L'envoi des disciples en Luc 10.
C'est un texte qui revient fréquemment dans la liturgie. Il était choisi pour la fête de St Cyrille et St Méthode.
Je reste volontairement sur la péricope de Luc, car dans l'évangile de Matthieu les envoyés ont des pouvoirs analogues à ceux des apôtres, et des consignes précises pour éviter certaines villes.
Chez Luc, c'est assez différent. Jésus qui (Lc 9) a déjà envoyé en mission ceux de la première heure, ses apôtres, se rend certainement compte que ce n'est pas suffisant, et décide d'en choisir 72, ce qui n'est pas rien. Bien sûr, cela renvoie au livre de l'Exode, Moïse choisissant 70 ou 72 "anciens" pour être des juges; ou encore au nombre de nations connues à l'époque de Jésus. Cela c'est pour le symbolisme.
Mais si on prend un peu le texte au pied de la lettre, si on écoute ce que l'évangéliste met dans la bouche de Jésus, on se rend compte qu'il y a des verbes, beaucoup de verbes.
Il y a un premier groupe de verbes (d'action) qui permettent de voir ce qui se passe: Jésus désigne un certain nombre d'hommes, les envoie deux par deux, pour le précéder (même si cela n'est pas dit explicitement). ("désigna": "passé simple" dans la traduction AELF).
Puis, première consigne qui est étonnante: priez le maitre de la moisson d'envoyer des ouvriers pour sa moisson. Un peu comme si Jésus leur demandait de susciter de nouveaux disciples, et que c'est peut-être cela leur mission première. Et finalement les ordres qu'il donne par la suite obligeront ceux qui croisent ces missionnaires à se poser des questions. Pourquoi agissent-ils comme cela? Qui les a envoyés? Quel est celui qui les motive ainsi. Bref l'étonnement, qui ouvre et qui peut susciter des vocations comme on dirait aujourd'hui. Là c'est à l'impératif.
Et peut-être que le comportement des envoyés va provoquer aussi le rejet, et alors la phrase qui est inquiétante - "je vous envoie comme des brebis au milieu des loups" - montre que c'est ainsi que celui qui veut annoncer doit se présenter. Or il y a dans les psaumes une phrase qui dit: heureux les doux, ils auront la terre en héritage. La douceur est peut-être ce qui peut interroger, et ouvrir le cœur des autres. Là, je peux penser qu'il s'agit de l'aujourd'hui, que cela reste vrai.
Puis tout un tas de consignes: pas de bourses, pas de sac, pas de sandales, pas d'arrêt (ne saluez personne en chemin), et des règles de conduite: commencer par déposer la Paix reçue dans la maison qui accueille, rester là où on est accueilli, même si c'est frugal; manger avec reconnaissance et savoir que c'est normal. A la limite c'est s'intégrer à la vie de cette maison, sans faire de complexes.
Et finalement la mission: guérir et parler. Mais c'est la conduite de ces hommes qui va faire comprendre que le règne de Dieu s'est approché. Et c'est Jésus qui ensuite fera comprendre que le règne de Dieu est là.
Seulement, quand on est envoyé en mission, il y a une partie de soi qui est un peu survoltée, et une autre qui panique un peu quand même, parce que même si on est deux, on est quand même très seuls et loin des autres; loin du groupe qui lui est porteur, loin du Maître. On peut se sentir un peu perdu, avoir un peu peur. Et c'est ce que j'ai voulu exprimer dans le texte qui suit.
Un des 72 choisis par Jésus raconte
Quand il nous a choisis pour être comme ses témoins, pour être un peu comme les Douze qu'il avait envoyés pour être comme ses doubles, nous étions dans la joie. Seulement cette joie, il l'a un peu rognée en mettant, comme on dit, les points sur i.
D'abord il nous a dit qu'il nous envoyait comme des brebis au milieu des loups. Alors quand je vois comment les pharisiens sont là à nous surveiller, à nous espionner, à vouloir nous lapider, quand je pense à toutes ces villes et ces villages qui sont habités par des non-juifs, eh bien oui, j'ai peur. Comment allons nous être accueillis? Bref j'ai un peu peur.
Ensuite, comme pour ceux qu'il a déjà envoyés, il nous a dit de ne rien prendre avec nous. Pas de sandales de rechange, pas de provisions, pas d'argent. Moi qui aime bien assurer ma sécurité, ça aussi ça me fait peur. Dépendre des autres, peut-être finalement mendier, que je n'aime pas ça.
Et voilà, il nous a envoyés. Il nous a dit "Allez", et ce "Allez", c'est comme s'il nous donnait la force de partir, comme s'il nous poussait en posant sa main sur nos épaules. Une petite poussée et nous voilà sur le chemin pour l'annoncer. Mais même si nous sommes deux à marcher, j'ai un peu peur.
Il a aussi ajouté qu'on ne devait pas perdre de temps à saluer des amis si on en rencontrait, et finalement chercher une maison qui pourrait nous accueillir.
Là, il a dit quelque chose qui pour moi est important, car c'est donner ce que nous avons reçu de Lui. Dire "Shalom" à la maison qui veut bien nous accueillir, c'est donner la Paix qui est en nous, la Paix qui vient du Très Haut, mais aussi la Paix qu'il a mise en moi quand j'ai décidé d'essayer de le suivre. Maintenant, que la Paix revienne sur moi s'il n'y a personne pour la recevoir, je n'y crois pas trop: il y a toujours quelqu'un sur lequel la paix peut se reposer, et demeurer, un peu comme un oiseau qui a trouvé un perchoir, un abri, un refuge et qui s'y trouve bien. Peu importe si mes yeux ne sont pas capables de voir, mais la Paix donnée, elle est donnée et elle trouve bien un lieu de repos.
Jésus nous a dit d'accepter avec simplicité ce qu'on nous offrirait à manger. Cela m'effraie un peu, parce que nous serons peut-être accueillis par des personnes qui ne respectent pas les prescriptions de Moïse, mais Jésus nous a déjà fait comprendre que les prescriptions c'est une chose, l'amour c'est autre chose, alors on verra bien; et c'est vrai que si les personnes qui nous offrent l'hospitalité ne mangent pas comme nous, c'est déjà bien beau qu'elles partagent avec nous.
Il nous a demandé de guérir les malades, et de dire que la règne de Dieu s'était approché. C'est sûr qu'une guérison cela permet de comprendre que du bon est en train d'arriver, et que ce bon c'est Dieu seul qui le donne. Nous ne sommes que des instruments.
Mais je crois que ce que nous avons à dire, et c'est quand même ce qui nous fait jubiler de joie, c'est que si nous sommes sur les routes, c'est parce que nous avons rencontré celui sur lequel repose l'Esprit de Dieu, qui fait des choses magnifiques, qui dit des choses qui nous transportent, même si on ne comprend pas toujours, et que c'est lui qui va venir dans cette ville et qui va l'ouvrir à la présence du Tout Puissant. Oui c'est cela que je veux dire, et même si la peur est un peu là, je sais que nous y arriverons. Et si on se fait jeter dehors, on ira ailleurs, et on trouvera bien un lieu où nous pourrons révéler le nom de notre maître: Dieu Sauve, Dieu sauve aujourd'hui.
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