliénait et lui ouvre les yeux du cœur. 

J'ai pour ma part rencontré beaucoup de personnes qui, violées ou maltraitées dans leur enfance, vivent avec en elles une partie d'elles qui a été mise à mort un jour de leur vie. Toutes disent: "j'aurais préféré mourir, pourquoi est ce qu'il ne m'a pas tuée". Et elles vivent avec une partie d'elle qui est morte, car la vie s'est arrêtée ce jour-là; sans parler de la douleur somatique et des conséquences psychiques comme la dissociation. 

Et cette partie bien souvent continue à les entraîner vers la mort, comme si le mal voulait les garder captives; pour moi, ce vécu est peut-être aussi une mort de l'âme. Par ailleurs beaucoup d'entre elles vivent, dans la réalité quotidienne, un véritable enfer sur terre, car elles s'estiment responsables de ce qui leur est arrivé. SI dans si l'enfance on vit quelque chose de terrible c'est que l'on a commis quelque chose de terrible et que l'on doit le payer. Je connais quelqu'un qui disait: "Je suis sûre que j'irai en en enfer parce que si j'ai vécu ce que j'ai vécu, c'est que j'ai dû faire quelque chose que Dieu ne peut pas pardonner".

Pour le dire autrement, ce que je pense c'est que ces personnes qui ont été confrontées au mal avec un M majuscule, quand elles essayent de s'en sortir, sont souvent confrontées à une espèce de force qui les pousse vers le bas. Même des personnes qui croient en Christ ont des pulsions suicidaires massives, dès qu'elles se sentent un tant soi peu abandonnées ou rejetées, comme si le suicide restait la seule issue face à la souffrance (et ce n'est pas moi qui leur jetterai la pierre); ce qu'elles veulent en fait ce n'est pas mourir, c'est arrêter de souffrir ou de vivre une vie qui au regard social n'en n'est pas une.

Seulement voilà, ces personnes, du moins celles que j'ai la chance de connaître, ont en elles une capacité d'amour incroyable. On peut dire que c'est parce qu'elles ont besoin (enfin) d'être aimées qu'elles sont serviables, gentilles, prévenantes. Mais avec ce qu'elles ont vécu, on pourrait s'attendre à l'inverse. Et même si parfois elles aiment d'une manière un peu possessive, et font des erreurs (mais qui n'en fait pas) parce qu'elles veulent éviter à ceux qu'elles aiment les mêmes déboires que ceux qui leur ont été infligés, elles aiment. 

Et celui qui aime, même s'il fait des erreurs, même s'il lui faut apprendre à aimer peut-être autrement, celui là n'a pas perdu son âme et il est plus fort, parce qu'il n'a pas étouffé l'esprit qui est en lui et qui le pousse à aimer. Et même si un jour il cède à la force de la souffrance, je suis sûre qu'il n'ira pas dans la Géhenne. Celui qui ira dans la Géhenne, ce sera celui qui a scandalisé au sens fort cet enfant qui est devenu un adulte, qui a joué avec lui pour en faire son objet, qui a essayé de s'emparer de son coeur et de son âme. Si je dis cela, c'est bien aussi parce que je crois que même si Dieu est Amour, Dieu est aussi Justice et que je crois en sa justice. 

Mais pour ces personnes qui si souvent vivent dans la honte et la culpabilité, je crois qu'au soir de leur vie, ces personnes qui ont pourtant été sevrées d'amour, et qui savent aimer, c'est sur cet amour qu'elles seront "jugées". 

A nous de leur montrer que leur cœur est un cœur de chair et non un cœur de pierre et peut-être de leur permettre de découvrir que ce germe d'amour qu'elles ont su faire fructifier, est le germe d'une autre présence en elles, celle de Celui dont le cœur est malade d'amour pour l'humanité. 

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