lundi, décembre 30, 2019

"Lève toi, prends l'enfant et sa mère et rends-toi en Egypte" Mt 2,13

La fuite en Égypte

En lisant ce récit de ce que l'on appelle la fuite en Egypte, j'ai été frappée par les verbes utilisés par l'Ange, car de fait ce sont les mêmes que ceux que Jésus utilisera pour un certain nombre de guérisons: se lever, prendre et aller vers. Pour le paralytique de Capharnaüm, c'est se lever, prendre son grabat et marcher (se mettre en route). Parfois, ce sera, se lever, prendre sa croix et suivre. Parfois encore ce sera, prendre, manger et faire mémoire. Et c'est aussi ce qui a été demandé à Abraham, Gn 12. 

Alors si Matthieu dans son évangile nous montre que c'est comme cela que l'Ange du Seigneur (le Seigneur) s'adresse parfois aux hommes, c'est qu'il veut aussi nous montrer que c'est comme cela que Jésus, dans nos aujourd'huis, s'adresse à nous: se lever, prendre (sa croix, ses richesses, sa famille), et aller là où nous n'avions peut-être pas envie d'aller: sur ce chemin que nous avons à découvrir et qui n'est pas un chemin d'exil, mais le chemin vers celui qui est le chemin, la vérité et la vie.


Joseph raconte

Quand les sages sont venus chez nous, à Bethléem, ils nous ont apporté de l'or, de l'encens, et de la myrrhe. Je ne savais pas trop que faire avec ces présents; mais aujourd'hui, alors que nous sommes en route vers l'Egypte, je suis bien content d'avoir avec nous ces trésors qui vont nous permettre de vivre. 

Il faut dire que nous avons quitté notre maison en catastrophe. Les étrangers nous avaient dit qu'ils avaient eu un songe leur disant de ne pas retourner à Jérusalem pour voir Hérode, et ils étaient partis sans se faire remarquer. Et j'étais très inquiet, car Hérode est un roi méchant et cruel, capable de tout pour garder le pouvoir; s'il se sent menacé par mon fils, il est bien capable de le tuer, et nous avec. Je n'arrivais pas à vraiment me reposer, je me sentais dans un état de trouble, un peu comme lorsque Marie était venue me parler de cet enfant qu'elle attendait et qui n'était  pas le mien. Et comme cette fois là, j'ai entendu  une voix, très ferme qui me disait de partir immédiatement; car le danger était là. Alors je me suis levé, j'ai réveillé ma femme et mon fils, j'ai pris les trésors, j'ai pris mon âne et nous sommes partis vers Alexandrie, en Egypte, car là j'ai de la famille.

Je crois que j'ai alors compris ce que notre père Abraham avait pu ressentir lorsqu'il a entendu l'appel du Seigneur à quitter son pays, le lieu où ses pères avaient vécu, et de partir, de tout laisser. Je sais qu'il est parti avec ses richesses, et moi je n'ai rien que cet enfant, ma femme et les dons des étrangers. Je suis devenu un exilé, nous sommes devenus des exilés; mais obéir aux ordres du Très-Haut, c'est le plus important.

Nous avons appris à vivre autrement durant ces mois passés en exil, mais nous avons été accueillis, entourés, et j'ai même pu m'installer; nous commencions à nous y trouver bien. Puis, j'ai appris qu'Hérode était mort. J'avais aussi appris que ce roi sanguinaire avait mis à mort tous les enfants de l'âge de mon fils, tellement il avait peur de perdre sa couronne, comme si mon fils avait l'intention de la lui prendre. Je me disais qu'il serait peut-être possible de rentrer chez nous. J'en parlais avec Marie mais elle ne savait pas trop. 

Et un songe est advenu.. A nouveau cette présence d'un être tout autre, qui me donnait l'ordre de rentrer chez moi. Et là, je me disais que mon fils, il était un peu comme Moïse, qui après son exil à Madian était revenu vers son peuple pour le faire sortir de l'esclavage, pour lui redonner sa liberté, pour en faire un peuple. Car mon fils, il ne sera pas un roi, pas comme Hérode pouvait le croire, mais il sera celui qui donnera la vraie liberté, celle qui affranchit du péché. 

Et j'ai obéi, nous sommes rentrés, étape après étape. Mais nous ne sommes pas revenus à Bethléem, nous sommes allés en Galilée, à Nazareth, dans cette petite ville, proche d'une ville grecque, ce qui allait me permettre de trouver du travail, et de faire vivre ma famille dans l'honneur. 

vendredi, décembre 27, 2019

Jn 20,8: "Il vit et il crut"


Octave de Noël. Jean l'évangéliste.

L'évangile proposé est le début du chapitre 20. Mais le verset proposé comme verset 2 est, de fait, un mixte des deux premiers versets, ce qui m'énerve un peu. Le verset 1 dit que Marie-Madeleine voit que la pierre a été enlevée, et le verset 2 qu'elle annonce à Pierre et à Jean que le corps a été enlevé, ce qui montre sa panique. Un corps sans sépulture, c'est l'horreur. Et pourtant il n'y a que ce signe de la pierre enlevée.

On sait aussi qu'elle s'est levée très tôt, avant le lever du soleil, et qu'on ne voit pas grand chose. D'ailleurs si Jean note que ce sont les ténèbres, ce n'est pas pour rien. On peut être aussi dans les ténèbres quand le deuil vous tombe dessus, quand le désespoir vous assaille... Psychologiquement, elle est sûrement au fond du trou, Marie de Magdala. Et du coup on ne voit que le négatif.

Elle voit simplement que la pierre a été enlevée. Là on ne dit pas roulée, on dit enlevée. Et pour elle, c'est la panique. Un corps, ça ne bouge pas, ça reste où on l'a posé, un peu comme un bébé que l'on dépose dans son berceau et qui ne peut pas se sauver. Elle était venue pour tout mettre en ordre, pour le faire beau, le corps de celui qu'elle aime, et ce corps il a sûrement été volé, jeté quelque part. Et c'est la panique. C'est l'équivalent d'un rapt, on lui a volé son bébé. Il était dans son berceau (tombeau), il ne pouvait bouger, d'autant qu'il était lié par les bandelettes. Et outre ce corps perdu, il y a aussi la perte totale de la maîtrise (on venait pour s'occuper de lui, et là on est désemparé): nous ne savons pas où on l'a déposé. 

De plus, quand même, ce tombeau dans ce jardin, il a été pris au hasard, même si on dit que c'est celui de Joseph. Du coup, on peut penser que les propriétaires sont venus: ils ont enlevé ce corps qui n'est pas à eux, ils l'ont mis ailleurs, mais où? Et là, il est perdu. C'est comme si elle revivait, elle, l'épisode de Jésus perdu et retrouvé au Temple. Il doit être quelque part, on sait où; et voilà qu'il fausse compagnie, et on le perd, on ne peut plus mettre la main sur lui. Mais qui serait venu en pleine nuit, dans ce drôle de jardin rempli de tombes, pendant la fête de la Pâque, pour visiter un tombeau neuf? Trop invraisemblable, n'empêche que sa peur est bien réelle; on l'a enlevé. 

Et pourtant, est-ce que Jésus (j'utilise une traduction ancienne de Jn 10,17-18) n'a pas dit que sa vie "il la déposerait, parce qu'il a le pouvoir de la déposer et de la reprendre"? Et n'est ce pas ce qui se dévoile là? Mais les yeux ne sont pas ouverts. Il faudra le son de la voix de l'Aimé pour que les yeux s'ouvrent.

Alors pour le moment, elle court, elle court pour alerter les deux qu'elle considère peut-être comme des piliers. Et aux aussi se mettent à courir, pour dire que la vie reprend. 
Et tout se centre alors sur les deux hommes qui viennent, pour voir si Jésus demeure encore dans ce lieu. Et on a l'impression que cette course vers ce lieu répond à ce qui s'est passé autrefois sur les bords du Jourdain quand deux disciples de Jean demandent à Jésus où il habite, et que ce dernier leur répond simplement venez et voyez. Là, ils viennent et ils vont voir...

Ils voient qu'il y a des linges, mais que lui, oui, il n'y est plus. Il est certainement dans cette "demeure" dont il leur a tant parlé et où il doit leur préparer une place. Du moins c'est ce que Jean pourra croire dans un premier temps, avant de croire pleinement en la résurrection.

C'est un peu ce cheminement que j'ai voulu rendre en écrivant ce petit texte.


Le disciple que Jésus aimait raconte:

Les deux jours qui viennent de se passer ont été les pires de ma vie. Dans la nuit qui précédait la Pâque, il a a été arrêté, il a été battu, il a été interrogé, il a été condamné à cette mort d'esclave, cette mort sur la croix. Dans l'après-midi, au moment où les agneaux étaient immolés dans le Temple, il a rendu l'Esprit. Il m'a confié sa mère. Je l'ai prise chez moi. Pierre aussi est venu. Il faut dire que Pierre, il n'est vraiment pas bien. Pierre il pleure, pleure. Et il y a de quoi. Simplement chez moi, il est en sécurité. Il faut dire que blesser le serviteur du grand-prêtre ce n'était pas très malin, mais c'est Pierre... Et faire ensuite par trois fois comme s'il n'avait jamais vu le Maître de toute sa vie, il fallait le faire. Mais qui suis-je pour le juger, mais qui ai mes entrées un peu partout dans Jérusalem?

Tout ça pour dire qu'on a du mal à dormir. Et quand Marie de Magdala est venue toquer à notre porte, avant même que les dernières étoiles ne soient parties, je me suis demandé ce qui se passait. Elle nous a dit qu'on avait enlevé le corps… enlevé le corps: en fait, quand elle est arrivée au tombeau, elle a vu que la pierre qui bloquait l'entrée avait été enlevée, et elle a eu peur. Peur que les propriétaires légitimes du tombeau soient venus, aient enlevé la pierre et le corps, et aient jeté le corps quelque part dans le jardin; et qu'il pourrait être la proie des oiseaux et des chiens errants. Alors on est parti le plus vite possible, en ne disant rien à Marie, la mère de Jésus; ce n'est pas la peine de rajouter à sa douleur.

Quand nous sommes arrivés près du jardin qui jouxte le Golgotha, l'impatience nous a saisis et nous nous sommes mis à courir. Il valait mieux ne pas courir dans Jérusalem à cause des soldats romains qui sont toujours soupçonneux. Mais en dehors de la ville c'est plus facile, même si ça grimpe. Je suis arrivé un peu avant Pierre. J'ai bien vu que la pierre avait été enlevée; je me suis penché et j'ai vu sur le sol les linges: bien pliés, comme s'ils n'avaient pas servi. Et comme Pierre est arrivé, un peu essoufflé, juste après, je l'ai laissé entrer. On ne peut pas dire qu'on voie grand chose, mais il a vu, comme moi je l'ai vu ensuite: le linceul et les bandelettes, pliés, sur le sol; et le suaire sur la pierre qui avait supporté son corps, à la place de la tête. J'ai vu cela.

Ça ne sentait pas la mort dans ce tombeau, ça ne sentait pas les aromates, ça ne sentait pas la nuit, ça sentait lui, ça sentait lui vivant: mais ça c'est ce que moi j'ai senti. Et j'ai cru. J'ai compris qu'il n'avait pas été enlevé, qu'il n'avait pas été volé; qu'il était ailleurs, qu'il était dans la vie de son Père, comme il l'avait dit.

Nous sommes rentrés, Pierre perplexe, ne sachant que penser. Moi, rempli d'une sorte de joie. Marie nous accueillis. Elle ne pleurait plus, elle semblait heureuse; mais elle ne nous a rien dit. Je me demande si elle n'a pas vu son fils, mais pour le moment, je ne pose pas de questions. 
S'il veut se manifester, il le fera. Je sais qu'un jour il a dit que personne ne lui volait sa vie- ni son corps! Que sa vie, il la donnait, mais qu'il avait le pouvoir de la reprendre. Et je crois que c'est ce qui s'est passé.

mardi, décembre 17, 2019

"Et qui est-il Seigneur, pour que je croie en Lui?" Jn 9,36

Le chapitre 9 de l'évangile de Jean raconte la guérison d'un aveugle-né, mais l'astuce du rédacteur est de ne pas dire tout de suite que cette guérison, comme celle du paralysé de la piscine aux cinq portiques (Jn 5), a lieu un jour de Sabbat. 

Et ce non respect de la loi fait de Jésus, pour les juifs respectueux de la Torah, un pécheur; l'ouverture des yeux ne peut se faire en eux, et conduit à des désirs de meurtres. "La lumière est venue dans le monde, et le monde ne l'a pas reconnue". 

Ce chapitre exprime, on peut dire concrètement, ce combat: dans ces dialogues entre l'homme guéri et les instances savantes. 

C'est un chapitre que j'aime beaucoup. J'ai donc laissé l'aveugle-né parler, mais aussi exprimer sa tristesse devant ce bloc de résistance à ce qui pourtant pouvait "crever les yeux..."

L'aveugle-né raconte:

"Je n'ai pas le droit de rentrer dans le Temple et cela me tue. Au lieu de prier le Seigneur, de pouvoir offrir des sacrifices, de participer aux fêtes, je suis là, dehors, à tendre la main, à espérer que ceux qui vont passer pour célébrer la fête de la Dédicace voudront bien me regarder, moi, l'aveugle. 

Beaucoup me considèrent comme un pécheur, et s'imaginent même que, comme le dit le psaume, dès le ventre de ma mère j'étais pécheur. Mais moi je ne comprends pas un pareil jugement. Qu'est ce que j'ai fait de mal, qu'est ce que l'ai pu faire pour déplaire à notre Dieu, Béni Soit-il, qu'est ce que mes parents ont pu faire, pour que moi je sois comme puni? Et pourtant le prophète Ezéchiel avait dit que la faute des parents ne seraient plus reportée sur les enfants. 

Je suis là, dehors, je sais que le Temple est illuminé, et comme nous sommes en hiver, j'ai froid, je suis seul, je suis triste. 

Comme je suis aveugle, mes autres sens sont très développés. Et je sais reconnaître le pas des personnes qui passent, je sens quand ils ralentissent pour me donner une piécette, et je connais le son des voix.  
Il faut aussi dire que je ne suis pas comme Tobit, qui avait une membrane sur les yeux qui l'empêchait de voir; moi, je sais que j'ai un regard: je veux dire que mes yeux sont là, mais que la pupille ne bouge pas, et que mon regard est fixe; et c'est comme cela depuis toujours, puisque je suis aveugle de naissance: mais quand on me regarde, on ne comprend pas toujours pourquoi je suis assis là, avec ma sébile.

Et là, je me rends compte que quelqu'un est en train de ralentir son pas: peut-être qu'il va s'arrêter et me donner une petite pièce. Souvent, avec ce que je reçois, je demande à mes parents de mettre un peu d'argent pour moi dans la salle du trésor, mais pour cela, il faut que je reçoive beaucoup de petites pièces.
Ce quelqu'un, il n'est pas tout seul. J'entends des hommes qui l'appellent Rabbi, et qui lui demandent si ma cécité est la conséquence du péché. J'avais entendu parler d'un Jésus, qui est considéré par beaucoup comme un Rabbi; et qui a fait des choses étonnantes comme de guérir un paralytique. Peut-être que c'est lui, peut-être qu'il va me guérir. Mais ouvrir les yeux d'un aveugle-né cela ne s'est jamais fait.

Là je peux dire que je suis attentif à ce qu'il va répondre. Et sa réponse dépasse toutes mes espérances; il a dit que ni moi ni mes parents nous n'avons péché, mais que ma cécité est là pour que se manifeste la Gloire de Dieu. Bon ça je ne comprends pas. Puis il ajoute qu'il est la lumière du monde. Et moi je sais qu'en ce moment le Temple est tout illuminé et j'avais tellement envie de voir cette lumière dans la nuit, dans ma nuit. 

Le pas s'est arrêté, je suis dans l'attente. Je ne sais pas ce qu'il fait, mais il ne me donne rien, il ne dit rien. J'entends le bruit de quelqu'un qui crache. Qu'est ce qu'il fabrique. Et j'ai une sensation bizarre, il me touche les paupières, et sur les paupières il applique quelque chose, cela me fait penser à de la boue, et la boue c'est ce qui a servi au Tout Puissant à créer notre père Adam. Et voilà qu'il me dit d'aller me laver à la piscine de Siloé. Là j'entends le son de sa voix, mais qui est-il cet homme qui me demande de faire quelque chose? 

Alors je me suis levé, et je suis parti. 

Très vite quelqu'un est venu m'aider, parce que marcher dans la foule ce n'est pas aisé, et que Siloé, ce n'est pas si près. Et il y avait cette boue qui séchait, qui craquelait, un peu comme si elle était en train de cuire. Nous sommes arrivés à la fontaine de Gihon, cette fontaine alimentée par la source, et je me suis lavé les yeux. Et elle coulait sur mon visage cette boue, et j'ai trempé mon visage dans la fontaine et quand je me suis frotté les yeux, j'ai vu! Oui j'ai vu! J'étais devenu un voyant, je voyais l'eau qui coulait, les traces de boue sur mes mains, et le ciel, et les arbres, et le soleil! Tout cela m'était donné! Et cet homme qui m'avait guéri, ce Jésus, qu'est ce que j'aurais donné pour le retrouver!

Seulement ma guérison n'est pas passée inaperçue... Surtout que c'était un jour de Sabbat, et que normalement c'est le jour du repos, du grand repos; et que l'on ne doit rien faire. Déjà moi, en lui obéissant, j'avais peut-être fait un trop grand nombre de pas, mais bon il m'avait dit d'aller me laver, et à la voix de cette homme, voix à la fois pleine de douceur et pleine d'autorité, on ne résiste pas.

Et ensuite, ça a été un véritable interrogatoire. D'abord il y a eu mes voisins, qui n'arrivaient pas à croire que c'était moi. Alors je leur ai dit que celui qu'on appelle Jésus m'avait mis de la boue sur les yeux (mais je n'ai pas parlé de la douceur de son geste), et qu'il m'avait dit d'aller à Siloé, de me laver, et que j'avais retrouvé la vue. Ensuite il y a eu les pharisiens qui étaient là pour la fête; et au lieu de se réjouir, ils refusaient de croire. Parce que réaliser une guérison le jour du Sabbat c'est mal, c'est un péché et que donc, à la limite, je faisais semblant. Vraiment des aveugles, ces hommes qui disent qu'ils connaissent la Loi. Ils m'ont demandé ce que moi je pensais de lui, et j'ai répondu que c'était un prophète et pour moi, il était le prophète annoncé par Moïse: celui qui serait plus grand que lui.

Et après, ils ont convoqué mes parents, ils étaient sûrs que je jouais la comédie, que j'avais été payé par Jésus pour faire croire à un miracle. Vraiment la nuque raide ces hommes. Et mes parents ont juste dit que j'étais leur fils, que j'étais né aveugle, que maintenant je voyais, mais qu'ils n'avaient pas vu ce qui s'était passé; et qu'ils n'avaient qu'à me poser des questions. Je me rendais bien compte qu'ils avaient peur. Déjà avoir un fils aveugle, c'était la preuve d'une malédiction; et maintenant que j'étais guéri, ils allaient devenir des exclus à cause de moi. Ils ont juste dit que eux ils ne savaient pas; que j'étais leur fils; et que les questions il fallait me les poser à moi. 

Je dois dire que pendant ce temps là, moi j'avais envie de le voir ce Jésus. Et en même temps je découvrais la splendeur du temple, je découvrais ces couleurs des arbres, des fleurs, je voyais les oiseaux dans le ciel, j'étais dans la joie de voir: ces mots que je connaissais devenaient vivants. 

Et j'ai du me rendre à une nouvelle convocation. Du coup je les ai bien regardés tous ces hommes qui se prenaient pour des juges, et ils n'étaient pas beaux. Je voyais en eux la méfiance, la méchanceté, la haine. Ils ont alors affirmé que l'homme qui m'avait guéri était un pécheur (ce qui m'a fait sourire dedans, parce que pour eux, moi qui avais été un aveugle, j'étais un grand pécheur pour avoir une pareille punition), et que je devais rendre gloire à Dieu. Je n'ai pas rendu gloire à Dieu, je leur ai simplement dit que tout ce que je savais, c'est que pécheur ou pas, avant de le rencontrer je ne voyais pas et que désormais je voyais. 

Du coup, une fois de plus ils m'ont demandé de raconter comment ça s'était passé, et là ça m'a énervé. Je ne leur ai pas répondu, mais pour les énerver (je savais ce que je faisais), je leur ai demandé s'ils voulaient devenir ses disciples. Puis, ils sont partis dans leurs raisonnements habituels: eux ils savent que cet homme, dont on ne sait pas d'où il sort, est un pécheur. Mais moi je leur ai rétorqué que le Très Haut n'exauce pas les pécheurs, et que donc il était de Dieu. Alors là, ça n'a pas traîné, ils m'ont exclu de la synagogue. Je dire que maintenant que je peux entrer dans le Temple, ça ne fait ni chaud ni froid.

Ce qui s'était passé, s'est répandu dans Jérusalem comme une trainée de poudre. Et Jésus a appris qu'ils m'avaient jeté dehors; Je crois qu'il pensait que cela m'ennuyait et c'est lui qui est parti à ma recherche. 

Et cela m'a profondément ému. J'étais un mendiant, je ne demandais rien sauf de l'argent et lui que je ne connaissais pas, il m'a recréé, il m'a donné la vue, il m'a ouvert les yeux. Et de lui-même il m'a retrouvé. Il m'a demandé si je croyais au Fils de l'homme, et je sais que le Fils de l'homme, c'est celui est le sauveur de l'humanité. Et en moi, se sont ouverts les yeux du cœur. J'ai vu en lui bien plus que l'homme qui m'avait guéri, j'ai vu en lui celui qui devait venir, celui qui doit être le sauveur et je me suis prosterné devant lui, parce qu'il n'y avait que ça à faire.

Il a alors dit une phrase qui était un peu comme une sentence de sagesse, un peu comme si Salomon parlait par sa bouche; et cette phrase chante encore en moi.
Il a dit qu'il est venu dans ce monde pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. 

Moi je ne voyais pas, j'ai vu; et surtout j'ai reconnu en lui ce Tout Autre que mon cœur cherche depuis toujours, dans ce qui fut mon monde de ténèbres. Mais eux, ces pharisiens qui m'ont exclu, ils sont bien en train de devenir aveugles, de refuser de voir l'évidence: que cet homme est la lumière du monde. 
Il a eu une phrase très dure pour eux, il leur a dit que s'ils étaient aveugles (mais dans quel sens, aveugle du cœur, aveugle des yeux), ils ne seraient pas englués par le péché; mais que parce qu'ils sont incapables de reconnaître cette obscurité qui demeure en tout homme, obscurité dont le Christ nous délivrera, alors ils restent dans la boue de leur péché. Ils croient voir, mais ils ne voient qu'eux-mêmes. Et je dois dire que cela m'a rempli d'une infinie tristesse. Comment ces hommes qui sont pétris par la Torah, qui essaient de la lire jour et nuit, peuvent-ils ne pas voir que celui-là est bien, comme il le dit, le Fils de l'Homme. Je ne peux que louer le Très Haut de m'avoir ouvert les yeux car désormais je le suivrai." 

samedi, décembre 07, 2019

"Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie" Jn 6,51


Evangile de Jean, chapitre 6 

Certains exégètes pensent que ce chapitre pourrait faire suite directement au chapitre 4 (la Samaritaine) , le pain qui donne la vie suivant l'eau vive. Et on aurait une sorte d'enseignement sur le baptême et l'eucharistie. Pourquoi pas. 

Ce chapitre qui raconte une multiplication des pains, une tempête apaisée ,et un long discours de Jésus, reste relativement compliqué, du moins en ce qui concerne l'enseignement de Jésus. Même en utilisant les "En vérité, en vérité je vous le dis" qui ponctuent ce long discours, que classiquement on appelle le discours sur le pain de vie (pain de la vie), on ne peut pas dire que les choses soient simples. 

Par ailleurs, si on admet que le rédacteur de l'évangile s'adresse, à la fin du premier siècle, à des disciples attirés par la gnose, qui refusent la réalité de l'incarnation et sont choqués par le rituel du repas du Seigneur, on peut comprendre l'aspect polémique de cet enseignement de Jésus. Mais, au delà, il y a l'affirmation de l'identité de Jésus qui se dévoile, qui se révèle; son désir de donner la vie au monde, et l'affirmation "qu'Il est". Que les auditeurs, en prenant systématiquement le contre pied de ce que dit Jésus, soient finalement des faire-valoir, comme Nicodème l'avait été en demandant si un homme peut naître de nouveau en rentrant dans le sein de sa mère, cela peut être un bon artifice de style, permettant à la pensée de Jésus de se déployer, de prendre son envol, et surtout d'attirer à lui ces hommes en manque, mais qui ne le reconnaissent pas. 

Alors, pour rester dans l'ambiance de ce discours, j'ai eu envie de laisser la parole à un disciple proche de Jésus, qui pourrait raconter comment lui avait entendu cet enseignement. Mais volontairement je ne m'appuie que sur les 6 premiers chapitres qui précèdent. Je ne prends donc pas l'évangile comme une catéchèse, mais j'essaie de voir comment quelqu'un qui suit Jésus comprend ce qui s'est passé ce jour-là dans dans la synagogue de Capharnaüm...

Un disciple très proche du Rabbi raconte

"Maintenant, il n'y a plus personne. Et pourtant ils étaient bien nombreux à l'écouter après avoir été nourris. Ils sont tous partis, ils ont tous quitté la synagogue. Encore heureux qu'ils ne lui aient pas jeté des pierres, parce qu'à Jérusalem, après qu'il ait guéri un paralytique, ils voulaient le tuer.

Ils avaient commencé par murmurer contre ce que le Rabbi leur disait; enfin pas murmurer: hurler, tempêter, protester - que ce soient les pharisiens de Capharnaüm ou les disciples: enfin je veux dire certain qui se disent disciples. Ils l'ont laissé. Et il n'est resté que les Douze, et quelques fous comme moi. Et je crois que si Pierre n'avait pas affirmé au nom de tous qu'ils restaient avec lui, que Jésus avait les paroles qui donnent la vie, peut-être que même certains de ceux là seraient partis. D'ailleurs Jésus n'a-t-il pas dit que l'un de ces Douze le trahirait. 
Je me demande vraiment pourquoi tous ceux qui avaient été fascinés par la puissance qui se dégage de lui se sont détournés. Surtout qu'ils avaient vu… 

Et ce qu'ils ont vu, pour moi, c'était bien le signe que Dieu nourrit son peuple, que Dieu est là, que Dieu se manifeste en ce rabbi qui l'appelle mon Père, et qui nous promet la vie éternelle.

Le jour précédent, il nous avait conduits sur une de ces collines qui dominent la mer de Galilée. Et des hommes et des femmes et même des enfants étaient arrivés, il y en avait de plus de plus. Je ne sais pas trop ce qu'ils voulaient: l'écouter lui, le nouveau prophète, être guéris de leurs maladies, je ne sais pas.

Ce que je sais, c'est qu'il y avait beaucoup de monde et que le soir commençait à tomber. J'ai vu que Philippe s'approchait de lui et que ça discutait ferme. Je me suis approché en douce et j'ai compris que Jésus voulait qu'on donne à manger à tout le monde et qu'il n'y avait rien sauf cinq pains d'orge, le pain des pauvres; et deux malheureux poissons grillés. Cela m'a fait penser au prophète Elisée, qui avait reçu vingt pains d'orge et qui avait nourri cent personnes avec; et qui avait même annoncé qu'il y aurait des restes. Mais là, cinq pains pour autant de personnes! Philippe a parlé de cinq-mille hommes, ce qui fait quand même beaucoup.

Puis il y a eu comme un mouvement, parce que les apôtres ont demandé à tout le monde de s'asseoir, alors que beaucoup étaient prêts à partir. Et Jésus a pris les pains, a regardé vers le ciel, les a bénis, et s'est mis à les distribuer. Je suis incapable de vous dire ce qui s'est passé, comment ça s'est passé, mais des pains, il y en a eu pour tout le monde, même si en plus certains qui étaient plus prévoyants que les autres en avaient pris avec eux et du coup le partageaient.

Seulement ça a quand même provoqué une sacrée interrogation. Qui était-il celui là, qui finalement faisait enfin ce que l'on attend d'un roi, donner à manger à tous ses sujets? Alors certains ont commencé à s'agiter, à discuter entre eux.. Ils voulaient le décider à être leur roi, parce que ce qui venait de se passer là, c'était un peu aussi comme Moïse, qui avait donné de la manne dans le désert.
Lui, qui avait demandé de ramasser les restes, quand il a entendu ce qui se tramait, il n'a fait ni une ni deux, il s'est sauvé. Il n'y a pas d'autres mots; il a laissé tout le monde en plan et a disparu. Il doit bien connaître la montagne, mais après tout, c'est son pays.

Du coup les apôtres sont partis eux aussi. Ils m'ont pris dans leur barque, ce que j'ai apprécié. Mais ce que je n'ai pas apprécié c'est que d'un coup, sur ce fichu lac, une tempête s'est levée, une sacrée tempête, et on pensait bien que la barque allait chavirer. Et ça a duré et duré... Et tout à coup, on a vu une silhouette qui marchait sur l'eau. On était morts de peur, déjà les vagues, mais ensuite les fantômes de ceux qui avaient disparu dans le lac, parce que ça arrive parfois. Et voilà que le fantôme s'est mis a parlé. Au son de sa voix on a reconnu que c'était Jésus, qui venait quand même à la rescousse. Et le calme est revenu, et on s'est rendu compte qu'on était au bord du rivage, mais avec la tempête on ne reconnaissait rien.

Dans la journée Jésus est allé du côté de la synagogue, et ceux qui avaient été avec lui hier sont arrivés, ne comprenant pas comment il avait fait pour être là avant eux. Mais il ne leur a pas expliqué. Il les a pris un peu à contre pied, enfin c'est ce que moi je pense, en leur disant que ce qu'ils voulaient c'était du pain à satiété, et que lui, c'était un autre pain qu'il allait leur donner, que ce pain, ce serait lui. Mais il n'a pas dit comment.

Alors bien sûr c'est parti sur la manne, sauf que la manne, elle ne se gardait pas. Et ensuite sur Moïse; et là Jésus a voulu leur faire comprendre qu'il n'était pas un nouveau Moïse, mais l'envoyé du Père, le Fils du Père. Et là, ça a encore grincé. C'est que, voir en ce Jésus dont on connaît les parents et les frères, le fils du très haut, ce n'est pas évident; mais après tout dans les psaumes les rois sont bien appelés aussi fils du très haut. 

Sauf que Lui, quand il parle de son Père, ce n'est pas une figure de style, c'est vraiment son Père, qui demeure en lui, qui lui montre ce qu'il faut faire, comment agir. Mais quand il se désigne comme étant "Moi, je suis", il y a de quoi être surpris, et ne pas comprendre. Il se désigne comme le Très Haut s'était nommé devant Moïse! Mais on peut quand même accepter de se poser des questions, au lieu de se boucher les oreilles en grinçant des dents. Ce qui est sûr c'est qu'aucun prophète n'a parlé de lui-même comme étant le Fils. Ils ont dit être des envoyés, des porte-paroles, mais les Fils non. Pourtant ce que lui réalise, ce qu'il appelle les œuvres ou les signes, si on veut bien ouvrir les yeux, les yeux du cœur, on comprend que cela est bien au delà de ce qu'un homme peut dire ou faire.

Il a été violent envers ceux qui l'écoutaient. Il leur a rappelé qu'ils étaient allés voir Jean pour que ce dernier leur dise s'il était bien l'envoyé, mais qu'ils ne tenaient pas compte de ce que Jean disait. Il leur a dit qu'ils devaient ouvrir les yeux, regarder ces œuvres qu'il faisait, et surtout qu'ils devaient comprendre que si ces signes étaient là, c'est parce que le Très Haut qu'il appelle son Père était tout le temps avec lui et en lui. 

Il leur a donné pourtant donné une sacrée parole d'espérance, s'ils avaient bien voulu ouvrir leurs oreilles, quand il leur a dit que "ceux qui croient en lui ressusciteront au dernier jour, qu'ils auront la vie éternelle." Eux qui passent leur temps à se demander comment faire pour l'obtenir cette vie, ils avaient là, la solution. Mais ils doivent, comme disent les prophètes, avoir la nuque raide et les oreilles bouchées.

Il a bien dit à la femme qui était à côté du puits de Jacob, en Samarie, que les les adorateurs du Père adoreraient en esprit et en vérité. Mais pour recevoir cette possibilité, il donne un moyen fou, un moyen incompréhensible: se nourrir de lui, le reconnaître comme du pain envoyé du ciel.

Et je pense que ce qu'il appelle la vie éternelle, c'est connaître dès aujourd'hui cette présence. Ce n'est pas quelque chose qui ne finira pas, c'est quelque chose de plein, qui remplit, qui comble, qui dilate, qui donne une autre vision. 

Il me semble évident que c'est quand il leur a dit que pour obtenir cette vie éternelle, il fallait manger sa chair et boire son sang que ça a complètement dérapé. Ils ont pensé et qu'il était fou, parce que personne ne donne sa chair à manger; et en plus c'est sacrilège, parce que boire le sang c'est interdit, puisque le sang qui est le le principe de la vie, n' appartient qu'à Dieu. 
Car il a bien affirmé qu'il était le pain de la vie, le pain vivant descendu du ciel, et que celui qui mangera de ce pain là, ne connaîtra pas la mort; Mais moi, je pense que quand il parle de mort, il ne parle pas de la mort du corps, mais d'une vie en plénitude après cette mort là. Mais se pose la question du comment… je crois qu'il parle de quelque chose qui serait plus que les paroles, qui ferait que comme le pain que nous avons mangé, il donnerait quelque chose de lui qui demeurerait en nous, qui resterait, qui ferait de nous en quelque sorte des frères et des sœurs de pain et de sang, mais c'est juste une idée comme ça.

Quand on est amoureux, on a envie de tout donner à l'autre, de se donner complètement, alors peut-être que c'est sa manière à lui de dire qu'il nous aime, que celui qu'il nomme son Père nous aime. Pour moi, il est un amoureux fou de nous et c'est pour cela que je reste avec lui envers et contre tout. Et j'espère bien ne pas être celui qui le trahira, parce que cela il l'a annoncé. 

D'ailleurs n'a-t-il pas dit que Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son fils?

Et puis, un tout petit qui est au sein, il se nourrit bien de sa mère, alors est-ce qu'il n'essaie pas, avec ces mots compliqués, de nous faire comprendre qu'on peut se nourrir de lui, qu'on peut trouver en lui une vraie vie? Bien sûr on est mortels, mais pas seulement; et est ce que ce n'est pas de cette vie spirituelle dont il parle, cette autre vie qui est la connaissance du très Haut?

Et puis, si le "Très Haut" a fait pleuvoir la manne pour nourrir son peuple pendant des années et des années, pourquoi ne pourrait-il pas aujourd'hui nous nourrir autrement? Je pense que celui qui se dit envoyé par Dieu qu'il appelle son Père, qui dit des paroles qui nous ouvrent des horizons nouveaux, doit bien trouver un moyen pour que sa présence demeure en nous autrement? Sauf que c'est bien difficile à imaginer.

Souvent quand il parle, il me semble qu'il dit que nous allons devenir un nouveau peuple, un peuple choisi, mais autrement. Etre libres, être libérés du péché. Et cette liberté, il en parlé à Nicodème. Enfin il me semble. Naitre de nouveau, écouter le souffle de l'Esprit, être dans la vérité. 

Et je me disais que quand il parle de la vie, de la vie éternelle, il y a bien cette vision du prophète Ezéchiel, qui voit une source qui jaillit du temple, qui se transforme peu à peu en fleuve, et au bord duquel poussent des arbres dont les fruits donnent la guérison et la vie. 

Peut-être que lui, qui dit de lui "Je suis", il est la source de la vie, c'est-à-dire Dieu venu nous visiter et demeurer avec nous. Peut-être que ce corps et ce sang dont il parle, sont ces fruits des arbres qui donnent la vie, je ne sais pas. Il trouvera bien un moyen. Seulement je crois bien que jamais les pharisiens ne pourront entendre cela et que ça va mal finir pour lui. 


dimanche, décembre 01, 2019

"Va et ne pèche plus" - Jn 5,14

La guérison du paralytique - Jn 5

Si on suit la chronologie du rédacteur de l'évangile de Jean, Jésus se trouve à Jérusalem, après être passé par la Samarie. C'est un jour de sabbat, un jour où tout travail est interdit, pour respecter le "repos" de Dieu créateur, mais aussi pour faire de ce jour un jour non profane, un jour consacré au Seigneur. Cela, Jésus le sait, et le sait même parfaitement.

Des guérisons le jour du sabbat, il y en a un certain nombre dans les synoptiques. Dans l'évangile de Jean, elle est unique, de même que la pathologie du malade: un paralysé. Et Jésus ici n'attend pas une demande.

Il voit un homme, qui à mon avis peut lui faire penser à son père Joseph. Car si l'homme est paralysé depuis 38 ans, même si ce nombre peut être pris d'une manière symbolique (le temps du désert avant l'entrée définitive en terre promise avait duré 38 ans et cet homme par sa guérison sort du désert), il n'en demeure pas moins qu'il ne s'agit pas d'une paralysie de naissance. On peut alors penser que cet homme a perdu peut-être l'usage de ses jambes lors d'un accident, par exemple en tombant d'un toit... Et qu'il a donc un âge qui tourne autour de la soixantaine, et cela peut pour Jésus évoquer son père et peut-être éveiller sa compassion.

Cet homme n'est pas un mendiant; il attend un miracle. Quand Jésus s'adresse à lui - avec une question qui nous paraît étonnante: "Veux-tu être guéri" - il répond en se justifiant… Ce dont Jésus ne tient pas compte, et lui donne un ordre, très semblable à celui que l'on trouve dans l'évangile de Luc: "Lève-toi, prends ta civière et marche"; trois ordres. Puis Jésus disparaît, comme s'il voulait que l'homme ne s'accroche pas à lui, comme à un bienfaiteur ou à un faiseur de miracles, car ce n'est pas son heure.

Et c'est là que les choses se compliquent, car porter n'est pas permis ce jour-là, et l'homme devient la cible des pharisiens; qui ne rendent pas gloire à Dieu pour la guérison, mais pointent ce qui ne va pas: porter son grabat.

Puis on a une rencontre qui se passe au temple, et qui me paraît importante. Car cet homme, dont j'imagine qu'il est allé directement au Temple pour rendre grâce et gloire à Dieu, retrouve son bienfaiteur. Je pense, même si on n'en dit rien, que ce type de rencontre doit être un bouleversement. Et que Jésus lui dise, un peu comme dans l'évangile de Luc, "va et ne pêche plus", montre certainement qu'il y a eu à la fois guérison de la maladie - de ce qui se voit, on pourrait dire du symptôme - mais aussi du péché, qui lui ne se voit pas; qui est différent d'une personne à l'autre, et qui bien souvent crée des paralysies. Et de cela aussi Jésus guérit. Mais les pharisiens, qui en restent à ce qui se qui se voit, ne peuvent pas le percevoir. 

Faire - ou laisser - parler cet homme, c'est pour moi insister aujourd'hui sur cette double guérison: car l'une ne va pas sans l'autre, et manifeste la divinité de l'homme qui ne respecte pas le sabbat...

L'homme paralysé raconte

Comme toutes les semaines, le jour du sabbat, même si ce n'est pas permis par la loi de me porter, mes enfants me déposent au bord de cette piscine dont l'eau a des pouvoirs miraculeux. Comme moi, ils espèrent. Comme j'ai encore de la force dans les bras, ils pensent que je vais pouvoir me débrouiller pour me plonger dans l'eau quand elle bouillonne. Ils ne se rendent pas compte que c'est impossible; mais peut-être qu'un jour quelqu'un sera là, et me mettra dans un de ces petits bassins qui jouxtent la piscine elle-même.

Cela fait 38 ans que je suis comme ça, trente huit ans que je viens, et mes cheveux sont blancs maintenant, mais je suis toujours là. Trente huit ans, c'est la durée de ce temps où mes ancêtres qui n'ont pas voulu faire confiance à notre Dieu sont restés dans le désert et sont morts. Peut-être que pour moi le temps est arrivé de sortir de ce désert. Peut-être que quelqu'un viendra, mais cela fait tant de temps que j'attends... 

Tiens, il y a un homme jeune qui se dirige vers moi, comme s'il me cherchait. Il s'approche, il me demande si je veux être guéri. Quelle drôle de question! Bien sûr que je veux être guéri, sinon je ne serais pas là. Alors je lui dis que personne n'est là pour me descendre dans l'eau quand elle bouillonne. Et lui il me regarde, me regarde. Il a un regard étonnant, j'ai l'impression de me noyer un peu dans ce regard. Et je sens que dans mon corps quelque chose se passe, comme si ça devenait vivant. Il me dit de me lever, de prendre cette civière qui est la mienne depuis tellement d'années, et de marcher! Et je me lève, et je me baisse pour ramasser mon grabat, et je me mets à marcher!

J'aurais pu rentrer chez moi, mais malgré tout personne ne m'attend. Et le temple n'est pas loin, alors je décide de m'y rendre. Seulement, sur le chemin, je suis interpellé par des pharisiens, qui me demandent pourquoi je porte mon grabat alors que c'est interdit. Je leur réponds que je viens d'être guéri et que l'homme qui m'a guéri m'a dit de ne pas laisser mon grabat mais de le prendre avec moi; et je ne connais pas le nom de cet homme. Ils me demandent alors de venir leur dire qui a fait cela, si je le rencontre à nouveau.

Et dans le temple, voilà qu'il est là. Il prie.. Et à nouveau nos regards se croisent. Et là encore quelque chose se passe. Il me dit une phrase curieuse: "Te voilà guéri, ne pèche plus, il pourrait t'arriver quelque chose de pire"; et à nouveau il disparaît, sauf que maintenant je comprends qui il est. Il s'appelle Jésus, il vient de Nazareth, et parle de Dieu comme si Dieu était son Père; il fait beaucoup de miracles. Je vais prier d'abord, rendre grâce à Dieu pour sa miséricorde, parce que je me sens guéri du dehors et du dedans, et puis j'irai dire aux pharisiens que cet homme s'appelle Jésus, et qu'il est l'envoyé du Père. S'ils ne veulent pas me croire, tant pis pour eux. Moi, je vais le chercher et le suivre, parce que ce qu'il a fait dans mon cœur, personne ne peut le faire. Il a remis la vie en moi, dans mon corps mais aussi dans mon esprit. Béni soit le Très Haut de nous avoir envoyé un tel homme.