jeudi, mai 03, 2007

Sur la route de Ninive, pensées de Sara fille de Ragouel, femme de Tobias, fils de Tobit

Catherine Lestang
« Sur la route de Ninive ».
Ce que peut penser Sara, fille de Ragouel, femme de Tobias, fils de Tobit.

Je porte le même prénom que la femme de notre père à tous, Abraham. Les écrits nous disent qu’avant de s’appeler Sara elle s’appelait Saraî ce qui veut dire « ma princesse ». Je crois que c’est comme cela que j’aurai du m’appeler et non « princesse » car j’ai été la princesse de mon père. Je suis l’unique fille d’un couple de déportés en Médie, lors de la chute de Samarie et je crois que mon père tient à moi, plus qu’à tout, peut-être même plus qu’à sa vie. Par sept fois, il a essayé de me trouver un époux et par sept fois celui-ci est mort la nuit de nos noces. Jamais je n’aurais pu imaginer me trouver là où je suis aujourd’hui, sur la route de Ninive, au milieu d’une importante caravane, qui avance bien trop lentement au goût de mon époux, Tobias, fils de Tobit.

Car il est impossible d’aller vite quand on doit se déplacer avec des animaux, des serviteurs et des servantes donnés par mon père pour sceller mes noces.

Mon époux a décidé d’aller de l’avant avec son compagnon Azarias. Je me demande d’ailleurs comment sa mère Anna va m’accueillir car c’est à cause de moi que son voyage en Médie a duré aussi longtemps.
Si Tobias est loin de Ninive, c’était pour chercher de l’argent laissé en dépôt chez un ami de son père à Rhagès et non pour prendre femme.

D’ailleurs jamais mon père n’avait pensé à lui, comme époux pour moi sa princesse, bien qu’il soit mon parent le plus proche, car la situation de son père est loin d’être enviable. Lui qui fut riche est devenu un pauvre et sa femme Anna doit travailler. Jamais il n’aurait eu la dot nécessaire. Et il se trouve que c’est mon père qui a donné la moitié de ses biens, ce qui est contraire à nos coutumes. Aujourd’hui ce juste, car il est certainement un juste, dévoré par la fidélité et l’amour de la Loi, est devenu aveugle. Il a connu la prison, a été dépouillé de tous ses biens, car sa fidélité à la loi l’a conduit à enterrer ceux de notre race, qui tués par le roi de ce pays, demeuraient sans sépulture. Et ce faisant, il signait sa propre condamnation.

Tobias est persuadé que sa mère qui ne voulait pas le laisser partir, malgré la présence de ce compagnon et de son chien, est dans l’inquiétude. Peut-être pense-t-elle qu’il est mort et qu’elle a perdu son unique fils. Car cela fait des jours qu’il aurait dû être rentré de Médie, la contrée d’où je suis originaire. Certes nous aurions pu dépêcher un messager, mais avec les festivités de mon mariage nous n’y avons pas pensé. Je me demande comment elle va m’accueillir. Comment vais-je vivre dans cette nouvelle famille, loin des miens ? Mon époux, mon frère, m’a donc laissé ici, au rythme lent de la caravane et est parti avec Azarias.

Etrange cet Azarias, ce compagnon surgi de nulle part, bien qu’il se dise fils fils d’Ananias. Fidèle à son nom, « Le Seigneur a secouru », il me semble que par sa présence et son savoir il a comme exaucé mes vœux les plus chers : sortir de ce déshonneur qui pèse sur mon père, depuis que les hommes qu’il m’avait choisi comme époux sont morts avant que le mariage ait peu être consommé. Les sept sépultures qui sont dans notre jardin me rappelaient cela chaque jour, chaque nuit. Moi qui désirais mourir, il a été la miséricorde du Très Haut. Il me semble aussi que sa présence à permis à mon époux de quitter le statut d’enfant pour devenir un homme sûr de lui.

Ne lui a t il pas fait tirer du fleuve ce poisson qui voulait pourtant l’entraîner dans la mort ? Ne lui a t il pas fait mettre de côté le fiel, le cœur et le foie et jeter les entrailles ? Ne connaît-il pas les secrets des guérisseurs ? Ne lui a t il pas indiqué notre ville alors qu’il devait se rendre à Rhagès pour reprendre de l’argent laissé en gage chez Gabaël et non à Ectabane, la ville où j’habite. Je sais bien que son nom signifie « Le Seigneur a secouru », mais au fond de moi, je le nommerai bien Raphaël car grâce à lui, « Dieu a guéri » car il a permis à Tobias de me guérir de la malédiction qui pesait sur moi et sur ma famille.

Le jour où il est arrivé dans notre demeure, j’étais désespérée. Une de mes servantes m’avait accusée de tuer les maris que l’on m’avait donnés. Et elle avait prononcé sur moi une malédiction : «va donc les rejoindre, et qu’on ne te voie jamais de toi, ni garçon ni fille ». Elle me condamnait à la stérilité. J’ai eu alors envie d’en finir avec la vie, de me pendre. Seule la pensée de la peine de mon père m’a empêché de faire l’irrémédiable. J’ai appelé Dieu à mon aide. Je l’ai imploré pour qu’Il me regarde avec pitié s’il refusait de me faire quitter ce monde.

Quand Tobias conduit par Azarias est arrivé à la porte de notre maison,mon père a tout de suite trouvé sa ressemblance avec de Tobit de Ninive. Il s’est alors rappelé que c’était lui qui devait être mon époux, mais il n’osait pas sceller cette union, à cause de la présence de ce démon Asmodée présent dans notre demeure et qui se complait à tuer. Mais Tobias a insisté et nous avons été donnés l’un à l’autre.

C’est alors que devant tous, alors que nous étions dans ma chambre, il fit brûler sur les braises le cœur et le foie de ce poisson péché dans le Tigre. Je ne sais ce qui se passa alors, mais je fus certaine que cette odeur avait mis en fuite le démon. Ensuite nous nous retrouvâmes seuls et nous adressâmes ou plutôt Tobias adressa une prière à notre Dieu. Il lui demanda d’avoir pitié de lui et pitié de moi et de nous mener à la vieillesse. Je répondis Amen avec tout mon cœur. Nous nous sommes alors endormis l’un à côté de l’autre. Nous ne savions pas que mon père persuadé que le mauvais sort était encore là, avait fait creuser une tombe dans le jardin. Nous n’avons entendu aucun bruit, car nous reposions en paix. Lui aussi apprenant par les servantes que nous étions en vie tous les deux adressa une intense prière de reconnaissance notre Dieu.

Au lieu de durer sept jours, les festivités durèrent deux fois plus. J’avais même l’impression que mon père avait du mal à me laisser partir, à me laisser entrer dans cette autre vie, que j’espère féconde et sous le regard de Dieu. Tobias heureusement fit preuve d’autorité et nous partîmes.

Et maintenant, je viens de voir le chien qui accompagnait Tobias, qui vient à ma rencontre en me faisant fête. Je crois que mes craintes d’entrer dans une telle famille sont vaines et que le très Haut m’a exaucée au-delà de tout ce que je désirais. J’espère tant trouver Tobit guéri de sa cécité pour que notre joie à tous soit totale.

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