lundi, décembre 30, 2019

"Lève toi, prends l'enfant et sa mère et rends-toi en Egypte" Mt 2,13

La fuite en Égypte

En lisant ce récit de ce que l'on appelle la fuite en Egypte, j'ai été frappée par les verbes utilisés par l'Ange, car de fait ce sont les mêmes que ceux que Jésus utilisera pour un certain nombre de guérisons: se lever, prendre et aller vers. Pour le paralytique de Capharnaüm, c'est se lever, prendre son grabat et marcher (se mettre en route). Parfois, ce sera, se lever, prendre sa croix et suivre. Parfois encore ce sera, prendre, manger et faire mémoire. Et c'est aussi ce qui a été demandé à Abraham, Gn 12. 

Alors si Matthieu dans son évangile nous montre que c'est comme cela que l'Ange du Seigneur (le Seigneur) s'adresse parfois aux hommes, c'est qu'il veut aussi nous montrer que c'est comme cela que Jésus, dans nos aujourd'huis, s'adresse à nous: se lever, prendre (sa croix, ses richesses, sa famille), et aller là où nous n'avions peut-être pas envie d'aller: sur ce chemin que nous avons à découvrir et qui n'est pas un chemin d'exil, mais le chemin vers celui qui est le chemin, la vérité et la vie.


Joseph raconte

Quand les sages sont venus chez nous, à Bethléem, ils nous ont apporté de l'or, de l'encens, et de la myrrhe. Je ne savais pas trop que faire avec ces présents; mais aujourd'hui, alors que nous sommes en route vers l'Egypte, je suis bien content d'avoir avec nous ces trésors qui vont nous permettre de vivre. 

Il faut dire que nous avons quitté notre maison en catastrophe. Les étrangers nous avaient dit qu'ils avaient eu un songe leur disant de ne pas retourner à Jérusalem pour voir Hérode, et ils étaient partis sans se faire remarquer. Et j'étais très inquiet, car Hérode est un roi méchant et cruel, capable de tout pour garder le pouvoir; s'il se sent menacé par mon fils, il est bien capable de le tuer, et nous avec. Je n'arrivais pas à vraiment me reposer, je me sentais dans un état de trouble, un peu comme lorsque Marie était venue me parler de cet enfant qu'elle attendait et qui n'était  pas le mien. Et comme cette fois là, j'ai entendu  une voix, très ferme qui me disait de partir immédiatement; car le danger était là. Alors je me suis levé, j'ai réveillé ma femme et mon fils, j'ai pris les trésors, j'ai pris mon âne et nous sommes partis vers Alexandrie, en Egypte, car là j'ai de la famille.

Je crois que j'ai alors compris ce que notre père Abraham avait pu ressentir lorsqu'il a entendu l'appel du Seigneur à quitter son pays, le lieu où ses pères avaient vécu, et de partir, de tout laisser. Je sais qu'il est parti avec ses richesses, et moi je n'ai rien que cet enfant, ma femme et les dons des étrangers. Je suis devenu un exilé, nous sommes devenus des exilés; mais obéir aux ordres du Très-Haut, c'est le plus important.

Nous avons appris à vivre autrement durant ces mois passés en exil, mais nous avons été accueillis, entourés, et j'ai même pu m'installer; nous commencions à nous y trouver bien. Puis, j'ai appris qu'Hérode était mort. J'avais aussi appris que ce roi sanguinaire avait mis à mort tous les enfants de l'âge de mon fils, tellement il avait peur de perdre sa couronne, comme si mon fils avait l'intention de la lui prendre. Je me disais qu'il serait peut-être possible de rentrer chez nous. J'en parlais avec Marie mais elle ne savait pas trop. 

Et un songe est advenu.. A nouveau cette présence d'un être tout autre, qui me donnait l'ordre de rentrer chez moi. Et là, je me disais que mon fils, il était un peu comme Moïse, qui après son exil à Madian était revenu vers son peuple pour le faire sortir de l'esclavage, pour lui redonner sa liberté, pour en faire un peuple. Car mon fils, il ne sera pas un roi, pas comme Hérode pouvait le croire, mais il sera celui qui donnera la vraie liberté, celle qui affranchit du péché. 

Et j'ai obéi, nous sommes rentrés, étape après étape. Mais nous ne sommes pas revenus à Bethléem, nous sommes allés en Galilée, à Nazareth, dans cette petite ville, proche d'une ville grecque, ce qui allait me permettre de trouver du travail, et de faire vivre ma famille dans l'honneur. 

vendredi, décembre 27, 2019

Jn 20,8: "Il vit et il crut"


Octave de Noël. Jean l'évangéliste.

L'évangile proposé est le début du chapitre 20. Mais le verset proposé comme verset 2 est, de fait, un mixte des deux premiers versets, ce qui m'énerve un peu. Le verset 1 dit que Marie-Madeleine voit que la pierre a été enlevée, et le verset 2 qu'elle annonce à Pierre et à Jean que le corps a été enlevé, ce qui montre sa panique. Un corps sans sépulture, c'est l'horreur. Et pourtant il n'y a que ce signe de la pierre enlevée.

On sait aussi qu'elle s'est levée très tôt, avant le lever du soleil, et qu'on ne voit pas grand chose. D'ailleurs si Jean note que ce sont les ténèbres, ce n'est pas pour rien. On peut être aussi dans les ténèbres quand le deuil vous tombe dessus, quand le désespoir vous assaille... Psychologiquement, elle est sûrement au fond du trou, Marie de Magdala. Et du coup on ne voit que le négatif.

Elle voit simplement que la pierre a été enlevée. Là on ne dit pas roulée, on dit enlevée. Et pour elle, c'est la panique. Un corps, ça ne bouge pas, ça reste où on l'a posé, un peu comme un bébé que l'on dépose dans son berceau et qui ne peut pas se sauver. Elle était venue pour tout mettre en ordre, pour le faire beau, le corps de celui qu'elle aime, et ce corps il a sûrement été volé, jeté quelque part. Et c'est la panique. C'est l'équivalent d'un rapt, on lui a volé son bébé. Il était dans son berceau (tombeau), il ne pouvait bouger, d'autant qu'il était lié par les bandelettes. Et outre ce corps perdu, il y a aussi la perte totale de la maîtrise (on venait pour s'occuper de lui, et là on est désemparé): nous ne savons pas où on l'a déposé. 

De plus, quand même, ce tombeau dans ce jardin, il a été pris au hasard, même si on dit que c'est celui de Joseph. Du coup, on peut penser que les propriétaires sont venus: ils ont enlevé ce corps qui n'est pas à eux, ils l'ont mis ailleurs, mais où? Et là, il est perdu. C'est comme si elle revivait, elle, l'épisode de Jésus perdu et retrouvé au Temple. Il doit être quelque part, on sait où; et voilà qu'il fausse compagnie, et on le perd, on ne peut plus mettre la main sur lui. Mais qui serait venu en pleine nuit, dans ce drôle de jardin rempli de tombes, pendant la fête de la Pâque, pour visiter un tombeau neuf? Trop invraisemblable, n'empêche que sa peur est bien réelle; on l'a enlevé. 

Et pourtant, est-ce que Jésus (j'utilise une traduction ancienne de Jn 10,17-18) n'a pas dit que sa vie "il la déposerait, parce qu'il a le pouvoir de la déposer et de la reprendre"? Et n'est ce pas ce qui se dévoile là? Mais les yeux ne sont pas ouverts. Il faudra le son de la voix de l'Aimé pour que les yeux s'ouvrent.

Alors pour le moment, elle court, elle court pour alerter les deux qu'elle considère peut-être comme des piliers. Et aux aussi se mettent à courir, pour dire que la vie reprend. 
Et tout se centre alors sur les deux hommes qui viennent, pour voir si Jésus demeure encore dans ce lieu. Et on a l'impression que cette course vers ce lieu répond à ce qui s'est passé autrefois sur les bords du Jourdain quand deux disciples de Jean demandent à Jésus où il habite, et que ce dernier leur répond simplement venez et voyez. Là, ils viennent et ils vont voir...

Ils voient qu'il y a des linges, mais que lui, oui, il n'y est plus. Il est certainement dans cette "demeure" dont il leur a tant parlé et où il doit leur préparer une place. Du moins c'est ce que Jean pourra croire dans un premier temps, avant de croire pleinement en la résurrection.

C'est un peu ce cheminement que j'ai voulu rendre en écrivant ce petit texte.


Le disciple que Jésus aimait raconte:

Les deux jours qui viennent de se passer ont été les pires de ma vie. Dans la nuit qui précédait la Pâque, il a a été arrêté, il a été battu, il a été interrogé, il a été condamné à cette mort d'esclave, cette mort sur la croix. Dans l'après-midi, au moment où les agneaux étaient immolés dans le Temple, il a rendu l'Esprit. Il m'a confié sa mère. Je l'ai prise chez moi. Pierre aussi est venu. Il faut dire que Pierre, il n'est vraiment pas bien. Pierre il pleure, pleure. Et il y a de quoi. Simplement chez moi, il est en sécurité. Il faut dire que blesser le serviteur du grand-prêtre ce n'était pas très malin, mais c'est Pierre... Et faire ensuite par trois fois comme s'il n'avait jamais vu le Maître de toute sa vie, il fallait le faire. Mais qui suis-je pour le juger, mais qui ai mes entrées un peu partout dans Jérusalem?

Tout ça pour dire qu'on a du mal à dormir. Et quand Marie de Magdala est venue toquer à notre porte, avant même que les dernières étoiles ne soient parties, je me suis demandé ce qui se passait. Elle nous a dit qu'on avait enlevé le corps… enlevé le corps: en fait, quand elle est arrivée au tombeau, elle a vu que la pierre qui bloquait l'entrée avait été enlevée, et elle a eu peur. Peur que les propriétaires légitimes du tombeau soient venus, aient enlevé la pierre et le corps, et aient jeté le corps quelque part dans le jardin; et qu'il pourrait être la proie des oiseaux et des chiens errants. Alors on est parti le plus vite possible, en ne disant rien à Marie, la mère de Jésus; ce n'est pas la peine de rajouter à sa douleur.

Quand nous sommes arrivés près du jardin qui jouxte le Golgotha, l'impatience nous a saisis et nous nous sommes mis à courir. Il valait mieux ne pas courir dans Jérusalem à cause des soldats romains qui sont toujours soupçonneux. Mais en dehors de la ville c'est plus facile, même si ça grimpe. Je suis arrivé un peu avant Pierre. J'ai bien vu que la pierre avait été enlevée; je me suis penché et j'ai vu sur le sol les linges: bien pliés, comme s'ils n'avaient pas servi. Et comme Pierre est arrivé, un peu essoufflé, juste après, je l'ai laissé entrer. On ne peut pas dire qu'on voie grand chose, mais il a vu, comme moi je l'ai vu ensuite: le linceul et les bandelettes, pliés, sur le sol; et le suaire sur la pierre qui avait supporté son corps, à la place de la tête. J'ai vu cela.

Ça ne sentait pas la mort dans ce tombeau, ça ne sentait pas les aromates, ça ne sentait pas la nuit, ça sentait lui, ça sentait lui vivant: mais ça c'est ce que moi j'ai senti. Et j'ai cru. J'ai compris qu'il n'avait pas été enlevé, qu'il n'avait pas été volé; qu'il était ailleurs, qu'il était dans la vie de son Père, comme il l'avait dit.

Nous sommes rentrés, Pierre perplexe, ne sachant que penser. Moi, rempli d'une sorte de joie. Marie nous accueillis. Elle ne pleurait plus, elle semblait heureuse; mais elle ne nous a rien dit. Je me demande si elle n'a pas vu son fils, mais pour le moment, je ne pose pas de questions. 
S'il veut se manifester, il le fera. Je sais qu'un jour il a dit que personne ne lui volait sa vie- ni son corps! Que sa vie, il la donnait, mais qu'il avait le pouvoir de la reprendre. Et je crois que c'est ce qui s'est passé.

mardi, décembre 17, 2019

"Et qui est-il Seigneur, pour que je croie en Lui?" Jn 9,36

Le chapitre 9 de l'évangile de Jean raconte la guérison d'un aveugle-né, mais l'astuce du rédacteur est de ne pas dire tout de suite que cette guérison, comme celle du paralysé de la piscine aux cinq portiques (Jn 5), a lieu un jour de Sabbat. 

Et ce non respect de la loi fait de Jésus, pour les juifs respectueux de la Torah, un pécheur; l'ouverture des yeux ne peut se faire en eux, et conduit à des désirs de meurtres. "La lumière est venue dans le monde, et le monde ne l'a pas reconnue". 

Ce chapitre exprime, on peut dire concrètement, ce combat: dans ces dialogues entre l'homme guéri et les instances savantes. 

C'est un chapitre que j'aime beaucoup. J'ai donc laissé l'aveugle-né parler, mais aussi exprimer sa tristesse devant ce bloc de résistance à ce qui pourtant pouvait "crever les yeux..."

L'aveugle-né raconte:

"Je n'ai pas le droit de rentrer dans le Temple et cela me tue. Au lieu de prier le Seigneur, de pouvoir offrir des sacrifices, de participer aux fêtes, je suis là, dehors, à tendre la main, à espérer que ceux qui vont passer pour célébrer la fête de la Dédicace voudront bien me regarder, moi, l'aveugle. 

Beaucoup me considèrent comme un pécheur, et s'imaginent même que, comme le dit le psaume, dès le ventre de ma mère j'étais pécheur. Mais moi je ne comprends pas un pareil jugement. Qu'est ce que j'ai fait de mal, qu'est ce que l'ai pu faire pour déplaire à notre Dieu, Béni Soit-il, qu'est ce que mes parents ont pu faire, pour que moi je sois comme puni? Et pourtant le prophète Ezéchiel avait dit que la faute des parents ne seraient plus reportée sur les enfants. 

Je suis là, dehors, je sais que le Temple est illuminé, et comme nous sommes en hiver, j'ai froid, je suis seul, je suis triste. 

Comme je suis aveugle, mes autres sens sont très développés. Et je sais reconnaître le pas des personnes qui passent, je sens quand ils ralentissent pour me donner une piécette, et je connais le son des voix.  
Il faut aussi dire que je ne suis pas comme Tobit, qui avait une membrane sur les yeux qui l'empêchait de voir; moi, je sais que j'ai un regard: je veux dire que mes yeux sont là, mais que la pupille ne bouge pas, et que mon regard est fixe; et c'est comme cela depuis toujours, puisque je suis aveugle de naissance: mais quand on me regarde, on ne comprend pas toujours pourquoi je suis assis là, avec ma sébile.

Et là, je me rends compte que quelqu'un est en train de ralentir son pas: peut-être qu'il va s'arrêter et me donner une petite pièce. Souvent, avec ce que je reçois, je demande à mes parents de mettre un peu d'argent pour moi dans la salle du trésor, mais pour cela, il faut que je reçoive beaucoup de petites pièces.
Ce quelqu'un, il n'est pas tout seul. J'entends des hommes qui l'appellent Rabbi, et qui lui demandent si ma cécité est la conséquence du péché. J'avais entendu parler d'un Jésus, qui est considéré par beaucoup comme un Rabbi; et qui a fait des choses étonnantes comme de guérir un paralytique. Peut-être que c'est lui, peut-être qu'il va me guérir. Mais ouvrir les yeux d'un aveugle-né cela ne s'est jamais fait.

Là je peux dire que je suis attentif à ce qu'il va répondre. Et sa réponse dépasse toutes mes espérances; il a dit que ni moi ni mes parents nous n'avons péché, mais que ma cécité est là pour que se manifeste la Gloire de Dieu. Bon ça je ne comprends pas. Puis il ajoute qu'il est la lumière du monde. Et moi je sais qu'en ce moment le Temple est tout illuminé et j'avais tellement envie de voir cette lumière dans la nuit, dans ma nuit. 

Le pas s'est arrêté, je suis dans l'attente. Je ne sais pas ce qu'il fait, mais il ne me donne rien, il ne dit rien. J'entends le bruit de quelqu'un qui crache. Qu'est ce qu'il fabrique. Et j'ai une sensation bizarre, il me touche les paupières, et sur les paupières il applique quelque chose, cela me fait penser à de la boue, et la boue c'est ce qui a servi au Tout Puissant à créer notre père Adam. Et voilà qu'il me dit d'aller me laver à la piscine de Siloé. Là j'entends le son de sa voix, mais qui est-il cet homme qui me demande de faire quelque chose? 

Alors je me suis levé, et je suis parti. 

Très vite quelqu'un est venu m'aider, parce que marcher dans la foule ce n'est pas aisé, et que Siloé, ce n'est pas si près. Et il y avait cette boue qui séchait, qui craquelait, un peu comme si elle était en train de cuire. Nous sommes arrivés à la fontaine de Gihon, cette fontaine alimentée par la source, et je me suis lavé les yeux. Et elle coulait sur mon visage cette boue, et j'ai trempé mon visage dans la fontaine et quand je me suis frotté les yeux, j'ai vu! Oui j'ai vu! J'étais devenu un voyant, je voyais l'eau qui coulait, les traces de boue sur mes mains, et le ciel, et les arbres, et le soleil! Tout cela m'était donné! Et cet homme qui m'avait guéri, ce Jésus, qu'est ce que j'aurais donné pour le retrouver!

Seulement ma guérison n'est pas passée inaperçue... Surtout que c'était un jour de Sabbat, et que normalement c'est le jour du repos, du grand repos; et que l'on ne doit rien faire. Déjà moi, en lui obéissant, j'avais peut-être fait un trop grand nombre de pas, mais bon il m'avait dit d'aller me laver, et à la voix de cette homme, voix à la fois pleine de douceur et pleine d'autorité, on ne résiste pas.

Et ensuite, ça a été un véritable interrogatoire. D'abord il y a eu mes voisins, qui n'arrivaient pas à croire que c'était moi. Alors je leur ai dit que celui qu'on appelle Jésus m'avait mis de la boue sur les yeux (mais je n'ai pas parlé de la douceur de son geste), et qu'il m'avait dit d'aller à Siloé, de me laver, et que j'avais retrouvé la vue. Ensuite il y a eu les pharisiens qui étaient là pour la fête; et au lieu de se réjouir, ils refusaient de croire. Parce que réaliser une guérison le jour du Sabbat c'est mal, c'est un péché et que donc, à la limite, je faisais semblant. Vraiment des aveugles, ces hommes qui disent qu'ils connaissent la Loi. Ils m'ont demandé ce que moi je pensais de lui, et j'ai répondu que c'était un prophète et pour moi, il était le prophète annoncé par Moïse: celui qui serait plus grand que lui.

Et après, ils ont convoqué mes parents, ils étaient sûrs que je jouais la comédie, que j'avais été payé par Jésus pour faire croire à un miracle. Vraiment la nuque raide ces hommes. Et mes parents ont juste dit que j'étais leur fils, que j'étais né aveugle, que maintenant je voyais, mais qu'ils n'avaient pas vu ce qui s'était passé; et qu'ils n'avaient qu'à me poser des questions. Je me rendais bien compte qu'ils avaient peur. Déjà avoir un fils aveugle, c'était la preuve d'une malédiction; et maintenant que j'étais guéri, ils allaient devenir des exclus à cause de moi. Ils ont juste dit que eux ils ne savaient pas; que j'étais leur fils; et que les questions il fallait me les poser à moi. 

Je dois dire que pendant ce temps là, moi j'avais envie de le voir ce Jésus. Et en même temps je découvrais la splendeur du temple, je découvrais ces couleurs des arbres, des fleurs, je voyais les oiseaux dans le ciel, j'étais dans la joie de voir: ces mots que je connaissais devenaient vivants. 

Et j'ai du me rendre à une nouvelle convocation. Du coup je les ai bien regardés tous ces hommes qui se prenaient pour des juges, et ils n'étaient pas beaux. Je voyais en eux la méfiance, la méchanceté, la haine. Ils ont alors affirmé que l'homme qui m'avait guéri était un pécheur (ce qui m'a fait sourire dedans, parce que pour eux, moi qui avais été un aveugle, j'étais un grand pécheur pour avoir une pareille punition), et que je devais rendre gloire à Dieu. Je n'ai pas rendu gloire à Dieu, je leur ai simplement dit que tout ce que je savais, c'est que pécheur ou pas, avant de le rencontrer je ne voyais pas et que désormais je voyais. 

Du coup, une fois de plus ils m'ont demandé de raconter comment ça s'était passé, et là ça m'a énervé. Je ne leur ai pas répondu, mais pour les énerver (je savais ce que je faisais), je leur ai demandé s'ils voulaient devenir ses disciples. Puis, ils sont partis dans leurs raisonnements habituels: eux ils savent que cet homme, dont on ne sait pas d'où il sort, est un pécheur. Mais moi je leur ai rétorqué que le Très Haut n'exauce pas les pécheurs, et que donc il était de Dieu. Alors là, ça n'a pas traîné, ils m'ont exclu de la synagogue. Je dire que maintenant que je peux entrer dans le Temple, ça ne fait ni chaud ni froid.

Ce qui s'était passé, s'est répandu dans Jérusalem comme une trainée de poudre. Et Jésus a appris qu'ils m'avaient jeté dehors; Je crois qu'il pensait que cela m'ennuyait et c'est lui qui est parti à ma recherche. 

Et cela m'a profondément ému. J'étais un mendiant, je ne demandais rien sauf de l'argent et lui que je ne connaissais pas, il m'a recréé, il m'a donné la vue, il m'a ouvert les yeux. Et de lui-même il m'a retrouvé. Il m'a demandé si je croyais au Fils de l'homme, et je sais que le Fils de l'homme, c'est celui est le sauveur de l'humanité. Et en moi, se sont ouverts les yeux du cœur. J'ai vu en lui bien plus que l'homme qui m'avait guéri, j'ai vu en lui celui qui devait venir, celui qui doit être le sauveur et je me suis prosterné devant lui, parce qu'il n'y avait que ça à faire.

Il a alors dit une phrase qui était un peu comme une sentence de sagesse, un peu comme si Salomon parlait par sa bouche; et cette phrase chante encore en moi.
Il a dit qu'il est venu dans ce monde pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. 

Moi je ne voyais pas, j'ai vu; et surtout j'ai reconnu en lui ce Tout Autre que mon cœur cherche depuis toujours, dans ce qui fut mon monde de ténèbres. Mais eux, ces pharisiens qui m'ont exclu, ils sont bien en train de devenir aveugles, de refuser de voir l'évidence: que cet homme est la lumière du monde. 
Il a eu une phrase très dure pour eux, il leur a dit que s'ils étaient aveugles (mais dans quel sens, aveugle du cœur, aveugle des yeux), ils ne seraient pas englués par le péché; mais que parce qu'ils sont incapables de reconnaître cette obscurité qui demeure en tout homme, obscurité dont le Christ nous délivrera, alors ils restent dans la boue de leur péché. Ils croient voir, mais ils ne voient qu'eux-mêmes. Et je dois dire que cela m'a rempli d'une infinie tristesse. Comment ces hommes qui sont pétris par la Torah, qui essaient de la lire jour et nuit, peuvent-ils ne pas voir que celui-là est bien, comme il le dit, le Fils de l'Homme. Je ne peux que louer le Très Haut de m'avoir ouvert les yeux car désormais je le suivrai." 

samedi, décembre 07, 2019

"Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie" Jn 6,51


Evangile de Jean, chapitre 6 

Certains exégètes pensent que ce chapitre pourrait faire suite directement au chapitre 4 (la Samaritaine) , le pain qui donne la vie suivant l'eau vive. Et on aurait une sorte d'enseignement sur le baptême et l'eucharistie. Pourquoi pas. 

Ce chapitre qui raconte une multiplication des pains, une tempête apaisée ,et un long discours de Jésus, reste relativement compliqué, du moins en ce qui concerne l'enseignement de Jésus. Même en utilisant les "En vérité, en vérité je vous le dis" qui ponctuent ce long discours, que classiquement on appelle le discours sur le pain de vie (pain de la vie), on ne peut pas dire que les choses soient simples. 

Par ailleurs, si on admet que le rédacteur de l'évangile s'adresse, à la fin du premier siècle, à des disciples attirés par la gnose, qui refusent la réalité de l'incarnation et sont choqués par le rituel du repas du Seigneur, on peut comprendre l'aspect polémique de cet enseignement de Jésus. Mais, au delà, il y a l'affirmation de l'identité de Jésus qui se dévoile, qui se révèle; son désir de donner la vie au monde, et l'affirmation "qu'Il est". Que les auditeurs, en prenant systématiquement le contre pied de ce que dit Jésus, soient finalement des faire-valoir, comme Nicodème l'avait été en demandant si un homme peut naître de nouveau en rentrant dans le sein de sa mère, cela peut être un bon artifice de style, permettant à la pensée de Jésus de se déployer, de prendre son envol, et surtout d'attirer à lui ces hommes en manque, mais qui ne le reconnaissent pas. 

Alors, pour rester dans l'ambiance de ce discours, j'ai eu envie de laisser la parole à un disciple proche de Jésus, qui pourrait raconter comment lui avait entendu cet enseignement. Mais volontairement je ne m'appuie que sur les 6 premiers chapitres qui précèdent. Je ne prends donc pas l'évangile comme une catéchèse, mais j'essaie de voir comment quelqu'un qui suit Jésus comprend ce qui s'est passé ce jour-là dans dans la synagogue de Capharnaüm...

Un disciple très proche du Rabbi raconte

"Maintenant, il n'y a plus personne. Et pourtant ils étaient bien nombreux à l'écouter après avoir été nourris. Ils sont tous partis, ils ont tous quitté la synagogue. Encore heureux qu'ils ne lui aient pas jeté des pierres, parce qu'à Jérusalem, après qu'il ait guéri un paralytique, ils voulaient le tuer.

Ils avaient commencé par murmurer contre ce que le Rabbi leur disait; enfin pas murmurer: hurler, tempêter, protester - que ce soient les pharisiens de Capharnaüm ou les disciples: enfin je veux dire certain qui se disent disciples. Ils l'ont laissé. Et il n'est resté que les Douze, et quelques fous comme moi. Et je crois que si Pierre n'avait pas affirmé au nom de tous qu'ils restaient avec lui, que Jésus avait les paroles qui donnent la vie, peut-être que même certains de ceux là seraient partis. D'ailleurs Jésus n'a-t-il pas dit que l'un de ces Douze le trahirait. 
Je me demande vraiment pourquoi tous ceux qui avaient été fascinés par la puissance qui se dégage de lui se sont détournés. Surtout qu'ils avaient vu… 

Et ce qu'ils ont vu, pour moi, c'était bien le signe que Dieu nourrit son peuple, que Dieu est là, que Dieu se manifeste en ce rabbi qui l'appelle mon Père, et qui nous promet la vie éternelle.

Le jour précédent, il nous avait conduits sur une de ces collines qui dominent la mer de Galilée. Et des hommes et des femmes et même des enfants étaient arrivés, il y en avait de plus de plus. Je ne sais pas trop ce qu'ils voulaient: l'écouter lui, le nouveau prophète, être guéris de leurs maladies, je ne sais pas.

Ce que je sais, c'est qu'il y avait beaucoup de monde et que le soir commençait à tomber. J'ai vu que Philippe s'approchait de lui et que ça discutait ferme. Je me suis approché en douce et j'ai compris que Jésus voulait qu'on donne à manger à tout le monde et qu'il n'y avait rien sauf cinq pains d'orge, le pain des pauvres; et deux malheureux poissons grillés. Cela m'a fait penser au prophète Elisée, qui avait reçu vingt pains d'orge et qui avait nourri cent personnes avec; et qui avait même annoncé qu'il y aurait des restes. Mais là, cinq pains pour autant de personnes! Philippe a parlé de cinq-mille hommes, ce qui fait quand même beaucoup.

Puis il y a eu comme un mouvement, parce que les apôtres ont demandé à tout le monde de s'asseoir, alors que beaucoup étaient prêts à partir. Et Jésus a pris les pains, a regardé vers le ciel, les a bénis, et s'est mis à les distribuer. Je suis incapable de vous dire ce qui s'est passé, comment ça s'est passé, mais des pains, il y en a eu pour tout le monde, même si en plus certains qui étaient plus prévoyants que les autres en avaient pris avec eux et du coup le partageaient.

Seulement ça a quand même provoqué une sacrée interrogation. Qui était-il celui là, qui finalement faisait enfin ce que l'on attend d'un roi, donner à manger à tous ses sujets? Alors certains ont commencé à s'agiter, à discuter entre eux.. Ils voulaient le décider à être leur roi, parce que ce qui venait de se passer là, c'était un peu aussi comme Moïse, qui avait donné de la manne dans le désert.
Lui, qui avait demandé de ramasser les restes, quand il a entendu ce qui se tramait, il n'a fait ni une ni deux, il s'est sauvé. Il n'y a pas d'autres mots; il a laissé tout le monde en plan et a disparu. Il doit bien connaître la montagne, mais après tout, c'est son pays.

Du coup les apôtres sont partis eux aussi. Ils m'ont pris dans leur barque, ce que j'ai apprécié. Mais ce que je n'ai pas apprécié c'est que d'un coup, sur ce fichu lac, une tempête s'est levée, une sacrée tempête, et on pensait bien que la barque allait chavirer. Et ça a duré et duré... Et tout à coup, on a vu une silhouette qui marchait sur l'eau. On était morts de peur, déjà les vagues, mais ensuite les fantômes de ceux qui avaient disparu dans le lac, parce que ça arrive parfois. Et voilà que le fantôme s'est mis a parlé. Au son de sa voix on a reconnu que c'était Jésus, qui venait quand même à la rescousse. Et le calme est revenu, et on s'est rendu compte qu'on était au bord du rivage, mais avec la tempête on ne reconnaissait rien.

Dans la journée Jésus est allé du côté de la synagogue, et ceux qui avaient été avec lui hier sont arrivés, ne comprenant pas comment il avait fait pour être là avant eux. Mais il ne leur a pas expliqué. Il les a pris un peu à contre pied, enfin c'est ce que moi je pense, en leur disant que ce qu'ils voulaient c'était du pain à satiété, et que lui, c'était un autre pain qu'il allait leur donner, que ce pain, ce serait lui. Mais il n'a pas dit comment.

Alors bien sûr c'est parti sur la manne, sauf que la manne, elle ne se gardait pas. Et ensuite sur Moïse; et là Jésus a voulu leur faire comprendre qu'il n'était pas un nouveau Moïse, mais l'envoyé du Père, le Fils du Père. Et là, ça a encore grincé. C'est que, voir en ce Jésus dont on connaît les parents et les frères, le fils du très haut, ce n'est pas évident; mais après tout dans les psaumes les rois sont bien appelés aussi fils du très haut. 

Sauf que Lui, quand il parle de son Père, ce n'est pas une figure de style, c'est vraiment son Père, qui demeure en lui, qui lui montre ce qu'il faut faire, comment agir. Mais quand il se désigne comme étant "Moi, je suis", il y a de quoi être surpris, et ne pas comprendre. Il se désigne comme le Très Haut s'était nommé devant Moïse! Mais on peut quand même accepter de se poser des questions, au lieu de se boucher les oreilles en grinçant des dents. Ce qui est sûr c'est qu'aucun prophète n'a parlé de lui-même comme étant le Fils. Ils ont dit être des envoyés, des porte-paroles, mais les Fils non. Pourtant ce que lui réalise, ce qu'il appelle les œuvres ou les signes, si on veut bien ouvrir les yeux, les yeux du cœur, on comprend que cela est bien au delà de ce qu'un homme peut dire ou faire.

Il a été violent envers ceux qui l'écoutaient. Il leur a rappelé qu'ils étaient allés voir Jean pour que ce dernier leur dise s'il était bien l'envoyé, mais qu'ils ne tenaient pas compte de ce que Jean disait. Il leur a dit qu'ils devaient ouvrir les yeux, regarder ces œuvres qu'il faisait, et surtout qu'ils devaient comprendre que si ces signes étaient là, c'est parce que le Très Haut qu'il appelle son Père était tout le temps avec lui et en lui. 

Il leur a donné pourtant donné une sacrée parole d'espérance, s'ils avaient bien voulu ouvrir leurs oreilles, quand il leur a dit que "ceux qui croient en lui ressusciteront au dernier jour, qu'ils auront la vie éternelle." Eux qui passent leur temps à se demander comment faire pour l'obtenir cette vie, ils avaient là, la solution. Mais ils doivent, comme disent les prophètes, avoir la nuque raide et les oreilles bouchées.

Il a bien dit à la femme qui était à côté du puits de Jacob, en Samarie, que les les adorateurs du Père adoreraient en esprit et en vérité. Mais pour recevoir cette possibilité, il donne un moyen fou, un moyen incompréhensible: se nourrir de lui, le reconnaître comme du pain envoyé du ciel.

Et je pense que ce qu'il appelle la vie éternelle, c'est connaître dès aujourd'hui cette présence. Ce n'est pas quelque chose qui ne finira pas, c'est quelque chose de plein, qui remplit, qui comble, qui dilate, qui donne une autre vision. 

Il me semble évident que c'est quand il leur a dit que pour obtenir cette vie éternelle, il fallait manger sa chair et boire son sang que ça a complètement dérapé. Ils ont pensé et qu'il était fou, parce que personne ne donne sa chair à manger; et en plus c'est sacrilège, parce que boire le sang c'est interdit, puisque le sang qui est le le principe de la vie, n' appartient qu'à Dieu. 
Car il a bien affirmé qu'il était le pain de la vie, le pain vivant descendu du ciel, et que celui qui mangera de ce pain là, ne connaîtra pas la mort; Mais moi, je pense que quand il parle de mort, il ne parle pas de la mort du corps, mais d'une vie en plénitude après cette mort là. Mais se pose la question du comment… je crois qu'il parle de quelque chose qui serait plus que les paroles, qui ferait que comme le pain que nous avons mangé, il donnerait quelque chose de lui qui demeurerait en nous, qui resterait, qui ferait de nous en quelque sorte des frères et des sœurs de pain et de sang, mais c'est juste une idée comme ça.

Quand on est amoureux, on a envie de tout donner à l'autre, de se donner complètement, alors peut-être que c'est sa manière à lui de dire qu'il nous aime, que celui qu'il nomme son Père nous aime. Pour moi, il est un amoureux fou de nous et c'est pour cela que je reste avec lui envers et contre tout. Et j'espère bien ne pas être celui qui le trahira, parce que cela il l'a annoncé. 

D'ailleurs n'a-t-il pas dit que Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son fils?

Et puis, un tout petit qui est au sein, il se nourrit bien de sa mère, alors est-ce qu'il n'essaie pas, avec ces mots compliqués, de nous faire comprendre qu'on peut se nourrir de lui, qu'on peut trouver en lui une vraie vie? Bien sûr on est mortels, mais pas seulement; et est ce que ce n'est pas de cette vie spirituelle dont il parle, cette autre vie qui est la connaissance du très Haut?

Et puis, si le "Très Haut" a fait pleuvoir la manne pour nourrir son peuple pendant des années et des années, pourquoi ne pourrait-il pas aujourd'hui nous nourrir autrement? Je pense que celui qui se dit envoyé par Dieu qu'il appelle son Père, qui dit des paroles qui nous ouvrent des horizons nouveaux, doit bien trouver un moyen pour que sa présence demeure en nous autrement? Sauf que c'est bien difficile à imaginer.

Souvent quand il parle, il me semble qu'il dit que nous allons devenir un nouveau peuple, un peuple choisi, mais autrement. Etre libres, être libérés du péché. Et cette liberté, il en parlé à Nicodème. Enfin il me semble. Naitre de nouveau, écouter le souffle de l'Esprit, être dans la vérité. 

Et je me disais que quand il parle de la vie, de la vie éternelle, il y a bien cette vision du prophète Ezéchiel, qui voit une source qui jaillit du temple, qui se transforme peu à peu en fleuve, et au bord duquel poussent des arbres dont les fruits donnent la guérison et la vie. 

Peut-être que lui, qui dit de lui "Je suis", il est la source de la vie, c'est-à-dire Dieu venu nous visiter et demeurer avec nous. Peut-être que ce corps et ce sang dont il parle, sont ces fruits des arbres qui donnent la vie, je ne sais pas. Il trouvera bien un moyen. Seulement je crois bien que jamais les pharisiens ne pourront entendre cela et que ça va mal finir pour lui. 


dimanche, décembre 01, 2019

"Va et ne pèche plus" - Jn 5,14

La guérison du paralytique - Jn 5

Si on suit la chronologie du rédacteur de l'évangile de Jean, Jésus se trouve à Jérusalem, après être passé par la Samarie. C'est un jour de sabbat, un jour où tout travail est interdit, pour respecter le "repos" de Dieu créateur, mais aussi pour faire de ce jour un jour non profane, un jour consacré au Seigneur. Cela, Jésus le sait, et le sait même parfaitement.

Des guérisons le jour du sabbat, il y en a un certain nombre dans les synoptiques. Dans l'évangile de Jean, elle est unique, de même que la pathologie du malade: un paralysé. Et Jésus ici n'attend pas une demande.

Il voit un homme, qui à mon avis peut lui faire penser à son père Joseph. Car si l'homme est paralysé depuis 38 ans, même si ce nombre peut être pris d'une manière symbolique (le temps du désert avant l'entrée définitive en terre promise avait duré 38 ans et cet homme par sa guérison sort du désert), il n'en demeure pas moins qu'il ne s'agit pas d'une paralysie de naissance. On peut alors penser que cet homme a perdu peut-être l'usage de ses jambes lors d'un accident, par exemple en tombant d'un toit... Et qu'il a donc un âge qui tourne autour de la soixantaine, et cela peut pour Jésus évoquer son père et peut-être éveiller sa compassion.

Cet homme n'est pas un mendiant; il attend un miracle. Quand Jésus s'adresse à lui - avec une question qui nous paraît étonnante: "Veux-tu être guéri" - il répond en se justifiant… Ce dont Jésus ne tient pas compte, et lui donne un ordre, très semblable à celui que l'on trouve dans l'évangile de Luc: "Lève-toi, prends ta civière et marche"; trois ordres. Puis Jésus disparaît, comme s'il voulait que l'homme ne s'accroche pas à lui, comme à un bienfaiteur ou à un faiseur de miracles, car ce n'est pas son heure.

Et c'est là que les choses se compliquent, car porter n'est pas permis ce jour-là, et l'homme devient la cible des pharisiens; qui ne rendent pas gloire à Dieu pour la guérison, mais pointent ce qui ne va pas: porter son grabat.

Puis on a une rencontre qui se passe au temple, et qui me paraît importante. Car cet homme, dont j'imagine qu'il est allé directement au Temple pour rendre grâce et gloire à Dieu, retrouve son bienfaiteur. Je pense, même si on n'en dit rien, que ce type de rencontre doit être un bouleversement. Et que Jésus lui dise, un peu comme dans l'évangile de Luc, "va et ne pêche plus", montre certainement qu'il y a eu à la fois guérison de la maladie - de ce qui se voit, on pourrait dire du symptôme - mais aussi du péché, qui lui ne se voit pas; qui est différent d'une personne à l'autre, et qui bien souvent crée des paralysies. Et de cela aussi Jésus guérit. Mais les pharisiens, qui en restent à ce qui se qui se voit, ne peuvent pas le percevoir. 

Faire - ou laisser - parler cet homme, c'est pour moi insister aujourd'hui sur cette double guérison: car l'une ne va pas sans l'autre, et manifeste la divinité de l'homme qui ne respecte pas le sabbat...

L'homme paralysé raconte

Comme toutes les semaines, le jour du sabbat, même si ce n'est pas permis par la loi de me porter, mes enfants me déposent au bord de cette piscine dont l'eau a des pouvoirs miraculeux. Comme moi, ils espèrent. Comme j'ai encore de la force dans les bras, ils pensent que je vais pouvoir me débrouiller pour me plonger dans l'eau quand elle bouillonne. Ils ne se rendent pas compte que c'est impossible; mais peut-être qu'un jour quelqu'un sera là, et me mettra dans un de ces petits bassins qui jouxtent la piscine elle-même.

Cela fait 38 ans que je suis comme ça, trente huit ans que je viens, et mes cheveux sont blancs maintenant, mais je suis toujours là. Trente huit ans, c'est la durée de ce temps où mes ancêtres qui n'ont pas voulu faire confiance à notre Dieu sont restés dans le désert et sont morts. Peut-être que pour moi le temps est arrivé de sortir de ce désert. Peut-être que quelqu'un viendra, mais cela fait tant de temps que j'attends... 

Tiens, il y a un homme jeune qui se dirige vers moi, comme s'il me cherchait. Il s'approche, il me demande si je veux être guéri. Quelle drôle de question! Bien sûr que je veux être guéri, sinon je ne serais pas là. Alors je lui dis que personne n'est là pour me descendre dans l'eau quand elle bouillonne. Et lui il me regarde, me regarde. Il a un regard étonnant, j'ai l'impression de me noyer un peu dans ce regard. Et je sens que dans mon corps quelque chose se passe, comme si ça devenait vivant. Il me dit de me lever, de prendre cette civière qui est la mienne depuis tellement d'années, et de marcher! Et je me lève, et je me baisse pour ramasser mon grabat, et je me mets à marcher!

J'aurais pu rentrer chez moi, mais malgré tout personne ne m'attend. Et le temple n'est pas loin, alors je décide de m'y rendre. Seulement, sur le chemin, je suis interpellé par des pharisiens, qui me demandent pourquoi je porte mon grabat alors que c'est interdit. Je leur réponds que je viens d'être guéri et que l'homme qui m'a guéri m'a dit de ne pas laisser mon grabat mais de le prendre avec moi; et je ne connais pas le nom de cet homme. Ils me demandent alors de venir leur dire qui a fait cela, si je le rencontre à nouveau.

Et dans le temple, voilà qu'il est là. Il prie.. Et à nouveau nos regards se croisent. Et là encore quelque chose se passe. Il me dit une phrase curieuse: "Te voilà guéri, ne pèche plus, il pourrait t'arriver quelque chose de pire"; et à nouveau il disparaît, sauf que maintenant je comprends qui il est. Il s'appelle Jésus, il vient de Nazareth, et parle de Dieu comme si Dieu était son Père; il fait beaucoup de miracles. Je vais prier d'abord, rendre grâce à Dieu pour sa miséricorde, parce que je me sens guéri du dehors et du dedans, et puis j'irai dire aux pharisiens que cet homme s'appelle Jésus, et qu'il est l'envoyé du Père. S'ils ne veulent pas me croire, tant pis pour eux. Moi, je vais le chercher et le suivre, parce que ce qu'il a fait dans mon cœur, personne ne peut le faire. Il a remis la vie en moi, dans mon corps mais aussi dans mon esprit. Béni soit le Très Haut de nous avoir envoyé un tel homme.

samedi, novembre 30, 2019

Nathanaël: Jn 1,45-51

Nathanaël. 

"Quand Philippe m'a dit qu'il avait trouve le Messie, je l'ai regardé avec des yeux ronds. Philippe, il s'emballe facilement... Mais quand même, dans son timbre de voix, je sentais qu'il était comme la fiancée du Cantique des Cantiques qui a trouvé son Bien-Aimé. Et cela m'a ému, car le Messie, nous avons tous tellement hâte qu'il vienne. Jean le Baptiste parle de lui comme s'il allait arriver maintenant et qu'il remettrait enfin de l'ordre, mais… Mais une partie de moi aimerait que ce soit vrai et une autre n'arrive pas à y croire. 

Et quand il a ajouté que ce Messie, celui qui sera le sauveur, venait de Nazareth, alors quand même j'ai éclaté de rire. Vous vous rendez compte? Il aurait dit Jérusalem, ou même Bethléem, mais Nazareth, ce village qui sert de réservoir de main d'œuvre à la ville de Sephoris, qui est tout le temps en contact avec la manière de vivre grecque. Ce n'est pas envisageable. Et puis, il le sait bien Philippe que le Messie doit être un descendant du roi David. Mais je vais lui faire plaisir, je vais aller le voir ce Jésus. Peut-être que c'est un prophète.

Et je suis parti avec lui. Quand Jésus m'a vu, il m' a dit que j'étais un juif sans ruse en moi. Je n'ai pas trop compris ce qu'il voulait dire; c'était un peu comme s'il avait entendu ma réaction quand j'ai su qu'il était le fils de Joseph du village de Nazareth. Et comme j'attendais la suite, il m'a dit qu'il m'avait vu avant que Philippe ne vienne me parler. Et il a parlé de figuier. Et là…

Parce que oui, quand je lis la Torah, j'aime m'installer dans mon jardin, sous un figuier. J'aime cet arbre, j'aime ses grandes feuilles qui me protègent du soleil (et je suis un peu comme Jonas, à l'ombre de cet arbuste qui avait poussé en une nuit). J'aime les feuilles qui ont permis à notre ancêtre lointain de devenir créatif en cousant des feuilles ensemble pour cacher sa nudité, j'aime ses fruits qui sont doux comme du miel et qui ouvrent mon cœur. Méditer la Loi, c'est comme manger ces fruits qui font penser à du miel.

Alors quelque chose s'est comme ouvert en moi, comme si mes yeux s'ouvraient, comme si mon cœur comprenait. Et une phrase étonnante est sortie de mes lèvres… Je l'ai appelé Rabbi, lui que je méprisais parce qu'il était de Nazareth, et j'ai affirmé qu'il était le fils de Dieu, qu'il était le roi d'Israël. Je ne sais pas trop pourquoi cette affirmation est sortie, mais c'était une certitude. Et au fond de moi, je remerciais Philippe d'être venu me chercher.

Et lui m'a alors répondu que je verrai des choses plus grandes. Des choses plus grandes que quoi? Et là, il a affirmé que je verrai le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'Homme. Moi, je l'avais appelé Fils de Dieu. Lui, il s'appelle Fils de L'Homme; il ouvre les cieux fermés depuis qu'Adam en a été chassé. 

Je sais qu'il sera le chemin pour aller vers Dieu; je sais qu'Il sera la porte. Je sais surtout qu'il est celui que mon cœur attendait. 

Merci à toi, mon ami Philippe, de m'avoir conduit vers Lui..."

mardi, octobre 15, 2019

"Le lendemain encore, Jean se trouvait là avec deux de ses disciples" Jn 1,35

"Le lendemain encore, Jean se trouvait là avec deux de ses disciples" Jn 1,35

Nous avons commencé à travailler en groupe l'évangile de Jean, c'est-à-dire à le lire, à le laisser résonner, mais aussi le laisser nous interroger, car c'est bien un texte qui interroge. Dès le prologue, on rencontre Jean le Baptiste. C'est un personnage avec lequel je reconnais avoir un peu d'affinités. Sa décapitation, pour moi, n'est pas liée à un témoignage sur Jésus, même s'il est celui qui l'a annoncé, mais vient de ce qu'il a, comme tout prophète, osé critiquer le pouvoir en place. 

Par ailleurs cet homme, avec son manteau en peau de bête, qui se nourrit de sauterelles et est décrit un peu comme un autre Elie, est un violent. Mais, car il y a un mais qui est de taille, il n'a pas retenu ses disciples, il les a donnés, il les a poussés à partir pour suivre Jésus. Et ce qui se passe là m'a toujours fait penser à un accouchement. Je m'explique. "Le lendemain, encore, Jean se trouvait là, avec deux de ses disciples. Posant son regard sur Jésus qui allait et venait, il dit: "Voici l'agneau de Dieu". Les deux disciples entendirent ce qu'il disait et suivirent Jésus" Jn 1,35-37.
Jésus qui va et vient, cela a toujours évoqué pour moi ces pères qui, au moment d'une naissance, puisqu'ils étaient exclus de la salle de travail ou de la chambre, faisaient les cent pas en attendant. Les deux disciples, dont on ne sait pas alors le nom, sont en quelque sorte encore dans le giron de leur mère, ici Jean. Et ce dernier, en quelques mots, "Voici l'agneau de Dieu", leur donne comme l'envie de partir, de sortir de la sécurité de la communauté des disciples du Baptiste, pour aller vers Jésus qui attend. C'est pour moi une scène de gestation, d'enfantement et j'ai toujours admiré Jean, qui donne ceux qu'il a formés.

Je pense aussi que la manière dont je fais parler Jean le Baptiste, n'a pas grand chose à voir avec ce personnage, mais c'est comme cela que ça s'est formulé en moi ce matin.


Jean, le Baptiseur, raconte:

Ce jour là, j'avais baptisé, baptisé, et baptisé encore. Je n'en pouvais plus. Mes disciples baptisaient aussi. J'avais l'impression que mes paroles portaient du fruit, car du monde il y en avait. 

C'est vrai que je n'avais pas ménagé mes efforts pour que quelque chose se passe dans ce peuple sans foi ni loi, pour qu'il comprenne que quelqu'un allait venir qui mettrait de l'ordre, quelqu'un qui serait présence du Très Haut, quelqu'un qui enverrait brûler tous ces impies, tous ces voleurs, tous ces profiteurs, quelqu'un qui ferait le tri. 

Mais ce soir là, je n'en pouvais plus, même si je sentais une certaine joie en moi, la joie d'être un bon serviteur.

Il faut dire aussi que ces derniers jours j'avais dû me justifier.. Des hommes venus de Jérusalem m'avaient demandé si j'étais Elie; si j'étais le Messie; si j'étais le prophète annoncé par Moïse. Je les ai sûrement déçus, car tous nous attendons le retour du prophète Elie, tous nous attendons ce prophète promis par Moïse, tous nous attendons le Messie. Et moi, je ne suis aucun de ceux là. Moi je suis "la voix qui crie, qui hurle dans le désert", le désert des cœurs; et qui demande à tout homme de faire un travail en lui, de redresser ce qui est tortueux, de préparer en lui la venue de celui que j'annonce mais que je ne connais pas. 

Et comme si ça ne suffisait pas, il y a des pharisiens qui sont venus et qui eux aussi voulaient savoir pourquoi je faisais ce que je fais. Ils ne comprennent pas que si je propose ce baptême dans l'eau, c'est que c'est l'Esprit m'a dit de faire cela, pour préparer les cœurs à la venue de celui qui baptisera dans le Feu; et celui-là j'ai hâte qu'il arrive. Mais le temps me dure.

J'étais donc, ce soir là, à bout de souffle. Et voilà qu'arrive, alors que j'allais retrouver mes disciples, un homme relativement jeune. Comme à tous les autres, je lui demande de renoncer au mal qui est en lui et de changer, de mettre le Très Haut au centre de sa vie. Et je le vois sourire.

Il entre dans l'eau, et là, tandis que je le plonge dans les eaux du fleuve et qu'il se relève, je vois, et je dis bien je vois, comme une colombe qui descend du ciel, qui traverse les nuages et qui se pose sur sa tête et qui reste sur lui. Alors pour moi le temps s'arrête. La colombe, je sais que c'est l'Esprit du Seigneur: et je sais alors que cet homme qui souriait en m'écoutant, c'est celui que j'attendais. Sauf que cet homme je ne le connaissais pas, je ne l'avais jamais vu, parce que ma famille ou plutôt la famille de ma mère, je l'ai quittée très tôt pour vivre dans la solitude du désert.

Et en moi jaillit à la fois la joie de celui qui est l'ami de l'Epoux, et l'envie de me jeter aux pieds de celui que je sais être le Fils du Très Haut. Mais lui ne dit rien; il me regarde, et me sourit à nouveau; puis il part, il disparaît. J'aurais tant voulu qu'il demeure avec moi, moi qui ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales; pour lui présenter mes disciples, et parler avec lui de son avenir; mais il est parti.

Je n'ai pas beaucoup dormi cette nuit là, et le lendemain alors que mes disciples étaient auprès de moi, le voilà qui arrive. Et je dis à ceux qui étaient les plus proches de moi "Voici l'agneau de dieu, celui qui vient sauver Israël de ses péchés". Lui, il était là sur les rives du Jourdain, il allait de long en large, il ne disait rien..

Sans que je dise rien, André et Jean, Jean ce jeune prêtre qui vient de Jérusalem, se sont approchés de lui; enfin en restant un peu à distance. Lui s'est retourné, et leur a parlé. Je ne sais pas ce qu'il a dit, ni ce qu'ils ont dit eux, mais ils se sont éloignés tous les trois. 

Et à nouveau la joie a jailli dans mon cœur. Il allait pouvoir mettre le feu sur la terre, il allait pouvoir commencer sa mission. C'est un peu comme si j'avais enfanté ces hommes pour les lui donner. 
Oui, ma joie est parfaite. 


vendredi, septembre 27, 2019

L'ange du Seigneur raconte la résurrection. Mt 28,1-10.

Les récits de la résurrection restent très différents d'un évangile à l'autre, du moins pour les synoptiques. Si, dans l'évangile de Marc, il y a un jeune homme vêtu de blanc qui dit aux femmes la même phrase que l'on trouve chez Matthieu, il y a deux hommes vêtus de blanc dans l'évangile de Luc, et une grande peur chez les femmes. 

En travaillant à la rédaction du "Bibletudes" (http://www.plestang.com/chrietub.php) consacré à ce chapitre, j'ai eu envie de laisser parler cet "Ange du Seigneur", cet Ange qui traverse toute la Bible. Et on peut se demander si cet Ange, assis sur la pierre qu'il a roulée et qui révèle l'ouverture, n'est pas à mettre en parallèle avec les chérubins armés d'une épée qui, dans la Genèse, bloquent l'entrée de l'Eden. La pierre a été roulée, désormais la porte est à nouveau ouverte par Celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie.

L'Ange du Seigneur raconte:

Je me souviens de la tête de Gédéon quand je me suis invité dans son pressoir où il battait le blé en cachette pour le soustraire aux Madianites. Et surtout de sa tête quand le feu a jailli du rocher pour consumer les offrandes qu'il m'apportait. Je me souviens aussi de la tête de la mère de Samson quand je lui suis apparu pour lui dire qu'elle allait attendre un fils qui serait un sauveur pour le peuple. 

Je me souviens aussi de Marie, de Joseph, de Zacharie, quand je me suis présenté à eux. Mais à eux, je n'étais pas dans la Gloire qui m'enveloppe ce matin, au petit jour. Il n'y avait pas cette Lumière qui éclaire tout, qui révèle tout, qui illumine cette colline. Non, j'étais signe d'une présence, qu'ils ont compris comme étant Présence d'un envoyé du Très Haut. 

Mais aujourd'hui, je me présente pour faire comprendre à ces soldats qui montent la garde devant un tombeau vide, mais cela ils ne le savent pas, qu'ils ne sont rien, mais vraiment rien devant la face de Dieu. Qui peut tenir devant l'éclat de sa puissance? Qui peut se mesurer à Lui?   

Alors je suis cet être lumineux, cet être qui semble immense, cet être si fort qu'il peut rouler avec un seul doigt la pierre qui ferme le tombeau. Oui, ils ont scellé la pierre, comme si cela pouvait empêcher quoique ce soit...

Je suis assis sur cette pierre, la terre a tremblé; mais ce n'est pas elle qui a ouvert le tombeau. Les hommes ont eu peur, car c'était la deuxième fois que la terre tremblait en si peu de temps. La première fois, des tombeaux s'étaient ouverts. Là, le tombeau ne s'est pas ouvert, parce qu'il n'avait pas de corps à rendre. Mais il fallait que la lumière pénètre en lui, et moi, l'Ange du Seigneur, j'ai roulé la pierre, cette pierre qu'ils avaient scellée pour qu'il soit impossible d'entrer dans le tombeau pour prendre le corps. Je l'ai touchée et elle s'est déplacée, cette pierre. 

Et je me suis assis sur elle… 

Et alors j'ai vu les hommes perdre pied à ma vue, tomber sur le sol morts de peur, eux qui n'ont pas eu peur de mettre la main sur le Fils. Et en moi, j'ai souri. Qu'ils aillent rapporter cela aux grands-prêtres! Qu'ils comprennent ce qu'ils ont fait, et qu'ils s'humilient enfin devant la face du Très-Haut.

Et j'ai vu les femmes, qui elles aussi semblaient terrifiées, mais pas de la même manière. Elles se demandaient si je n'étais pas Jésus, revenu à la vie, sous cette forme qui montrait au monde sa divinité. Je les ai rassurées. Puis comme mon rôle est de transmettre les ordres du Très Haut, je leur ai transmis le message que j'avais reçu.

Je leur ai dit que Jésus était revenu à la vie: mais la Vie avec une majuscule; qu'il était le Vivant, qu'elles devaient entrer dans la grotte pour voir de leurs yeux qu'il n'était plus là, et qu'elles devaient aller voir les disciples et leur dire que Jésus les attendait en Galilée.

Elles ne sont pas entrées dans le tombeau. Elles ont laissé en plan les aromates qu'elles avaient préparées; elles ont pris, si je puis dire, leurs jambes à leur cou pour prévenir les autres. Et j'ai vu Jésus, qui était là devant elles, comme pour les rassurer; comme pour leur dire qu'il était là avec elles, qu'il ne les avait pas abandonnées. 

Moi, je voyais tout ça d'un peu plus haut, car j'avais disparu à leur vue; mais voir le Fils de l'Homme se manifester, c'est ma Joie.

Elles sont tombées à ses pieds. Elles ont même attrapé ses pieds, comme pour le retenir, comme pour être sûres que ses pieds étaient bien sur le sol, qu'il ne flottait pas, qu'il n'était pas un fantôme! Elles se sont prosternées devant lui, et là, elles ont bien dû lâcher ses pieds. Je suis sûr que mon Seigneur devait rire en Lui.

Il leur a dit ce que je leur avais déjà dit: d'aller dire à ses frères qu'ils doivent quitter Jérusalem et se rendre en Galilée, là où tout avait commencé, là où ils l'avaient vu, reconnu comme le Messie. Mais je crois qu'après la peur qu'elles ont dû avoir en me voyant tout nimbé de lumière, il a comme toujours bien fait de se montrer ainsi à elles, de les rassurer, pour qu'elles ne soient plus dans la peur, mais dans la Joie, et pour qu'elles soient comme les apôtres de sa résurrection. 

vendredi, septembre 20, 2019

Un convive raconte ce qui s'est passé chez Simon le Pharisien: Luc 7,36-50

Cet épisode d'une femme qui vient, au cours d'un repas, prendre soin des pieds de Jésus et les oindre de parfum, se retrouve dans les autres évangiles, mais pas au même moment. 

La femme dont il est question ici n'a pas de nom, et c'est peut-être une bonne chose. 

J'ai voulu ici montrer l'étonnement d'un des convives qui a assisté à cette scène étonnante, mais très choquante pour lui: qui est cet homme qui a le pouvoir de pardonner les péchés? 


Un convive raconte.

Notre ami Simon, lui qui se targue de respecter la Loi comme personne, et d'être un juste, a comme souvent offert un repas. Il avait invité Jésus, et c'était l'occasion pour nous de voir de plus près cet homme dont on parle tant, cet homme qui parle de lui en se nommant le Fils de l'homme.

Il était donc là quand est arrivée une de ces femmes aux longs cheveux qui volent sur leurs épaules quand elles sortent, une de ces femmes qui sont de mauvaises femmes, qui passent parfois d'un homme à l'autre. Avant qu'on ait pu faire quoi que ce soit, elle était là, aux pieds de Jésus, à genoux. Et elle pleurait, et ses larmes mouillaient les pieds de Jésus, qui se laissait faire. On aurait dit un peu une maman entrain de laver les pieds de son enfant quand il rentre à la maison. Quand les pieds lui ont paru enfin propres, enfin c'est l'impression que j'ai eue, elle a cassé le col d'un flacon de parfum, peut-être que ce flacon lui avait été donné par un admirateur, parce que oui, cette femme est belle, très belle, et elle a oint les pieds de Jésus qui n'a rien dit, rien fait, mais qui souriait tout en mangeant, un peu comme s'il était au septième ciel. 
Je dois dire que j'étais un peu étonné, parce que nous savions tous que cette femme n'était pas recommandable. 

Et voilà que Jésus s'adresse à Simon et lui demande de l'écouter. Et il se lance dans une petite histoire de débiteurs qui ne peuvent pas rembourser leur dette et d'un créancier qui remet la dette aux deux, sauf que l'un doit 500 pièces d'argent et l'autre seulement 50. Et il pose une drôle de question, à savoir lequel des deux aimera le plus le créancier; moi, j'aurais parlé de reconnaissance, pas d'amour. Toujours est-il que Simon a répondu ce qui paraît logique: que c'était celui qui devait le plus, qui allait aimer le plus. Peut-être que reconnaissance et amour ça va ensemble pour certains. 

Jésus lui a dit qu'il avait bien répondu; mais moi je me demandais un peu où il voulait en venir.

Et puis là, il lui a fait remarquer que lui, Simon, n'avait pas été très hospitalier envers lui, car il n'avait pas proposé d'eau pour qu'il se lave les pieds, mais que la femme, elle, avait versé ses larmes pour lui laver les pieds. Puis il a continué en disant qu'il n'avait pas reçu de marques d'affection, qu'il était un peu comme une bête curieuse dans ce repas, alors que la femme, elle avait embrassé ses pieds, comme on embrasse les pieds de son bébé (ça c'est moi qui le dit); parce que pour embrasser les pieds de quelqu'un il faut soit beaucoup l'aimer, soit lui baiser les pieds en signe de respect, mais là, c'était bien de l'amour. Et pour terminer, il a parlé du parfum, comme d'une onction, et il a reproché à Simon de ne pas lui avoir donné une onction d'huile quand il était entré chez lui, alors que la femme, elle lui avait oint les pieds, en signe de respect, en signe d'amour. Un peu aussi comme s'il disait à Simon qu'il n'avait reconnu en lui, l'envoyé, celui dont parle le prophète Isaïe. 

Nous étions tous un peu mal à l'aise, parce que nous n'avions pas vu cela du tout dans ces gestes. Et Jésus alors a dit que les péchés de cette femme étaient pardonnés, parce qu'elle avait montré beaucoup d'amour. 

Et là, nous avons réagi en nous même. Car pour quoi se prend-il celui-là, pour remettre les péchés. Enfin il n'a pas dit "Je te remets ta dette", mais "Toute ta dette est remise", comme il avait déjà dit à un homme paralysé à Capharnaüm. Il ne lui a pas dit de rentrer chez elle, comme il l'avait dit à l'homme, mais il lui a dit d'être en paix, et de rentrer chez elle. Et je pensais qu'au lieu de verser ce parfum sur les pieds, en quelque sorte de le gaspiller, elle aurait mieux de vendre ce parfum et de donner l'argent à des pauvres, là elle aurait respecté un peu la loi. Mais non, il a juste dit "Sois en paix, ta foi t'a sauvée". 

Alors là, je crois que j'ai compris quelque chose. Cette femme que moi je méprise, cette femme que je regarde de travers, cette femme de la ville, quelque chose s'est passé en elle. Car, après les mots de Jésus, elle s'est mise debout, elle nous a tous regardés, elle l'a regardé lui; et elle est sortie, comme si elle était une reine. Elle était remplie de dignité, elle était transformée. Alors si Jésus est capable de faire cela, avec une telle femme, sera-t-il capable de changer nos cœurs si attachés à nos coutumes, à nos certitudes. Peut-être que je vais me joindre à ceux qui vivent au jour le jour avec lui. Je suis finalement très reconnaissant à Simon de m'avoir laissé partager le repas de ce jour, jour qui est comme une naissance aussi pour moi. 


La guérison de l'esclave d'un centurion - Lc 7,1-10.

C'est un texte bien connu, puisqu'à chaque messe on répète du moins partiellement la phrase prononcée par le centurion de Capharnaüm: "Seigneur je ne suis pas digne que tu viennes dans ma maison, mais dis seulement une parole, et ..."

Je mets des points de suspension, car la demande du Centurion concerne son esclave, alors que la notre, nous concerne. Ce qui m'a toujours frappée, c'est qu'on ne sait pas quelle parole Jésus a prononcé, puisqu'il loue la foi de cet étranger au peuple. 

Je me suis d'ailleurs demandé si, dans l'optique lucanienne, cette péricope n'était pas à rapprocher de celle que l'on trouve dans les Actes des Apôtres, à savoir celle du Centurion Corneille, comme si Luc voulait montrer que non seulement la bonne nouvelle sera accueillie dans les nations, et qu'elle est bien pour tous, mais que la foi de ceux que les juifs considèrent comme des impies est peut-être supérieure à la foi du peuple choisi. 

Cet épisode, j'ai eu envie de présenter sous deux angles différents, celui du centurion, et celui d'une personne qui entend ce qui se passe et qui le raconte ensuite à des amis.


Le centurion romain raconte....

Mon esclave fidèle, mon esclave qui a été comme un père pour moi, qui s'est occupé de moi et de mes fils, est là, tremblant de fièvre et je sais qu'il va mourir. Les médecins sont venus, mais ils disent qu'il n'y a rien à faire. Et pourtant, il y a bien ce Jésus, qui fait des miracles, seulement, même si j'admire sa religion, jamais il ne viendra chez moi qui ne suis pas juif. Mais s'il sait que j'ai donné mes deniers pour bâtir la synagogue dans laquelle il a parlé, dans laquelle il a pu guérir la main d'un homme; peut-être qu'il acceptera de rentrer dans ma maison pour guérir mon vieil esclave. 

Je me suis dit que je pourrais envoyer deux ou trois de mes amis, des notables juifs - parce que je peux quand même dire amis, même si je suis l'occupant - pour lui demander de venir chez moi, pour guérir mon esclave. Et ils sont partis à sa rencontre. 

Un peu de temps a passé, et je me suis dit que non, ça ne devait pas se passer comme ça. Il ne devait pas rentrer chez moi. Si mon empereur s'invitait chez moi, chez moi pauvre centurion de son armée, je me sentirais indigne d'un tel honneur. Mais là c'est moi, l'occupant, qui lui demande à lui, d'entrer chez moi, lui qui est tellement plus que César. Cet homme, il est différent de Jean le Baptiste que je suis allé écouter et qui m'a fait comprendre combien j'étais injuste envers cette population. Il y a en lui une puissance bien plus grande que celle qui est dans mon empereur. Il commande à la fièvre, il commande à la tempête, il commande à la lèpre. Sa parole est forte. 

Alors non, je ne vais pas lui demander de venir chez moi, je vais simplement lui demander qu'il prononce ces mots qui guérissent, qui sauvent. Et ces mots, parce qu'il est un homme pas comme les autres, un homme vraiment de Dieu, auront en eux la force de guérison. Ses mots ne reviennent pas sans avoir accompli ce qu'ils doivent faire. Cette phrase, elle n'est pas de moi, mais de l'un de leur prophètes, et elle parle de leur Dieu.. Je crois vraiment que cet homme, dont le nom veut dire "Dieu sauve", il est vraiment le messie.

Alors j'ai envoyé d'autres amis, pour lui dire de ne pas venir, que je n'étais pas digne de lui, que je reconnaissais sa puissance, et pour lui demander qu'il prononce simplement ces mots qui guérissent le corps et l'âme. Et j'ai attendu leur retour.

Seulement voilà, d'un coup mon esclave s'est redressé sur son lit, comme si quelqu'un l'avait pris par la main. Il a demandé à boire, et la fièvre était tombée. Mes amis sont arrivés à ce moment là et m'ont dit que Jésus avait dit qu'il n'avait jamais rencontré en Israël quelqu'un avait une foi en lui semblable à la mienne. Et j'ai eu l'impression que cela voulait dire que le salut dont il parle n'est pas seulement pour les juifs, mais pour toutes les nations, pour tous les hommes. Et cela m'a profondément réjoui. Peut-être qu'il voudra quand même entrer dans ma maison…




Quelqu'un qui est dans la foule, raconte.. 

Il est vraiment très fort ce Jésus de Nazareth. Il guérit, il chasse des démons, mais là il a guéri un homme sans même venir le voir, sans même le toucher et même sans paroles, je veux dire que souvent il menace la fièvre, il menace les éléments qui lui obéissent, mais là, rien. Juste une phrase: jamais je n'ai trouvé pareille foi en Israël.. Il parlait de ce centurion qui vit chez nous à Capharnaüm depuis des années. 

A force de nous côtoyer, je crois que ce centurion romain s'est rendu compte que son empereur, même si sa parole fait force de loi dans tout l'empire, même si sa puissance est grande, ne pouvait pas être considéré comme un Dieu. Et il a découvert notre Dieu, notre Dieu qui nous a fait sortir d'Egypte, notre Dieu qui nous a ramené de l'Exil, notre Dieu qui aujourd'hui visite son peuple dans la personne de ce Jésus, de ce Dieu qui est avec nous, de ce Dieu qui est notre force.

Ce centurion, qui est un homme de valeur, a un esclave âgé, auquel il tient beaucoup. On dit que cet homme l'a élevé, et l'a suivi depuis toujours. Mais il est tombé malade, et il est à l'article de la mort. Alors il a pensé à demandé au nouveau prophète de venir chez lui pour qu'il guérisse son esclave.

Il lui a envoyé en ambassade des notables, et Jésus s'est mis en route. Il n'était pas loin quand d'autres sont venus vers lui. Ils lui ont dit que leur ami ne voulait pas mettre Jésus dans l'embarras en lui demandant d'entrer dans une maison païenne. Et surtout ils lui ont dit que leur ami, qui a des hommes qui obéissent à ses ordres, donc à sa voix, était certain que si Jésus ordonnait à la fièvre de tomber, elle tomberait, parce que que lui était bien plus puissant qu'un simple centurion. 

Et là Jésus a été, comment dire cela, surpris, mais c'est bien plus que cela. Il s'est arrêté alors que nous étions tout près de la maison du centurion; et contrairement à ce que je pensais, il n'a pas prononcé de phrase pour chasser le démon qui rendait cet homme malade, il n'a pas prié. Non rien de tout cela. Il a juste dit que c'était la première fois de sa vie que quelqu'un qui n'appartient pas au peuple choisi, avait une telle foi en lui. 

Des amis m'ont certifié que l'homme s'est levé, qu'il avait retrouvé la santé, et cela sans que Jésus le touche.. Qu'est ce que Jésus a voulu dire quand il a parlé de la foi de ce Romain? Est-ce que les Romains, ces païens qui croient en des multitudes de Dieux et qui imaginent même que leur Empereur est un Dieu, ces impies, croiront en notre Dieu, grâce à cet homme? 

Je me pose beaucoup de questions, mais je suis sûr que s'il continue à faire de telles choses, ça finira mal pour lui.