vendredi, février 22, 2019

"Passe derrière moi Satan" Mc 8, 27-33

La honte de Pierre


Quand Pierre, dans l'évangile de Marc, différent des synoptiques, après avoir proclamé que Jésus est le Messie, se fait violemment rabrouer par Jésus qui le traite de Satan, je peux imaginer que le pauvre Pierre a dû se sentir tout petit, tout honteux. Et pourtant à mon avis il était plein d'amour, plein de bonne volonté. Croire que celui qu'il suivait puisse être rejeté par les anciens, les grands prêtres, être tué (et là la mort logique ne pouvait être que la lapidation) et qu'il ressuscite trois jours après, c'en était trop pour lui. 

Mais si on remet cet épisode dans la logique de ce qui est rapporté avant (même si le mot logique n'est pas le bon, mais renvoie simplement à la chronologie voulue par Marc), on pourrait dire que Pierre est un peu comme cet aveugle auquel Jésus rend la vue en deux temps. 

Pierre, en proclamant que Jésus est le Christ (même s'il ne sait pas très bien ce que concrètement cela peut signifier), a une première vision. Ses yeux sont ouverts sur une autre réalité: quand, dans les autres synoptiques, Jésus lui fait comprendre que si cette parole est sortie de lui, c'est parce que c'est le Père qui lui a révélé cela, cela montre bien que les yeux de Pierre sont ouverts. Mais si on revient à l'évangile de Marc, cette vision "globale" manque d'acuité. Pierre ne peut pas saisir pourquoi la fin doit être aussi noire. Et il faudra la Pentecôte pour que la vision soit donnée totalement.

Ce que je veux dire également, c'est que cette guérison d'un aveugle, guérison qui ressemble beaucoup à celle opérée en Décapole sur un sourd profond - qui guérit de deux infirmités (surdité et mutité) - et se passe dans la ville d'origine de Pierre, se fait en deux fois, comme si là aussi il y avait deux infirmités à guérir (vue, au sens large, et acuité visuelle), et peut prendre tout son sens si on  la place dans l'histoire de Pierre. 

Lui aussi est un aveugle, qui commence à voir, mais il lui reste encore du chemin à faire. Et c'est peut-être la transfiguration, qui suit dans cet évangile, qui va lui permettre de dépasser ce qu'il pensait savoir de Jésus, et de commencer à accepter la mort, même si - comme c'est dit - "ils ne comprenaient pas ce que voulait dire ressusciter des morts". 

Car la question qui se pose c'est que, certes, Jésus peut faire des résurrections (fille de Jaïre, fils de la veuve de Naïm, Lazare), mais qui va avoir la parole ou le geste pour lui redonner la vie à lui, au bout de trois jours? Il est certain que la transfiguration, qui comme le baptême montre le lien qui unit le Père au Fils et le Fils au Père, peut changer le regard, mais je pense qu'il faudra la Pentecôte pour que l'acuité soit donnée dans sa plénitude. 

Pour en revenir à la honte de Pierre quand  Jésus le  le traite de Satan, j'ai laissé Pierre raconter. 


Pierre raconte..

Il a donné à manger à quatre mille hommes, et on est parti en barque, parce qu'il ne voulait pas que la foule fasse de lui un "grand chef". Il est monté dans la barque, et ensuite, dès qu'on a été à terre, les pharisiens lui ont demandé de faire un signe venant du ciel, comme si ce qu'il venait d'accomplir et qui faisait de lui un nouveau Moïse ne leur suffisait pas.  Il a haussé les épaules et il est parti. On a repris la barque, et là, avec les autres apôtres, on s'est rendu compte qu'on avait oublié de prendre assez de pains pour nous tous, et on ne savait pas trop qui était le responsable; et quand Jésus s'est mis à nous parler d'une histoire de pharisiens, d'hérodiens et de levain, eh bien on n'avait vraiment pas la tête à ça. Alors lui, il n'était pas trop content. Il nous a fait comprendre que tant qu'on était avec lui, et lui avec nous, il veillerait à ce qu'on ne manque de rien. 

Puis on est passé par chez nous à Bethsaïde. Mais on ne s'est pas vraiment arrêté. Jésus voulait aller à Césarée de Philippe. On lui a amené un aveugle, et il s'est arrêté, parce que les personnes qui étaient avec lui le suppliaient de lui imposer les mains. Et Jésus, quand on le supplie comme ça, il ne sait pas résister. Il l'a pris par la main, il l'a conduit en dehors du village; bien sûr, nous nous étions là. Il a mis de la salive sur ses pauvres yeux, il lui a imposé les mains et il lui a demandé s'il apercevait quelque chose. C'était surprenant, parce que, quand il avait guéri un sourd qui proférait des sons indistincts, celui-ci avait retrouvé l'ouïe et la parole aussitôt.

Et là, l'homme a dit qu'il voyait un peu, mais qu'il ne savait pas trop ce que c'était. Alors il lui a imposé à nouveau les mains, et là, la guérison a été totale. Jésus lui a dit de rentrer chez lui, et ne pas se montrer au village. C'est toujours un peu bizarre, mais c'est comme ça. 

Et on a continué la route. Là, il nous a demandé ce qu'on disait de lui. 

Alors on a répété ce qu'on entendait, que l'esprit de Jean le Baptiste, ou celui d'Elie ou celui d'un des prophètes était en lui, et que c'est pour ça qu'il faisait des miracles. Il n'a pas répondu. Puis il nous a demandé ce que nous, on pensait. Alors là j'ai pris la parole, ou plutôt une parole a jailli de moi, une parole qui reflétait aussi ce que nous pensions tous, et j'ai dit qu'il était le Messie, le Christ. Il nous a alors dit de ne pas répéter cela en dehors de notre petit groupe; c'est étonnant quand même. Des fois, je ne le comprends pas du tout: il fait des miracles et ceux qui sont guéris ne doivent pas le dire; sauf que ça, ça ne marche jamais. Il a une renommée, et on dirait qu'il n'en veut pas. 

Et puis voilà qu'il déclare que le Fils de l'homme doit souffrir beaucoup. Déjà quand il parle de lui en se nommant le "Fils de l'homme", je n'aime pas, parce que je ne sais pas trop ce que ça veut dire, sauf que ça fait penser au messie de la fin des temps annoncé par Daniel et que ça fait un peu peur. Et il continue en affirmant qu'il va être rejeté par le pouvoir religieux, qu'il va être mis à mort et revenir à la vie au bout de trois jours.

Alors là, je n'ai pas supporté qu'il dise des choses pareilles. Il est là pour nous sauver, pas pour être tué. Et je l'ai pris à part, et je lui ai dit que ça ne devait pas arriver, que je le protégerais, qu'il n'avait pas le droit de dire des choses pareilles. Et pendant que je parlais, j'ai vu son visage se fermer. Les autres étaient à quelques pas derrière nous. Il s'est tourné vers eux, il il m'a littéralement gueulé dessus. Il a crié aussi fort que lorsqu'il avait dit à la tempête de s'arrêter. Il m'a traité de Satan, il m'a dit que je ne comprenais rien. Et là, j'ai ressenti une honte terrible. Pourtant je savais qu'il était celui que j'attendais, celui que j'aimais, et voilà qu'il me disait de passer derrière lui, comme s'il ne voulait plus jamais me voir. 

Je ne savais plus où me mettre, c'était affreux. Qu'est ce que j'avais dit de mal... Je l'aime, cet homme qui a dit qu'il ferait de moi un pécheur d'hommes, même si je ne comprends pas trop.

Après il a eu une phrase pour tous les autres, mais je pense aussi pour moi: il a dit que ceux qui voulaient le suivre devaient apprendre à se renoncer à eux-mêmes (peut-être à ne pas parler trop vite, aussi: à tourner leur langue sept fois dans leur bouche, peut-être à réfléchir plus à ce que Dieu attend d'eux), à prendre leur croix, ça je n'ai pas compris sauf que la croix c'est reconnaître qu'on est super pêcheur, et ensuite de le suivre. 

Et moi qui essaie de le suivre, tout ça, je ne sais pas faire..

Il a dit aussi que celui qui perdra sa vie à cause de lui et à cause de la bonne nouvelle qu'il proclame, sauvera sa vie. Alors, ça, ça m'a mis un peu de baume au cœur, parce que si son destin c'est de perdre sa vie, moi je donnerai ma vie pour lui, et je pense qu'il le sait. 

Alors j'ai eu un peu moins de honte et j'ai relevé un peu la tête, et quand il m'a appelé avec Jean et Jacques pour aller sur la montagne du Tabor, j'ai compris que tout ça c'était derrière et qu'il m'aimait pareil.

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