mercredi, juin 07, 2023

Mc 10, 46-52. L'aveugle de Jéricho raconte.

 C'est assez étonnant! J'ai publié le billet hier, et il m'avait déjà fallu beaucoup de temps pour le rédiger. Ce billet je l'ai relu et je me suis dit que celui qui devait raconter, c'était l'aveugle, pas un autre, pas un disciple. Non, c'était lui qui voulait raconter, qui voulait dire. Alors j'ai laissé faire. 


Timée, l'aveugle, le fils de Timée, raconte. 

Je m'appelle Timée, je suis le fils de Timée, ce qui veut dire que nous portons le même prénom. Longtemps je lui ai fait honneur, mais avec la cécité je suis devenu quelqu'un que l'on méprise, un peu la honte de la famille. Et, comme tout aveugle qui ne peut plus rien faire, je mendie. Ceux de ma famille, qui s'occupent de moi, me conduisent tous les jours à la sortie de Jéricho. 


J'aime bien ce lieu, car c'est le passage obligé pour tous ceux qui montent à Jérusalem et ils sont nombreux, puisque trois fois par an il nous faut aller rendre un culte à notre Dieu. Seulement moi, avec cette infirmité, et la malédiction du roi David sur les aveugles et les boiteux, leur interdisant l'entrée du Temple, je ne peux pas monter à la ville du Très Haut. 

 

La Pâque est proche maintenant, et beaucoup se mettent déjà en route. J'espère qu'ils me regarderont et me donneront une petite pièce. 

 

J'écoute aussi beaucoup ce qui se rapporte. Il paraît qu'il y a un nouveau prophète, un Jésus qui est aussi un guérisseur. Il a rendu la vue à un aveugle. C'était m'a-t-on dit à Bethsaïde: On lui avait amené un aveugle, il l'avait pris par la main, et lui avait mis de la salive sur les yeux. Ce qui est étonnant, c'est que cela ne l'a pas guéri complètement, il y voyait seulement un peu. Moi je m'en contenterais. Mais ceux qui racontent cela disent que Jésus lui a ensuite posé les mains sur les yeux et que là, la vue lui était complètement revenue (Mc 8, 22-26). Moi, si je le rencontrais, ce Jésus, c'est moi qui lui demanderais de retrouver la vue; je ne laisserais pas les autres demander à ma place. Mais voilà, Jésus n'est pas venu à Jéricho. Et moi, je demande au Très haut que cet homme vienne et me guérisse.

 

Et puis, j'ai entendu quelque chose de différent. Comme je ne vois pas, les bruits pour moi c'est la source de mes informations. Beaucoup de monde passait devant moi, beaucoup, beaucoup plus. Bruits de pas, bruits de voix, mais aussi odeurs différentes. J'ai demandé, et là on m'a dit que c'était Jésus. C'est comme si ma prière, qu'il passe à Jéricho, avait été entendue.

 

Alors je me suis mis à crier de toutes mes forces, parce que je voulais qu'il m'entende et qu'il s'arrête. Je criais la même phrase encore et encore, jusqu'à en perdre la voix. Je l'ai un peu flatté en lui donnant le titre de fils de David, mais après tout, peut-être que s'il a de tels pouvoirs il est de cette famille royale, de cette famille d'où sortira le Messie.

 

Seulement, m'entendre crier comme ça, bien entendu, ça a importuné; et ceux qui passaient devant moi m'ordonnaient de me taire, mais je ne pouvais pas. Il fallait que le Rabbi m'entende, qu'il me voie, qu'il voie ma misère, qu'il me sauve. Et les autres, ils gueulaient presque plus fort que moi.  L'horreur. Puis deux hommes sortis de je ne sais où se sont approchés de moi. Ils m'ont dit que Jésus m'appelait. Alors, ce qui est curieux, c'est que ceux qui étaient près de moi ont changé de ton. Ils m'ont dit d'avoir confiance, de me lever, et qu'il m'appelait.

 

Et je me suis levé d'un bond! Quelque chose me poussait à jaillir presque en dehors de moi. J'ai balancé mon manteau qui m'alourdissait avec les petites pièces de monnaie que j'avais récoltées ce matin-là, et je suis parti vers lui. Il y a eu des gens charitables pour me guider un peu, mais au fond de moi, même si je ne le voyais pas, je savais où il était. Et j'ai entendu le son de sa voix. Il m'a demandé ce que je voulais qu'il fasse pour moi.  Vous vous rendez compte, il m'a demandé ce que je voulais et pour moi, c'était extraordinaire que quelqu'un tienne compte de moi comme cela. C'était comme une renaissance: j'existais.

 

Et que lui demander d'autre que de retrouver la vue? Mais je ne parlais pas à un simple guérisseur, je demandais la vue à celui qui était devenu, sans que je le veuille, sans que je fasse rien, non pas un Maître, mais "mon" Maître, celui qui avait ma confiance entière, celui qui pouvait tout, celui qui était le Maître; pas un simple rabbi qui essaye de faire comprendre la parole du Très Haut. 

 

Il ne m'a pas touché comme l'aveugle de Bethsaïde. Il m'a juste dit: "Va, ta foi t'a sauvé". Il ne m'a pas dit: "Ouvre les yeux et regarde", non. Il m'a dit, comme le très Haut l'avait dit à Abraham autrefois, d'aller, de partir; et que ma foi, ma foi en lui, m'avait sauvé. Il n'a pas dit "guéri", il a dit sauvé. Et en moi, au même moment, quelque chose s'est ouvert. Mes yeux ont vu, l'ont vu lui, ont vu la foule, et je suis parti à sa suite, vers cette ville où on allait bientôt célébrer la Pâque. Et je marche, je marche, et je regarde avec mes yeux tous neufs, et pour moi le monde ancien s'en est allé, un monde nouveau est déjà là. Que le très Haut soit béni. Et là où il ira, j'irai! 

mardi, juin 06, 2023

Mc 10, 46b-50. La guérison de l'aveugle de Jéricho. temps ordinaire. Mai 2023

L'aveugle de Jéricho. 

La version de Marc de cette péricope est ma version préférée; j'aime cet aveugle qui jette son manteau, qui bondit, qui est capable de gueuler comme un veau pour se faire entendre dans le brouhaha, et qui ne se laisse pas faire par ceux qu'il importune. J'ai déjà écrit un texte en 2021: https://giboulee.blogspot.com/2021/10/laveugle-de-jericho-marc-1a-42b-51.html, mais ce matin, en lisant ce texte qui inaugure en quelque sorte la reprise du temps ordinaire, c'est le comportement de cet homme, une fois de plus, qui m'a vraiment interpellée et m'a donné envie de raconter autrement. 

 

Est-ce qu'il sait qui est Jésus? Est-ce qu'il croit que la vue peut lui -être rendue? Veut-il juste l'aumône d'un homme renommé, qu'il imagine pouvoir le sortir de la misère?  

 

Si je me base sur toutes les guérisons, il est évident que Jésus est connu comme un thaumaturge, ce qui ne sera pas le cas de Pierre, avant la guérison du paralytique de la Belle-porte qui attend très certainement de l'argent. Donc, quand Bartimée entend que c'est Jésus, il doit se dire que c'est la chance de sa vie, et qu'il faut trouver un moyen pour que Jésus s'arrête. Pour moi, cela évoque un peu ce qui se passe avec la syro-phénicienne, qui "casse tellement les oreilles" des disciples, que ce sont eux qui demandent à Jésus de répondre à sa demande.

 

Mais la formule "Jésus, Fils de David", qui peut s'entendre comme une reconnaissance messianique, me parait presque trop banale. J'ai tendance à penser que le "Fils de David" c'est un peu une façon de parler, une manière de s'adresser à quelqu'un dont on désire l'aumône. Dans nos histoires, certains disent "Mon Seigneur" à celui qui peut donner des sous. 

 

Quant au "Aie pitié", c'est bien la formule de base de tout mendiant: "Regarde-moi, sois rempli de compassion pour moi, toi qui as, alors que moi je n'ai rien, je suis dans la dépendance. Donne-moi, toi qui as des sous, et donne-moi de quoi manger". 

 

Et cela me renvoie un peu à la prière du cœur, cette prière que je pratique depuis des années, qui peut se réduire juste à "Seigneur Jésus aie pitié" ou se décliner avec plus de mots: "Seigneur Jésus, Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur." Qu'est-ce que je dis, moi, quand je prononce ces mots?  Qu'est- ce que j'attends? Est-ce qu'il s'agit juste de me remplir du nom de Jésus, en étant sûre qu'en moi il prend puissance et peut faire des merveilles, ou est-ce reconnaître ma faiblesse, mon incapacité, et tout attendre de lui, que ce soit mes besoins immédiats (et là, c'est se mettre dans la peau d'un mendiant qui a tout perdu et qui est devenu totalement dépendant), ou mes désirs les plus profonds, mes désirs de vie pour moi et pour ceux qui me sont proches?

 

Pour en revenir au texte, Jésus - tel qu'il est décrit là par Marc - certes s'arrête, ce qui est déjà beaucoup, mais n'envoie personne prendre l'aveugle par la main; il lui fait confiance pour arriver vers lui. Et je pense que c'est cela qui provoque une sorte de rebond: il sera certes guéri, mais bien plus, il sera sauvé. Comme le raconte Élian Cuvillier dans son livre "Parole pour chacun", l'aveugle (et Cuvillier insiste sur la signification du nom Bartimée, fils de Timée, qui renvoie à l'identité et qui ici peut avoir deux sens, soit "impur" si on se réfère à l'araméen, soit "Honoré" comme le prénom que nous connaissons par Pagnol) devient vivant, il devient désirant, il n'est plus responsable de l'honneur (ou du déshonneur) de son père, il est lui. Il sait que Jésus ne le voit pas comme "de Timée", comme un homme dépendant, enfermé dans sa cécité, enfermé dans son handicap. Et c'est ce qui lui permet, parce que Jésus l'appelle, de jeter son manteau, c’est-à-dire aussi son identité, de bondir, c’est-à-dire de se lever, de se mettre debout, (ce qui est une image de résurrection), et d'être trouvé par Jésus, qui de son côté ne pouvait pas ne pas voir. Et c'est ce changement qui est prodigieux, d'autant que c'est la dernière guérison racontée par Marc. 

 

Ce que je veux dire aussi, c'est que l'on peut parfois demander dans une prière quelque chose qui est de l'ordre du comblement du manque, du vide, et se rendre compte que ce n'est pas cela l'important. L'important c'est de sortir de soi, de jeter son manteau, de pouvoir bondir.  

 

J'ai parlé en https://giboulee.blogspot.com/2022/12/matthieu-9-27-31-les-deux-aveugles-de.html de la guérison des aveugles de Capharnaüm chez Matthieu, parce que cette guérison est très proche de celle rapportée en 20,29 et j'ai évoqué cette guérison chez Luc, seulement chez ce dernier, qui est assez inséparable de ce qui se passe ensuite avec Zachée: https://giboulee.blogspot.com/2018/11/la-ville-de-jericho-luc-18-et-luc-19.html .  

 

 

Apport des synoptiques

 

Les synoptiques rapportent tous cet épisode, qui se situe avant l'entrée plus ou moins triomphale dans Jérusalem et précède de peu la passion. 

 

Je pense que cela vaut toujours la peine de regarder les différences ou les similitudes.

 

Bien sûr chez Matthieu, il y a deux aveugles et pas un. Ils ne s'informent pas, ils se mettent immédiatement à crier et eux aussi sont rabroués. Il est certain que deux qui implorent, cela fait plus de bruit qu'un seul, surtout s'ils s'époumonent. Jésus s'arrête, là on peut penser qu'il arrive à leur hauteur, et il leur demande ce qu'ils veulent. On peut noter deux choses: Jésus est saisi de compassion; et il touche les yeux. Il y a donc à la fois un geste fort, un geste de guérison: toucher; et le cœur de Jésus, qui sait aussi qu'il va être confronté à l'aveuglement de Jérusalem, qui est rempli de compassion, ce qui pour moi, montre aussi sa divinité. Puis les hommes guéris se mettent à sa suite. Jusqu'où iront-ils? Cela personne ne le sait.

 

MATTHIEU 

MARC 10

Luc  18

29 Tandis que Jésus avec ses disciples sortait de Jéricho, une foule nombreuse se mit à le suivre.

 

 

 

 

 

30 Et voilà que deux aveugles, assis au bord de la route

6 Jésus et ses disciples arrivent à Jéricho. Et tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée, Bartimée, 

 

un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin

35 Alors que Jésus approchait de Jéricho, 

 

 

 

 

 

 

 

 

un aveugle mendiait, assis au bord de la route.

3

.

 

, apprenant que Jésus passait, 

 

 

 

 

 

 

 

crièrent 

 

« Prends pitié de nous, Seigneur, fils de David !

 

 

31 La foule les rabroua pour les faire taire. 

 

Mais ils criaient encore plus fort : 

 

 

« Prends pitié de nous, Seigneur, fils de David ! »

47 Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth

 

 

 

 

 

 

, il se mit à crier :

 

« Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! »

 

 

48 Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, 

 

mais il criait de plus belle : 

 

 

 

« Fils de David, prends pitié de moi ! »

 

36 Entendant la foule passer devant lui, il s’informa de ce qu’il y avait.

37 On lui apprit que c’était Jésus le Nazaréen qui passait.

 

 

38 Il s’écria :

 

 « Jésus, fils de David, prends pitié de moi ! »

 

39 Ceux qui marchaient en tête le rabrouaient pour le faire taire. 

 

Mais lui criait de plus belle :

 

 

« Fils de David, prends pitié de moi ! »

 

 

32 Jésus s’arrêta 

 

et les appela 

 

49 Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. »

 

 

40 Jésus s’arrêta et il ordonna qu’on le lui amène. 

 

50 L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus.

 

 

 

 

 

 

: « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? »

 

 

33 Ils répondent : « Seigneur, que nos yeux s’ouvrent ! »

 

e51 Prenant la parole, Jésus lui dit : «

 

 

 

Que veux-tu que je fasse pour toi ? » 

 

 

 

L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! »

Quand il se fut approché, Jésus lui demanda :

 

41 « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » 

 

 

 

Il répondit : « Seigneur, que je retrouve la vue. »

 

 

34 Saisi de compassion, 

 

 

Jésus leur toucha les yeux ; aussitôt ils retrouvèrent la vue,

 

 

 

et ils le suivirent.

52 Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » 

 

 

 

Aussitôt l’homme retrouva la vue,

 

 

 

et il suivait Jésus sur le chemin.

 Et Jésus lui dit : « Retrouve la vue ! Ta foi t’a sauvé. »

 

4

3 À l’instant même, il retrouva la vue,

 

 

 

et il suivait Jésus en rendant gloire à Dieu. 

 

Et tout le peuple, voyant cela, adressa une louange à Dieu.

 

 

Les textes sont certes très proches, mais la finale de Luc, où tout le peuple, comme le fit le lépreux guéri par Jésus, rend gloire à Dieu, et qu'il est en quelque sorte le moteur qui fait que tout le peuple adresse une louange à Dieu, ce qui est un peu les prémices de ce qui se passera lors de l'entrée à Jérusalem.

 

Travail sur le texte

 

Je suis tellement habituée à ce texte raconté par Luc, que dire la sortie et non pas l'entrée, cela m'a étonnéeIl y a de jolis commentaires, sur RCF mais aussi dans "Retraite dans la ville", sur ce texte. Jésus est donc dans la dernière ligne droite, il monte à Jérusalem.  Et au chapitre 11, ce sera l'entrée, plus ou moins triomphale, suivie de la parabole du figuier desséché.

 

46b En ce temps-là, tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée, Bartimée, un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin.

47 Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! »

48 Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! »

 

Le tableau est brossé. Jésus est en route, il a traversé Jéricho, la ville la plus basse, pour monter vers la plus haute. Il y a du monde, donc. Du bruit. Un aveugle à sa place habituelle. Être à la sortie ce n'est pas mal.  

 

Il a choisi un bon lieu pour mendier. Il peut espérer une petite pièce de ceux qui montent à Jérusalem pour une offrande. Il entend, puisqu'il ne voit pas, et demande ce qui se passe. Il apprend que c'est Jésus qui passe, et là, pardonnez- moi le vocabulaire, il se met à hurler, à beugler pour être entendu. Comme il ne voit pas, il ne sait pas où Jésus se trouve. Est-il déjà passé, va-t-il passer devant lui. Ce Jésus, il faut qu'il s'arrête. C'est pourquoi il beugle sa demande. Et cette demande, c'est bien arrête-toi, guéris-moi, car il sait que Jésus est un guérisseur. Et c'est la demande, répétée, répétée, "Fils de David, Jésus, prends pitié de moi"  

 

Ceux qui sont là n'en peuvent plus, et si le terme employé par le narrateur est rabrouer, je pense que c'est plus de l'ordre de "ta gueule, la ferme" etc.

 

49 Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. »

 

Sauf que Jésus, lui, a entendu et s'arrête. Et cet arrêt a sûrement une incidence sur le mouvement de la foule. Le mouvement est interrompu dans son élan. Donc Jésus s'arrête, mais il n'est pas tout près du mendiant. Il demande alors qu'on l'appelle, ce mendiant. Ceux qui transmettent le message, et qui ne sont certainement pas les mêmes que ceux qui rabrouent, ont cette phrase curieuse: "Confiance (on dirait courage), lève-toi (ça c'est important), il te demande, il t'appelle". C'est d'ailleurs étonnant, Jésus ne dit pas qu'on le lui amène. Non simplement qu'on l'appelle, et c'est à lui de se débrouiller. 

 

50 L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus.

 

Et il se débrouille. Si comme je le crois, le manteau témoigne de son statut social, c'est déjà une petite résurrection. Il se débarrasse de ce poids et il court, lui l'aveugle, vers Jésus. Cela c'est extraordinaire. Cuvelier dit qu'en laissant son manteau, il laisse tomber la carapace, il se dénude. Il expose sa faiblesse, ses difficultés et en même temps il affirme qu'il ne veut pas qu'elles aient le dernier mot dans sa vie. Il se dirige en aveugle vers Jésus, mais en aveugle qui désire voir. Peut-être est-il sorti de sa demande première de recevoir une obole. 

 

51 Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! »

 

Le voilà arrivé, et la question de Jésus est "Que veux-tu que je fasse", ce qui laisse une grande liberté;  l'aveugle, en s'adressant à Jésus, le nomme Rabbouni, ce qui est autre chose que le Fils de David. Et là, Jésus est devenu "mon maître", ce qui est le mot utilisé par Marie-Madeleine et qui montre aussi que dans le cœur de cet homme quelque chose s'est passé. Lui, l'aveugle, il sait que Jésus est le Maître, pas celui qui sait , mais celui qui est, et peut tout, celui que l'on reconnaît comme ayant tout pouvoir.

 

52 Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.

 

Intéressant ce verset. Jésus lui dit "Va, ta foi ta sauvé". Il y a deux choses. Il y a un envoi, comme dans la finale de l'évangile de Matthieu: Mt 26, 19: "Allez!  De toutes les nations faites des disciples". Aller, qui suggère que tout se passe comme l'homme le souhaite et que libéré (Cuvelier insiste beaucoup sur son passé), qu'il peut reprendre sa vie. 

 

L'insistance portée sur la foi qui sauve est fondamentale pour nous qui venons après. Il dira la même chose à ses disciples après avoir desséché le figuier qui n'avait pas de figues. Mc 11, Alors Jésus, prenant la parole, leur dit : « Ayez foi en Dieu.23 Amen, je vous le dis : quiconque dira à cette montagne : “Enlève-toi de là, et va te jeter dans la mer”, s’il ne doute pas dans son cœur, mais s’il croit que ce qu’il dit arrivera, cela lui sera accordé !24 C’est pourquoi, je vous le dis : tout ce que vous demandez dans la prière, croyez que vous l’avez obtenu, et cela vous sera accordé.

 

Mais ensuite, l'homme ne s'en va pas, il suit Jésus, ce qui est très différent. Et c'est là qu'il est pleinement libre, parce que pleinement sauvé. Et c'est là-dessus que E.Cuvelier insiste. Il est devenu un homme libre, libéré de son passé. L'honneur de son père ne repose plus sur son dos. Il peut désormais se libérer des liens du passé, que ce soit l'impureté ou que ce soit l'honneur de son père. Le salut, n'est-ce pas devenir fils de Dieu? 

 

Un disciple raconte

 

Je vais vous raconter ce qui s'est passé juste avant que nous n'arrivions à Jérusalem. Nous sortions de Jéricho, et comme d'habitude, outre nous les disciples, il y avait beaucoup de monde qui était sorti, sûrement parce qu'ils espéraient un miracle ou un discours. Et nous sommes aussi passés devant un aveugle, assis à la sortie de la ville. Je dois dire que c'est un endroit bien choisi. 

 

On nous a dit qu'il avait demandé à ceux qui étaient proches de lui ce qui se passait. Et quand il a su que c'était Jésus, comme tout mendiant qui se respecte, il s'est mis à gueuler comme un veau. Il hurlait pour que Jésus l'entende, mais nous étions déjà devant, sauf que nous l'avons entendu quand même. Je crois même qu'il cassait tellement les oreilles de ceux qui passaient devant lui, qu'ils lui demandaient de la fermer. 

 

Comme je l'ai dit, nous l'avions vaguement entendu, mais Jésus lui, il avait vraiment entendu, c'est bien une des différences entre lui et nous. Moi, j'étais bien content de ne plus l'entendre vociférer la phrase: Jésus fils de David, aie pitié de moi". Je ne sais pas trop ce qu'il attend. Mais son "fils de David", je suis sûr qu'il le sort chaque fois que c'est quelqu'un qu'il imagine être plein aux as qui passe devant lui, les mendiants ça veut toujours vous flatter.

 

Et Jésus a demandé qu'on l'appelle. Bizarre qu'il ne soit pas allé à sa rencontre. Un aveugle qui doit le trouver sans voir, ça ne lui ressemble pas de faire ça. Mais il devait bien avoir une raison. Il s'est arrêté en l'attendant. Deux ou trois sont allés vers l'aveugle, et là, j'ai su qu'il s'appelait Timée; ils lui ont dit que Jésus l'appelait et ils lui ont souhaité bon courage. Il paraît qu'il s'est levé, a jeté son manteau, son manteau de mendiant tout rapiécé, et a couru. Je l'ai vu arriver et je n'en revenais pas. Un aveugle qui court. Il devait avoir rudement confiance. 

 

Une fois devant nous, Jésus lui a demandé ce qu'il voulait. Je pense qu'il le savait très bien ce qu'il voulait ce Timée, mais on ne sait jamais. Et ce dernier lui a demandé de lui rendre la vue. Ce qui est étonnant, c'est qu'il s'est adressé à lui en lui disant Rabbouni. Pas Rabbi, Rabbouni. Et je crois que lui l'aveugle avait compris que Jésus est bien plus qu'un maitre et qu'il le reconnaissait comme son maître. Et c'est sûrement pour cela qu'après avoir retrouvé la vue, il a suivi Jésus sur la route de Jérusalem, cette route qui l'a conduit à la croix; alors que nous espérions malgré tout ce qu'il nous avait dit qu'il serait le nouveau Roi-Messie de la ville . Roi Messie oui, il l'est devenu, mais que pour nous le chemin a été long avant que nos yeux ne s'ouvrent.