samedi, juillet 20, 2019

Marthe et Marie racontent la visite de Jésus chez elles. Lc 10, 38-42

Marthe et Marie, Luc 10. 38-42


C'est cet évangile qui sera lu - ou proclamé - le seizième dimanche du temps ordinaire. Comme le fait remarquer un commentateur, il fait suite à la parabole du Bon Samaritain. Est ce qu'il y a un lien entre les deux? Jésus est-il le samaritain de Marie qui se fait apparemment attaquer par sa sœur, ou de Marthe? Je pense qu'il est intéressant de regarder en même temps le chapitre 11 de l'évangile de Jean, où Jésus, au moment de la mort de Lazare, s'adresse successivement aux deux sœurs qui curieusement disent toutes les deux exactement la même phrase: "Si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort" (Jn 11,21 et 11, 32). 

La remarque ci-dessus, dans la bouche de Marthe, sonne un peu comme un reproche; de la même manière que ce qu'elle dit dans l'Evangile de Luc: "Cela ne te fait rien ma sœur m'ait laissé faire seule le service? Dis-lui donc de m'aider", que l'on pourrait remplacer par "Dis à ma sœur de m'aider"; phrase que pour ma part j'aime bien rapprocher de la demande de l'homme qui se pense lésé: "Dis à mon frère de partager avec moi l'héritage," auquel Jésus répondra par une fin de non recevoir. Dans l'évangile de Luc Jésus prend la défense de Marie, et fait comprendre à Marthe, qu'à ce moment là, Marie a choisi la meilleure part. Dans l'évangile de Jean, Jésus utilise la phrase de Marthe pour pousser celle-ci à poser une affirmation: "Oui je le crois, tu es le fils de Dieu"; et donc pour aller bien au-delà de ce qu'elle pouvait croire d'une résurrection dans le futur. On reconnaît bien la pédagogie de Jésus

Dans la bouche de Marie, c'est la même phrase (Jean 11), mais comme elle se jette aux pieds de Jésus (décidément c'est là qu'elle semble se sentir bien), celui-ci est bouleversé et ne parle pas; il va même se mettre à pleurer. Sa seule demande sera: "Où l'avez vous mis"? Comme si Marie, en le touchant au plus profond de lui-même, avait pu mettre en route l'acte qui va par ailleurs pousser les Juifs à décider de le tuer.

On a donc deux personnalités très différentes; et Jésus se laisse toucher par Marie, même si plus tard, à la résurrection, il lui dira ne ne pas le toucher, de ne pas le retenir. Mais il avait bien été touché par les pleurs et la volonté de cette femme de récupérer le corps de son Rabbouni. 

On a écrit bien des commentaires sur le texte de Luc; parfois très moralisateurs. Aujourd'hui, je voudrais laisser parler les deux femmes, qui ont eu certainement une vision très différente de l'hospitalité. Je veux dire que Marthe se comporte un peu comme Abraham qui va faire tuer le veau et demander à sa femme de faire cuire du pain pour ses trois hôtes, alors que Marie ne fait rien, elle est juste là, à la place qu'elle pense être la sienne, et elle écoute Celui que son cœur aime. 

Marthe raconte

Quand Marie est revenue à la maison après sa rencontre avec celui qu'elle appelle son maître, j'ai cru retrouver enfin ma sœur, mais elle n'est plus la même. Déjà avant ce n'était pas facile, mais maintenant elle est un peu dans la lune, elle ne fait pas grand chose, elle essaie de savoir où se trouve son Jésus. Et voilà que son Jésus, il est dans notre village, à Béthanie, "la maison des figues", et il s'invite chez nous. 

Naturellement il ne vient pas tout seul, et à moi de préparer le gite et le couvert. Bien entendu les serviteurs sont là, mais ils ne voient pas comme je vois; je dois, de fait, être derrière eux et veiller à tout. J'espérais que Marie, qui le connaît bien, pourrait m'aider, et même me dire ce qu'il aime manger. Mais voilà, elle s'est assise par terre, tout près de lui, à ses pieds. Lui, il parle, ou il raconte, ou il prie. Je ne sais pas. 

Et la moitié du village est là, et ma maison est envahie, et je ne le supporte pas trop. Du coup je ne sais plus où donner de la tête. Il faut bien leur donner aussi de quoi boire et de quoi manger, à tous ceux qui se sont invités. Et d'un coup, ça s'est mis à bouillir en moi. Moi aussi j'aimerais bien pouvoir m'asseoir, pouvoir écouter, pouvoir être remplie par sa parole, mais ce n'est pas possible, pas pensable. 

Alors j'ai osé l'interrompre le Jésus. Je lui ai demandé de dire à ma sœur de m'aider, ce qui est normal. Et puis, en plus, je n'aime pas qu'elle soit là, à écouter, à ne rien faire. Les autres, les pharisiens, les amis de mon frère Lazare, ils vont encore en profiter pour raconter des horreurs sur elle. 

Et lui, au lieu de faire ce que je lui ai demandé - je reconnais que ce n'était pas sur un ton très aimable, mais comme je l'ai dit, je me sentais submergée, il m'a regardée droit dans les yeux, et il m'a dit que je devais cesser de me donner du souci (tiens peut-être qu'il comprend aussi que je me soucie pour ma petite sœur), et de m'agiter pour bien des choses (et là, il a raison, je dois avoir la tête partout et c'est fatigant), mais que je ne devais pas compter sur ma sœur. Il dit qu'elle a choisi la meilleure part, et que cela ne lui sera pas enlevé. En d'autres termes, elle, elle reste là, elle peut se nourrir de sa présence, de sa parole, et moi... 

Il dit qu'une seule chose est nécessaire. Une seule.. Si c'est celle que ma sœur a choisie, pourquoi est-ce que je ne la choisirais pas aussi? Ne plus se soucier, ne plus s'inquiéter, être dans le présent avec lui; et faire confiance aux autres, que je forme quand même depuis des années. 

Et alors là, il s'est passé quelque chose. Je suis allée dire aux serviteurs de se débrouiller sans moi, et que je voulais aussi écouter ce que ce Jésus avait à dire du Royaume, et aussi comprendre pourquoi ma sœur est devenue autre depuis qu'elle l'a rencontré. Je vais leur faire confiance, parce que c'est peut-être cela qu'il veut me faire comprendre. 

Moi aussi, je me suis assise, moi aussi j'ai écouté, et moi aussi j'ai commencé à croire que Celui-là était le Fils du Très-haut.


Marie raconte

Il est là, il est là celui, que mon cœur aime. Il est dans ma maison, enfin dans la maison de ma sœur. Il est entré, il nous a saluées; il s'est installé dans la cour, et les autres sont arrivés, et se sont mis en cercle autour de lui. Il y a des têtes que je connais bien, ceux qui le suivent depuis le début, mais aussi des gens du village qui veulent l'entendre parler du règne de Dieu, de ce Dieu qui est certes le nôtre, mais que lui appelle son Père. Et moi qui ai versé sur ses pieds un flacon de parfum, moi qui ai versé des larmes parce que je me sentais si sale, bien plus sale que ses pieds, je me suis assise à ses pieds, parce que c'est là que je suis à ma place, que je suis bien; et je l'ai écouté, mais je crois aussi que je me remplissais de sa présence, que quelque part je me laissais remplir par lui. 

Et voilà que Marthe est arrivée, avec sa tête des mauvais jours. Elle l'a interrompu en lui demandant de me dire que je devais aller l'aider. Bon, elle a raison, mais Jésus je sens bien qu'on ne l'aura pas toujours alors tant qu'il est là, tant que l'Epoux est là, moi je veux me réjouir de sa présence et ne rien en perdre. 

Et le miracle, c'est qu'il est allé dans mon sens. Il lui a dit qu'elle devait cesser de se donner du souci et de s'agiter pour bien des choses. Et là, je me suis dit que vraiment il la connaissait bien, parce que ma sœur, elle ne sait pas se poser. Je crois qu'elle veut être comme la femme parfaite du livre des Proverbes, se lever la première, se coucher la dernière, veiller au bien-être de tous. Seulement elle, c'est un tourbillon, et elle ne goûte plus la vie. Si je suis partie, c'est un peu aussi pour ne pas devenir comme cela, être mangée par les soucis, alors qu'il y a autre chose. 

Ils se sont regardés. Il a ajouté que j'avais choisi la meilleure part, et que cela ne me serait pas enlevé. J'en aurais pleuré de joie si j'avais pu. Oui, aujourd'hui, c'est moi qui ai choisi cette place qu'il dit être la meilleure; aujourd'hui cette place, personne ne me la ravira et aujourd'hui, je peux dire que ma joie est totale. 

Et ma sœur m'a regardée, mais autrement; et elle est venue s'asseoir à côté de moi. Et quand Jésus a eu fini de parler et de répondre aux questions des uns et des autres, le partage du repas est ven. Et après le repas il est resté, il a demeuré chez nous, et nous sentions que toute notre maison était changée par sa présence. 

Cet homme là, je le suivrai jusqu'au bout du monde…

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