dimanche, mai 20, 2007

La femme qui perdait du sang: Mc 5,15-25

Catherine Lestang

Marc5,25-35 : La femme qui perdait du sang.

Aujourd’hui, il y a du monde dehors, beaucoup de monde. J’aurais bien aimé aller voir ce qui se passe, mais à cause de ce sang qui sort sans cesse de moi, qui me souille et qui me vide, je n’ose pas. Impure,je suis, impure je reste car aucun de ces hommes qui ont fait des études et qui se disent médecins n’ont pu me guérir. Et ce n’est pas faut d’avoir cherché. J’ai tant cherché, tant payé, que je ne sais plus de quoi demain sera fait et si je ne serai pas obligée de mendier.

Mais dans une foule, je peux passer inaperçue. Qui se souciera d’une femme ? Alors j’ai quitté ma maison. Dehors, c’est un véritable flux humain. Comme il y a beaucoup d’inconnus dans cette foule, j’ai pu demander ce qui se passait. On m’a répondu que Jésus, ce nouveau guérisseur qui vit à Capharnaüm a été appelé par le chef de la synagogue Jaïre. On m’a dit aussi que la fille de ce notable religieux est très malade, qu’elle est en train de se vider de sa jeune vie, un peu comme moi, je me vide de la mienne, et que Jésus a été appelé pour lui imposer les mains et la sauver.

Alors là, j’ai eu la certitude, qui s’il pouvait faire quelque chose pour elle, il pouvait aussi le faire pour moi. Seulement qui suis-je moi ?

La réponse, je la connais que trop bien : je suis une femme impure, je suis comme une intouchable. Comment m’approcher de cet homme ? Comment va-t-il me regarder ? Je ne sais trop quoi faire. Pourtant il est là, pas trop loin de moi.

Si je me fais prendre, peut-être qu’ils me lapideront, mais de toutes les manières vivre comme cela ce n’est pas une vie. Si j’arrive à l’approcher, à le toucher, peut-être que ça me guérira. Alors je vais me faufiler, et puis je verrai bien. Peut-être toucher juste la frange de son manteau, puis me fondre dans la foule. Ce ne devrait pas être trop difficile. Bref, l’approcher sans être vue..

Voilà, c’est fait, et ... Et j’ai senti dans mon ventre une douce chaleur, comme si la vie reprenait. J’ai senti en moi une vie qui m’envahissait et j’ai senti que le mal était parti, j’ai compris que je revivais.

Et c’est juste à ce moment-là qu’il a demandé qui l’avait touché, qu’il avait senti une force sortir de lui. Avant que je ne dise ou fasse quoique ce soit, les hommes qui étaient à côté de lui, ont essayé de lui faire comprendre qu’il y avait plein de monde, qu’il ne fallait pas en s’arrêtant perdre du temps pour aller guérir la petite fille, parce que le temps pressait et qu’on ne fait pas attendre un chef.

J’aurais bien aimé qu’il les écoute, qu’il ait du bon sens, seulement je savais bien que ça ne pouvait pas en rester là. Alors j’ai senti en moi cette nouvelle force, celle qu’il disait avoir senti sortir de lui, qui me poussait à sortir de la foule et à parler. Et j’ai pu dire qui j’étais, et qui j’étais devenue à cause de cette maladie, de ce démon qui était entré en moi. Il m’a juste dit : "va ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix, sois guérie de ton infirmité". Et il a repris son chemin.

Je savais bien que j’étais guérie, mais c’est ce mot de fille qui m’a émue profondément. Je pourrais être sa mère, mais c’est ainsi que les rabbis parlent à leurs disciples, un lien de paternité. Et il m’a fait naître aujourd’hui.

J’ai su qu’il a aussi fait re-naître la fille du chef de la synagogue. Quel est-il celui-là qui commande à la maladie et à la mort ? Je ne sais pas encore qui il est, mais moi aujourd’hui, moi qui étais comme morte, je suis devenue une vivante. Peut-être que mon histoire sera un jour racontée. Moi je serai la femme sans nom, la femme impure qui perd du sang, la femme qui a osé toucher Celui qui un jour dira à une autre femme « ne me touche pas».

mardi, mai 15, 2007

Faut-il demander pardon pour notre faiblesse?

Catherine Lestang
Faiblesse, péché ou péché faiblesse?.


Sommes-nous pécheurs parce que nous sommes faibles ou sommes nous faibles parce que nous sommes pécheurs ? Cette question se pose régulièrement à moi, quand, au début des eucharisties, le célébrant nous invite à demander pardon pour nos péchés et pour notre faiblesse. Que la faiblesse favorise le péché certainement, mais est elle en elle-même péché ?

Aujourd’hui, c’est-à-dire en ce jour où je travaille cette question, je crois que la faiblesse entretient le péché. Le péché étant cette capacité à laisser agir en nous ce qui nous rapproche de l’animal, c’est-à-dire la convoitise, la violence, l’envie. Il s’agit de ce monde instinctuel, pulsionnel qui est en nous et qui souvent s’oppose à notre désir d’aimer. Je crois aussi que si on laisse vivre en soi cette « animalité » l’on s’y enferme et l’on devient littéralement aveugles ou comme le dit le premier testament, on s’endurcit. Vivre en se décentrant de soi, en ne faisant pas de l’autre un objet, mais un sujet, est difficile. Le commandement de Jésus : « aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimés » oblige à se décentrer totalement, mais qui en est capable ? Pourtant je crois aussi que l’Esprit qui a été donné permet petit à petit de sortir des ténèbres. Mais si je peux dire cela aujourd’hui, il n’en demeure pas moins que je refuse de considérer la faiblesse comme une sorte de punition du péché des origines (en admettant que ceci a un sens).

L’hypothèse théologique serait que nous sommes devenus faibles à la suite du péché d’Adam (de la faute). Il est certain qu’avoir finalement une représentation de soi comme celle d’un homme fort, puissant (l’Adam des origines) est certainement plus agréable que celle d’un être mortel, fragile, animal. Si nous avons perdu notre splendeur passée, peut-être pourrons-nous la regagner un jour, si nous sommes gentils, comblants, conformes à ce qu’un Dieu est censé attendre de nous. Cette représentation est narcissiquement est plus agréable que d’accepter d’avoir été depuis toujours dans cet état de fragilité, de faiblesse, de dépendance.

Car l’humain est fragile et ses rejetons nécessitent un long temps de maternage pour devenir des participants actifs à la vie du clan, ce qui n’est pas le cas de la plupart des espèces animales appartenant à l’ordre des mammifères.

L’être humain est fragile par nature. Il n’a pas grand-chose pour se défendre, sa peau n’est pas épaisse, il n’a pas de toison, pas de fourrure. Il ne saute pas, court mal, sa vision est très inférieure à celle des félins, même son ossature est fragile. Il suffit de serrer un peu au niveau du cou et la mort est là. Nos capacités « intellectuelles » nous ont permis de trouver des parades à cette fragilité qui n’est pas pour autant synonyme de faiblesse.

Dans le monde animal, il existe des rituels de soumission : le plus faible se reconnaît comme tel et offre sa gorge à celui qui peut effectivement le mettre à mort. Ce rituel désamorce l’agressivité et permet la vie sociale du faible, même si par ailleurs, sa vie est bien difficile (en ce qui concerne l’alimentation et la reproduction par exemple).

Mais dans l’espèce humaine, la faiblesse doit être masquée. Il faut se montrer à la hauteur, être fort, le plus fort si possible. Et la faiblesse est si on regarde bien, à l’origine de la ruse, de la méchanceté, de l’envie, donc du mal d’une certaine manière. Jacob le faible réussit par ruse et provoque la haine de son jumeau ! Nous ne supportons pas faibles, dépendants. Alors parfois il faut aller jusqu’au meurtre pour prouver à l’autre (ou aux autres) que je suis plus fort que lui, ou que j’ai le droit d’exister moi aussi. Pour sortir de cette spirale de violence (le mal subi provoquant le mal commis) que nous connaissons trop bien, l’humain doit petit à petit apprendre à aimer, à mettre un frein à son désir de mainmise sur l’autre.

Dire de quelqu’un qu’il est faible veut souvent dire qu’il est influençable, qu’il peut changer facilement d’opinons, qu’il peut donc commettre des actes répréhensibles. Il n’a pas en lui de ligne « forte » de conduite interne, d’armature qui lui permettrait de résister aux tentations quelles qu’elles soient. Bref c’est quelqu’un qui ne sait pas ou qui ne peut pas résister. Pour être « admiré » il faut être fort, et souvent être presque un surhomme, si on pense à l’éloge de la femme à la fin du livre des proverbes.Pr 31,10-27.

Du fait de cette faiblesse intrinsèque, nous sommes capables du meilleur et du pire, mais faiblesse est-elle synonyme de péché ? Compte tenu de ce que je sais de l’évolution de l’homme dans l’univers, il me semble pouvoir dire que la faiblesse est intrinsèque à sa condition, mais qu’elle est à l’origine de bien des maux, mais que ce n’est pas un état qui nous est tombé dessus, alors que nous étions forts, en punition d’une désobéissance.

Que la faiblesse soit à l’origine de bien des désobéissances, certainement, mais pourquoi faudrait-il (comme le monde ecclésial le fait si souvent) demander systématiquement pardon pour cet état ? Je me reconnais faible, de ce fait je sais que je peux faillir, mais c’est ma constitution qui est ainsi.

Si je prends conscience de cet état, alors deux possibles s’ouvrent. Soit je me replie, je me referme sur moi, car j’en veux à celui qui m’a mis dans ce monde, avec cette tare. Soit je m’ouvre, car connaissant mes limites, je les accepte pour ce qu’elles ont et travaille à les repousser doucement. Et là je rentre dans la créativité qui me permet un peu d’être à la ressemblance de Dieu.

Je ne refuse pas de me regarder avec lucidité. Oui, je suis fragile, incapable de performances ; peu capable d’amour « agapé », mais est cela être pécheur ? Par rapport à ce que l’on nomme la sainteté de Dieu, certainement, et cela peut à un moment donné être même source de souffrance quand on prend connaissance de cette capacité à s’aveugler sur soi-même. Mais la perception de ces incapacités, peut créer alors un désir qui est source de vie, donc de créativité.

Aujourd’hui je dirai le péché est souvent lié à la faiblesse, que la faiblesse l’entretient, mais elle est constitutive de l’humain et elle peut aussi être chemin de vie. Il m’arrive de poser des actes qui ne sont pas bons. Parfois c’est volontaire, parfois ce n’est pas voulu, même si un autre en pâtit. Dans ce cas, je reconnais que ce louper traduit la violence et la convoitise et me rappelle ce que je suis et qui je suis. Je dirai même, me rappelle mon origine car la violence est inscrite dans l’être humain donc en moi, même si cela ne me plait pas. Mais si je peux admettre ma réalité, je refuse du moins aujourd’hui de me sentir coupable de mes échecs, ou du moins de certains d’entre eux. Se reconnaître avec ses limites, ses incapacités, cela donne toujours un coup au narcissisme qui est en soi, mais il est nécessaire de ne pas s’aveugler sur soi.

Je pense aussi que les injonctions parentales de l’enfance sont redoutables et source de culpabilité. En effet, si l’enfant n’est pas à la hauteur des espérances de ses parents, il se sent coupable de ne pas les avoir réparés. Et ceci lui fait croire que la perte de l’amour ou l’abandon, c’est de sa faute. Le rôle de l’enfant est bien souvent de réussir là où le parent croit avoir échoué et de lui renvoyer une bonne image de lui. Mais dans ce rôle, l’enfant réparateur est de fait un « objet » et non un sujet. Il est utilisé par l’adulte pour l’adulte. Or j’espère et je crois que ce n’est pas cela que Dieu attend de l’être humain ! Nous n’avons pas à réparer un Dieu que nous aurions abîmé en nous détournant de lui.
Il y a dans l’évangile ne phrase un peu redoutable : c’est celle qui conclue le discours des béatitudes Mat 5,48: « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ». Et la perfection évoque aussitôt les attributs qui caractérisent Dieu et qui sont toujours dans le superlatif. Il me semble que ce révèle aussi la bonne nouvelle de Jésus, c’est que la perfection n’est pas dans le plus, elle est dans le moins. Quand Dieu se fait être humain, il bascule dans le moins. Il se fait serviteur, il se fait petit, il se fait mortel et la perfection pour moi aujourd’hui, c’est là qu’elle est à chercher. « Le très bas » disait Christian Bobin, parce que d’une certaine manière cette perfection-là, elle est dans mon possible. Elle va avec ma faiblesse, elle s’accorde avec elle. Quand Paul dit « c’est quand je suis faible que je suis fort », il fait lui peut-être allusion à son corps qui n’en plus et qui permet quand même l’annonce de Jésus. Faible nous le sommes, faibles nous le resterons, mais elle permet au divin de se manifester, de transparaître, d’être.

Pour moi, cette faiblesse que je vis au quotidien, elle est ce que je suis, elle est du coup le lieu où mon désir peut aussi advenir et ainsi devenir source de vie pour moi. Reconnaître mes fragilités, ma difficulté à supporter certains comportements, certaines attitudes, m’indique que j’ai un travail à faire pour changer dans la mesure de mon possible. Ce travail, je le remets à l’Esprit de Dieu qui m’a été donné parce que moi seule (ce serait de la toute puissance à l’état pur) je m’en reconnais totalement incapable. Je sais que contrairement à ce qui m’a été inculqué pendant mon enfance, vouloir ce n’est pas pouvoir. Je crois que lui seul peut faire cela en moi, « irriguer et drainer », me faire ainsi devenir plus « humaine », plus décentrée de moi. Je peux reconnaître tout ce qui s’oppose à cette ouverture, à cette dilatation du cœur, et je peux en souffrir. Mais est cela le péché, mon péché ? Ma faiblesse oui, ma lenteur oui, mais volonté de mal faire exprès, rarement.

Un prêtre parlait, il y a peu, de la béatitude des fêlés : heureux sont ceux qui ont des fêlures car la lumière de Dieu passe par là. ».Alors si cette lumière peut passer par là, merci au créateur pour ma fragilité. Et merci à Lui de m’ouvrir les yeux sur ma ou mes faiblesses.

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vendredi, mai 04, 2007

Réflexions sur la place de l'humain sur notre planète.

Catherine Lestang


La révolution copernicienne, basée sur les découvertes scientifiques, a permis de comprendre que même si Jésus s’était incarné sur cette terre, celle-ci n’en n’était pas pour autant le centre le l’Univers : contrairement à ce que dit notre vision, ce n’est pas le soleil qui tourne autour de la terre, mais l’inverse.

Se fier uniquement à nos sens, pour comprendre le monde et théoriser cela, c’est fonctionner avec l’intelligence « intuitive » qui d’après Piaget caractérise l’intelligence des enfants de 2 à 6 ans. Sur le plan scientifique, nous avons appris à utiliser l’intelligence « abstraite », mais en ce qui concerne le religieux, il me semble que trop souvent pour comprendre le fait « Dieu », nous fonctionnons comme de petits enfants. Certes il nous est bien dit d’être comme « des petits enfants » pour entrer dans le royaume, mais pas de nous complaire dans un mode de pensée révolu. Paul ne dit-il pas dans la première épître aux corinthiens 13,11 «Lorsque j'étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant; une fois devenu homme, j'ai fait disparaître ce qui était de l'enfant.

Mais pour penser en adulte, il est nécessaire de se décentrer, d’abandonner des représentations de l’homme dans l’univers qui le mettent au sommet de la création. Cette décentration, comme celle qui a été demandée du temps de Copernic est difficile, car nos mythes font de l’humain une sorte de dieu qui aurait perdu par sa faute ses aptitudes. C’est bien agréable de penser qu’un jour, on retrouvera ce qu’on a perdu, plutôt que de reconnaître que l’humanisation est quelque chose de très progressif, de difficile et c’est pourtant cela notre finalité. Être à l’image et à la ressemblance de Dieu c’est bien laisser faire en nous une certaine transformation. C’est reconnaître que nous sommes fragiles, vulnérables et que cela nous pousse à utiliser notre intelligence à nous défendre en ne tenant pas compte de l’autre. Mais sommes nous devenus vulnérables donc blessés parce nous nous sommes détournés de dieu, ou par ce que c’est notre réalité historique ? La religion choisit la première hypothèse, mais est-ce la bonne ? N’est-ce pas celle qui fait de nous le centre des espèces qui vivent sur la terre ? Ne faut-il pas nous regarder avec un oeil un peu moins narcissique ?

Les apports de la science ont toujours eu un énorme impact sur la philosophie, c’est-à-dire la réflexion sur l’homme et sa place dans le monde. Je pense que ce qui est difficile ce n’est pas la relation entre la science et la foi, car la foi est quelque chose de relationnel, la reconnaissance de la présence de quelqu’un qui veut nous permettre de devenir à son image, mais entre église(s) et science. Car la science oblige à sortir d’un discours mythique et mythologique sur l’homme et cette sortie n’est pas forcément bonne pour l’institution ecclésiale qui doit avoir un certain pouvoir sur ses membres.

Il me semble que la conception biblique de l’homme et de ses rapports avec Dieu, devrait subir elle aussi une révolution du type copernicien. On ne peut pas maintenir avec Dieu des conceptions qui celles d’un enfant de 3 ans et qui d’une certaine manière donne à l’homme une place qu’il n’a peut-être pas.

L’homme est le fruit d’une évolution. Que nous le voulions ou non, nous avons une histoire « animale ». Nous appartenons à l’ordre des mammifères, ces animaux à sang chaud, qui ne pondent pas des oeufs, mais qui mettent au monde leur progéniture après une gestation interne. Certes nous avons le langage et l’intelligence, mais nous faisons partie de l’ordre des mammifères. Le cortex est une couche « tardive » du cerveau et l’étude des couches sous-corticales montre combien l’animal est présent en nous.

Ce qui nous différencie pourtant en grande partie des autres mammifères c’est que le petit être qui vient au monde est un être profondément immature, inachevé qui a besoin de soins pendant de longs mois avant d’être « autonome » et capable d’apporter quelque chose d’utile à la vie du clan. Cette dépendance crée obligatoirement entre lui et sa mère, entre lui et le groupe d’humains qui l’entourent une relation très forte. Je pense que cette relation est à la base de ce que l’on appelle l’amour. Je veux dire par là que ce sentiment est le propre de l’espèce humaine, ce qui la différencie partiellement des autres mammifères. Ce sentiment-là va être à la source de la recherche du bon, du durable, mais aussi de la capacité à donner sa vie pour celui que l’on aime.

Mais il n’en demeure pas moins que la composante animale reste très présente et que tout le but de l’éducation et des civilisations avec leurs lois est de lutter contre la violence intrinsèque qui est la nôtre et qui nous a aussi permis grâce à notre intelligence, à perdurer dans cet univers hostile.

Le discours religieux, mythique pose comme un postulat l’existence d’un Dieu tout bon qui a crée un univers excellent et un être capable de le « gouverner » être tout aussi parfait que ce monde. Cela donne une représentation idéale l’homme, représentation somme toute bien agréable, en tous les cas pour notre narcissisme. Autrefois il y avait un humain qui ne connaissait pas la mort et qui dominait le monde. À un moment donné, cet homme a écouté en lui la voix de l’envie, de la jalousie et il a voulu s’attribuer les attributs de ce Dieu qui l’avait crée. Il désobéit et il est puni : il connaît désormais la mort et une vie difficile. Il s’est détourné de Dieu pour écouter le Mal. Je mets ici une majuscule car il y a bien un combat entre ces deux forces qui semblent toujours dans une conception un peu mythologique vouloir faire basculer l’humain dans l’un ou l’autre camp. Pour ma part je remplacerai bien par combat entre l’animal et l’humain.

D’une certaine manière c’est à une réalité (la mort, la finitude) que le début de la Genèse essaye de répondre avec les moyens qui sont les siens, à l’époque de la déportation du peuple choisi, déportation qui ne peut alors s’expliquer que par la conséquence de la rupture d’une alliance entre un Dieu et le peuple qu’il s’est choisi.

Je veux dire que dans une certaine conception que j’ose qualifier d’infantile, le malheur qui frappe tout un peuple, pour avoir un sens, doit s’entendre en termes de punition. Dieu s’est détourné et a laissé faire, mais Dieu reviendra, car il est fidèle et c’est l’espoir qui s’est par ailleurs vérifié dans l’histoire bien particulière de ce peuple.

Que la punition puisse avoir un rôle éducatif, pourquoi pas ? Mais il ne faut pas oublier que les instincts humains font que l’homme comme l’animal veut avoir un plus grand espace, un meilleur espace, les plus belles femelles, et que la guerre outre le désir de montrer qu’on est plus fort que son adversaire, sert bien à pouvoir occuper le plus de place, les meilleurs places, et avoir le plus de nourriture. Bien sûr du fait de notre intelligence, les moyens sont plus sophistiqués, mais la finalité se retrouve bien dans le règne animal.

Quand dans la Genèse Dieu dit à Caïn Gn4,7: « Mais si tu n’es pas bien disposé, le péché n’est-il pas à la porte, une bête tapie en toi qui te convoite, pourras-tu la dominer ? » il me semble que cette « bête » c’est bien cet animal tapi en nous, prêt à sauter à la gorge de l’autre, si nous nous sentons menacés.Mais si nous pouvons mettre une limite à cette force, alors nous devenons comme Dieu’ capable de cette douceur qui est une force plus forte que la force et qui se différencie d ela faiblesse qui serait dictée par le ressentiment de la privation de force (je reprend sici la terminologie de Paul Beauchamp).

Il y a en nous les hommes, une force animale qui ne supporte pas que l’autre ait un « plus » par rapport à nous. La frustration nous est intolérable et la réaction instinctive, instinctuelle est d’éliminer celui qui me fait de l’ombre de laisser la violence qui est en moi la partie animale prendre le dessus.

Je ne dis pas ici que toute violence est mauvaise, elle nous a permis à nous animaux bien fragiles, bien démunis, de perdurer et certainement aussi à utiliser notre intelligence pour inventer ces outils dont la nature nous avait dépourvus, mais le langage est là aussi pour nous permettre de ne pas agir cette violence qui nous éloigne de la « douceur » de Dieu, douceur que nous désirons tous.

Si je reconnais que ces pulsions qui sont en moi proviennent de ce passé qui est le mien, de cette appartenance qui est la mienne, alors je me sens comme libérée par cette notion si culpabilisante du péché.

La violence, la convoitise, je ne les appelle plus les péchés de la chair, mais je les considère comme des restes importants de l’animalité qui me constitue et je sais qu’il est fondamental pour moi, pour que je sois un humain au sens fort du terme, qu’ils ne me dominent pas. Je sais aussi que ce n’est pas la peur du gendarme qui va me guérir de ces pulsions, ni ma volonté. Vouloir ce n’est pas pouvoir contrairement à ce qui m’a été inculqué pendant mon enfance. Seule la présence de Dieu, actualisée par l’Esprit donné par son fils, peut faire ce travail en moi.

Dans cette approche, où je suis obligée d’admettre que l’animal est présent en moi et qu’il s’oppose parfois brutalement et vigoureusement à ce que je sais être mon humanisation c’est à dire ma capacité à vivre dans et de l’amour, je reconnais ce que je suis et ce que je ne suis pas. Mon désir est de pouvoir reconnaître cette nature tout en désirant ne pas me laisser absorber par elle, car cela va à la mort et non à la vie.

Cette approche où je me mets à ma place, où je ne me considère pas comme un homme déchu, mais un homme en devenir, me permet de sortir de la représentation d’un Dieu « fâché » après sa créature, parce que celle-ci ne l’écoute pas et avec lequel il faut se réconcilier ou se laisser réconcilier par le sacrifice de Jésus.

À un moment donné de l’histoire du monde occidental, il fallait que la compréhension de Jésus passe par la réconciliation qui permet la divination de l’être humain,à l’image de Jésus, mort et ressuscité. Aujourd’hui, il ne s’agit pas pour moi de retrouver quelque chose que je n’ai jamais possédé, mais de laisser grandir en moi ce qui est le propre de l’être humain, c’est-à-dire l’Amour, mais pas n’importe quel amour. Je crois que Jésus est le chemin, la vérité et la vie, que je peux par Lui, vivre dans l’Amour et que cet Amour qui évolue en moi avec le temps me permet d’entrer dans la Vie. Pour moi être sauvé, c’est être vivant, c’est être en relation et ce, même si je suis appelée à disparaître. Et le vivant comme le crie l’apocalypse de Jean c’est bien Jésus mort et ressuscité.

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jeudi, mai 03, 2007

Sur la route de Ninive, pensées de Sara fille de Ragouel, femme de Tobias, fils de Tobit

Catherine Lestang
« Sur la route de Ninive ».
Ce que peut penser Sara, fille de Ragouel, femme de Tobias, fils de Tobit.

Je porte le même prénom que la femme de notre père à tous, Abraham. Les écrits nous disent qu’avant de s’appeler Sara elle s’appelait Saraî ce qui veut dire « ma princesse ». Je crois que c’est comme cela que j’aurai du m’appeler et non « princesse » car j’ai été la princesse de mon père. Je suis l’unique fille d’un couple de déportés en Médie, lors de la chute de Samarie et je crois que mon père tient à moi, plus qu’à tout, peut-être même plus qu’à sa vie. Par sept fois, il a essayé de me trouver un époux et par sept fois celui-ci est mort la nuit de nos noces. Jamais je n’aurais pu imaginer me trouver là où je suis aujourd’hui, sur la route de Ninive, au milieu d’une importante caravane, qui avance bien trop lentement au goût de mon époux, Tobias, fils de Tobit.

Car il est impossible d’aller vite quand on doit se déplacer avec des animaux, des serviteurs et des servantes donnés par mon père pour sceller mes noces.

Mon époux a décidé d’aller de l’avant avec son compagnon Azarias. Je me demande d’ailleurs comment sa mère Anna va m’accueillir car c’est à cause de moi que son voyage en Médie a duré aussi longtemps.
Si Tobias est loin de Ninive, c’était pour chercher de l’argent laissé en dépôt chez un ami de son père à Rhagès et non pour prendre femme.

D’ailleurs jamais mon père n’avait pensé à lui, comme époux pour moi sa princesse, bien qu’il soit mon parent le plus proche, car la situation de son père est loin d’être enviable. Lui qui fut riche est devenu un pauvre et sa femme Anna doit travailler. Jamais il n’aurait eu la dot nécessaire. Et il se trouve que c’est mon père qui a donné la moitié de ses biens, ce qui est contraire à nos coutumes. Aujourd’hui ce juste, car il est certainement un juste, dévoré par la fidélité et l’amour de la Loi, est devenu aveugle. Il a connu la prison, a été dépouillé de tous ses biens, car sa fidélité à la loi l’a conduit à enterrer ceux de notre race, qui tués par le roi de ce pays, demeuraient sans sépulture. Et ce faisant, il signait sa propre condamnation.

Tobias est persuadé que sa mère qui ne voulait pas le laisser partir, malgré la présence de ce compagnon et de son chien, est dans l’inquiétude. Peut-être pense-t-elle qu’il est mort et qu’elle a perdu son unique fils. Car cela fait des jours qu’il aurait dû être rentré de Médie, la contrée d’où je suis originaire. Certes nous aurions pu dépêcher un messager, mais avec les festivités de mon mariage nous n’y avons pas pensé. Je me demande comment elle va m’accueillir. Comment vais-je vivre dans cette nouvelle famille, loin des miens ? Mon époux, mon frère, m’a donc laissé ici, au rythme lent de la caravane et est parti avec Azarias.

Etrange cet Azarias, ce compagnon surgi de nulle part, bien qu’il se dise fils fils d’Ananias. Fidèle à son nom, « Le Seigneur a secouru », il me semble que par sa présence et son savoir il a comme exaucé mes vœux les plus chers : sortir de ce déshonneur qui pèse sur mon père, depuis que les hommes qu’il m’avait choisi comme époux sont morts avant que le mariage ait peu être consommé. Les sept sépultures qui sont dans notre jardin me rappelaient cela chaque jour, chaque nuit. Moi qui désirais mourir, il a été la miséricorde du Très Haut. Il me semble aussi que sa présence à permis à mon époux de quitter le statut d’enfant pour devenir un homme sûr de lui.

Ne lui a t il pas fait tirer du fleuve ce poisson qui voulait pourtant l’entraîner dans la mort ? Ne lui a t il pas fait mettre de côté le fiel, le cœur et le foie et jeter les entrailles ? Ne connaît-il pas les secrets des guérisseurs ? Ne lui a t il pas indiqué notre ville alors qu’il devait se rendre à Rhagès pour reprendre de l’argent laissé en gage chez Gabaël et non à Ectabane, la ville où j’habite. Je sais bien que son nom signifie « Le Seigneur a secouru », mais au fond de moi, je le nommerai bien Raphaël car grâce à lui, « Dieu a guéri » car il a permis à Tobias de me guérir de la malédiction qui pesait sur moi et sur ma famille.

Le jour où il est arrivé dans notre demeure, j’étais désespérée. Une de mes servantes m’avait accusée de tuer les maris que l’on m’avait donnés. Et elle avait prononcé sur moi une malédiction : «va donc les rejoindre, et qu’on ne te voie jamais de toi, ni garçon ni fille ». Elle me condamnait à la stérilité. J’ai eu alors envie d’en finir avec la vie, de me pendre. Seule la pensée de la peine de mon père m’a empêché de faire l’irrémédiable. J’ai appelé Dieu à mon aide. Je l’ai imploré pour qu’Il me regarde avec pitié s’il refusait de me faire quitter ce monde.

Quand Tobias conduit par Azarias est arrivé à la porte de notre maison,mon père a tout de suite trouvé sa ressemblance avec de Tobit de Ninive. Il s’est alors rappelé que c’était lui qui devait être mon époux, mais il n’osait pas sceller cette union, à cause de la présence de ce démon Asmodée présent dans notre demeure et qui se complait à tuer. Mais Tobias a insisté et nous avons été donnés l’un à l’autre.

C’est alors que devant tous, alors que nous étions dans ma chambre, il fit brûler sur les braises le cœur et le foie de ce poisson péché dans le Tigre. Je ne sais ce qui se passa alors, mais je fus certaine que cette odeur avait mis en fuite le démon. Ensuite nous nous retrouvâmes seuls et nous adressâmes ou plutôt Tobias adressa une prière à notre Dieu. Il lui demanda d’avoir pitié de lui et pitié de moi et de nous mener à la vieillesse. Je répondis Amen avec tout mon cœur. Nous nous sommes alors endormis l’un à côté de l’autre. Nous ne savions pas que mon père persuadé que le mauvais sort était encore là, avait fait creuser une tombe dans le jardin. Nous n’avons entendu aucun bruit, car nous reposions en paix. Lui aussi apprenant par les servantes que nous étions en vie tous les deux adressa une intense prière de reconnaissance notre Dieu.

Au lieu de durer sept jours, les festivités durèrent deux fois plus. J’avais même l’impression que mon père avait du mal à me laisser partir, à me laisser entrer dans cette autre vie, que j’espère féconde et sous le regard de Dieu. Tobias heureusement fit preuve d’autorité et nous partîmes.

Et maintenant, je viens de voir le chien qui accompagnait Tobias, qui vient à ma rencontre en me faisant fête. Je crois que mes craintes d’entrer dans une telle famille sont vaines et que le très Haut m’a exaucée au-delà de tout ce que je désirais. J’espère tant trouver Tobit guéri de sa cécité pour que notre joie à tous soit totale.