dimanche, janvier 05, 2020

L'aveugle-né. Jean 9


L'épisode de l'aveugle-né, qui fait suite à ce qui semble être l'aveuglement des "juifs" vis à vis de celui qui a permis à un paralysé de marcher un jour de Sabbat, raconte la rencontre entre cet aveugle de naissance et Jésus, à nouveau un jour de Sabbat. On peut être surpris par le fait que Jésus ne demande pas à cet homme ce qu'il veut, mais pose un geste qui est presque un geste de création. Prendre de la poussière, la mélanger à un liquide (la salive) pour en faire de la boue, rappelle la création d'Adam en Gn 2. Et pour cet aveugle, voir pour la première fois de sa vie le monde, est bien la naissance d'un homme nouveau, d'un homme neuf, d'un homme renouvelé, d'un homme qui tient tête au groupe des pharisiens et qui se fait exclure de la synagogue. Peut-être que la début du chapitre 10 qui parle de brebis qui connaissent la voix de Jésus, fait référence à cet homme qui s'est laissé guidé par la voix. 

C'est cet homme recréé qui raconte son aventure. 

L'aveugle-né raconte

Non seulement je suis aveugle, mais je suis aveugle de naissance. Mes parents ne s'en sont pas rendus compte toute de suite, parce que comme tous les bébés je tournais la tête aux sons et que l'odeur du sein et du lait me permettait de m'alimenter comme tous les bébés; mais très vite ils se sont rendus compte que lorsqu'on me tendait un objet je ne faisais aucun geste pour le prendre, et que mes yeux restaient fixes. Pourtant on me dit que j'ai de très beaux yeux, des yeux bleus, ce qui est rare dans notre monde; je dis bleu, mais les couleurs je ne les connais que de nom. Apprendre à marcher n'a pas été difficile, mais marcher sans me cogner, ça c'était autre chose. Alors je n'ai pas pu apprendre à lire, même si j'ai une excellente mémoire. Que faire d'autre que de mendier pour ne pas être une bouche inutile. Mais je n'ai pas le droit d'entrer dans le Temple pour mendier, je dois rester à l'extérieur, dans les rues avoisinantes. Il y a des voisins qui me connaissent et qui me donnent parfois une petite pièce.

Mendier, c'est déjà difficile, mais outre la honte de mendier, il y a ce jugement que je sens en permanence sur moi et sur mes parents. Ceux qui passent devant moi pensent tous que si je suis comme cela depuis toujours, c'est que moi, ou mes parents ou mes grands-parents, nous avons fait ce qui est mal aux yeux du Tout Puissant. Et c'est dur à porter ce "regard" négatif, qui juge et qui condamne.

Et voilà qu'aujourd'hui, un petit groupe passe devant moi, ils me regardent sans me regarder; enfin c'est ce que j'imagine. L'un d'entre eux pose une question à celui qui doit être leur chef. Il l'appelle Rabbi et il lui demande si c'est moi qui ai péché ou mes parents. Comme s'il ne pouvait pas s'adresser à moi... Après tout, je suis là, en chair et en os. Mon malheur avec cette cécité, c'est que je suis comme une chose, comme un paquet pour les autres. Je ne parle pas, et pourtant j'ai une voix, une bouche, pour répondre. Mais je suis "parlé par les autres", je suis un objet que l'on méprise. Alors j'ouvre mes oreilles pour écouter une fois encore une condamnation. 

Et là, quelque chose d'inattendu est arrivé. L'homme, celui qu'ils appellent Rabbi, a une belle voix, une voix profonde, une voix qui enveloppe. Il leur réplique que personne n'a péché (et ça pourtant depuis le prophète Ezéchiel les autres devraient bien le savoir), mais surtout il ajoute que mon malheur est là pour que soit manifesté la gloire de Dieu. Là, je n'ai pas compris. Manifester la gloire du Très Haut? Et il ajoute qu'il est la lumière du monde. Qui est-il alors cet homme? 

Puis je me rends compte qu'il se baisse, parce qu'il y a un peu d'air qui bouge autour de moi, puis qu'il se tourne vers moi. Il me met quelque chose sur les paupières, je pense que ça doit être de la boue, parce que de la poussière ici il y en a plein. On me dira ensuite qu'il a malaxé se la poussière avec sa salive. Il ne demande rien.  

Il est debout en face de moi, cela je le sais. Puis, il il me dit d'aller me laver à la piscine de Siloé. C'est tout, pas un mot de plus. Et je me lève, je range ma sébile, et quelqu'un me prend par le bras, et me conduit vers la piscine. La boue sèche, et c'est désagréable; je la sens même qui craquelle. Ça ne sent pas très bon. Mais j'entends le bruit de la fontaine, je m'approche, je prends de l'eau, je la passe sur mes yeux, la croûte s'en va, j'ouvre les yeux et la lumière est là, et je vois. Cette fontaine, c'est là où l'on puise l'eau qui sert aux purifications. Je vois, je vois, je voudrais hurler ma joie; et je voudrais aussi me prosterner devant celui qui a permis cela, parce que ce n'est pas l'eau qui m'a purifié d'un soi-disant péché, mais c'est lui qui m'a guéri, qui m'a sauvé! Seulement de lui, je ne connais que le son de sa voix. 

Alors je retourne vers le Temple, parce que maintenant je vais pouvoir y entrer; et mes yeux voient le chemin, et j'ai l'impression de voler tellement je suis heureux... 

Des amis de mes parents et des voisins me voient et n'en croient pas leurs yeux. Ils se demandent si bien moi. Quels idiots. Bien sûr que c'est moi; et je leur raconte que Jésus a mis de la boue sur les yeux, qu'il m'a dit de me laver à la piscine de Siloé; que je l'ai fait et je suis devenu un voyant. Et du coup ils vont prévenir les pharisiens, les purs, ceux qui savent tout mieux qui personne, parce que ma guérison, elle a eu lieu en ce jour qui est le jour du repos. Est ce que j'ai violé la loi, est ce que Jésus a transgressé la loi? Moi, j'ai fait ce qu'il m'a dit de faire, je lui ai fait confiance et je vois.

Les pharisiens, il y en a toujours qui traînent, me demandent ce qui s'est passé. Je leur raconte, mais ils sont en colère au fond d'eux-mêmes; au lieu de se réjouir pour moi, ils sont déconcertés. Ils se divisent entre eux à cause de lui. Est ce que celui qui a fait la guérison est un possédé? Mais comment un possédé serait-il exaucé par le Très Haut. Ou au contraire est-il celui qu'il dit être, le Fils du Très-Haut? Et ne pas savoir, ils n'aiment pas ça. 

Puis ils ont fait venir mes parents, comme s'ils espéraient que ceux-ci diraient que je n'ai jamais été aveugle, que c'est de la supercherie. Seulement mes parents, ils ne peuvent pas dire ça, parce que le fils qu'il ont eu, il n'a jamais vu; il a toujours été dans la nuit. Mes parents, ils me l'ont dit après, étaient bien ennuyés, parce qu'ils savaient qu'il ne fallait pas parler de Jésus et qu'ils avaient peur d'être mis à la porte de la synagogue; eux qui pensent qu'ils ont fait quelque chose de mal pendant que ma mère m'attendait. Du coup, ils leur ont dit de m'interroger à nouveau.

Ils m'ont fait appeler, je n'ai pas pu dire non, mais là, je dois dire que j'en ai assez. Pourquoi est-ce qu'ils nient ce qui est pourtant clair comme de l'eau de roche. Et voilà qu'ils affirment que Jésus est un pécheur. Et je ne peux pas m'empêcher de leur répondre que ça c'est leur problème... Moi je sais que je ne voyais pas et que maintenant je vois. Et ça les met très en colère, et ils me mettent à la porte de la synagogue. Tant pis, moi ce que je veux, c'est trouver Jésus, celui dont je connais la voix; et le suivre, lui.

Il est venu vers moi, lui cet homme dont je ne connaissais que la voix. Il m'a demandé si je croyais au Fils de l'homme, je crois qu'il se fait appeler comme cela. J'ai répondu que je désirais plus que tout le voir, alors de sa belle voix, il a dit que c'était lui. Je me suis prosterné devant lui, parce que même si je ne sais pas trop ce qu'est le fils de l'homme, je sais qu'il est rempli de la puissance et de la grâce du très Haut, que le très Haut a fait en lui sa demeure, et qu'il est Dieu avec nous et que grâce à lui, je vois. Et en me relevant, j'ai regardé ses yeux. Ses yeux à lui, ils ont une couleur indéfinissable, je dirais un peu comme du gris, un gris qui parfois réfléchit le ciel, un gris qui peut être doré, une couleur qui n'est rien qu'à lui. 

Il a dit ensuite une sorte de sentence de sagesse: il a assuré qu'il était venu dans le monde pour que les aveugles voient (et moi je peux en témoigner) et que ceux qui voient deviennent aveugles. Je suis sur qu'il parlait des pharisiens qui croient voir, sauf que c'est un peu dur quand même. Mais ceux qui étaient là ont pris la mouche, et lui ont demandé si c'était pour eux qu'il disait cela. Et il ne les a pas détrompés. Il a affirmé que parce qu'ils se disaient des voyants et des purs, leur péché demeurait. Est-il un nouveau Salomon?

Et quand il a parlé de péché, quelque chose s'est ouvert aussi en moi. Bien sûr il m'avait rendu la vue, mais Lui qui dit être la lumière du monde, il a en quelque sorte enlevé toute cette boue qui est en moi (pas seulement sur mes yeux) cette boue qui fait que mon cœur bien souvent est incapable de voir où est la volonté du Très Haut. Cet homme, il a les mots qui disent Dieu, et je vais le suivre. C'est sa parole que je vais mendier désormais; et je sais que sa parole me rendra libre. 

Aucun commentaire: