samedi, juillet 28, 2018

Des agneaux et des brebis.

Dans le temps après Pâques, on relit la fin du chapitre 21 de l'évangile de Jean, et j'ai eu envie de réfléchir à ces agneaux et à ces brebis que Jésus confie à Simon fils de Jean, et de chercher ce que sont les agneaux et les brebis dans l'ancien testament; car les évangiles se comprennent mieux si l'on fait référence à ce qui fut l'histoire du peuple choisi.

            De l'agneau à la brebis

Dans la finale de l'évangile de Jean, Jésus dit à Pierre, d'abord sois le "berger" de mes agneaux, puis sois le "pasteur" de mes brebis; et enfin à nouveau "sois le berger" des brebis. Dans tous les cas, il s'agit du troupeau qui appartient à Jésus et qu'il remet à Simon, Fils de Jean et non à "Pierre", ce qui est étonnant. De fait, le Pasteur, c'est Jésus, et Pierre est le représentant du pasteur, mais surtout le berger. Si on prend le chapitre 34 d'Ezéchiel où il est question de pasteur, le pasteur c'est c'est celui qui possède le troupeau, alors que souvent le berger peut être un employé qui, même s'il a une très bonne connaissance du troupeau et de ses besoins, n'en n'est pas le propriétaire. C'est la même chose pour le vigneron, qui possède la vigne, et le vendangeur qui coupe les grappes, fait le vin mais n'est pas le propriétaire. 
Mais mon propos est surtout de réfléchir sur les mots agneaux et brebis. Avoir un troupeau de brebis c'est un signe de richesse, encore faut-il savoir s'en occuper. Peut-être que si Jacob est devenu le "père" du peuple d'Israël, c'est parce qu'il a su faire prospérer et fructifier les brebis de son beau-père Laban, et avoir lui aussi un beau troupeau (Gn 30). 

L'agneau: de l'Ancien au Nouveau testament

Le mot "agneau" ne figure que peu dans le premier testament. Il apparaît quand Isaac demande à son père où est l'agneau du sacrifice. Et là il est clair que l'agneau est la figure du fils, comme le bélier sera représentation du père. Dieu aurait très pu faire apparaître un agneau, mais le bélier renvoie à Abraham lui-même qui devient réellement père ce jour là, en laissant partir son agneau de fils, pour qu'il devienne ce qu'il doit devenir, pas une chose ou une copie de son père.

On le retrouve ensuite dans le livre de l'Exode, en Ex 12,3, où l'agneau là encore est sacrifié à la place des premiers nés, (qui devront par la suite être rachetés). L'agneau bien sûr est mentionné dans le Lévitique, mais là dans sa fonction d'holocauste. Par la suite, l'agneau est toujours associé au sacrifice; on peut penser au texte du serviteur (Is 53): "Comme un agneau que l'on mène à l'abattoir", ou au texte de Jérémie (Jr 11,19): " Moi, j'étais comme un agneau docile qu'on emmène à l'abattoir". Puis le mot disparaît, jusqu'à l'arrivée de Jésus lors de sa rencontre avec Jean le Baptiste (Jn 1,29) qui le désigne comme l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde - ce qui est bien la fonction de l'agneau holocauste; il donnera sa vie pour sauver l'humanité et non plus le seul peuple Israël; et enfin le mot apparaît dans l'Apocalypse (Ap 5, 6): "Je vis un Agneau debout, comme égorgé"; et là, l'agneau n'est plus victime: il est vivant, il est debout.

        Alors qu'est ce que Jésus fait comprendre à Pierre? 

Peut-être que les agneaux ce sont ceux que l'on aime le plus: alors ce seraient ceux de la première heure, ceux qui un jour donneront aussi leur sang pour leur église. Etre le berger des agneaux, c'est être le berger de ceux qui ont connu Jésus de son vivant, mais aussi des petits, de ceux sur lesquels il faut veiller pour qu'ils grandissent. Et si l'agneau renvoie à l'holocauste, alors peut-être que l'on peut dire que Pierre est bien appelé à être le berger de ceux qui seront à l'image de Jésus des "agneaux offerts"...

Les brebis, de l'Ancien au Nouveau Testament.

Puis il est question par deux fois de brebis, avec la même question: "M'aimes-tu?" Si on fait référence aux synoptiques, Jésus compare souvent la foule à des brebis sans pasteurs, et le rôle de Pierre sera alors comme Jésus celui qui rassemble en Son Nom à Lui, les brebis qui sont loin, celles qui sont perdues, celles qui sont égarées, celles qui sont malades ou blessées, et aussi celles qui vont bien (Ez 34). Mais si on fait référence à l'évangile de Jean, il y a les brebis qui connaissent la voix du berger, mais aussi celles qui ne sont pas de la bergerie. Et peut-être que de ces autres brebis, Pierre devra s'occuper, comme de ce centurion Corneille qui est un païen; même s'il ne semble pas avoir tellement envie de s'en occuper (Gal 2, 11).

Alors peut-être que l'on peut penser qu'il s'agit des brebis de l'enclos, celles qui ont entendu la voix, ou qui l'attendent, mais aussi des brebis des autres bergeries (celles auxquelles Paul sera envoyé en premier), mais dont Pierre est  le pasteur désigné. 

Donc des agneaux, qui renvoient à ceux qui donneront leur vie, et des brebis qui sont à la fois celles qui viennent du peuple juif et d'autres brebis, celles qui vont entendre l'appel de la bonne nouvelle et qui ayant une autre origine seront aussi des brebis. 

Les brebis, les troupeaux de brebis doivent être l'objet des soins du berger, il doit choisir les bons pâturages (Ps 23), mais ils sont aussi un certain signe de richesse. Celui qui possède un troupeau est un homme qui ne sera pas dans le besoin. Et si on se réfère à la parabole donnée par Nathan au roi David, il y e entre la brebis et son propriétaire une relation très forte: "il l'aimait comme sa fille" (2 Sam 12).

Et si on revient au texte d'Ezéchiel, on se rend compte qu'il peut arriver pas mal de choses à ces brebis: il y a la brebis perdue, la brebis égarée, la brebis blessée, la brebis malade, et aussi la brebis en bonne santé. 

Quand on lit la parabole du berger qui a cent brebis et qui en perd une, curieusement on pense qu'elle a perdu son chemin, qu'elle n'a pas suivi les autres, qu'elle est tombée dans un trou, qu'elle s'est égarée. Or égarée et perdue ce n'est pas la même chose.

Si Ezéchiel fait parler Dieu, qui s'adresse à ceux qui avaient en charge le peuple d'Israël, et qu'il parle de brebis perdues, que veut-il dire? Jésus ne parle-t-il pas des brebis perdues de la maison d'Israël, brebis vers lesquelles il est envoyé? 

Alors qu'est ce qu'une brebis perdue? On peut voir cela du côté de celui qui possède la brebis, ou bien du point de vue de la brebis.

     La brebis perdue

Il y a le maître, qui a laissé se perdre la brebis (il était absent et elle ne savait plus qui suivre), donc c'est lui qui l'a perdue, il ne s'est pas occupé d'elle. Cela, Dieu peut le reprocher à ceux qui avaient en charge son peuple. Peut-être est-elle allée dans d'autres pâturages, elle y a trouvé son compte, et ne veut plus revenir. Alors là, le maître a bien perdu sa brebis. Mais peut-être qu'un jour elle trouvera que ces pâturages ne sont pas les meilleurs, elle retrouvera le désir des anciens pâturages et reviendra. Je pense que c'est cela ce que disent les prophètes, mais aussi Jean le Baptiste et surtout Jésus. Réveiller le parfum de la présence, donner le désir d'aller vers un Dieu qui vous attend, qui vous respecte, qui vous aime.

Mais, on peut aussi parfois croire que le maître veut se débarrasser de sa brebis, et parfois les épreuves (et l'exil pour le peuple en a été une sacrée!) peuvent détourner du maître. Dans nos contes de fées, les parents qui abandonnent leurs enfants dans la forêt, c'est parce qu'ils sont dans une période de disette, et qu'ils ne supportent pas de voir leurs enfants mourir sous leurs yeux; et peut-être qu'ils espèrent que quelqu'un va leur donner à manger., Et la souffrance des parents est réelle; alors on peut imaginer que lorsque le peuple vit ces épreuves qui finalement vont le fortifier, le maître souffre pour ses brebis; mais c'est le seul moyen, sauf qu'il prend un véritable risque. 

Mais perdre la brebis, cela veut dire la laisser se tourner vers d'autres Dieux, devenir adultère?

Cette brebis-là, elle a perdu son cœur pour le tourner vers un autre. Autrefois, quand on parlait d'une fille "perdue", cela voulait dire: on a eu une fille, mais elle n'existe plus pour nous, et elle a pris le mauvais chemin, elle a perdu nos principes, c'est une fille de mauvaise vie. Or Dieu, lui, va vers ces filles là, parce qu'il sait que ce n'est peut-être pas de leur faute; et il les reprend telles qu'elles sont. Il n'y a rien à faire; juste à savoir que pour Dieu, rien n'est jamais perdu. Et Jésus, c'est pour ces brebis-là qu'il est envoyé, pour ces brebis qui ont perdu le gout de Dieu, qui n'ont plus besoin de lui, qui vivent sans lui et qui ne se rendent pas compte qu'elles ont perdu le sens de leur vie. Et c'est ce que Jésus a fait en allant vers les publicains et les pécheurs. Et c'est ce que Pierre et ceux qui lui succèderont sont amenés à faire.

     Une brebis égarée, c'est une brebis qui, a un moment donné, ne sait plus qui croire, que faire, qui suivre. Et ce temps peut-être un temps plus ou moins long. Ce peut-être le temps de la folie (où on erre dans les tombeaux sans savoir où aller, où on ne sait plus bien qui on est, qui est l'autre, ce que l'on doit faire). Et là Dieu arrive, redonne ses repères, et parle (là je pense à Jn 10). Une brebis égarée est dans l'attente. La brebis perdue ne l'est peut-être plus. Peut-être que ces brebis égarées, ce sont tous ces possédés dont parle l'évangile.

     Une brebis blessée, c'est qu'elle s'est fait mal en tombant ou en étant attaquée. Il y a une plaie, et cette atteinte, Dieu va la panser. Ce n'est pas un acte magique, parce qu'il faut du temps pour la guérison, mais Dieu est là. 

    Une brebis malade, c'est une brebis faible, dépendante des autres. Et celle-là, Dieu ne la rejette pas. Mais parfois il faut aller la chercher parce qu'elle se cache, elle a honte.. 

    La brebis  "normale". Quant à la brebis qui est restée là où il fallait, il y  a un risque, c'est qu'elle ne se soucie pas des autres, qu'elle mijote un peu dans sa graisse. Alors celle-là, elle doit se soucier de ce qu'elle mange, de ce qu'elle enfourne, mais c'est aussi au berger de veiller sur elle. Car il est aussi question de la brebis maigre ou de la brebis grasse; qui sont dans le troupeau, mais sur lesquelles il faut aussi veiller. 

Alors voilà toutes les brebis dont Pierre est chargé. Et il a bien du du travail en perspective, car il lui est demandé d'être le berger, mais aussi le pasteur, ce qui n'est pas tout à fait pareil. Le berger c'est celui qui au jour le jour s'occupe des brebis, là où elles sont; le pasteur, même si cela peut paraître très proche, est aussi celui qui cherche les "bons lieux", qui doit voir à long terme; et si on se réfère au chapitre 10 de l'évangile de Jean, c'est celui qui, à l'image de Jésus, doit marcher à leur tête, et donner sa vie pour ses brebis. 

jeudi, juillet 26, 2018

Réflexions sur le chapitre 10 de Matthieu

Mt 10,28 "Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps". 

Cette phrase m'a toujours interrogée, car quel est celui qui a le pouvoir de faire périr dans la géhenne l'âme aussi bien que le corps? Cette phrase je l'ai interprétée dans un sens psychologique, http://giboulee.blogspot.com/2012/12/reflexions-pas-encore-assez.html, en réfléchissant sur la question du mal, car les personnes qui ont été la proie du mal dans leur enfance, bien souvent semblent (et cela est très lié à la structure psychologique induite par ce "malheur") avoir bien du mal à vivre et non pas à survivre (ce qu'elles disent toutes). 

Est-ce qu'il s'agit de Dieu lors d'un jugement, ou bien est-ce qu'il est question du diable (le Mal), qui peut corrompre tellement l'âme qu'au moment de la mort, l'être humain ne pourra pas vivre dans le royaume? 

Il m'a paru intéressant, de reprendre l'ensemble de ce chapitre 10 de l'évangile de Matthieu, pour remettre la phrase dans son contexte.  

Au début de ce chapitre, on voit que Jésus, après avoir choisi ceux qui vont le représenter, donne à ses douze "envoyés "des pouvoirs qui sont les siens, du moins en partie: expulser les démons, et guérir toute maladie et toute infirmité. Il ne leur a pas donné le pouvoir de pardonner, mais de guérir et de délivrer. 

Vient ensuite une liste de recommandation qui s'adresse certes aux apôtres: "aller vers les brebis perdues de la maison d'Israël" (terme qui renvoie certainement au livre d'Ezéchiel Ez 34, c'est à dire ces personnes qui ne savent plus où aller, qui ont perdu leurs repères, faute de berger), mais aussi à nous aujourd'hui.

 Il s'agit peut-être simplement, là où nous sommes, dans nos communautés, d'aller vers ceux qui sont perdus ou qui se sentent perdus (encore qu'il faut réfléchir à ce que l'on met sous ce mot). Que Jésus leur demande de ne pas entrer dans les villes des nations païennes et chez les samaritains paraît un peu étonnant, (surtout depuis que le pape François parle des périphéries), mais il y a ce risque dénoncé dans le premier testament de "se faire avoir" par les faux dieux, et peut-être qu'à ce moment là Jésus veut protéger ses apôtres de certains risques. Et peut-être que parfois c'est aussi un risque pour nous.

Puis les pouvoirs des apôtres sont en quelque sorte étendus, et cela est bon de à entendre: ils doivent guérir, ressusciter, purifier, expulser (je ne garde volontairement que les verbes). Et cela permet de comprendre que le royaume de Dieu est là, qu'il est tout proche. 

Une fois munis de ce viatique, ils peuvent se mettre en route, mais tels qu'ils sont: pas de provisions, car ils doivent apprendre à faire confiance à ceux qui vont les recevoir, et aussi à faire confiance - cela sera dit à la fin du chapitre - à l'Esprit Saint, qui leur enseignera à la fois ce qu'il faut dire pour annoncer la Bonne Nouvelle, et pour se défendre le jour où la persécution arrivera.

Arrivent alors ces recommandations qui peuvent faire un peu peur à celui qui se veut missionnaire: être comme des brebis au milieu des loups, être malgré tout prudents comme des serpents et candides (simples) comme des colombes, risquer les coups, les arrestations, la mise à mort. Et c'est là qu'apparaît la phrase qui est pour moi un questionnement depuis fort longtemps -  "Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l'âme, mais craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l'âme aussi bien que le corps" - qui, dans le cas d'une église en train de se construire, a tout son sens. 

L'évangile de Matthieu étant, comme tous les évangiles, une catéchèse qui s'adresse entre autres aux juifs qui ont reconnu que Jésus est l'envoyé, le messie, le sauveur, le Fils du Très Haut, veut - en reprenant des phrases que Jésus a peut-être employées - leur dire que si on les met à mort parce qu'ils refusent de renier celui en qui ils ont mis leur foi, c'est leur corps qui sera mort, mais leur âme restera vivante quoiqu'il arrive. Mais s'ils cèdent à des propos pernicieux, s'ils abandonnent leur foi, alors ils risquent de se retrouver corps et âme dans ce lieu de tourment que l'on appelle la Géhenne. La mort de l'âme dans ce contexte, c'est de renier Dieu, mais c'est aussi se renier soi-même, renier ce en quoi on a mis sa foi, son espérance, sa manière de vivre. C'est perdre ce noyau qui permettait de se sentir existant, mais qui permettait aussi d'exister pour et avec le Tout Autre. Ce que dit, je crois, Jésus, c'est que l'être humain ne peut tuer que le corps de celui qui croit, mais que si celui qui a cru, sous la contrainte est mis à mort et en même temps perd la foi, alors il se retrouvera, par le jugement de Dieu, exclu du royaume.

La question qui se pose pour moi est bien celle de la mort de l'âme, de tuer l'âme comme le dit le texte. Bien sûr, on peut répondre en terme de péché (voir tout ce qui a pu être écrit sur les péchés dits "mortels"). Et on pourrait se lancer dans toute une réflexion sur l'homme qui s'est détourné de Dieu (qui est devenu l'esclave du Péché, du mal, du tentateur, de Satan) et auquel Jésus par sa mort et sa résurrection redonne vie en le libérant de ce qui l'aliénait et lui ouvre les yeux du cœur. 

J'ai pour ma part rencontré beaucoup de personnes qui, violées ou maltraitées dans leur enfance, vivent avec en elles une partie d'elles qui a été mise à mort un jour de leur vie. Toutes disent: "j'aurais préféré mourir, pourquoi est ce qu'il ne m'a pas tuée". Et elles vivent avec une partie d'elle qui est morte, car la vie s'est arrêtée ce jour-là; sans parler de la douleur somatique et des conséquences psychiques comme la dissociation. 

Et cette partie bien souvent continue à les entraîner vers la mort, comme si le mal voulait les garder captives; pour moi, ce vécu est peut-être aussi une mort de l'âme. Par ailleurs beaucoup d'entre elles vivent, dans la réalité quotidienne, un véritable enfer sur terre, car elles s'estiment responsables de ce qui leur est arrivé. SI dans si l'enfance on vit quelque chose de terrible c'est que l'on a commis quelque chose de terrible et que l'on doit le payer. Je connais quelqu'un qui disait: "Je suis sûre que j'irai en en enfer parce que si j'ai vécu ce que j'ai vécu, c'est que j'ai dû faire quelque chose que Dieu ne peut pas pardonner".

Pour le dire autrement, ce que je pense c'est que ces personnes qui ont été confrontées au mal avec un M majuscule, quand elles essayent de s'en sortir, sont souvent confrontées à une espèce de force qui les pousse vers le bas. Même des personnes qui croient en Christ ont des pulsions suicidaires massives, dès qu'elles se sentent un tant soi peu abandonnées ou rejetées, comme si le suicide restait la seule issue face à la souffrance (et ce n'est pas moi qui leur jetterai la pierre); ce qu'elles veulent en fait ce n'est pas mourir, c'est arrêter de souffrir ou de vivre une vie qui au regard social n'en n'est pas une.

Seulement voilà, ces personnes, du moins celles que j'ai la chance de connaître, ont en elles une capacité d'amour incroyable. On peut dire que c'est parce qu'elles ont besoin (enfin) d'être aimées qu'elles sont serviables, gentilles, prévenantes. Mais avec ce qu'elles ont vécu, on pourrait s'attendre à l'inverse. Et même si parfois elles aiment d'une manière un peu possessive, et font des erreurs (mais qui n'en fait pas) parce qu'elles veulent éviter à ceux qu'elles aiment les mêmes déboires que ceux qui leur ont été infligés, elles aiment. 

Et celui qui aime, même s'il fait des erreurs, même s'il lui faut apprendre à aimer peut-être autrement, celui là n'a pas perdu son âme et il est plus fort, parce qu'il n'a pas étouffé l'esprit qui est en lui et qui le pousse à aimer. Et même si un jour il cède à la force de la souffrance, je suis sûre qu'il n'ira pas dans la Géhenne. Celui qui ira dans la Géhenne, ce sera celui qui a scandalisé au sens fort cet enfant qui est devenu un adulte, qui a joué avec lui pour en faire son objet, qui a essayé de s'emparer de son coeur et de son âme. Si je dis cela, c'est bien aussi parce que je crois que même si Dieu est Amour, Dieu est aussi Justice et que je crois en sa justice. 

Mais pour ces personnes qui si souvent vivent dans la honte et la culpabilité, je crois qu'au soir de leur vie, ces personnes qui ont pourtant été sevrées d'amour, et qui savent aimer, c'est sur cet amour qu'elles seront "jugées". 

A nous de leur montrer que leur cœur est un cœur de chair et non un cœur de pierre et peut-être de leur permettre de découvrir que ce germe d'amour qu'elles ont su faire fructifier, est le germe d'une autre présence en elles, celle de Celui dont le cœur est malade d'amour pour l'humanité. 

samedi, juillet 21, 2018

Les brebis et les boucs. Mt 25

Cet évangile renvoie au jugement dernier. Il est lu relativement souvent, et à chaque fois comme j'aime bien les chèvres (plus que les moutons), je regrette cette dichotomie. Mais...

Mais je me suis dit que les boucs (ou les béliers dans d'autres traductions), ne renvoient pas seulement au mal (ce qui est le cas du bouc, parce que spontanément nous pensons au bouc émissaire ou aux représentations du diable), mais que cette représentation évoque aussi la force; aux combats corne à corne pour être le maitre du troupeau.

Globalement les boucs, ou les béliers, ce sont ceux qui ont de la puissance, de l'endurance et qui au fond d'eux mêmes sont surs d'être les meilleurs. Alors je pense que leur surprise doit être bien grande de se rendre compte que ce sont les brebis, qui vont entrer dans le royaume et pas eux.

En d'autre termes, réussir dans la vie, être fort et puissant, n'est pas du tout un critère de réussite pour la vie éternelle.

2R2,11 "ils étaient en train de marcher tout en parlant".

En lisant le texte du deuxième livre des Rois qui rapporte l'enlèvement du prophète Elie, 2R 2, 1-15 j'ai été surprise par cette phrase: " ils étaient en train de marcher tout en parlant, lorsqu'un char de feu avec des chevaux de feu les sépara". 

Si dans un premier temps ce texte peut évoquer l'Ascension qui pourtant d'après les récits de Luc s'est passé dans la sobriété, puisqu'il est question de séparation, le début de ce verset m'a fait penser à ce qui s'est passé sur la route entre Jérusalem et le village d'Emmaüs.

Car là aussi, il est bien question de "parler tout en marchant" ou de "marcher en parlant". 

Bien sûr,  ce sont pas les mêmes mots, mais les disciples marchent et échangent entre eux, puisque Jésus va se mettre à marcher avec eux les interroger sur ce qui les rend tristes et abattus. On peut bien dire qu'il parle et marche avec eux, il est celui qui chemine et qui parle. Dieu n'est-il pas un Dieu qui chemine? 2 Sam 7,6. 


Elisée assiste à un enlèvement "grandiose" de ce prophète qu'il a servi, il voit du feu, il voit le tourbillon de l'ouragan, puis il ne voit plus rien. Je pense que s'il déchire ses vêtements c'est parce qu'il a "perdu" son maitre. En même temps puisqu'il a "vu" il sait qu'il va recevoir le "double de l'Esprit qui résidait en Elie", esprit certes de Dieu mais esprit souvent de force plus que de douceur. 

Quand Jésus après la fraction du pain, disparaît aux yeux des ces deux disciples (somme toute quelconques),qui ont marché et mangé avec lui, eux, ils ne voient rien, mais ils ressentent en eux ce feu, feu dans leur coeur: notre coeur n'était il pas tout brûlant tandis qu'il nous parlait sur la route et nous commentait les écritures?Luc 24,32. On n'est plus dans le voir, on est dans autre chose. 

L'absence crée en eux une ouverture, ils ressentent en eux ce feu, ce feu qui rend leur coeur tout brûlant, ce feu de la présence de l'Esprit, ce feu qui les pousse à repartir sur le champ pour témoigner, témoigner de la résurrection, mais aussi de ce  Feu qui est déjà répandu en eux et que Jésus dans ce même évangile promet à ses apôtres.


mercredi, juillet 04, 2018

"Si je ne vois pas la marque des clous…" Jn 20, 25.

"SI je ne vois pas la marque des clous…" Jn 20, 25.

Une fois de plus, en entendant ce texte: "Si je ne vois pas la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas ma main dans son côté, je ne croirai pas" je me dis qu'il y a peut-être autre chose à tirer de ce texte, tellement connu, que l'incrédulité de Thomas. Sortir des sentiers battus...

Bien sûr, Jésus lui reproche son incrédulité à Thomas, bien sûr Jésus appelle bienheureux ceux qui croiront sans voir, mais la question que je me pose c'est: qu'est ce que Thomas a vu, pour qu'il proclame la divinité de Jésus?"

Le texte oppose le "nous avons vu "des apôtres à ce que répond Thomas et qui est du style, "vous pouvez me dire ce que vous voulez, des esprits moi je sais que ça existe, et vous savez comme moi que les esprits savent vous faire prendre des vessies pour des lanternes; alors moi, même si vous êtes sûrs de vous, je ne suis pas rassuré pour autant. Et je veux des preuves. Vous dites qu'il a montré ses mains et son côté, mais des illusions c'est possible et moi je veux voir et je veux toucher. Je veux en quelque sorte sentir le trou, sentir le vide sous mon doigt, parce que mon doigt, il ne me racontera pas d'histoires".

Je pense que pour comprendre ce qui se passe dans cette première finale de l'Evangile de Jean, pour aller un peu au-delà, il faut mettre en parallèle avec ce qui s'est passé lors du dernier repas pris par Jésus avec ses disciples et en particulier en Jn 14, parce qu'il s'est passé quelque chose entre Jésus et Thomas. 

A ce moment là, Jésus annonce qu'il va partir préparer une place pour ses amis (disciples) et que le lieu où cette place sera préparée, ils le connaissent. N'empêche que pour Thomas, qui à cet instant est plus ou moins le porte parole des autres, c'est loin d'être évident, puisqu'il affirme ne pas savoir où va Jésus et donc ne pas pouvoir en connaître le chemin. A quoi Jésus répond par cette phrase que nous connaissons si bien: "Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi" (Jn 14,5-6).

Et là, il est question d'un chemin; et ce chemin que Thomas dit ne pas connaître, c'est maintenant qu'il va l'explorer.

Thomas a vu son maître mort. Comme les autres, il vit dans la peur du futur. Et voilà qu'on lui raconte que Jésus, comme les femmes l'avaient dit, est revenu d'entre les morts, qu'il leur a montré ses mains et son côté (pas les pieds) et qu'il leur a donné le pouvoir de remettre les péchés, ce qui est quand même l'attribut de Dieu. Alors, on peut comprendre que c'est de l'ordre du discours de fou.. Il est complètement perdu. Je pense qu'il voudrait bien les croire les autres, qu'il s'en veut de ne pas avoir été là, et que le chemin, lui, il l'a complètement perdu..

Alors que se passe-t-il? Il voulait voir. Alors Jésus lui donne à voir..

Mais la question qui se pose, c'est qu'est ce que Thomas a vu, parce que finalement il n'a pas touché. 

Pour avoir travaillé en milieu chirurgical, j'ai vu beaucoup de trous, et je me permets d'imaginer que ce qui est donné à voir à Thomas, ce n'est pas un simple trou qui est en train de cicatriser, non c'est autre chose, parce que le corps de Jésus a changé.

Ce qu'il lui est donné de voir, c'est quelque chose qui renvoie à la transfiguration. Il y a le trou, oui, il y a la marque de la plaie, mais il y a aussi un jaillissement de lumière, un jaillissement d'énergie qui fait comme un puits de lumière autour de ce trou, autour de ces trous. Ces trous, j'ose dire que c'est un peu le buisson ardent: c'est la présence du Seigneur. 

Et le cri de Thomas, c'est de reconnaître, en celui qui est devant lui, la Présence du Père. On pourrait presque dire que ses yeux s'ouvrent: pour lui le chemin qui, par Jésus, mène au Père, est devenu réel. 

Alors son cri: "Mon Seigneur et mon Dieu", c'est le cri de la "re-connaissance", en prenant ce mot dans le sens du voir enfin ce qui était fermé.

Pour Thomas, il y a révélation, comme il y aura révélation pour Paul sur le chemin de Damas. 

Des chemins, nous en avons tous; pour chacun d'entre nous ils sont différents, mais ils nous mènent tous au Père.

Contempler les plaies/cicatrices de Jésus, ces trous qui sont remplis de vie, qui ne ne renvoient pas à la mort mais à la vie, qui sont lumière, c'est un chemin qui fait de nous des visionnaires, des voyants, des croyants, des témoins. Il ne s'agit plus de voir, plus de toucher, mais quelque part de rentrer dans ce ballet de lumière qui révèle la Présence.


lundi, juillet 02, 2018

"Les renards ont des terriers", Mt 8, 20

Le petit morceau d'évangile qui nous est proposé aujourd'hui, en général je ne l'aime pas.

Les commentaires se centrent sur "le fils de l'homme n'a pas d'endroit pour reposer sa tête", et on parle de Jésus comme d'un homme malheureux, sans domicile fixe, qu'il faut plaindre. Et j'ai toujours pensé que Jésus sait parfaitement ce qu'il fait et que somme toute, des lieux pour se poser, (la maison de Pierre, ou Béthanie) il en a, sauf que ce n'est pas chez lui. Par ailleurs les phrases dites sont des phrases intransigeantes, presque rébarbatives.

Il me semble qu'une fois de plus, il faut remettre les choses dans leur contexte. Jésus, après les conseils de la vie "parfaite", passe si je puis dire à l'acte avec les guérisons en pagaille (lépreux, serviteur du centurion, belle-mère de Pierre, malades et possédés). Il montre ce qu'est ce serviteur dont parle Isaïe 53: il "prend", au sens de prendre et mettre ailleurs, ce qui fait du mal à l'humain, ce qui le rend infirme. Mais cette puissance qu'il révèle (ou cette miséricorde), peut être mal interprétée, il y a toujours ce risque dont parle l'évangile de Jean ("sachant qu'ils allaient le faire roi, il les renvoya" Jn 6, 15);  et partir sur l'autre rive est un moyen de reprendre de la distance.

C'est au moment où Jésus se dispose à partir qu'un scribe arrive. Et la phrase qu'il dit n'est pas neutre du tout - "Maître, partout où tu iras, j'irai" - car  c'est à peu de choses près la phrase prononcée par Ruth quand sa belle-mère Noémi se prépare à revenir chez elle à Bethléem. Le scribe voit que Jésus est sur le point de partir et, comme Ruth, il refuse la séparation et montre son désir de suivre, de s'installer avec Jésus. Mais on ne s'installe pas avec Jésus, et c'est bien ce qui est signifié là.

Avoir un terrier, avoir un nid, c'est aussi avoir un lieu où l'on peut élever ses petits. Ruth a trouvé un foyer, elle a pu avoir un enfant. Ce que dit Jésus, c'est que lui, il n'aura pas ce lieu où l'on peut faire des projets, il sera toujours en route, et celui qui le suit doit renoncer jusqu'à l'idée de se survivre en donnant la vie.

Quant à l'autre disciple, qui lui demande d'aller enterrer son père, ce qui me semble-t-il est une obligation, il évoque un autre passage, celui de l'appel d'Elisée par Elie; sauf que dans le livre des rois, c'est Elie qui appelle et Elisée qui demande la permission de prendre congé de sa famille, ce qui lui est reproché par Elie (1R,20). Alors, que veut dire Jésus, à cet homme qui veut être son disciple? Que nous dit-il à nous? Car la phrase est quand même rude: "Suis-moi, laisse les morts enterrer leurs morts". Il me semble, c'est ce que me dit ce texte aujourd'hui, qu'il y a en nous des parties mortes, des parties qui nous empêchent de vivre. Et que Jésus, en nous libérant (et c'est ce qu'il montré par les guérisons précédentes), nous permet de ne pas laisser le passé nous empêcher de vivre le présent. Il nous demande de vivre le présent, son présent.

Alors, au lieu de se lamenter sur ce Jésus qui n'a pas de maison, il nous est demandé - si nous voulons être disciples - de lui demander de nous séparer des parties de nous qui sont des parties tournées vers la mort; mais aussi de le suivre, comme Ruth a suivi sa belle-mère, sans trop savoir ce qui va advenir, et lui faire confiance.

Et si on lit la suite du chapitre, on voit que ceux qui ont suivi Jésus dans sa barque se paient la tempête du siècle...