lundi, février 25, 2019

La guérison de l'enfant "possédé" Mc 9,14-29


Professionnellement j'ai travaillé avec des enfants épileptiques. Oui, une lumière trop vive peut provoquer une crise, et une crise c'est impressionnant. Au sortir de la crise, ces enfants ont besoin de dormir, de récupérer. Pendant la crise, ils ne sont pas là, ils n'entendent rien, ils ne disent rien. Aujourd'hui, c'est une maladie, mais du temps de Jésus, cela pouvait bien être l'œuvre d'un démon, d'un démon qui pouvait faire tomber ces enfants n'importe où, et donc les faire mourir si personne n'était là pour veiller sur eux. 

Dans cet évangile, la mère de l'enfant est absente. Le dialogue se fait entre le père et Jésus. Il y a déjà eu une demande de guérison auprès des disciples, mais ce fut un échec, et on peut imaginer la déception, voire même la colère du père qui avait mis son espoir en eux. J'ai pensé que peut-être la mère était là, et qu'elle pouvait raconter..

Il est intéressant aussi de noter que l'enfant n'a pas de nom. L'infans, l'enfant, c'est celui qui ne parle pas, mais qui est parlé. Lui rendre la parole, c'est lui donner son identité et faire de lui un vivant.

La mère de l'enfant raconte

Cet enfant, sa naissance a été plus que difficile. Il n'a pas crié tout de suite, il était tout bleu, il a mis du temps pour respirer, mais après il mangeait bien, et c'était un beau bébé. 

Seulement quand il a grandi, il n'a pas parlé. Il nous reconnaissait bien son père et moi, il nous souriait, mais pas un mot de sortait de sa bouche. On pensait qu'il était sourd. Parfois il semblait dans son monde. Et puis il a marché très tard, et il avait du mal pour marcher, il fallait l'aider.

En grandissant ça a été de pire en pire. Il tombait souvent, et surtout, quand il tombait, il se mettait en danger. Il lui arrivait de tomber dans le feu, ou dans l'eau. Et quand il tombait, il ne pouvait pas se relever parce qu'il se mettait à trembler de partout, à baver, parfois à faire pipi sur lui, à se mordre la langue. C'est comme s'il était possédé par une force intérieure qui voulait le faire mourir. 

C'est alors devenu évident pour nous qu'il était possédé par un esprit impur. Qu'avions nous fait pour mériter cela? Et c'était, pour moi, pour nous, une souffrance énorme d'avoir un enfant possédé. Au fond de moi, j'étais sûre qu'il était normal mon fils! Même s'il ne parlait pas, il comprenait tout ce que je disais et son visage était si expressif. Il était sûrement la proie d'un démon. Comment le libérer? Et puis avoir un enfant comme ça, ça faisait que tout le monde nous regardait de travers, comme si c'était de notre faute.  

Les disciples des pharisiens avaient essayé de le guérir, d'expulser le démon, mais ça n'avait rien changé. Et puis des disciples de ce Jésus sont arrivés chez nous, pour parler d'un royaume qui allait advenir. Ils ont guéri des personnes qui étaient malades, et du coup mon mari leur a demandé de guérir notre fils. Ils ont imposé les mains, ils ont crié pour chasser le démon, mais il ne s'est rien passé; et personne ne comprenait pourquoi ils n'y arrivaient pas. Les scribes s'en sont mêlés et ça s'est mis à discuter dans tous les sens. Et ça discutait aussi sur ce Jésus qui n'était pas là, mais qui manifestement n'était pas aimé par les pharisiens.

Et puis voilà que Jésus lui-même est arrivé. Il a vu que ça discutait ferme et il a demandè ce qui se passait. Alors mon mari s'est avancé, il a expliqué que notre fils, qui est possédé par un esprit muet, n'avait pas été guéri par ceux qui se réclament d'être ses disciples. 

Là, j'ai eu l'impression qu'il n'était pas content, ce Jésus. Puis il a posé des questions pour savoir quand ça avait commencé, et mon mari a parlé, il a expliqué; et il a dit à cet homme que s'il pouvait faire quelque chose pour nous, qu'il le fasse. 

Et là Jésus l'a regardé bien en face, il a repris la phrase qu'il venait de lui dire, et qui était: "Si tu peux, viens à notre secours", en lui disant "Tout est possible à celui qui croit".

Alors, je sais qu'il s'est passé quelque chose chez mon mari, qui était allé voir les disciples pour me faire plaisir, et qui au fond était très en colère contre eux parce que malgré leurs grandes phrases, ils étaient des incapables. Je dis cela, parce que j'ai vu que mon mari changeait d'attitude; il n'était plus en colère, il ne demandait plus la pitié, il demandait autre chose. Et il a dit: "Viens au secours de mon manque de foi". Ce qui m'a étonnée, c'est qu'il demandait quelque chose pour lui, lui qui ne demande jamais rien. Il faisait confiance. 

Jésus a alors menacé l'esprit impur en lui disant de sortir. Et mon garçon est tombé sur le sol, il s'est mis à convulser, et j'ai cru qu'il était mort; mais ça, c'est quelque chose qui arrive souvent quand il est pris par cet esprit. J'ai même cru que Jésus n'avait pas réussi, et que j'avais perdu mon fils.

Mais il l'a pris par la main, il l'a aidé à se mettre assis, et mon enfant s'est mis debout tout seul; et surtout, il est allé vers moi et il a dit Maman! Lui qui n'avait jamais dit un mot, il était comme tous les enfants, et ma joie était intense. J'aurais tellement voulu remercier, tout donner, mais Jésus n'est pas resté. 

On m'a raconté que ses disciples, qui n'avaient pas réussi à chasser cet esprit, lui ont demandé pourquoi lui avait réussi, et pas eux. Et il leur aurait répondu que ces esprits impurs, qui rendent sourds à la présence de Dieu, qui empêchent de célébrer sa présence, ne peuvent se chasser que par la prière. Alors moi, tous les jours de ma vie, je vais prier pour que plus jamais d'autres parents n'aient à vivre un pareil calvaire, et que ces démons soient chassés! Qu'ils ne rentrent plus jamais en nous! Et je vais aussi louer le Dieu d'Israël, d'avoir envoyé cet homme.

samedi, février 23, 2019

La transfiguration. Mc 9, 2-13


Cet événement se trouve dans les trois évangiles dits synoptiques. Il est suivi de la guérison de l'enfant épileptique. Il est précédé par la première annonce du "destin" de Jésus et la réaction de Pierre. J'ai toujours pensé que ce qui se passe là est un tournant majeur dans les récits. Jésus, qui peu de temps après va prendre "avec détermination" la route qui conduit à Jérusalem, entre dans le temps qui va le mener à la mort, et ce tournant se fait avec la transfiguration, qui est figure de la résurrection et du corps "glorieux".

Il est un peu difficile, quand on connaît les autres textes qui rapportent cet événement, de ne pas penser à la torpeur qui s'abat sur les apôtres, à Jésus qui parle de son départ (Luc), etc. Mais là, c'est Marc.

Matthieu Mt 
Marc 9, 2-13
Luc 9, 28-36
01 Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne.



02 Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.



03 Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.











04 Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »





05 Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! »
06 Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte.


07 Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! »
08 Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.


09 En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »







10 Les disciples interrogèrent Jésus : « Pourquoi donc les scribes disent-ils que le prophète Élie doit venir d’abord ? »

11 Jésus leur répondit : « Élie va venir pour remettre toute chose à sa place.







12 Mais, je vous le déclare : Élie est déjà venu ; au lieu de le reconnaître, ils lui ont fait tout ce qu’ils ont voulu. Et de même, le Fils de l’homme va souffrir par eux. »

13 Alors les disciples comprirent qu’il leur parlait de Jean le Baptiste.

02 Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux.


03 Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille.


04 Élie leur apparut avec Moïse, et tous deux s’entretenaient avec Jésus.










05 Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
06 De fait, Pierre ne savait que dire, tant leur frayeur était grande.





07 Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! »







08 Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.





09 Ils descendirent de la montagne, et Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.
10 Et ils restèrent fermement attachés à cette parole, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : « ressusciter d’entre les morts ».


11 Ils l’interrogeaient : « Pourquoi les scribes disent-ils que le prophète Élie doit venir d’abord ? »


12 Jésus leur dit : « Certes, Élie vient d’abord pour remettre toute chose à sa place. Mais alors, pourquoi l’Écriture dit-elle, au sujet du Fils de l’homme, qu’il souffrira beaucoup et sera méprisé ?





13 Eh bien ! je vous le déclare : Élie est déjà venu, et ils lui ont fait tout ce qu’ils ont voulu, comme l’Écriture le dit à son sujet. »

28 Environ huit jours après avoir prononcé ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier.



29 Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante.


30 Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie,
31 apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem.

32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés.




33 Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait.




34 Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent.
35 Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! »






36 Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.

37 Le lendemain, quand ils descendirent de la montagne, une grande foule vint à la rencontre de Jésus.



Je me suis dit ce matin que peut-être Jean, un des fils de Zébédée, pourrait raconter ce qu'il a vécu ce jour là, lui le disciple de la première heure, lui qui aimerait bien avoir la meilleure place dans le royaume. 


Jean, le fils de Zébédée et le frère de Jacques, raconte.

Le Maître nous avait demandé qui il était pour nous. Alors, avant même même que nous ayons pu ouvrir la bouche, Simon a dit qu'il était le Christ. Là c'était la bonne réponse. Mais ensuite, comme Jésus disait (et à nous non plus, ça ne plaisait pas du tout) qu'il allait être livré aux mains des scribes, des anciens et des grands prêtres, qu'il devait souffrir et être mis à mort, Pierre a réagi au quart de tour, et s'en est pris plein la gueule, parce qu'il disait à Jésus que ce n'était pas possible. Après, ça a jeté un sacré froid: il s'est quand même fait traiter de Satan... Alors on continué à marcher vers Césarée, sans trop rien dire. Mais on comprenait quand même la réaction de Simon. 

Bref, ce n'était pas terrible. Les jours ont passé, et là Jésus est venu nous chercher, moi Jean, avec Jacques et Pierre. Je me suis souvenu de ce jour à Capharnaüm où il n'avait pris avec lui que nous trois, pour aller dans la maison d'une jeune fille qui venait de mourir; comment il l'avait prise par la main et lui avait rendu la vie. Il n'y avait eu que nous trois et c'était une telle joie pour nous.

Là, il nous a conduit à l'écart. Il aime bien cela le Maître, se mettre à l'écart. Souvent quand on lui demande une guérison, il prend la personne avec lui - enfin avec nous aussi, et il le sort de cet endroit où il y a de la foule, du bruit; et là, il peut parler, il peut regarder, il peut vraiment être celui qui est rempli d'amour pour son prochain. Alors quand il nous a demandé d'aller dans la montagne, au fond de moi, j'étais heureux; et comme Simon était là, c'était un peu comme s'il lui avait pardonné. 

On a pris notre temps pour monter. Arrivés tout en haut, il y avait le bruit du vent dans les pins, il y avait des rochers plats. On s'est assis. Lui il s'est mis à prier. Et là…

Là, il s'est passé quelque chose d'extraordinaire. D'un coup, il est devenu différent, il est devenu tout Autre. Il y avait comme une lumière en lui, il était lumineux, il était lumière. Et avec lui, il y avait Elie avec son manteau en poils de chameaux, et Moïse. 

Je sais que cela paraît impossible, et pourtant c'est bien ce que nos yeux ont vu. Et Simon, qui a toujours besoin de parler, a dit qu'il se proposait pour dresser trois tentes... Un peu fou Simon, mais il voulait sûrement que ce moment dure longtemps. Et la tente, cela fait penser à la tente de l'Alliance, cette Tente où Dieu parlait à Moïse, comme un ami parle à son ami. 

Et puis il s'est alors passé quelque chose d'autre. La nuée, cette nuée dont Moïse parlait, elle était là, sur nous, comme si nous étions pris dans cette lumière qui nimbait notre maître. Et nous avons entendu une voix très douce, une voix qui ne faisait pas peur, une voix qui était presque suppliante, qui nous disait que notre Rabbi était son Fils, son fils bien aimé, et qu'il nous demandait de l'écouter. Ecouter, obéir, oui, ça nous le savons, mais là, c'était autre chose, c'était comme si Le Seigneur, le créateur de tout l'univers, nous faisait à nous, une demande: écouter celui qui est son envoyé, celui qui est son Fils. Et c'est bien plus que le Roi Messie. Le Fils… 

J'avais fermé les yeux quand les gouttelettes de lumière s'étaient posées sur nous, et je ne sais pas combien de temps s'est écoulé. Mais quand j'ai rouvert les yeux, il n'y avait plus que Jésus, et Simon-Pierre et Jacques. 

Jésus nous a demandé de ne parler de cela à personne, tant qu'il ne serait pas ressuscité d'entre les morts: comme un secret très fort entre lui et nous. N'empêche que ce "ressuscité d'entre les morts", on n'arrivait pas à le comprendre, mais on lui a fait confiance. 

En redescendant, on lui a posé des questions; parce que Elie nous l'avions bien vu avec lui. Et il nous a expliqué que Jean c'était le nouvel Elie, qui avait préparé les chemins pour lui; et là, on était bien d'accord, parce que si nous n'avions pas reçu le baptême de Jean dans les eaux du Jourdain, nous, les pêcheurs nous ne l'aurions pas suivi, et nous n'aurions pas vu ce que nos yeux ont vu aujourd'hui. Et nous savons maintenant que quoiqu'il arrive, nous le suivrons.

vendredi, février 22, 2019

"Passe derrière moi Satan" Mc 8, 27-33

La honte de Pierre


Quand Pierre, dans l'évangile de Marc, différent des synoptiques, après avoir proclamé que Jésus est le Messie, se fait violemment rabrouer par Jésus qui le traite de Satan, je peux imaginer que le pauvre Pierre a dû se sentir tout petit, tout honteux. Et pourtant à mon avis il était plein d'amour, plein de bonne volonté. Croire que celui qu'il suivait puisse être rejeté par les anciens, les grands prêtres, être tué (et là la mort logique ne pouvait être que la lapidation) et qu'il ressuscite trois jours après, c'en était trop pour lui. 

Mais si on remet cet épisode dans la logique de ce qui est rapporté avant (même si le mot logique n'est pas le bon, mais renvoie simplement à la chronologie voulue par Marc), on pourrait dire que Pierre est un peu comme cet aveugle auquel Jésus rend la vue en deux temps. 

Pierre, en proclamant que Jésus est le Christ (même s'il ne sait pas très bien ce que concrètement cela peut signifier), a une première vision. Ses yeux sont ouverts sur une autre réalité: quand, dans les autres synoptiques, Jésus lui fait comprendre que si cette parole est sortie de lui, c'est parce que c'est le Père qui lui a révélé cela, cela montre bien que les yeux de Pierre sont ouverts. Mais si on revient à l'évangile de Marc, cette vision "globale" manque d'acuité. Pierre ne peut pas saisir pourquoi la fin doit être aussi noire. Et il faudra la Pentecôte pour que la vision soit donnée totalement.

Ce que je veux dire également, c'est que cette guérison d'un aveugle, guérison qui ressemble beaucoup à celle opérée en Décapole sur un sourd profond - qui guérit de deux infirmités (surdité et mutité) - et se passe dans la ville d'origine de Pierre, se fait en deux fois, comme si là aussi il y avait deux infirmités à guérir (vue, au sens large, et acuité visuelle), et peut prendre tout son sens si on  la place dans l'histoire de Pierre. 

Lui aussi est un aveugle, qui commence à voir, mais il lui reste encore du chemin à faire. Et c'est peut-être la transfiguration, qui suit dans cet évangile, qui va lui permettre de dépasser ce qu'il pensait savoir de Jésus, et de commencer à accepter la mort, même si - comme c'est dit - "ils ne comprenaient pas ce que voulait dire ressusciter des morts". 

Car la question qui se pose c'est que, certes, Jésus peut faire des résurrections (fille de Jaïre, fils de la veuve de Naïm, Lazare), mais qui va avoir la parole ou le geste pour lui redonner la vie à lui, au bout de trois jours? Il est certain que la transfiguration, qui comme le baptême montre le lien qui unit le Père au Fils et le Fils au Père, peut changer le regard, mais je pense qu'il faudra la Pentecôte pour que l'acuité soit donnée dans sa plénitude. 

Pour en revenir à la honte de Pierre quand  Jésus le  le traite de Satan, j'ai laissé Pierre raconter. 


Pierre raconte..

Il a donné à manger à quatre mille hommes, et on est parti en barque, parce qu'il ne voulait pas que la foule fasse de lui un "grand chef". Il est monté dans la barque, et ensuite, dès qu'on a été à terre, les pharisiens lui ont demandé de faire un signe venant du ciel, comme si ce qu'il venait d'accomplir et qui faisait de lui un nouveau Moïse ne leur suffisait pas.  Il a haussé les épaules et il est parti. On a repris la barque, et là, avec les autres apôtres, on s'est rendu compte qu'on avait oublié de prendre assez de pains pour nous tous, et on ne savait pas trop qui était le responsable; et quand Jésus s'est mis à nous parler d'une histoire de pharisiens, d'hérodiens et de levain, eh bien on n'avait vraiment pas la tête à ça. Alors lui, il n'était pas trop content. Il nous a fait comprendre que tant qu'on était avec lui, et lui avec nous, il veillerait à ce qu'on ne manque de rien. 

Puis on est passé par chez nous à Bethsaïde. Mais on ne s'est pas vraiment arrêté. Jésus voulait aller à Césarée de Philippe. On lui a amené un aveugle, et il s'est arrêté, parce que les personnes qui étaient avec lui le suppliaient de lui imposer les mains. Et Jésus, quand on le supplie comme ça, il ne sait pas résister. Il l'a pris par la main, il l'a conduit en dehors du village; bien sûr, nous nous étions là. Il a mis de la salive sur ses pauvres yeux, il lui a imposé les mains et il lui a demandé s'il apercevait quelque chose. C'était surprenant, parce que, quand il avait guéri un sourd qui proférait des sons indistincts, celui-ci avait retrouvé l'ouïe et la parole aussitôt.

Et là, l'homme a dit qu'il voyait un peu, mais qu'il ne savait pas trop ce que c'était. Alors il lui a imposé à nouveau les mains, et là, la guérison a été totale. Jésus lui a dit de rentrer chez lui, et ne pas se montrer au village. C'est toujours un peu bizarre, mais c'est comme ça. 

Et on a continué la route. Là, il nous a demandé ce qu'on disait de lui. 

Alors on a répété ce qu'on entendait, que l'esprit de Jean le Baptiste, ou celui d'Elie ou celui d'un des prophètes était en lui, et que c'est pour ça qu'il faisait des miracles. Il n'a pas répondu. Puis il nous a demandé ce que nous, on pensait. Alors là j'ai pris la parole, ou plutôt une parole a jailli de moi, une parole qui reflétait aussi ce que nous pensions tous, et j'ai dit qu'il était le Messie, le Christ. Il nous a alors dit de ne pas répéter cela en dehors de notre petit groupe; c'est étonnant quand même. Des fois, je ne le comprends pas du tout: il fait des miracles et ceux qui sont guéris ne doivent pas le dire; sauf que ça, ça ne marche jamais. Il a une renommée, et on dirait qu'il n'en veut pas. 

Et puis voilà qu'il déclare que le Fils de l'homme doit souffrir beaucoup. Déjà quand il parle de lui en se nommant le "Fils de l'homme", je n'aime pas, parce que je ne sais pas trop ce que ça veut dire, sauf que ça fait penser au messie de la fin des temps annoncé par Daniel et que ça fait un peu peur. Et il continue en affirmant qu'il va être rejeté par le pouvoir religieux, qu'il va être mis à mort et revenir à la vie au bout de trois jours.

Alors là, je n'ai pas supporté qu'il dise des choses pareilles. Il est là pour nous sauver, pas pour être tué. Et je l'ai pris à part, et je lui ai dit que ça ne devait pas arriver, que je le protégerais, qu'il n'avait pas le droit de dire des choses pareilles. Et pendant que je parlais, j'ai vu son visage se fermer. Les autres étaient à quelques pas derrière nous. Il s'est tourné vers eux, il il m'a littéralement gueulé dessus. Il a crié aussi fort que lorsqu'il avait dit à la tempête de s'arrêter. Il m'a traité de Satan, il m'a dit que je ne comprenais rien. Et là, j'ai ressenti une honte terrible. Pourtant je savais qu'il était celui que j'attendais, celui que j'aimais, et voilà qu'il me disait de passer derrière lui, comme s'il ne voulait plus jamais me voir. 

Je ne savais plus où me mettre, c'était affreux. Qu'est ce que j'avais dit de mal... Je l'aime, cet homme qui a dit qu'il ferait de moi un pécheur d'hommes, même si je ne comprends pas trop.

Après il a eu une phrase pour tous les autres, mais je pense aussi pour moi: il a dit que ceux qui voulaient le suivre devaient apprendre à se renoncer à eux-mêmes (peut-être à ne pas parler trop vite, aussi: à tourner leur langue sept fois dans leur bouche, peut-être à réfléchir plus à ce que Dieu attend d'eux), à prendre leur croix, ça je n'ai pas compris sauf que la croix c'est reconnaître qu'on est super pêcheur, et ensuite de le suivre. 

Et moi qui essaie de le suivre, tout ça, je ne sais pas faire..

Il a dit aussi que celui qui perdra sa vie à cause de lui et à cause de la bonne nouvelle qu'il proclame, sauvera sa vie. Alors, ça, ça m'a mis un peu de baume au cœur, parce que si son destin c'est de perdre sa vie, moi je donnerai ma vie pour lui, et je pense qu'il le sait. 

Alors j'ai eu un peu moins de honte et j'ai relevé un peu la tête, et quand il m'a appelé avec Jean et Jacques pour aller sur la montagne du Tabor, j'ai compris que tout ça c'était derrière et qu'il m'aimait pareil.

mardi, février 19, 2019

"Le levain des pharisiens: Mc 8, 14-21

Le levain des pharisiens et des hérodiens - Mc 8, 14-21

Un disciple raconte.

On avait débarqué à  Dalmanoutha. 

Juste avant, le Maître avait à nouveau donné à manger à une foule d'hommes et de femmes venus pour écouter son enseignement et demander des guérisons. Il y avait eu des restes, mais on était partis un peu dans la hâte, parce que Jésus avait peur que ces hommes et ces femmes ne fassent de lui leur chef pour aller réclamer justice aux Romains, et on a tout laissé sur place ou presque.

Et là, à peine avions nous mis pied à terre, qu'une fois de plus les pharisiens nous sont tombés dessus; enfin ils sont tombés sur Jésus… Ils voulaient un signe venant du ciel; comme si ce pain donné dans le désert, même s'il ne tombait pas du ciel comme la manne, ce n'était pas un signe de la présence du royaume. Jésus manifestement en a eu assez, et les a envoyés bouler. Il a juste répondu que pour le signe, ils pouvaient se brosser. Et je ne sais plus s'il a haussé les épaules, mais  avant de répondre il a soupiré très longuement, et moi j'avais l'impression que c'était comme un sanglot, sanglot devant leur incompréhension, sanglot devant leurs cœurs qui ne s'ouvraient pas. 

Et je pensais à ce qu'il avait dit à cet homme qui n'avait jamais entendu de sa vie, qui émettait des sons qui ne ressemblaient à rien, et qu'il avait guéri dans le territoire de la Décapole. Il avait dit à cet homme "ephata": ouvre toi. Et sa langue s'était déliée, ses oreilles s'étaient ouvertes, et il était devenu un homme nouveau, un homme ouvert aux autres. Il était sorti de son enfermement. Eux, ils sont dans leur enfermement, ils s'y trouvent bien et ils ne veulent pas en sortir. Quel miracle mon Rabbi devra–t-il faire pour qu'ils s'ouvrent?

Alors, on est repartis très vite. Du coup, pas le temps de faire de provisions. Et dans la barque, on a commencé à grogner. Normalement l'un d'entre nous aurait dû prévoir, et il ne l'avait pas fait. On avait juste un pain, et un pain ce n'est pas grand chose. Et en mer, on ne sait jamais ce qui peut se passer. On sait bien que Jésus est capable de faire taire une tempête, mais bon, il l'a fait une fois, est-ce qu'il le refera à chaque fois? Bref, on ne pensait qu'à ça.

Et voilà que lui, qui était comme d'habitude sur le coussin, il se met à nous parler. Il nous dit de nous méfier du levain des pharisiens et des Hérodiens. D'accord, parler de levain c'est parler de pain, et du pain on n'en a pas. Alors on n'a pas écouté, d'autant qu'on ne comprenait pas trop. Je pense qu'il parlait de ce que les pharisiens et les Hérodiens, qui veulent le faire mourir et ne s'en cachent pas, racontent sur lui: ces paroles de médisance. Un peu comme s'il avait peur que nous aussi nous finissions par y croire.

Il a bien vu qu'on était ailleurs. Et là, il a été dur envers nous. Je dirais qu'il nous a engueulés; il nous a dit que nous avions le cœur dur, que nous étions aveugles et sourds. Il nous a rappelé ces corbeilles pleines des restes…  On a eu un peu honte… C'est vrai que tant qu'il est avec nous, nous devrions lui faire confiance, savoir que nous ne manquerons de rien. Après tout s'il a, avec 5 pains donné à manger pour 4000 personnes, avec un pain il peut bien faire pareil, mais en fait on était trop en colère contre Barthélémy qui n'avait pas prévu de prendre ce qu'il faut. 

Oui, c'est vrai qu'on est bouché comme les pharisiens, seulement nous, on l'aime. Là où il ira, nous irons. Et même si on ne comprend pas, on ira - pour lui et avec lui - au bout du monde, pour que l'Amour de son Père, qui est notre Père, soit révélé.

lundi, février 18, 2019

Les béatitudes dans l'évangile de Luc: Lc 6, 17, 20-26

Ce texte est présenté pour le  6°  dimanche du temps ordinaire de l'année C.

Comme souvent il est un peu tronqué. Je veux dire que si on reprend le récit dans son contexte - sans faire le saut entre le verset 17 et le verset 20, et surtout si on regarde ce qui s'est passé avant, on a une meilleure compréhension du texte. En effet dans ce chapitre on trouve, juste avant, l'appel et le choix des apôtres; c'est avec eux que Jésus redescend de la montagne, qu'il voit une grande foule, venue de Judée, de Jérusalem et du littoral de Tyr et de Sidon (pays païen par définition); ce qui montre bien l'universalisme de Jésus. Ces gens sont là, ils l'attendent. Et Jésus répond à leur demande. Il expulse les esprits mauvais, donc il délivre, il rend libre. Il guérit les malades, il donne donc la joie; et lui qui est le pur, il accepte d'être touché. Pour lui, il n'y a pas de purs et d'impurs. Et je me disais que cette foule qui est venue dans la tristesse, elle repart dans la joie (ce qui est différent du bonheur). Les pauvres, les petits, ont été comblés; et cela, cette abondance, c'est la marque de Dieu, qui donne en plénitude.

Puis il s'adresse à ses disciples (pas à la foule); à ceux qui l'ont choisi, et que lui vient de choisir. Je pense que mettre ces versets sous forme de tableau montre mieux le contraste entre ceux qui sont appelés ou qui ont choisi de le suivre et les autres. Mais j'y reviendrai.

« Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. 

21 Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. 

Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez.


22 Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. 

23 Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ; c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes
24 Mais quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation ! 

25 Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim ! 

Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! 


26 Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous ! 





C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes


 On parle toujours des différences entre les Béatitudes données par Matthieu et celles-ci, qui semblent beaucoup (ou encore plus) radicales. 

Mais ce matin, en pensant à ces phrases, je me disais que Luc a été, si je puis dire, l'historiographe de Paul: et que tout ce qu'il écrit ci-dessus s'applique absolument à ce dernier. Paul est un exemple: il montre comment celui qui a choisi de vivre en imitant le Christ, le Christ crucifié et ressuscité, devient un frère de Jésus, un Fils de Dieu, et qu'en cela, il est heureux. Et peut-être que Luc, en rapportant ces paroles, pensait à celui qu'il avait accompagné pendant des années. 

Alors je relis ces versets en pensant à ce que fut la vie de Paul.

Paul s'est toujours présenté comme un pauvre, travaillant de ses mains, ne demandant rien, mais qui a été accueilli quand il était malade, et qui a fait l'expérience de la dépendance totale, car c'est de cela dont il est question. Et cette pauvreté là, qui ne magnifie pas la pauvreté en tant que telle mais une manière de vivre, oui, elle rend heureux.  Pauvre oui, mais riche de la présence du Christ en lui.

Paul, parle souvent des larmes qu'il verse pour ses communautés, quand elles s'écartent de l'évangile qu'il leur a apporté. Et ces larmes là, il m'arrive de les verser aussi quand je me rends compte combien Dieu est devenu l'absent de notre société. 

Oui, on peut verser ces larmes là, qui ne sont pas liées au chagrin de la perte d'un être cher (encore que là, je puisse me dire que le fait que L'Amour du Christ ne soit même pas rejeté, mais annulé, c'est quelque chose que je ressens comme une perte pour notre humanité). Alors oui, je pense que dans la foi, on peut être consolé. Et dans consolé, je ne vois pas seulement le côté affectif, mais le don de consolation apporté par l'Esprit Saint, qui est cette consolation qui fait sortir d'une sorte de honte d'avoir aussi laissé faire.

Paul a été haï, rejeté, insulté, et cela se trouve surtout dans les Actes. Il ne l'a pas fait pour que son nom soit inscrit dans les cieux, mais pour ne pas être séparé de celui en qui il a mis sa foi et dont il partage ainsi les souffrances. Et Paul parle bien de la joie qui est en lui, lui qui est crucifié avec Jésus.

Je pense que la lecture des épitres de Paul peut beaucoup aider à la compréhension de ces Béatitudes. Je sais que souvent, quand Paul dit que nous devons l'imiter, je trouve qu'il exagère un peu, mais au fond, je dois reconnaître qu'il a raison. Car ce n'est pas lui qu'il faut imiter, mais celui qui est en lui et en nous. 

Quant à la seconde partie, je me dis que malgré tout, à l'époque de Jésus, on considère que ceux qui réussissent, qui ont une longue vie, qui ont leurs greniers bien remplis, c'est parce qu'ils ont choisi de vivre selon les préceptes et commandements de la Tora, donc qu'ils sont des justes. 

Or là, Jésus renverse tout ça, et fait peut-être comprendre à ceux qui se croient des purs (et c'est si facile de se croire pur quand on essaie de prendre au sérieux ce qui est demandé) qu'ils se trompent, que ce n'est pas comme cela que l'on rentre dans le royaume. 

Et que pour y entrer il faut, comme le dit Matthieu, avoir un coeur de pauvre, un coeur qui est dans la dépendance et qui s'ouvre petit à petit.

vendredi, février 15, 2019

L'envoi en mission des disciples. Lc 10, 1-10

L'envoi des disciples en Luc 10.

C'est un texte qui revient fréquemment dans la liturgie. Il était choisi pour la fête de St Cyrille et St Méthode. 

Je reste volontairement sur la péricope de Luc, car dans l'évangile de Matthieu les envoyés ont des pouvoirs analogues à ceux des apôtres, et des consignes précises pour éviter certaines villes. 

Chez Luc, c'est assez différent. Jésus qui  (Lc 9) a déjà envoyé en mission ceux de la première heure, ses apôtres, se rend certainement compte que ce n'est pas suffisant, et décide d'en choisir 72, ce qui n'est pas rien. Bien sûr, cela renvoie au livre de l'Exode, Moïse choisissant 70 ou 72 "anciens" pour être des juges; ou encore au nombre de nations connues à l'époque de Jésus. Cela c'est pour le symbolisme.

Mais si on prend un peu le texte au pied de la lettre, si on écoute ce que l'évangéliste met dans la bouche de Jésus, on se rend compte qu'il y a des verbes, beaucoup de verbes.

 Il y a un premier groupe de verbes (d'action) qui permettent de voir ce qui se passe: Jésus désigne un certain nombre d'hommes, les envoie deux par deux, pour le précéder (même si cela n'est pas dit explicitement). ("désigna": "passé simple" dans la traduction AELF).

Puis, première consigne qui est étonnante: priez le maitre de la moisson d'envoyer des ouvriers pour sa moisson. Un peu comme si Jésus leur demandait de susciter de nouveaux disciples, et que c'est peut-être cela leur mission première. Et finalement les ordres qu'il donne par la suite obligeront ceux qui croisent ces missionnaires à se poser des questions. Pourquoi agissent-ils comme cela? Qui les a envoyés? Quel est celui qui les motive ainsi. Bref l'étonnement, qui ouvre et qui peut susciter des vocations comme on dirait aujourd'hui. Là c'est à l'impératif.

Et peut-être que le comportement des envoyés va provoquer aussi le rejet, et alors la phrase qui est inquiétante - "je vous envoie comme des brebis au milieu des loups" - montre que c'est ainsi que celui qui veut annoncer doit se présenter. Or il y a dans les psaumes une phrase qui dit: heureux les doux, ils auront la terre en héritage. La douceur est peut-être ce qui peut interroger, et ouvrir le cœur des autres. Là, je peux penser qu'il s'agit de l'aujourd'hui, que cela reste vrai. 

Puis tout un tas de consignes: pas de bourses, pas de sac, pas de sandales, pas d'arrêt (ne saluez personne en chemin), et des règles de conduite: commencer par déposer la Paix reçue dans la maison qui accueille, rester là où on est accueilli, même si c'est frugal; manger avec reconnaissance et savoir que c'est normal. A la limite c'est s'intégrer à la vie de cette maison, sans faire de complexes.

Et finalement la mission: guérir et parler. Mais c'est la conduite de ces hommes qui va faire comprendre que le règne de Dieu s'est approché. Et c'est Jésus qui ensuite fera comprendre que le règne de Dieu est là. 

Seulement, quand on est envoyé en mission, il y a une partie de soi qui est un peu survoltée, et une autre qui panique un peu quand même, parce que même si on est deux, on est quand même très seuls et loin des autres; loin du groupe qui lui est porteur, loin du Maître. On peut se sentir un peu perdu, avoir un peu peur. Et c'est ce que j'ai voulu exprimer dans le texte qui suit.

Un des 72 choisis par Jésus raconte

Quand il nous a choisis pour être comme ses témoins, pour être un peu comme les Douze qu'il avait envoyés pour être comme ses doubles, nous étions dans la joie. Seulement cette joie, il l'a un peu rognée en mettant, comme on dit, les points sur i. 

D'abord il nous a dit qu'il nous envoyait comme des brebis au milieu des loups. Alors quand je vois comment les pharisiens sont là à nous surveiller, à nous espionner, à vouloir nous lapider, quand je pense à toutes ces villes et ces villages qui sont habités par des non-juifs, eh bien oui, j'ai peur. Comment allons nous être accueillis? Bref j'ai un peu peur. 

Ensuite, comme pour ceux qu'il a déjà envoyés, il nous a dit de ne rien prendre avec nous. Pas de sandales de rechange, pas de provisions, pas d'argent. Moi qui aime bien assurer ma sécurité, ça aussi ça me fait peur. Dépendre des autres, peut-être finalement mendier, que je n'aime pas ça. 

Et voilà, il nous a envoyés. Il nous a dit "Allez", et ce "Allez", c'est comme s'il nous donnait la force de partir, comme s'il nous poussait en posant sa main sur nos épaules. Une petite poussée et nous voilà sur le chemin pour l'annoncer. Mais même si nous sommes deux à marcher, j'ai un peu peur.

Il a aussi ajouté qu'on ne devait pas perdre de temps à saluer des amis si on en rencontrait, et finalement chercher une maison qui pourrait nous accueillir. 

Là, il a dit quelque chose qui pour moi est important, car c'est donner ce que nous avons reçu de Lui. Dire "Shalom" à la maison qui veut bien nous accueillir, c'est donner la Paix qui est en nous, la Paix qui vient du Très Haut, mais aussi la Paix qu'il a mise en moi quand j'ai décidé d'essayer de le suivre. Maintenant, que la Paix revienne sur moi s'il n'y a personne pour la recevoir, je n'y crois pas trop: il y a toujours quelqu'un sur lequel la paix peut se reposer, et demeurer, un peu comme un oiseau qui a trouvé un perchoir, un abri, un refuge et qui s'y trouve bien. Peu importe si mes yeux ne sont pas capables de voir, mais la Paix donnée, elle est donnée et elle trouve bien un lieu de repos.

Jésus nous a dit d'accepter avec simplicité ce qu'on nous offrirait à manger. Cela m'effraie un peu, parce que nous serons peut-être accueillis par des personnes qui ne respectent pas les prescriptions de Moïse, mais Jésus nous a déjà fait comprendre que les prescriptions c'est une chose, l'amour c'est autre chose, alors on verra bien; et c'est vrai que si les personnes qui nous offrent l'hospitalité ne mangent pas comme nous, c'est déjà bien beau qu'elles partagent avec nous. 

Il nous a demandé de guérir les malades, et de dire que la règne de Dieu s'était approché. C'est sûr qu'une guérison cela permet de comprendre que du bon est en train d'arriver, et que ce bon c'est Dieu seul qui le donne. Nous ne sommes que des instruments. 

Mais je crois que ce que nous avons à dire, et c'est quand même ce qui nous fait jubiler de joie, c'est que si nous sommes sur les routes, c'est parce que nous avons rencontré celui sur lequel repose l'Esprit de Dieu, qui fait des choses magnifiques, qui dit des choses qui nous transportent, même si on ne comprend pas toujours, et que c'est lui qui va venir dans cette ville et qui va l'ouvrir à la présence du Tout Puissant. Oui c'est cela que je veux dire, et même si la peur est un peu là, je sais que nous y arriverons. Et si on se fait jeter dehors, on ira ailleurs, et on trouvera bien un lieu où nous pourrons révéler le nom de notre maître: Dieu Sauve, Dieu sauve aujourd'hui.



mercredi, février 13, 2019

Le pur et l'impur. Mc 7, 1-23

La lecture continue de Marc propose, au début du chapitre 7, deux épisodes que j'ai regroupés en un seul. Au début, Jésus se fait tancer par les pharisiens qui lui reprochent de laisser ses disciples manger sans se laver les mains (ce qui est contraire à la tradition des anciens, et qui est pratiqué par tous les juifs, note Marc pour les lecteurs non juifs). Jésus semble s'emporter un peu sur cette "tradition des anciens" qui dénature la loi de Dieu donnée à Moïse, puis la question de l'impureté revient, comme si Marc se servait de ce petit épisode (mains non lavées) pour déboucher à la fois sur un enseignement - il n'y a pas de nourriture impure (ce qui renvoie aux actes des Apôtres au chapitre 10 -, mais aussi que même les païens (les impurs par définition) peuvent recevoir le salut (guérison de la petite fille de la femme syro-phénicienne). En d'autres termes, la fin de ce chapitre montre bien que Jésus est celui qui détient une sagesse qui est au-dessus de la sagesse, et une intelligence qui est au-dessus des intelligences (Is 49, 14). Je cite ce verset car il suit directement celui qui est comme "balancé" aux pharisiens pour leur faire comprendre qu'ils se trompent, mais qu'ils ne peuvent pas ignorer. 

J'ai eu envie de laisser parler un disciple, un de ceux qui ne s'est pas lavé les mains, pour raconter ce que lui a compris de tout cela.

Un disciple raconte:

Ce jour là, on était à la maison, à Capharnaüm, mais comme le Maître nous avait donné un certain nombre de tâches à accomplir, et qu'il y avait tout le temps du monde qui venait pour voir Jésus, trouver le temps de manger n'était pas facile. En plus, il y avait des religieux venus de Jérusalem. Eux, ils ne venaient pour se faire guérir, ils venaient à mon avis pour espionner et chercher des noises à Jésus.

Comme nous avions faim, d'autant que nous nous étions levés tôt, pour prier avec notre Maître, qui lui se levait avant que le soleil ne se lève, nous avons déjeuné rapidement, sur le pouce comme on dit, sans nous laver les mains. Mais cela ne nous a pas empêchés de remercier le Tout Puissant qui nous permettait d'avoir de quoi manger, nous qui étions pris par le désir du royaume. Mais les autres, les observateurs, ils ont juste remarqué que nos mains n'avaient pas été lavées (ils disent purifiées), et aussitôt ils ont attaqué Jésus en lui demandant pourquoi il ne nous obligeait pas à nous laver les mains pour respecter la tradition. 

Alors là, j'ai vu son visage changer de couleur. Le mot "tradition", il ne le supporte pas. Il nous montre comment aimer, comment écouter, comment porter du fruit, mais autrement, pas comme avant. Alors il leur a balancé une phrase du prophète Isaïe, pour leur faire comprendre que Dieu n'aimait pas ceux qui font semblant, ceux qui respectent une tradition mais qui dans leur cœur ne respectent pas les paroles données par Le Seigneur à Moïse sur la montagne. Et là, si je puis me permettre, ils en ont pris plein la g… Parce qu'il leur a parlé de ce "Korban" qui fait qu'au lieu d'aider les parents dans le besoin alors que c'est le cinquième des commandements donnés par Moïse, on laisse les parents crever de faim sous prétexte que l'argent est pour le Temple. Et là, il a bien raison notre maître.

Peut-être qu'ils ont pensé à la phrase du prophète qui suit celle que Jésus leur a citée, et qui dit que le 'Tout Puissant va émerveiller le peuple par la merveille des merveilles, que la sagesse de leurs sages se perdra et que l'intelligence de leurs intelligents disparaître". Et là, s'ils ont pensé à cette phrase, eux qui savent la Tora par cœur, ils ont dû vraiment se demander qui était cet homme qui leur répliquait, mais qui est bien le sage, rempli de la présence de son Père. 

Alors, ils sont partis. Mais, je crois aussi que cette accusation d'impureté parce que nous ne nous étions pas lavé les mains, Jésus ne l'a pas digérée. Alors il a appelé tous ceux qui étaient là pour avoir une de ces phrases dont il a le secret, une sorte de maxime en fait, qui dit que ce qui rend impur ce n'est pas ce qui vient du dehors et que l'on met en soi; mais que c'est ce qui vient du dedans qui rend impur. J'ai bien pensé que cela concernait un peu ces envoyés qui sont remplis de mauvaises pensées, mais je ne savais pas trop. 

Et puis, quand on s'est retrouvés seuls avec lui, on lui a dit qu'on n'avait pas trop compris. Comme souvent, il a levé les bras au ciel devant nos têtes qui ne comprenaient pas… Il nous a expliqué que ce qui vient du dehors, ce qui rentre en tous, les aliments, cela ne peut pas nous faire de mal, nous rendre impurs, parce que ça ne reste pas en nous, ça transite. Mais que ces pensées qui sont en nous, pensées où nous voulons dominer l'autre, le condamner, oui ces mauvaises pensées, celles là elles font de nous des impurs. Du coup je me suis dit que désormais nous pourrions manger tout ce que la nature nous donnait, sans nous poser de questions sur le permis et défendu, et que cela serait une belle libération, mais que nous nous ferions sûrement mal voir. Enfin on verra plus tard. Mais les pensées, c'est autre chose. 

Car moi, moi ces pensées, oui je les ai, et je n'en suis pas fier. C'est tellement difficile de ne pas convoiter, de ne pas dire du mal.. Pourtant je sais qu'avec lui j'apprendrai à ne pas les laisser me dominer et que petit à petit, lui qui est capable de purifier un lépreux, de guérir une femme qui perd du sang, de toucher un mort et de lui rendre la vie, il saura me purifier.