dimanche, septembre 20, 2020

Matthieu 20 1-16. Les ouvriers de la onzième heure

"Beaucoup de premiers seront derniers et beaucoup de derniers seront premiers". 

 

Cate phrase termine le chapitre 19 de l'évangile de Matthieu. A Pierre, qui demande quelle récompense auront ceux qui ont tout quitté pour le suivre, Jésus donne une réponse curieuse: d'abord il annonce que celui qui aura tout quitté pour le suivre recevra le centuple, et surtout aura la vie éternelle; ce qui peut sembler satisfaisant. Mais il y a cette petite phrase: "Beaucoup de premiers seront derniers, et beaucoup de derniers seront premiers", qu'à mon avis on interprète un peu de travers dans un sens moralisateur du moins pour nous. Les derniers appelés à la mission, sont toujours les ouvriers de la onzième heure, et alors... Bien sûr on peut parler de gratitude de notre part de savoir que beaucoup auront la même récompense que les "anciens", mais chacun supporte le poids du temps à sa manière. Et ce qui compte c'est le "beaucoup". Pas tous, mais beaucoup. Et là c'est l'abondance qui se dit. On sort de la rétribution pour aller ailleurs; cet ailleurs est bien la bonne nouvelle. 

 

Cette petite phrase notée ou rajoutée par Matthieu, et qui en quelque sorte encadre la parabole qui suit, permet de comprendre que dans le Royaume il y aura des inversions, que cela ne marche peut-être plus au mérite, mais à la mise en route, au changement. On connaît la réponse de Jésus au bandit crucifié en même temps que lui et lui, on peut bien le considérer comme un ouvrier de la dernière heure!


 

Dans cette parabole, il est question d'une vigne. 


Dans la Bible, la vigne c'est le domaine du Dieu, c'est Israël. Alors, dans une première approche, vendanger cela permet de faire le vin des noces, noces de la rencontre entre le Très Haut et l'Humanité, parce qu'avec Jésus, du moins dans les évangiles, il y a un changement de perspective. Et le vin, il est composé d'une multitude de grains; et parfois ce peut être un grain (un autre cépage) qui fait la différence. Alors peut-être que celui qui arrive en dernier donne au vin son goût particulier.

 

Maintenant c'est vrai aussi, et je viens de le lire dans un commentaire sur cet évangile, que nous sommes temporellement les ouvriers de la onzième heure, comme on disait autrefois, parce que nous sommes les derniers appelés. Sauf que nous ne savons pas quand aura lieu le Retour et s'il y en aura d'autres qui viendront après nous. 

 

Alors il n'y a pas à se battre la coulpe d'être dans ce temps là. 


Mais si on pense que Jésus s'adresse certes à ses disciples, mais aussi à d'autres tels que les pharisiens, qui depuis un certain nombre d'années se battent pour que le nom de Dieu soit respecté et sanctifié, pour que le règne de Dieu arrive (les jeûnes et les prières, c'est aussi pour cela), alors oui, ils peuvent trouver anormal que les disciples de Jésus (et parmi eux il y a des publicains, des prostituées, bref des pêcheurs) aient comme eux la vie éternelle. Ils se considèrent comme les premiers, et c'est aussi à eux, autant qu'à nous aujourd'hui, que Jésus s'adresse. Faire de bonnes choses, c'est bien, mais ce n'est pas cela qui ouvre le royaume. On aura peut-être de sacrées surprises de l'autre côté… Alors ne soyons pas surpris… Il y a des personnes que nous jugeons pas bien et qui pourtant seront - si on accepte la notion de classement (ce que je n'aime pas) - bien mieux classées que nous, après l'examen de passage qu'est la mort.

 

 

Maintenant si on relit cette parabole, on peut aussi penser à la joie de ceux de la dernière heure... Et c'est ce que j'ai voulu exprimer, parce que ces laissés pour compte, en étant embauchés, retrouvent une dignité; et c'est bien là le travail de restauration que fait en chacun l'Esprit saint, à un moment où à un autre.

 

 

 

C'est un de ceux de la dernière heure qui raconte, à sa manière.

 

Si vous aviez vu la tête des autres...


Nous, et là je veux dire moi et mes amis, qui sommes considérés comme des fainéants - et c'est vrai que le travail, surtout la vendange, ce n'est pas trop notre truc-

 on a reçu le même salaire que ceux qui avaient été embauchés dès le petit matin! 


Mais il fallait voir aussi notre tête: parce que le Maître n'avait pas parlé vraiment de salaire. Un denier, vous vous rendez compte? Avec un denier on allait pouvoir payer un peu nos dettes, acheter des figues, acheter des choses que nous ne mangions plus depuis longtemps, et rentrer chez nous les mains pleines.

 

Je vous raconte. 


Le maître de ce domaine là, il aime bien savoir qui il fait travailler chez lui, et il ne laisse pas son intendant se charger de l'embauche. Il sait que le travail est rare par ici, alors quand la vigne a donné son fruit, il embauche. Bon ça, on le sait, mais comme j'ai dit, c'est dur... Bref, au petit matin, il va sur la place du village, il demande aux hommes qui sont là s'ils veulent travailler à sa vigne. D'après ce que je sais, ils aiment travailler, ils aiment vendanger, ils sont même habiles. Un salaire a été fixé un denier pour la journée. C'est un bon salaire, même si la journée va être longue pour eux. Le travail de vendangeur ce n'est pas rien, mais le soir il y a le repas partagé, et surtout le gout du jus du raisin pressé.

 

Alors ils ont convenu d'un salaire et ils sont partis travailler. Puis le maître est revenu à la troisième heure. Il y avait à nouveau des hommes qui attendaient. Il les a embauchés, sans dire le salaire: il a dit "le juste prix". Ensuite, vous n'allez pas me croire, mais il est revenu au moment des heures les plus chaudes, à midi et à trois heures. Il veut vraiment que tout le raisin soit cueilli. Puis il a vu que du raisin il en restait encore et il est revenu et c'est là qu'il nous a trouvés. Il nous a demandés d'un ton pas très aimable pourquoi nous étions là, à attendre on ne sait trop quoi. Et il nous a dit d'aller à sa vigne. Et on s'est mis à cueillir ce qui restait, mais aussi à ramasser le bois mort, et faire du propre..

 

Le temps a passé, et celui qui devait nous payer est arrivé, l'intendant. Il nous a appelés en premier; on s'attendait à quelques grappes et peut-être quelques pièces, mais il nous a donné à chacun une pièce d'un denier. Nous n'en croyions pas nos yeux. 

 

Puis il a appelé ceux de la neuvième heure, puis ceux de la sixième heure, et il a fini par ceux qui avaient été embauchés au petit matin. Et à ceux là, il a donné une pièce d'un denier, comme à nous tous. Alors là, il y en a un qui s'est mis à ronchonner. En général quand ça ronchonne, le Très Haut n'aime pas, souvenez vous de ce qui se passait dans le désert à la sortie d'Egypte. Et le maître est arrivé, pas trop content. Il lui a demandé pourquoi il se sentait lésé, puisqu'un contrat avait été passé. Et il a dit une phrase qui résonne encore dans mon cœur: "Pourquoi ton regard est-il mauvais, alors que moi je suis bon". Bon c'est ce que dit le très Haut quand il crée la lumière, quand il sépare les eaux d'en bas avec les eaux d'en haut, quand il crée les animaux, quand il crée l'homme. Alors croyez moi ou pas - cela n'a pas d'importance - mais moi, ce n'est pas tant cette somme que je n'avais pas vraiment méritée qui m'a rendu heureux, mais cette parole. 

 

Moi aussi, je veux que désormais mon regard devienne bon, pour que je sois à l'image et à la ressemblance du Créateur. Je suis heureux, et je travaillerai toujours pour ce maître qui est juste parce qu'ill est bon, et qui est capable de nous transformer au dedans de nous, de changer notre regard. Je suis heureux d'avoir été un dernier et peu importe si je deviens premier ou pas; ce n'est pas cela qui compte, c'est que mon regard devienne autre, que mon regard ne soit pas dans la comparaison ou la jalousie, que je cesse de récriminer, parce que récriminer, je connais; mais que tous les jours de ma vie, je me laisse prendre par cette parole. Le regard du maître de la vigne est un regard de bonté et d'amour, qui voit au-delà et qui permet aux derniers de devenir comme les premiers.


mardi, septembre 08, 2020

Luc 6, 6-11. Guérison de l'homme à la main desséchée.

La guérison de l'homme à la main "desséchée". Lc 6,6-11

 

On trouve le même récit chez Marc (Mc 3,1-5) et chez Matthieu (Mt 12,9), mais à des endroits différents. Chez Luc cet épisode, qui se trouve au début de la vie publique, suit celui des épis, non pas "arrachés" mais "froissés", montre clairement le dialogue de sourds qui s'installe entre Jésus et les pharisiens. Cette guérison est ici suivie par la création du collège des apôtres. 


Chez Marc, ce texte est aussi suivi de l'appel des Douze, et c'est chez lui que l'on trouve ce commentaire sur le regard que Jésus porte sur ceux qui veulent lui faire du mal: "un regard de colère, navré de l'endurcissement de leur cœur" J'ai écrit un billet sur ce texte:   https://giboulee.blogspot.com/2018/01/etends-ta-main-mc-35.html


Quant à Matthieu, au chapitre 12, les apôtres ont été nommés, et on arrive à ce tournant où les pharisiens discréditent Jésus et parlant d'une alliance avec le Mauvais, ce qui fera réagir Jésus avec beaucoup de vigueur. 

 

Ayant travaillé avec des personnes I.M.C., "infirmes moteurs cérébraux", que ce handicap soit lié à des séquelles de naissance ou à des séquelles d'accidents cardio-vasculaires (AVC), je peux dire que lorsque le membre supérieur est lésé, la main prend une position anormale, légèrement recroquevillée sur elle-même; qu'arriver à détendre est très difficile. C'est une main raide, qui ne se laisse pas faire, une main morte, une main qui a perdu toute vigueur, une main desséchée, un peu comme une feuille morte. 


Cette main, bien souvent il faut la cacher, d'autant qu'elle n'est pas ou peu fonctionnelle. Une jeune fille dont je me suis occupée un certain temps disait de cette main, qu'elle refusait de montrer, qu'elle était "pourrite"; cette main, elle la cachait dans la manche de son pull-over, hiver comme été. Et je me suis rendue compte qu'elle-même se voyait comme cette vilaine main, cette main pas belle: bonne à jeter aux ordures! 

 

Alors, quand j'entends lire cette péricope, c'est d'abord à cela que je pense: vivre avec une main toute pourrite. Lorsque Jésus demande à cet homme de se lever, d'aller au milieu de l'assemblée, j'ai toujours pensé que Jésus lui demandait quelque chose de difficile - devenir le centre des regards, être regardé - mais aussi qu'il le sortait de son statut d'infirme, statut qui à l'époque était souvent un statut de pécheur. Le verbe utilisé dans la traduction AELF, "il se dressa", montre bien me semble-t-il ce qui se passe pour cet homme, qui n'a peut-être pas demandé à venir là, mais qui est censé servir de piège pour Jésus, donc être un instrument de mort; et qui en se dressant, un peu comme un un étendard, se sent vivant... 

 

C'est cela que j'ai voulu mettre en évidence en laissant parler cet homme. 

 

Mais on peut aussi faire un lien avec la vision des ossements desséchés qui reprennent vie (Ez 37), car il en va de même pour cet homme, qui reprend vie, même s'il n'y a pas de paroles de guérison explicitement prononcées. Les mots "étends ta main", (montre ta main à tous), montre alors la puissance de vie qui est en Jésus. La main devient vivante grâce à la présence de celui est rempli de la force de l'Esprit.

 

L'homme infirme raconte

 

En général, moi je ne vais pas à la synagogue pour le shabbat. Depuis qui j'ai eu cette crise qui a pris ma main, et un peu aussi tout mon côté droit, je n'aime pas me montrer. 


Ma main, je la cache et moi aussi je me cache, parce que je sais bien ce qu'ils disent de moi, les bien-pensants; que j'ai fait quelque chose de mal et que le Très-Haut m'a puni. Sans ma main droite, je ne peux pas faire grand chose… Je suis dépendant des uns et des autres. Certains me font l'aumône, alors je n'ai pas pu refuser quand ils m'ont dit de venir pour prier et écouter les textes. 

 

Ce qu'ils ne m'avaient pas dit, c'est que Jésus, le nouveau prophète, serait là. Alors j'ai compris qu'ils se servaient de moi pour lui tendre un piège. On n'a pas le droit de travailler ce jour là, et pour eux la guérison est un travail. Je pense que cette manière de voir est fausse, mais eux, ils sont comme ça. Du coup je me suis installé tout au fond, comme pour disparaître, ne pas être vu. 

 

Et Jésus était là. Il enseignait. Il parlait justement du livre de Daniel, la vision des ossements desséchés. Et il disait que le souffle de l'Esprit était là aujourd'hui, et qu'il pouvait donner vie à ce qui semblait mort. Quand il a eu fini de parler, son regard a balayé l'assemblée, et s'est arrêté sur moi. Il m'a demandé de me lever, et me mettre au milieu. Alors, malgré ma main bien cachée dans la manche de mon manteau, il a dû la voir, ma main desséchée. Et quelque chose en moi s'est mis à espérer. 


Et moi, qui étais tassé sur moi-même, je me suis redressé, je me suis dressé fièrement (et il y avait longtemps que ça ne m'était pas arrivé), et je suis allé auprès de lui au centre. 

 

Je me demandais ce qu'il allait dire, me dire, je pensais à quelque chose comme" ta main est guérie".


Mais il ne s'est pas adressé à moi, il a demandé aux autres si c'était permis de faire le bien le jour du sabbat, de sauver une vie. Personne n'a répondu; moi j'avais envie de hurler: "Tu as le droit de me guérir, tu as le droit de me sauver, parce que moi je ne vis plus depuis que ma main est morte!" 

 

Le silence était pesant. Je sentais bien qu'il était malheureux, qu'il aurait voulu que ceux qui se disent des pratiquants sortent de leur paralysie mentale. Il s'est tourné alors vers moi, et m'a dit de tendre ma main. Mon Dieu, qu'est ce que j'aimerais la tendre cette main! J'ai déplié mon bras, et ma main a repris sa souplesse, elle est redevenue vivante, elle est devenue légère, elle est devenue chaude, elle était ma main... 

 

Il n'a rien ajouté. Il est parti sans se retourner, sans me regarder. 


Moi je suis resté sur place. Et tout d'un coup, je me suis senti des ailes. Je suis sorti aussi, j'ai couru après lui, je l'ai invité chez moi. Et lui, et certains de ceux qui vivent avec lui, sont venus; et ma maison s'est remplie de rires, et ma maison est redevenue vivante; et ma femme a retrouvé elle aussi le sourire, sans parler de mes enfants.

 

La vie qui est en lui, il nous l'a donnée. Que Dieu soit béni.