mardi, septembre 08, 2020

Luc 6, 6-11. Guérison de l'homme à la main desséchée.

La guérison de l'homme à la main "desséchée". Lc 6,6-11

 

On trouve le même récit chez Marc (Mc 3,1-5) et chez Matthieu (Mt 12,9), mais à des endroits différents. Chez Luc cet épisode, qui se trouve au début de la vie publique, suit celui des épis, non pas "arrachés" mais "froissés", montre clairement le dialogue de sourds qui s'installe entre Jésus et les pharisiens. Cette guérison est ici suivie par la création du collège des apôtres. 


Chez Marc, ce texte est aussi suivi de l'appel des Douze, et c'est chez lui que l'on trouve ce commentaire sur le regard que Jésus porte sur ceux qui veulent lui faire du mal: "un regard de colère, navré de l'endurcissement de leur cœur" J'ai écrit un billet sur ce texte:   https://giboulee.blogspot.com/2018/01/etends-ta-main-mc-35.html


Quant à Matthieu, au chapitre 12, les apôtres ont été nommés, et on arrive à ce tournant où les pharisiens discréditent Jésus et parlant d'une alliance avec le Mauvais, ce qui fera réagir Jésus avec beaucoup de vigueur. 

 

Ayant travaillé avec des personnes I.M.C., "infirmes moteurs cérébraux", que ce handicap soit lié à des séquelles de naissance ou à des séquelles d'accidents cardio-vasculaires (AVC), je peux dire que lorsque le membre supérieur est lésé, la main prend une position anormale, légèrement recroquevillée sur elle-même; qu'arriver à détendre est très difficile. C'est une main raide, qui ne se laisse pas faire, une main morte, une main qui a perdu toute vigueur, une main desséchée, un peu comme une feuille morte. 


Cette main, bien souvent il faut la cacher, d'autant qu'elle n'est pas ou peu fonctionnelle. Une jeune fille dont je me suis occupée un certain temps disait de cette main, qu'elle refusait de montrer, qu'elle était "pourrite"; cette main, elle la cachait dans la manche de son pull-over, hiver comme été. Et je me suis rendue compte qu'elle-même se voyait comme cette vilaine main, cette main pas belle: bonne à jeter aux ordures! 

 

Alors, quand j'entends lire cette péricope, c'est d'abord à cela que je pense: vivre avec une main toute pourrite. Lorsque Jésus demande à cet homme de se lever, d'aller au milieu de l'assemblée, j'ai toujours pensé que Jésus lui demandait quelque chose de difficile - devenir le centre des regards, être regardé - mais aussi qu'il le sortait de son statut d'infirme, statut qui à l'époque était souvent un statut de pécheur. Le verbe utilisé dans la traduction AELF, "il se dressa", montre bien me semble-t-il ce qui se passe pour cet homme, qui n'a peut-être pas demandé à venir là, mais qui est censé servir de piège pour Jésus, donc être un instrument de mort; et qui en se dressant, un peu comme un un étendard, se sent vivant... 

 

C'est cela que j'ai voulu mettre en évidence en laissant parler cet homme. 

 

Mais on peut aussi faire un lien avec la vision des ossements desséchés qui reprennent vie (Ez 37), car il en va de même pour cet homme, qui reprend vie, même s'il n'y a pas de paroles de guérison explicitement prononcées. Les mots "étends ta main", (montre ta main à tous), montre alors la puissance de vie qui est en Jésus. La main devient vivante grâce à la présence de celui est rempli de la force de l'Esprit.

 

L'homme infirme raconte

 

En général, moi je ne vais pas à la synagogue pour le shabbat. Depuis qui j'ai eu cette crise qui a pris ma main, et un peu aussi tout mon côté droit, je n'aime pas me montrer. 


Ma main, je la cache et moi aussi je me cache, parce que je sais bien ce qu'ils disent de moi, les bien-pensants; que j'ai fait quelque chose de mal et que le Très-Haut m'a puni. Sans ma main droite, je ne peux pas faire grand chose… Je suis dépendant des uns et des autres. Certains me font l'aumône, alors je n'ai pas pu refuser quand ils m'ont dit de venir pour prier et écouter les textes. 

 

Ce qu'ils ne m'avaient pas dit, c'est que Jésus, le nouveau prophète, serait là. Alors j'ai compris qu'ils se servaient de moi pour lui tendre un piège. On n'a pas le droit de travailler ce jour là, et pour eux la guérison est un travail. Je pense que cette manière de voir est fausse, mais eux, ils sont comme ça. Du coup je me suis installé tout au fond, comme pour disparaître, ne pas être vu. 

 

Et Jésus était là. Il enseignait. Il parlait justement du livre de Daniel, la vision des ossements desséchés. Et il disait que le souffle de l'Esprit était là aujourd'hui, et qu'il pouvait donner vie à ce qui semblait mort. Quand il a eu fini de parler, son regard a balayé l'assemblée, et s'est arrêté sur moi. Il m'a demandé de me lever, et me mettre au milieu. Alors, malgré ma main bien cachée dans la manche de mon manteau, il a dû la voir, ma main desséchée. Et quelque chose en moi s'est mis à espérer. 


Et moi, qui étais tassé sur moi-même, je me suis redressé, je me suis dressé fièrement (et il y avait longtemps que ça ne m'était pas arrivé), et je suis allé auprès de lui au centre. 

 

Je me demandais ce qu'il allait dire, me dire, je pensais à quelque chose comme" ta main est guérie".


Mais il ne s'est pas adressé à moi, il a demandé aux autres si c'était permis de faire le bien le jour du sabbat, de sauver une vie. Personne n'a répondu; moi j'avais envie de hurler: "Tu as le droit de me guérir, tu as le droit de me sauver, parce que moi je ne vis plus depuis que ma main est morte!" 

 

Le silence était pesant. Je sentais bien qu'il était malheureux, qu'il aurait voulu que ceux qui se disent des pratiquants sortent de leur paralysie mentale. Il s'est tourné alors vers moi, et m'a dit de tendre ma main. Mon Dieu, qu'est ce que j'aimerais la tendre cette main! J'ai déplié mon bras, et ma main a repris sa souplesse, elle est redevenue vivante, elle est devenue légère, elle est devenue chaude, elle était ma main... 

 

Il n'a rien ajouté. Il est parti sans se retourner, sans me regarder. 


Moi je suis resté sur place. Et tout d'un coup, je me suis senti des ailes. Je suis sorti aussi, j'ai couru après lui, je l'ai invité chez moi. Et lui, et certains de ceux qui vivent avec lui, sont venus; et ma maison s'est remplie de rires, et ma maison est redevenue vivante; et ma femme a retrouvé elle aussi le sourire, sans parler de mes enfants.

 

La vie qui est en lui, il nous l'a donnée. Que Dieu soit béni.


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