vendredi, décembre 09, 2022

Matthieu 9, 27-31. Les deux aveugles de Capharnaüm.

C'est le texte proposé pour le vendredi de la première semaine de l'Avent. 

Il s'agit de la guérison, non pas d'un aveugle, mais de deux, ce qui m'étonne un peu. Je sais bien qu'il faut deux témoins lors d'un procès... Matthieu reprendra le même épisode à Jéricho, et toujours avec deux aveugles, contrairement à Marc et à Luc. 

Et comme la similitude des deux guérisons est très étonnante, on peut se demander pourquoi Matthieu a eu besoin de ce doublet. Peut-être que ces deux guérisons de la cécité, une qui a lieu au début de la vie publique, une qui a lieu avant l'entrée dans Jérusalem devaient se répondre.  

 

Je dois dire aussi, que j'ai du mal à comprendre la manière dont la liturgie a bâti ces deux premières semaines de l'Avent. À partir du mercredi de la troisième semaine, c'est plus simple, puisque c'est toujours l'évangile de Matthieu qui est utilisé avec la centration sur Jean le Baptiste, puis le premier chapitre de l'évangile de Luc. 

 

J'avais pensé à un moment que ce temps de l'Avent permettait une sorte de lecture continue du premier livre d'Isaïe, mais comme on fait des allers et retours entre les différents chapitres, il n'en est rien. Il me semble aujourd'hui qu'il s'agit de se centrer et de redécouvrir les différentes facettes de celui qui sera le Messie, l'Envoyé, l'Élu, le Fils du Très Haut, les textes d'Isaïe étayant cela.  

 

Le texte d'aujourd'hui montrant l'aspect "guérisseur" de Jésus. 

 

C'est l'un des premiers miracles de Jésus après le long discours sur la montagne, mais comme on retrouve pratiquement la même guérison en Mt 20, (Jéricho), juste avant que Jésus ne prenne de prendre la route qui conduit à Jérusalem et à la passion, je me suis demandée le pourquoi de ce choix, puisqu'à Jérusalem il y aura certes quelques miracles, mais pas de guérisons.  

 

Il me semble que l'on peut dire que ce qui sauve de la cécité, c'est la foi. C'est d'ailleurs la question que pose Jésus: "Croyez-vous que je peux faire ça"? Le miracle suivant étant la guérison d'un sourd-muet, je peux me demander si ces guérisons des sens ne sont pas là pour nous amener à nous rendre compte à quel point nous sommes aveugles, sourds et incapables de parler...

 

Il me semble que nous sommes en permanence très proches des aveugles, qui ne pouvant voir, doivent en permanence se fier au témoignage des autres. C'est ce que nous lisons ou ce que nous entendons (mais nous ne voyons pas vraiment) qui peut nous permettre d'accéder à la foi. 

 

Les deux aveugles de la péricope, comme ceux de Jéricho, ne voient pas ce qui se passe. Il faut leur dire que Jésus, celui qui vient de redonner la vie à la fille de Jaïre, est en train de passer sur leur route. 

 

Et c'est aussi ce qui se passe pour l'aveugle ou les aveugles de Jéricho qui ne comprennent pas d'où vient l'agitation inhabituelle. Entendre, poser des questions, et se mettre en route, crier pour attirer l'attention. Crier certes avec une jolie formule, puisque nous l'utilisons à peu de choses près dans la "prière du Cœur": "Seigneur Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de nous"


Dans les évangiles, des guérisons d'aveugles, il y en a. La guérison de l'aveugle de Jéricho (ou des aveugles de Jéricho, que ce soit à l'entrée ou à la sortie de la ville) se retrouve dans les synoptiques. Mais il y a aussi chez Matthieu la guérison rapportée aujourd'hui, et en 12,22 la guérison (mais il s'agit d'un cas de possession) d'un démoniaque muet et aveugle, et chez Marc en 8,22 d'une guérison très étonnante, qui se passe en deux temps, l'homme commençant par distinguer des formes, un peu comme un nourrisson, puis accédant à la pleine vision. Serait-ce une représentation du baptême?  

 

La cécité, c'est un peu notre point faible, notre talon d'Achille. Et Jean le fera bien remarquer dans la guérison de l'aveugle-né quand il s'adresse à ceux qui "savent": "Vous dites-nous voyons: votre péché demeure". 

 

Alors peut-être que ce texte, est là pour que nous puissions nous aussi, nous qui entendons, mais qui sommes bien souvent un peu sourds ou qui déformons ce que nous entendons pour que ça aille dans le sens qui nous plait, d'essayer une fois de plus de voir avec les yeux du cœur, en ce temps de l'Avent, celui qui vient, celui qui guérit, celui qui donne la vie, celui qui nous ouvre les yeux et le cœur.

 

Avant de revenir au texte de ce jour, il m'a paru intéressant de le comparer à la guérison qui se passe à la sortir de Jéricho. En gras les similitudes. 

 

Matthieu 9

Matthieu  20

 

 

 

 

 

 

 


27 Tandis que Jésus s’en allait, deux aveugles le suivirent, en criant : « Prends pitié de nous, fils de David ! »

 

 

 

 

 

 

 

28 Quand il fut entré dans la maison, les aveugles s’approchèrent de lui, et Jésus leur dit : « Croyez-vous que je peux faire cela ? » 


Ils lui répondirent : « Oui, Seigneur. »

 

 

 

29 Alors il leur toucha les yeux, en disant : « Que tout se passe pour vous selon votre foi ! »

30 Leurs yeux s’ouvrirent, et Jésus leur dit avec fermeté : « Attention ! que personne ne le sache ! »

 

29 Tandis que Jésus avec ses disciples sortait de Jéricho, une foule nombreuse se mit à le suivre.


 

 

30 Et voilà que deux aveugles, assis au bord de la route, apprenant que Jésus passait, crièrent : « Prends pitié de nous, Seigneur, fils de David ! »



31 La foule les rabroua pour les faire taire. Mais ils criaient encore plus fort : « Prends pitié de nous, Seigneur, fils de David ! »


 

 

32 Jésus s’arrêta et les appela : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? »



33 Ils répondent : « Seigneur, que nos yeux s’ouvrent ! »


 

34 Saisi de compassion, Jésus leur toucha les yeux ; aussitôt ils retrouvèrent la vue, et ils le suivirent.


En ce qui concerne les aveugles de Jéricho, une fois de plus, on peut s'interroger sur la concision de Matthieu par rapport à Luc et surtout à Marc. On peut aussi remarquer que, en Matthieu 19, la demande est peu différente:" Prends pitié de nous Seigneur fils de David". En Matthieu 9, le "Seigneur" manque . 

 

Mais quand Jésus s'adresse à eux, les deux récits utilisent le mot seigneur, mais je me demande si ce n'est pas le "monsieur" (Mon Sieur) que nous utilisons, plutôt qu'une reconnaissance de la divinité. Alors que la demande, elle, s'adresse à celui qui est l'envoyé du TrèsHaut, le successeur de David, le Roi. 

 

Dans les deux textes, Jésus s'en va après cela. A Capharnaüm, les aveugles répandent la nouvelle de la guérison alors que Jésus l'a interdit. A Jéricho, les aveugles suivent Jésus.

 

Un autre point qui m'étonne, c'est le silence de Jésus dans cette péricope. Dans le chapitre 9, Jésus a redonné vie à la fille de Jaïre (certes le texte est très concis), il sort de cette maison, il reprend la route dont il a été détourné, pour se rendre vraisemblablement dans la maison de Pierre. On peut penser que les aveugles ont appris ce qui s'est passé chez le "notable". Ils pistent alors Jésus, le trouvent, et l'interpellent, mais lui fait comme s'il ne les entendait pas, ce qui est très différent de ce qui se passe à Jéricho. Est ce que Jésus, après cette résurrection, rentre en lui-même, est pensif? Il les ignore un peu comme il ignorera la femme syro-phénicienne qui casse pourtant les oreilles de des disciples.

 

A Capharnaüm, Jésus a redonné la vie à une jeune fille. Après avoir quitté Jéricho Jésus donnera sa vie, pour que nous ayons la vie, et la vie en abondance. 

 

Travail sur le texte lui-même

 

27 En ce temps-là, Jésus était en route ; deux aveugles le suivirent, en criant : « Prends pitié de nous, fils de David ! »

 

Les aveugles sont comme nous, ils ont entendu parler de Jésus, de ses miracles, mais ils ne peuvent pas les voir. Ils font confiance aux témoins. Jésus arrive, cela fait du bruit, ils se mettent en place, ils crient mais pas de réponse, et ils se mettent à le suivre, et ils crient, en espérant que Jésus va s'arrêter, et ils vont jusqu'à sa destination: la maison.

 

Peut-être que ces hommes ne reconnaissent pas en lui, le Seigneur

 

28 Quand il fut entré dans la maison, les aveugles s’approchèrent de lui, et Jésus leur dit : « Croyez-vous que je peux faire cela ? » Ils lui répondirent : « Oui, Seigneur. »

 

Et là, une fois arrivés, ils se taisent mais ils s'approchent de lui. Ils prennent encore l'initiative; ce qui est différent de l'aveugle de Jéricho où Jésus demande qu'on le lui amène. Ils s'approchent de Jésus, qui leur dit, "Croyez-vous que je puisse faire cela"?  Et c'est la réponse qui provoque le geste suivant et la guérison. 

 

29 Alors il leur toucha les yeux, en disant : « Que tout se passe pour vous selon votre foi ! »

 

On peut presque imaginer que si la foi en lui n'avait pas été réelle et forte (et c'est aussi la foi, qui nous permet de sortir de nos ténèbres), la guérison ne se serait pas faite. Et cela, c'est important pour moi, aujourd'hui. Là Jésus joint le geste à la parole. 

 

30 Leurs yeux s’ouvrirent, et Jésus leur dit avec fermeté : « Attention! que personne ne le sache! »

31 Mais, une fois sortis, ils parlèrent de lui dans toute la région.

 

 

La réaction des aveugles, je dois dire que je la comprends. Et de toutes les manières, ceux qui connaissent les aveugles auraient fait de même. Mais il est sans doute important qu'au début de la vie publique, on ne fasse pas de Jésus un guérisseur, un thaumaturge, alors que Jésus est bien plus que cela. Le comportement des aveugles, on le comprend; mais la réticence de Jésus vient peut-être du fait qu'on ne va pas voir en lui qui il est. Ce miracle intervient après la résurrection de la fille de Jaïre . Il va falloir presque tout l'évangile pour que Jésus ne soit pas un simple messie, un de plus, mais le Seigneur.

 

Quelques réflexions

 

Maintenant, comment faire parler les deux aveugles? Je ne le sais pas, du moins pas encore. 

 

Ce que je sais par contre c'est que la cécité, l'aveuglement, c'est quelque chose qui me parle, qui m'a toujours parlé. Les aveugles de Galilée ne peuvent pas voir ce qui se passe, ils peuvent juste entendre ce qu'on leur raconte, et en cela nous sommes comme eux quand nous lisons les évangiles. Ce qui veut dire que leur foi s'étaye sur ce qu'on leur dit. 

 

Et là, on a pu leur raconter la guérison de la femme qui perdait du sang, et la résurrection de la fille du notable, mais aussi de tous les autres miracles racontés dans ce chapitre; et c'est peut-être là, grâce à ces témoignages, que malgré leur handicap ils se mettent en quête de Jésus. Il me semble même qu'ils se mettent dans son sillage un peu comme un saumon qui remonte un torrent, car suivre quand on est aveugle c'est compliqué. Et ils ne savent pas où ils vont, alors que nous nous savons que Jésus va à Capharnaüm, certainement dans la maison de Pierre. Suivre sans savoir où on va, suivre sans réponse, et continuer à implorer. Peut-être que là, nous nous reconnaissons en eux. Puis arrive le temps de l'étape, le temps du calme, le temps où Jésus ne fait plus la sourde oreille; et sa demande à lui: "Croyez-vous que je peux faire cela pour vous?" 

 

Est-ce que ma foi est aussi chevillée que la leur? A dire vrai je suis loin d'en être certaine. Mais ce qui est sûr c'est que sans foi, le miracle ne peut se faire. Et là tous les deux retrouvent la vue. 

 

Ensuite on sait que Jésus leur interdit de parler de cela, ce qui est assez étonnant car la nouvelle de la résurrection, elle, s'est répandue dans toute la région. Mais le temps n'est pas encore venu pour Jésus. Il n'est pas un guérisseur, un thaumaturge, il n'est pas un magicien, il est n'est pas un nouveau prophète, mais il est Jésus, celui qui sauve. 


Maintenant se posait à moi la question. Qui va raconter ce qui s'est passé pour ces deux hommes: les deux à la fois, ou l'un d'entre eux? Fallait-il leur trouver des prénoms,? En effet l'un d'entre eux aurait pu avoir été emmené par des proches sur la montagne où Jésus a prononcé les béatitudes et les fondements d'un autre type de vie, d'un autre type de relation, et avoir été séduit par ce discours. Il aurait pu en revenant chez lui en parler à un de ses amis, atteint comme lui de cécité, et décider d'aller à la rencontre de Jésus pour devenir disciples. Seulement sur leur route, ils auraient entendu parler des miracles de Jésus, de l'appel de Lévi, et là ils auraient été certains qu'ils pourraient eux aussi être guéris et se seraient mis en quête de Jésus. J'aurais pu... Mais ce n'est pas cela qui s'est imposé à moi. Et ce sont les deux, d'un seul coeur qui racontent.

 

 

Les aveugles racontent.

 

Nous sommes deux aveugles et nous vivons ensemble. Cela peut paraître étonnant, mais avec des repères et l'aide de nos familles, nous pouvons vivre, nous pouvons même travailler de nos mains. Être deux, permet de se parler et d'être compris. Et nos familles viennent de nous parler de quelque chose d'étonnant. Un certain Jésus de Nazareth a guéri un lépreux, guéri un paralysé, appelé à le suivre ce Lévi qui est collecteur d'impôts, ce collaborateur. Alors nous avons décidé de nous mettre sur son chemin pour qu'il nous rende la vue. 


On nous a conduits devant une maison où il venait d'entrer, la maison de Jaïre un chef de synagogue, dont la petite fille était très malade. Il y avait une vraie foule devant la maison. On attendait avec les autres. Il est sorti, il n'a regardé personne, et il est parti. Est-ce qu'il a guéri cette petite fille? Autour de nous, on disait qui lui avait redonné la vie. 

 

 Nous nous sommes alors mis à le suivre en criant le plus fort possible pour qu'il nous entende: "Fils de David, aie pitié de nous". Ce n'est pas d'obole dont nous avons besoin, mais de guérison. Voir, voir, distinguer, pouvoir vivre sans l'aide des autres, pouvoir travailler, mais aussi nous réjouir des merveilles de la création, merveilles que nous imaginons mais que nous ne connaissons pas. Seulement il devait être dans son monde, et il continué sa route sans s'occuper de nous. Alors tant bien que mal, nous avons suivi. 

 

Il est entré dans une maison, et nous sommes entrés nous aussi. Et nous l'implorions encore et encore. Et là, il s'est enfin adressé à nous, en nous demandons si nous croyons qu'il pouvait cela. Bien sûr que nous le croyons.


Cela peut paraitre étrange, mais il émane de lui quelque chose que nous sentons, nous les aveugles, comme une force qui l'enveloppe, qui l'entoure et qui est la vie. Un peu comme une source. Il a touché nos yeux et nos yeux se sont ouverts et nous l'avons vu, lui, Jésus, et notre reconnaissance débordait. 


Nous voulions aller proclamer ce qu'il venait de faire, seulement il nous l'a interdit, et nous n'avons pas compris. Nous sommes sortis, et bien sûr tout le monde a vu que nous étions guéris alors nous n'avons pas pu nous taire, nous avons raconté ce qui venait de se passer pour nous. Nous n'avons pas obéi, mais nous ne pouvions pas. 

 

Nous sommes rentrés chez nous, heureux comme des princes. Chaque arbre était une merveille; chaque pierre était une splendeur et nous n'avions plus peur de tomber, plus peur de trébucher. En nous c'était l'allégresse et la reconnaissance envers le Très Haut qui permet de si grandes choses. Et à toutes les personnes que nous rencontrions, que nous pouvions voir, nous racontions les merveilles que cet homme a fait pour nous. 

 

Cet homme est bien le nouveau messie, celui que nous attendons. A lui le règne, la puissance et la gloire. Mais les Romains l'accepteront-ils? Les grands-prêtres comprendront-ils? Lui qui a su redonner la vie à une jeune fille, qui parle comme jamais un autre n'a jamais parlé, sera-t-il écouté? Trouvera-t-il la foi?

 

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