dimanche, décembre 27, 2020

Luc 2,22-40 Présentation de Jésus au Temple et purification de Marie

 Dimanche après Noël: Fête de la Sainte Famille

C'est le même évangile que pour la fête de la purification au mois de février. Si on regarde les textes de l'Ancien testament, il semble qu'il y ait deux rituels. Celui de la purification est dans le livre du Lévitique, Lv 12. A la fois il faut - pour un garçon - attendre 40 jours puis offrir un sacrifice à la fois d'holocauste et d'expiation, "deux tourterelles ou deux jeunes pigeons, l'un pour l'holocauste, l'autre pour le sacrifice d'expiation. Le prêtre fera l'expiation pour elle et elle sera pure". (Si elle peut, elle offre un agneau, mais c'est nettement plus cher)...  Quant au rituel du rachat il est demandé dans le livre de l'exode, et il se faire sous forme d'argent (ce qui se fait encore de nos jours). On trouve cela en Exode 13,13 et dans le livre des Nombres: Nb 18,15-16.

Mais si on lit attentivement ce texte que nous connaissons bien, il n'est pas si facile que cela à comprendre. On a une introduction: ça se passe à Jérusalem et le couple accomplit ce qui est demandé par la loi. On a une conclusion, le retour à Nazareth: un enfant qui grandit en sagesse et qui est comme sa mère rempli de grâce, et une maman qui garde tout cela dans son coeur. 

Entre ces deux temps, on a la rencontre avec un vieux monsieur, qui doit être un officiant dans le Temple de Jérusalem, parce que pour prendre Jésus dans ses bras, il doit quand même avoir une fonction, vieux monsieur qui déclare qu'il peut désormais mourir en paix, car il a vu de ses yeux celui qui apporterait la consolation et le salut au peuple choisi; et une autre vieille personne, une femme, une veuve, Anne, qui elle aussi proclame que cet enfant aura un destin particulier. Et ces deux là parlent de l'enfant. 

Traditionnellement, parce que la péricope se termine sur Marie qui garde toutes ces choses dans son coeur et peut-être parce que c'est l'année dédiée à Joseph, c'est à ce dernier que j'ai laissé la parole. 

Joseph raconte

 

Il s'en était passé des choses depuis que ma fiancée, Myriam, m'avait annoncé que l'enfant qu'elle portait avait été conçu par l'Esprit du très Haut. Nous avions dû aller à Bethléem, la ville de mon ancêtre le roi David, le fils de Jessé, le petit fils d'Obed engendré à Booz par Ruth la Moabite, pour y être recensés. Chez nous le recensement est interdit et j'espère que cet empereur qui se prend pour Dieu ne sera pas béni pour nous avoir imposé un tel déplacement, surtout à ce moment là. En même temps, cela a permis que la naissance de notre enfant ait lieu dans la cité de David, et je pense que cela sera important pour lui.  

 

Nous avions espéré être revenus chez nous pour la délivrance, mais ce n'était pas le plan du Très Haut. Une femme qui a les douleurs de l'accouchement ne peut pas rester dans la salle commune de cette grande auberge qui accueille ceux qui viennent se faire recenser. Heureusement, nous avons pu nous installer dans la pièce du dessous, celle où sont les animaux. C'est une pièce où malgré tout il fait chaud, et nous avons été aidés par les femmes du village.


L'enfant lui, était venu très vite au monde. Marie l'avait enveloppé des langes, et posé dans la mangeoire, car il ne fallait pas qu'il soit écrasé par les bêtes qui étaient là, et il y en avait: des ânes, des boeufs, des agneaux.. En le voyant dans cette mangeoire, je me demandais s'il serait la manne descendue du ciel... Après tout Bethléem c'est la maison du pain. 

 

Durant la nuit de sa naissance, des bergers étaient venus. Ils étaient dans la joie quand ils ont vu notre bébé et ils sont allés raconter à toute la ville que notre bébé, c'était le messie. Mais comme ce sont des bergers on ne les a pas crus. Ils avaient vu des anges et le ciel comme ouvert.

 

Puis nous avions trouvé une petite maison, et nous y sommes restés jusqu'au moment d'accomplir ce qui est demandé par la loi: la purification de mon épouse, et la présentation de mon fils au temple et son rachat, puisque tout premier-né doit être racheté. Ce rituel, il nous fallait l'accomplir, mais celle qui a porté le fils du Très Haut peut-elle être impure? 

 

Aujourd'hui, nous sommes donc arrivés dans le Temple. Nous avons cherché des vendeurs pour acheter les deux petites colombes demandées, et nous somme entrés. Les colombes ont été offertes, puis un vieil homme est arrivé devant nous. 

 

C'est lui qui devait présenter notre enfant au Très-Haut. Il s'appelait Syméon. Il n'aurait pas dû être là ce jour là, mais l'Esprit Saint a soufflé en lui et lui a dit de venir en ce jour, et qu'il verrait celui qui serait la consolation d'Israël. Il l'a pris dans ses bras, et des paroles un  peu étranges ont coulé de ses lèvres. 

 

Il avait l'air à la fois heureux et très ému. Il regardait notre bébé comme s'il le buvait des yeux. Il a béni le Très Haut, il l'a remercié de lui avoir permis de voir  en notre enfant le salut pour tous les peuples, la lumière des nations, la gloire de notre peuple. C'était un peu comme si les prophéties d'Isaïe se réalisaient. Je dois dire que nous étions dans l'allégresse. 

 

Seulement, juste après, il a eu des paroles qui sont plus des paroles de désolation - que nous n'avons pas comprises. Il a même dit à ma tendre épouse qu'un glaive de douleur traverserait son cœur. Comment peut-on dire cela à une jeune femme qui vient de donner la vie. Je pense qu'il a prophétisé sur notre fils en affirmant qu'il serait comme un signe de contradiction, qu'il provoquerait la chute et le relèvement d'un grand nombre en Israël, qu'il mettrait au grand jour les pensées qui viennent au cœur d'un grand nombre. Ces paroles, je les ai retenues, mais elles m'inquiètent.. 

 

Puis est arrivée une femme très âgée, qui me faisait un peu penser à la Sarah d'Abraham. Elle nous a dit qu'elle s'appelait Anne, qu'elle était veuve et qu'elle attendait elle aussi celui qui serait porteur de la délivrance. Et elle aussi, elle a été remplie d'une grande joie en voyant notre fils et a affirmé qu'il serait la délivrance de Jérusalem. Je dois dire que cela me faisait un peu peur. Mon fils serait-il un nouveau Judas Maccabée? Cela me paraissait impensable. 

 

Nous avons laissé Jérusalem et son agitation et sommes retournés dans notre ville de Nazareth où mon petit garçon s'est développé comme tous les enfants du monde; cependant il y avait quelque chose de plus en lui, sans que je puisse le définir, comme si l'Esprit du Très Haut était sur lui et lui donnait un autre regard sur le monde.

 


lundi, décembre 07, 2020

Luc 5, 17-26. La guérison du paralytique.

Lundi de la deuxième semaine de l'Avent.

Dans le texte d'Isaïe proposé par la liturgie de ce jour, les boiteux marchent, les sourds entendent: c'est le signe que le Seigneur est présent. Et l'évangile nous montre que cela arrive. 

Mais pour Jésus, cela ne va pas être simple d'être reconnu par ceux qui "savent": les pharisiens et les scribes. C'est pour cela que j'ai choisi de faire raconter cette guérison par un scribe, très déconcerté par Jésus.

Un scribe raconte

 

On nous a dit qu'il y a une sorte d'illuminé, un qui se prend pour le messie, mais qui refuse de le dire, qui va de village en village en Galilée; il fait des guérisons, il enseigne, il est même capable de guérir des lépreux et des possédés; et du coup il suscite l'admiration des foules. Je sais juste qu'il est de Nazareth, et que les habitants de ce village ont essayé de le tuer, ce qui montre qu'il n'est pas aimé dans ce coin là; depuis il s'est établi à Capharnaüm.

 

Nous les pharisiens, nous n'aimons pas trop ces hommes qui se prennent pour des envoyés. Ils risquent de nous faire avoir des ennuis avec les Romains, et puis, malgré tout, on ne sait pas d'où il sort. S'il était de la tribu de David, ça serait plus simple, mais Nazareth! Alors nous avons décidé d'écouter ce qu'il dit, et plusieurs sont même venus de Jérusalem pour cela. 

 

A dire vrai il parle bien, même très bien. Il y a vraiment en lui quelque chose des prophètes. Il est différent de Jean le Baptiste, car il y a de l'amour en lui, et ça je ne peux le nier.

 

Un jour qu'il enseignait dans une maison, il s'est passé un événement étonnant, je dois bien le reconnaître. Un homme porté sur un brancard, un paralysé, est venu pour être guéri. Seulement, ses amis n'ont pas réussi à le déposer aux pieds de ce Jésus, parce que la foule était dense et que personne n'avait envie de se lever et de se bouger pour laisser passer. Je dirais presque que nous étions un peu paralysés, on était bien avec lui, on n'avait pas envie de bouger, ni qu'il arrête de parler.. … Nous avons pensé qu'ils renonceraient, mais non, car d'un coup, le paralysé s'est trouvé aux pieds de Jésus, en plein milieu, descendu par des amis qui avaient déplacé les branchages de la toiture. Nous avons été plus que stupéfaits par leur obstination. Ils devaient vraiment l'aimer ce paralysé pour faire cela.

 

Donc il y avait Jésus, il y avait cet homme sur son brancard, il y avait nous; il y avait des gens de Capharnaüm et des disciples, puisqu'il a des disciples, des pêcheurs du cru. 

 

Et voilà que Jésus prend le temps de regarder ceux qui accompagnaient cet homme, un peu comme s'il les remerciait d'avoir fait tout ça pour leur ami; et donc de leur foi. Puis il s'adresse au paralysé et lui dit: "Homme tes péchés te sont remis". 

 

Alors là, mon sang n'a fait qu'un tour. Bien sûr que s'il est paralysé, c'est qu'il est puni; c'est qu'il a fait un ou des péchés contre ses frères, ou qu'il n'a pas respecté la Loi; mais personne ne pardonne les péchés. Nous nous sommes regardés, scandalisés les uns et les autres; et puis, cet homme et surtout ceux qui avaient pris la peine de faire le trajet pour venir ici, ce n'est pas ça qu'ils voulaient. 

 

Seulement l'homme lui, qui jusque là était comme inexistant, terne, semblait avoir changé: ce n'est pas facile à expliquer, mais quelque chose s'était passé par cette simple phrase.Nous, nous étions très en colère, parce que personne ne pardonne les péchés, sauf le Très Haut, Béni soit-il.

 

Jésus nous a regardés, et il semblait triste. Il a eu une phrase étonnante, il nous a dit que pour le Fils de l'homme, c'était la même chose de dire "tes péchés te sont pardonnés" ou bien "Lève-toi". "Le Fils de l'homme", vous vous rendez compte… Pour qui se prend il? Mais peut-être qu'il est le Fils de l'homme, je ne sais pas. 

 

Il s'est adressé au malade qui buvait ses paroles en lui disant de se lever, de prendre son brancard et de rentrer chez lui, et c'est ce qui est arrivé. Il s'est levé, il a attrapé son brancard, et avec ses amis il est sorti pour rentrer dans sa maison. Mais il ne s'est pas contenté d'obéir, il chantait, il exultait, il rendait gloire à Dieu, et toute la foule faisait de même, et tous rendaient gloire à Dieu et s'extasiaient devant ce qui venait d'arriver.

 

Je dois dire que je suis perplexe.. Qui est-il celui là, qui a reçu ce pouvoir? Serait-il comme il le dit "le Fils de l'Homme", celui qui vient sur les nuées pour juger le monde? Je ne sais pas, mais je suis retourné. Dieu aurait-il entendu nos prières et y aurait-il répondu? Le temps répondra, mais aujourd'hui, je rends gloire à Dieu, et mes amis qui veulent le mettre à mort, je ne veux plus rester avec eux. Je crois qu'ils n'ont rien compris; peut-être parce qu'il n'y avait rien à comprendre, mais juste à se réjouir de ce qui venait de se passer.

 

 

 

mardi, novembre 17, 2020

Luc 19, 1- 10. Zachée

MARDI 17 NOVEMBRE. Lc 19, 1-10 

L'aveugle a retrouvé la vue, Zachée aussi change son regard et il est retrouvé par Jésus.


La coupure des chapitres, dans l'évangile de Luc, fait que la guérison de l'aveugle se fait à la fin du chapitre 17 et que ce qu'on peut appeler la guérison de Zachée se fait au début du chapitre 18. Jésus passe par la ville de Jéricho et est donc proche de Jérusalem (une trentaine de kilomètres), mais la route grimpe fort, puisqu'on passe de -400 à 800m, soit quand même 1200 m de dénivelée. Une rude montée. Peut-être que cela vaut la peine de reprendre des forces dans la maison de cet homme détesté par tous et d'ouvrir en lui quelque chose de nouveau. 


Je présente le texte "brut" avec les commentaires qui viennent, puis le même récit raconté par Zachée.

 

En ce temps-là, entré dans la ville de Jéricho, Jésus la traversait. 

Or, il y avait un homme du nom de Zachée ; il était le chef des collecteurs d’impôts, et c’était quelqu’un de riche

 

Dans un commentaire, quelqu'un parle du jeune homme riche, qui ne pourra pas suivre Jésus. Là ce n'est pas un pharisien qui cherche la vie éternelle, mais la bonne vie tout court et à amasser de l'argent (en principe sur le dos des autres; et qui fait cela pour l'envahisseur). Il est donc un sale type.

 

Il cherchait à voir qui était Jésus, mais il ne le pouvait pas à cause de la foule, car il était de petite taille. 

 

Comme quoi, on peut avoir des richesses (être grand ou gros, plutôt gros), mais ne pas tout avoir. Physiquement, ça ne va pas. Peut-être d'ailleurs que la richesse est un moyen de compenser la petitesse, cette tare..

 Ceci dit, il n'est pas bête…

 

Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui allait passer par là. 

 

A nouveau, beaucoup de verbes d'action sauf qu'à un moment ça s'arrête; Il est là où il faut, il attend. Et là quelque chose se noue. Quelque chose dans le regard et dans la parole.

 

Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et lui dit: « Zachée, descends vite: aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. »

 

Ce qui m'interroge c'est l'urgence. Jésus est proche de Jérusalem. Il lui dit, ne perds pas ton temps à essayer de me voir, ne reste pas là, accroché, cramponné à ton arbre, comme à tes richesses. Descends, je veux aller chez toi. Il dit demeurer et ne parle pas de festin. En général quand on dit que Jésus lève les yeux, c'est vers le ciel. Là c'est un autre regard, qui est mobile qui s'arrête là où il le faut.

 

 Vite, il descendit et reçut Jésus avec joie. 

Donc Zachée, se décramponne de sa branche, comme il va se décramponner de ses richesses...

 

Voyant cela, tous récriminaient: « Il est allé loger chez un homme qui est un pécheur. » 

 

Récriminer, c'est le propre des pharisiens. Et là il est question de pureté. Cet homme qui veut aller à Jérusalem, certainement enseigner dans le Temple, voilà qu'il se souille en allant chez un publicain (quoique le mot n'est pas prononcé ici, alors qu'il l'a été lors de l'appel de Matthieu; et on avait eu la même chose: ça récrimine.

 

Zachée, debout, s’adressa au Seigneur: « Voici, Seigneur: je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. »

 

J'ai lu pas mal de choses, mais j'ai oublié, sur la "moitié", l'autre étant peut-être - comme pour St Martin et son manteau - propriété des Romains, ou devant servir à payer les Romains mais aussi les publicains qui travaillent sous ses ordres; et aussi sur le "quatre fois", qui renvoie à un commandement ou du Lévitique ou de l'Exode - mais il me semble que c'est rendre soit tel quel, soit deux fois; pas quatre. Et que donc là, il y a une ouverture. Zachée, comme Jésus, est dans le don en abondance.

 

Alors Jésus dit à son sujet: « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. 


10 En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

 

C'est intéressant. Travailler avec l'ennemi n'enlève pas la qualité de fils d'Abraham, donc de frère. Et la dernière phrase renvoie à ce qui va se passer à Jérusalem: "Chercher et sauver, ce qui était perdu"; nous. 


Zachée raconte.

 

Être petit, quelle malédiction. Oui je suis petit, il faut que me hisse sur la pointe des pieds pour voir, et parfois pour être vu. Dans une foule, je passe inaperçu et j'ai même peur d'être renversé, piétiné. Alors pour lutter contre ça, je suis devenu riche, très riche. Ma petitesse, je la compense par mon intelligence, et j'ai su me faire bien voir des occupants. Je suis devenu le chef des publicains de ma province et de cela je ne suis pas peu fier. On me déteste certes, mais on ne peut pas m'ignorer, faire comme si je n'existais pas, comme si on ne me voyait pas. 

 

J'ai appris qu'un de mes anciens collègues de Galilée avait laissé en plan son poste pour suivre un certain Jésus. Je me demande ce qui a bien pu le prendre. Enfin, chacun fait ce qu'il veut. Ce que je sais aussi c'est que les pharisiens ne l'aiment pas beaucoup ce Jésus... Moi non plus ils ne m'aiment pas d'ailleurs. Ils me méprisent et me haïssent. 

 

Et aujourd'hui, un de mes serviteurs est venu me dire que Jésus, qui veut aller à Jérusalem, était dans ma ville, la ville de Jéricho, cette ville qui est aussi la ville des roses. Il paraît même qu'un aveugle a été guéri par lui. Un homme qui ne voyait plus a retrouvé la vue. Alors j'ai bien envie de le voir, seulement moi dans la foule je ne verrai rien du tout. Et cela m'ennuie beaucoup, je voudrais bien voir la tête de cet homme qui a détourné un publicain de sa table…

 

Ma ville, je l'aime et je la connais bien. Il n'y a qu'une rue qui traverse Jéricho, et elle est bordée de sycomores. Les sycomores ce sont vraiment des arbres bénis pour moi. Les branches sont basses et je vais pouvoir m'en servir pour être suffisamment en hauteur pour le voir passer. Ensuite je rentrerai chez moi mais je l'aurai vu. Et c'est ce que j'ai fait, j'ai trouvé un arbre, et je suis monté. Il m'a fallu un certain temps pour trouver le meilleur angle, mais là je dominais tout, je voyais tout. 

 

Seulement les choses ne se sont passées comme je l'avais imaginé. Quand Jésus est arrivé à la hauteur de l'arbre où je me cachais (un peu comme Adam qui se cache quand le très Haut lui demande où il est, et qui a peur), il m'a interpellé. Il m'a appelé par mon nom. Vous vous rendez compte, il m'a appelé par mon nom, ce que personne ne fait jamais. J'ai un titre, mais je n'ai pas de nom, je n'ai plus de nom.

 

Il m'a dit de descendre en vitesse, parce qu'il voulait demeurer dans ma maison. Il a même dit "il faut", comme si c'était une nécessité. Et je suis descendu de mon arbre, et je me suis hâté. Mais je dois dire qu'en moi quelque chose s'était passé. Oui j'étais petit, oui, je n'étais pas beau, mais son regard et sa voix avaient fait un miracle: Je ne m'aimais plus parce que j'étais le plus malin, mais parce que tel que j'étais il m'avait regardé, parlé et demandé quelque chose. On ne me demande jamais rien sauf de remettre une dette. Et venir chez moi… Cela jamais personne ne l'a fait. 

 

Et je l'ai reçu dans ma maison. Seulement les pharisiens ont commencé à récriminer. Ils savent bien qui je suis, ou plutôt qui j'étais. Alors je me suis redressé, et du haut de ma petite taille, j'ai annoncé que j'allais donner la moitié de mes biens aux pauvres et que si quelqu'un s'était senti lésé par moi ou par un de mes publicains, je lui donnerais quatre fois plus. 

 

Et alors Jésus a pris la parole. A moi, il n'a rien dit, mais il a souri. A eux, il a dit que comme eux, j'étais un fils d'Abraham et que comme eux, j'appartenais, tout serviteur des romains que je sois, au peuple élu. Il y a eu un petit temps de silence. Il a alors ajouté, qu'il était venu chercher et sauver ce qui était perdu. Oui je m'étais perdu à vouloir remplacer ma petite taille par la richesse; oui, il est venu me chercher, parce que j'était quand même bien caché, et oui il m'a sauvé, parce que je sais maintenant que la richesse n'est pas un but en soi et qu'elle peut faire des heureux. 

 

Je sais que l'aveugle qui a retrouvé la vue ira avec lui à Jérusalem. Moi je vais rester ici à Jéricho, car maintenant j'y ai un vrai travail: redonner du courage à ceux qui manquent de tout, puisque j'ai de quoi. Et peut-être que c'est comme cela que je deviendrai un peu plus grand. Si mon prénom signifie "Dieu s'est souvenu", alors comme l'ancien aveugle, je ne peux que louer le Très Haut, car Dieu s'est souvenu que j'étais son fils et il m'a ramené dans sa maison.

  

mercredi, novembre 11, 2020

Luc 17,11-20 La guérison des dix lépreux

Lc 17,11-20


Un texte bien connu. Jésus n'est plus très loin de Jérusalem. Un groupe de lépreux crient leur détresse et Jésus répond, mais d'une manière assez déconcertante. Il ne "guérit" pas - et cela fait un peu penser à la guérison de l'esclave du centurion, il donne un ordre: "Allez vous montrer aux prêtres". C'est tout, c'est simple; mais pas tant que cela quand on y pense.


En même temps, quand on est devenu un impur, un rejeté, on n'a plus rien à perdre. Et ils partent. Luc nous dit qu'ils sont tous guéris, tous les dix, mais que les juifs, ceux qui sont les "frères", ceux-là restent dans l'obéissance à l'ordre initial. Le seul qui revient sur ses pas, c'est un Samaritain, un étranger, un "pas frère". Sauf que du coup, frère, il le devient...

 

Le samaritain raconte

 

Je ne sais pas trop comment je me suis retrouvé dans ce village, au milieu de Juifs alors que je suis Samaritain, mais ma peau s'était couverte d'abcès, je suis allé voir un prêtre et il m'a obligé à rester là où j'étais, donc dans ce village qui recevait (enfin recevoir n'est pas vraiment adapté) des lépreux comme moi. 


Et depuis que je suis là, je survis. J'ai faim, je suis seul, je ne peux pas prier avec les autres, et mes vêtements tombent en loque. Nous sommes dix avec cette maladie, dix avec cette pourriture en nous, dix à attendre, mais à attendre quoi, je ne sais même pas. Bien entendu je n'ai pas de nouvelles des miens. 

 

Aujourd'hui, il y a eu comme une rumeur dans le village, ça bougeait dans tous les sens. 

 

Il y avait un grand groupe qui prenait la route de Jérusalem. Nous avons fini par comprendre que c'était Jésus de Nazareth qui était là, celui qui est capable de donner à manger à des foules, de guérir des malades, de tenir tête aux pharisiens.

 

Alors nous, les exclus, les dix, nous nous sommes postés sur la route, en gardant la distance prescrite; et tous ensemble nous avons crié, crié pour qu'il nous prenne en pitié, lui qui est un Maître. Prendre en pitié, c'est ce que disent les mendiants et nous sommes des mendiants, mendiants de pain, car nous avons faim, mendiants de vêtements car les nôtres sont tellement sales, mendiants de guérison, mais ça nous avons du mal à y croire. Avoir pitié, c'est aussi ce que demandent les pécheurs, et si nous avons cette maladie, c'est bien que nous avons péché, et que c'est notre punition, mais quelle punition… Alors oui, nous avons crié à Jésus, qu'il nous prenne en pitié.

 

Il n'a pas continué son chemin, il s'est arrêté. Il nous a tous regardés, les uns après les autres. Il n'a pas donné de pain, il n'a pas donné de piécettes, il nous a dit d'aller nous montrer aux prêtres. 

 

Nous montrer aux prêtres! C'est ce que l'on doit faire quand on est guéri. Je dis bien guéri. Nous avons baissé la tête, et nous sommes partis, mais en nous demandant s'il ne se moquait pas de nous. Pourtant, ça ne lui ressemble pas, d'après ce que j'ai entendu dire de lui. 

 

Nous avons marché, et tout à coup, il m'a semblé que ma main n'avait plus mal. Alors je l'ai regardée ma main, et elle était redevenue nette comme la peau d'un bébé. J'ai regardé mon autre main, j'ai regardé mes jambes et partout c'était pareil. J'étais redevenu pur. Et pour les autres, c'était pareil. Oui, nous pouvions nous montrer aux prêtres, offrir le sacrifice et redevenir des vivants. 


Alors, les autres, ils se sont encore plus hâtés pour faire constater leur guérison. Mais moi, il me semblait que ce n'était pas juste, pas bien. Il nous avait regardé avec amour, il nous avait parlé et maintenant nous étions étions guéris. 

 

Ce qui était bien c'était de rendre grâce au Très Haut qui avait mis un tel homme sur notre chemin; ce qui me semblait bien, c'était de crier ma reconnaissance et de lui dire merci pour ce qu'il avait fait. 

 

Alors j'ai fait demi tour. Et moi qui suis un Samaritain, j'ai entonné des psaumes d'allégresse qui bénissent le Très Haut. Et dès que j'ai aperçu Jésus, j'ai couru vers lui. Je n'ai rien dit, parce que je n'avais pas les mots, mais je me suis prosterné devant lui, et je serais bien resté comme ça, pendant des heures. Je me savais béni, aimé, sauvé. J'étais un homme nouveau. 

 

Lui, il a parlé des autres, qui avaient poursuivi leur chemin, pressés qu'ils étaient d'avoir leur certificat de guérison, et qui n'avaient pas jugé bon de prendre un peu de temps pour lui dire merci; car ce qu'il nous a donné là, c'était la vie. Et cela le rendait triste, et j'aurais voulu le consoler. Et je l'ai regardé à ce moment là. 

 

Lui aussi m'a regardé, il m'a dit de me relever et que ma foi m'avait sauvé. Et je sais bien que ce qu'il m'a donné va bien au-delà de la guérison de ma peau. Il a mis sa vie en moi, et je voudrais passer ma vie à le chanter. Peut-être que je vais devenir un musicien.. 

 

Mais je vais rentrer dans mon village, je leur parlerai de Jésus et je leur demanderai de bien l'accueillir si jamais il passe chez nous. Et moi, je le logerai dans ma maison. Il viendra chez moi, et ce n'est pas lui seul que je recevrai, mais aussi celui qui habite en lui, le Dieu de nos pères.

 

lundi, novembre 09, 2020

Jn 2 , 13-22. Les vendeurs chassés du Temple.

Dans l'évangile de Jean, cet épisode se trouve dès le début, contrairement aux synoptiques où Jésus n'arrive à Jérusalem qu'à la fin de son séjour terrestre. Peut-être que, d'emblée, l'évangéliste veut nous faire comprendre que Jésus est la brebis qui donnera sa vie, mais aussi que beaucoup de choses se sont éclairées après la résurrection. J'ai voulu faire parler celui qui s'appelle "le disciple bien-aimé", car il a une compréhension très fine de ce qui se passe.



Jean, le disciple bien-aimé, raconte


Je me souviens… Nous l'avons rencontré sur les bords du Jourdain, là où Jean baptisait; et là, il avait reçu aussi le baptême. Mais il n'était pas parti, il était resté là, tout près. Le Baptiseur avait dit de lui qu'il était l'agneau de Dieu, celui qui enlève les péchés du monde, mais nous n'avions pas compris. Enfin juste un peu. Et puis nous l'avons suivi, pour apprendre à le connaître. Au début nous étions juste cinq, cinq comme les doigts de la main. Il y avait Pierre et André, Nathanaël, Philippe et moi. 

 

Nous avons vécu un peu avec lui en Galilée et nous avons vu quelque chose de peu commun: un jour de noces, à Cana, il avait transformé de l'eau en vin. Oui, il l'avait fait. Puis comme la Pâque approchait, nous sommes montés à Jérusalem. Et là, c'est bien autre chose qui s'est passé. 

 

Quand nous sommes entrés dans le Temple, nous avons trouvé un véritable marché. Cela c'était une idée des prêtres, pour se faire de l'argent. Normalement les animaux ne sont pas vendus là, mais plus loin et ils sont payés avec la monnaie romaine. Là, ils sont payés avec la monnaie du temple et bien sûr les changeurs de monnaie se font (pardonnez moi l'expression) du blé sur le dos de l'acheteur. Et là, moi qui aime bien regarder, j'ai vu son visage changer, devenir comme le dit le prophète Isaïe dur comme de la pierre, et rempli de colère, mais aussi de tristesse.

 

Il s'est fait un fouet avec des cordes, et il a été pris d'une sorte de sainte colère, un peu comme celle du prêtre Pinhas. Il a tout balancé, les étals, les bêtes, la monnaie. Sauf que lui, il n'a tué personne. Et ça a fait un sacré charivari, toutes ces bêtes qui partaient dans tous les sens, et les vendeurs qui hurlaient après lui, qui couraient dans tous les sens. Les seuls qui ont échappé à sa colère, ce sont les vendeurs de colombes, à croire qu'il se souvenait que des colombes avaient été sacrifiées pour lui quand il était tout petit. A eux, il a dit sur un ton très triste qu'ils ne devaient pas faire de la maison de son père, une maison de commerce. Et moi, dans ce mot, commerce, j'entendais presque prostitution. 

 

A le voir comme cela, en moi résonnait une parole du grand psaume, le psaume que nous chantons à chaque Sabbat: "On a oublié ta parole, le zèle pour ta maison me dévore". Mais ce qui m'avait étonné, c'est qu'il avait appelé le Temple la Maison non pas du Très Haut, béni soit-il , mais de son Père. 

 

Bien sûr les pharisiens sont arrivés et lui ont demandé de quel droit il avait fait ça (moi je dirais foutu un tel bazar) et de montrer un signe. Un signe, mais le signe ils l'avaient. Sauf qu'il leur a répondu avec une de ces phrases dont il a le secret; il leur a dit: "Détruisez ce Temple et moi je le relèverai en trois jours".


Relever… cela pour moi évoquait un retour à la vie. Trois jours, comme le temps qu'il avait fallu pour que Dieu montre sa Gloire au moment de l'Exode. Je suis sûr qu'il disait quelque chose de lui, de ce qui se passerait; parce qu'avec lui, rien n'est laissé au hasard. 

 

Sauf que bien sûr les autres lui ont plus ou moins ri au nez. Comment pouvait-il relever un temple qui avait demandé 46 ans pour être construit? Des incompréhensions entre lui et eux, à mon avis ça ne faisait que commencer; et les connaissant, je pensais bien que ça finirait mal et qu'il y laisserait sa peau.

 

Mais là, ils sont partis et le Maître a guéri beaucoup de malades, et donné de l'espoir à ceux qui l'écoutaient, mais je savais bien qu'il ne leur faisait pas trop confiance, parce que c'est facile de retourner un humain et que les pharisiens à ce jeu sont très forts. 

Je me demande comment la vie va être avec lui, mais là où il ira, moi je le suivrai.

  

mercredi, octobre 28, 2020

Luc 13, 10-17. La femme courbée.

LUNDI 26 OCTOBRE. Lc 13, 10-17 La femme courbée.

 

C'est un texte que j'aime beaucoup, parce que des enfants courbés et redressés par la chirurgie, j'en ai vu. J'en ai vu des complètement tordus. Seulement cela ne se répare pas comme ça, avec une parole et un geste.  


Voilà dans cet évangile une autre femme. On a eu la femme qui perdait du sang, la femme pécheresse, et là on a la femme courbée. C'est la femme qui contemple ses pieds, les pieds de ceux qui sont à côté d'elle, mais non leur visage... C'est aussi une femme qui souffre: elle souffre de son handicap mais aussi du regard des autres. Elle est possédée par un esprit mauvais... 

 

Dix-huit ans... La femme qui a des pertes de sang, c'est 12 ans, on peut dire deux fois six et là, trois fois six. Je suppose que le six peut évoquer les jours de la semaine, puisqu'il va en être question dans le texte: six jours pour se faire guérir… Et c'est le septième que la guérison se fait, avec le scandale pour ceux qui croient que le septième jour est consacré au repos, et qui en se focalisant sur cette fausse transgression ne voient pas le "bon" de ce septième jour.


Dans un premier temps, j'ai juste "travaillé" ou laissé travailler ces versets, comme je le fais quotidiennement, puis j'ai eu envie de laisser raconter. Laisser parler la femme, laisser parler Jésus, laisser parler le chef de la synagogue, laisser parler quelqu'un de la foule.


*****


Le texte: Luc 13, 10-17

 

 

10 En ce temps-là, Jésus était en train d’enseigner dans une synagogue, le jour du sabbat. 

 

On a le cadre: une synagogue; ce que fait Jésus: il enseigne; et le jour choisi, celui du sabbat. Ce qui semble tout à fait normal.  

 

11 Voici qu’il y avait là une femme, possédée par un esprit qui la rendait infirme depuis dix-huit ans; elle était toute courbée et absolument incapable de se redresser. 

 

Dans l'assistance, et cela m'étonne un peu, il y a une femme. A-t-elle été prévenue que Jésus serait là, ce jour là? Espère-t-elle, comme la femme qui perd du sang, un miracle? On ne sait pas. Mais ce qu'on sait, c'est que cela dure depuis dix-huit ans. Quel est le symbolisme de ce nombre? Je pensais à 3 fois 6, avec les six jours de la création. Quelque chose aussi qui dure. Pour la femme qui perdait du sang c'était 12 ans. Trois fois 4, ou deux fois six. Ici, trois fois six. Encore plus long, presque toute une vie. Et Jésus ne fait pas comme s'il ne la voyait pas. Non: il la regarde; et elle ne peut pas le savoir, puisqu'elle ne peut pas se redresser.

 

12 Quand Jésus la vit, il l’interpella et lui dit : « Femme, te voici délivrée de ton infirmité. » 

13 Et il lui imposa les mains. À l’instant même elle redevint droite et rendait gloire à Dieu

 

Et c'est une affirmation... "Femme te voilà délivrée", et le geste, qui évoque aussi la belle-mère de Pierre. Elle ne le sert pas, mais elle rend gloire à Dieu. Elle redevient capable de cela, elle qui avait surement dû être considérée comme une maudite.. Il y a le "à l'instant même" qui évoque Marc. Interpeller est un verbe fort: Jésus interpelle la mer… On peut donc penser que c'est un combat entre Jésus et ce qui rend cette femme infirme. Est-ce l'imposition des mains qui est considérée comme un travail? Le "rendre gloire à Dieu" est je crois assez fréquent, voir la guérison du paralytique chez Luc.

 

14 Alors le chef de la synagogue, indigné de voir Jésus faire une guérison le jour du sabbat, prit la parole et dit à la foule : « Il y a six jours pour travailler; venez donc vous faire guérir ces jours-là, et non pas le jour du sabbat. »

 

Ce qui m'étonne, c'est que le chef est indigné et qu'il ne s'en prend pas à Jésus mais à la foule... Et c'est la foule qui prend la colère. Allez vous faire guérir (mais par qui?) pendant la semaine, pas le jour du sabbat. Qui porte la faute? Jésus qui guérit, ou ceux qui viennent non pour l'office, mais pour obtenir une guérison?

 

 15 Le Seigneur lui répliqua : « Hypocrites ! Chacun de vous, le jour du sabbat, ne détache-t-il pas de la mangeoire son bœuf ou son âne pour le mener boire ? 

16 Alors cette femme, une fille d’Abraham, que Satan avait liée voici dix-huit ans, ne fallait-il pas la délivrer de ce lien le jour du sabbat ? »

 

Sauf que Jésus, comme il le fait toujours, prend la défense de la foule. Il rappelle que le jour du sabbat, on s'occupe de son bétail. Et cette femme, est bien plus qu'une pièce de bétail.. Elle appartient à la nation choisie, elle est descendante d'Abraham, alors il fallait la délier (puisque l'alliance c'est aussi cela).

 

17 À ces paroles de Jésus, tous ses adversaires furent remplis de honte, et toute la foule était dans la joie à cause de toutes les actions éclatantes qu’il faisait.

 

Et là, on se rend compte du conflit qui se joue autour de Jésus. La foule est dans la joie, non parce qu'il a fermé le bec du chef de cette synagogue (et si on se réfère à l'évangile de Jean, aux pharisiens qui ne regardent pas le signe, mais qui s'attachent au moment du signe - cf. le paralytique de la piscine ou l'aveugle né), mais bien parce qu'un signe a été donné. 

 

 

On peut voir cette scène avec les yeux de la femme courbée, avec les yeux de Jésus, avec les yeux du maître de la synagogue, et avec les yeux de quelqu'un de la foule.


*****

 

La femme courbée raconte

 

Cela fait dix-huit ans que je ne peux plus lever la tête, regarder le ciel, regarder ceux qui me parlent. Je suis tellement courbée, tellement cassée en deux, que je ne peux que regarder le sol, que mes pauvres pieds. 

 

C'est vrai que ça m'est arrivé d'un coup, comme si quelque chose se bloquait dans mon dos. J'en ai vu des médecins, j'en ai suivi des traitements, mais je reste comme ça, et je souffre. Et je souffre parce que je sens bien qu'on me regarde soit comme une pécheresse, soit comme une possédée; et qu'on a peur de moi, comme si j'étais une sorcière. Ce que je sais, c'est que je suis liée par quelque chose qui est bloqué dans mon corps, qui m'emprisonne, qui m'oblige à regarder le sol, moi qui aimais tellement regarder le ciel, les nuages, les étoiles, les oiseaux… Je ne sais pas ce que c'est, mais c'est quelque chose de mauvais. 

 

Il y a bien ce nouveau Rabbi, que l'on appelle Jésus, qui vient de Galilée et qui a fait beaucoup de guérisons. J'ai entendu dire qu'il avait guéri une femme qui était malade depuis douze ans. Moi, cela fait dix-huit ans que je suis infirme. Il paraît qu'il va souvent enseigner dans les synagogues le jour du Sabbat. S'il vient dans ma synagogue j'irai l'écouter et ensuite je lui demanderai de me guérir. Je me mettrai tout au fond, peut-être qu'il me remarquera. Peut-être… 

 

Lui et ses disciples sont arrivés dans notre ville, et comme je l'ai pensé, je vais aller le trouver quand ça sera possible. Peut-être que la force qui sort de lui viendra sur moi, et me guérira.

 

Il y en avait du monde ce jour là à la synagogue. Je me suis faite encore plus petite que d'habitude, parce que beaucoup pensent aussi que je suis une malédiction, et que je peux provoquer du malheur. Et le chef de la synagogue ne m'aime pas. J'ai commencé à écouter ce que ce Jésus disait. Je l'ai écouté, écouté, écouté. Ce qu'il disait coulait en moi, coulait sur moi, me restaurait. Ses paroles étaient comme du miel. 

 

Et il s'est d'un coup adressé à moi. Il m'a dit sur un ton très autoritaire, très ferme: "Femme te voilà délivrée de ton infirmité". Et je me sentais comme un petit oiseau qui ouvre ses ailes pour la première fois. Quelque chose s'est comme décoincé en moi, et je me suis dépliée, déplissée, je me suis redressée, j'étais droite. Et j'ai pu le regarder lui. Qu'il était beau… Il a posé son regard sur moi, il a posé sa main sur ma tête, puis aussi sur mes épaules. Et j'étais sur mes deux jambes, bien droite, et tellement heureuse.. Et tous ceux qui étaient là étaient dans l'admiration. 

 

Seulement, du coup, ça a fait du bruit dans la synagogue, et le chef n'a pas été content. Il ne s'est pas adressé à Jésus, il n'a peut-être pas osé, mais il a crié sur nous, en disant que le jour du Sabbat, ce n'était pas un jour pour se faire guérir. Je crois qu'il n'a rien compris, et c'est ce que le Maître lui a bien fait comprendre. 

 

Car Jésus lui a rappelé, en s'appuyant sur la Parole, que le jour du Sabbat, on doit nourrir son âne ou son bœuf, et lui donner à boire. Et que moi, qui étais de la race d'Abraham, donc bien plus qu'un animal de trait, c'était bien normal que je sois déliée de cette maladie qui m'avait paralysée depuis tant d'années. 

 

Et tous nous avons chanté sans nous concerter un cantique à la louange de notre Dieu qui nous avait envoyé un tel homme. 

 

Je sais que cet homme, je vais l'accueillir chez moi, que je vais pouvoir enfin faire à manger sans demander de l'aide et que je vais le recevoir comme le roi qu'il est. 

 

 

Jésus raconte

 

Avec mes disciples nous étions, comme souvent le jour du sabbat, entrés dans la synagogue d'une petite ville. Je les avais d'ailleurs envoyés au devant, pour préparer mon arrivée.

 

Pendant que je parlais, j'ai senti cette force qui est en moi se réveiller. Alors j'ai regardé: et j'ai vu une pauvre femme, pas si vieille que ça d'ailleurs, toute courbée, toute cassée, incapable de lever la tête. J'ai vu sa souffrance, j'ai vu sa douleur. J'ai vu qu'il y avait du Mal en elle, et que ce mal, qui la tenait en fausse position d'humilité et qui l'humiliait, je devais le chasser. Ce mal c'était un peu comme ce jour où les vagues se sont déchaînées contre la barque qui me conduisait en terre de Gérasa. Je veux dire que c'était violent, c'était brutal, c'était destructeur. Et ce mal, je me devais de le chasser, de le réduire au silence, de délier cette femme. Et même si je ne voyais pas son regard, j'entendais sa demande de guérison. 

 

Et c'est ce qui est arrivé. 

 

Je l'ai déliée comme on délie un âne ou un bœuf le jour du sabbat pour lui donner à boire et à manger.

 

Quand elle s'est redressée, il y avait en elle une telle joie, mais aussi une telle foi, que c'était pour moi un véritable ravissement, et je louais mon Père. 

 

Seulement le maître de la synagogue - et en cela il est bien comme les pharisiens de Jérusalem, au lieu de se réjouir, s'est mis en colère. Il aurait dû me crier dessus, mais il n'a pas osé. Il a invectivé la foule, en leur disant qu'il y avait six jours dans la semaine pour se faire guérir.. Que le jour du sabbat ce n'était pas correct. Mais qu'est ce qui est correct?

 

Je n'ai pas pu m'empêcher de lui rappeler les écritures, qui disent que; même le jour consacré à mon Père, on doit quand même s'occuper des ses animaux, leur donner le nécessaire. Et moi, j'avais restauré cette femme. Alors il est sorti, tellement il était en rage; et tous mes amis se sont mis à louer mon Père pour cette guérison, mais aussi parce qu'il visitait son peuple. 


 

Le chef de la synagogue raconte

 

Mais pour qui il se prend celui-là? D'accord il parle bien; d'accord, il sait manier l'écriture alors qu'il n'a pas fait d'études; mais faire une guérison le jour consacré à notre Dieu, non il n'avait pas le droit de le faire. 

 

Le sabbat c'est sacré, il devrait bien le savoir, même si paraît-il il aurait répondu à des personnes que je connais que "le Fils de l'homme était le maître du sabbat" et que le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat. 

 

Je vais lui montrer moi, ce qu'il en coûte de se prendre pour le messie. Seulement, après cette guérison, je ne peux pas m'en prendre à lui, alors je vais dire à tous ceux qui sont là, qu'ils n'ont pas le droit de se faire guérir ce septième jour et qu'ils sont tous des pécheurs, et que ce Jésus, somme toute, il est encore plus pécheur qu'eux. Vivement qu'il s'en aille… Quant à cette femme, plus jamais elle ne mettra les pieds dans ma synagogue.


 

Quelqu'un dans la foule raconte

 

On savait que le prophète de Galilée devait venir chez nous, et qu'il enseignerait dans la synagogue; et c'est ce qu'il a fait. 

 

Mais ce que moi, je n'avais pas vu, c'est qu'il y avait une femme toute courbée, bien plus courbée que les vieux, bien plus courbée que ceux qui ont une bosse dans le dos, qui ne pouvait regarder que la terre. Je me suis demandé ce qu'elle avait fait de mal pour être ainsi punie. On m'a dit que cela faisait dix-huit ans qu'elle vivait cet enfer. 

 

Et brusquement j'ai entendu Jésus qui, d'une voix forte, disait: "Femme te voilà délivrée de ton infirmité!". Ces mots, il les a criés, et la femme s'est redressée. Et j'ai vu son regard, j'ai vu sa joie! En moi ça s'est mis aussi à chanter, chanter devant ce qui venait de se passer, chanter devant cet homme bon, chanter la gloire de notre Dieu. 

 

Seulement le chef de la synagogue n'a pas aimé du tout ce qui venait d'arriver. Il nous a dit d'aller voir ailleurs, enfin je veux dire qu'il a dit que le jour du sabbat c'était interdit de faire des guérisons et que les malades devaient rester chez eux. Et Jésus n'a pas aimé: il l'a traité d'hypocrite, et lui a rappelé que le jour du sabbat on a le droit et même le devoir de nourrir son bœuf ou son âne, et que cette femme, elle valait bien plus qu'un bœuf ou qu'un âne; qu'elle avait soif de guérison, et que lui, il se devait de faire cela. 

 

Du coup, ça a fait un grand silence. Les partisans du chef sont sortis et nous, nous sommes restés et nous étions vraiment dans la Joie. Un grand prophète s'est levé parmi nous, peut-être est-il le Messie envoyé pour nous libérer.

 

 


dimanche, octobre 04, 2020

Mt 21,33-43 La parabole des vignerons homicides

Dans l'évangile de Matthieu, au chapitre 21, on est à Jérusalem; Jérusalem où Jésus est entré peu de temps avant, avec un accueil somme toute assez triomphal. Pour les grand-prêtres et les anciens, qui vivent à Jérusalem, c'est la découverte de cet homme, qui enseigne dans le Temple, qui parle beaucoup, et qui en fustigeant les pharisiens, les fustige eux aussi. Par ailleurs, quand on veut le mettre en échec, ce qui permettrait à la foule, ou à des gens payés pour cela, de le lapider, ça ne marche pas. Il a toujours le dernier mot, et surtout il s'appuie sur l'écriture. On peut juste noter que, durant cette période qui va conduire Jésus à la mort, il n'y a pas de miracles, sauf peut-être celui du figuier desséché. 

 

On voit comment le conflit entre Jésus et le pouvoir se noue de plus en plus, et comment Jésus ne se fait pas des amis chez ces notables, même si certains d'entre eux (Nicodème) lui sont favorables. 


Il est assez facile d'imaginer la rage des prêtres et des anciens, à la suite des paraboles sur les deux fils, sur les vignerons homicides, et sur les invités à la noce, qui sera proclamée dimanche prochain. 

 

Alors j'ai laissé parler l'un d'entre eux, mais je me suis un peu servie des récits venant des autres évangiles.



Un prêtre ou un ancien parle

 

Mais pour qui se prend-il, celui là qui nous fait la morale? On sait qu'il vient de ce village de Nazareth, qui n'est pas le lieu d'où le Messie doit venir! Pourtant certains racontent qu'il est né à Bethléem, au temps du recensement; mais les racontars, on connaît, et nous sommes les premiers à en faire naitre. C'est sûr que s'il venait de Bethléem, la ville du roi David, il aurait l'avantage de réaliser les prophéties, mais Nazareth, ce village de Galilée, ce n'est pas de là que le Messie doit ou devrait venir. 

 

Et puis, il faut voir aussi qui sont ses adeptes. Des pêcheurs, qui ne savent même pas lire, un ancien collecteur d'impôts, des femmes - comme si les femmes ne devaient pas rester chez elles s'occuper des enfants, un zélote, et j'en passe. 

 

L'ennui, c'est que des miracles il en a fait énormément, et que beaucoup le prennent pour un prophète; ils disent même qu'il est le nouvel Elie, le prophète annoncé par notre Père Moïse; d'autres le prennent carrément pour le Messie, et il se permet de faire des guérisons le jour consacré à Dieu, le jour du repos. Il dit des choses étonnantes, que le Sabbat a été fait pour l'homme, que les péchés sont pardonnés...

 

Il en veut aux pharisiens, il leur reproche de se réfugier sans cesse derrière la loi, mais de ne pas ouvrir les yeux sur leurs frères. Et il connaît bien les écritures, même s'il n'a pas fait d'études.

 

A nous, il nous reproche de ne pas avoir entendu l'appel de Jean, de ne pas nous être convertis... Mais se convertir, ce sont ces mots que nous répétons à longueur d'années dans les psaumes; et qui sont devenus vides de sens pour nous. Et voilà qu'aujourd'hui, il s'affirme comme étant le Fils de Dieu. Il ne se prend pas pour rien, cet homme qui parle avec cet affreux accent de Galilée. 

 

Mais le mettre à mort, pour qu'il se taise, qu'il cesse ses critiques, qu'il cesse ses miracles, qu'il cesse de s'affirmer être l'envoyé du très haut, le fils du très haut, ce ne sera guère facile; à moins de trouver quelqu'un parmi les siens qui pourrait nous dire où il se cache; parce qu'il disparait facilement, et que comme il a beaucoup d'adeptes qui peuvent le cacher, on ne sait jamais où il est. 


L'arrêter dans le Temple n'est pas possible, il y a trop de gens qui viennent écouter son enseignement où il dit que les petits, les pauvres, les publicains seront les premiers dans le royaume de celui qu'il appelle son père. 

 

Alors oui, on va trouver un moyen pour le faire disparaître, quitte à utiliser la force romaine pour cela; car il est un agitateur, il a chassé les vendeurs qui étaient dans le temple, il a refusé de faire lapider une femme adultère, il parle avec les samaritains et il nous critique sans arrêt. Et qu'il ne s'imagine pas être la pierre angulaire: nous allons la casser en petits morceaux cette pierre, et même Dieu, Béni soit-il, ne pourra pas la restaurer. 

 

Alors, pour le moment, faisons semblant de l'écouter, mais au moment voulu, nous aurons sa peau, ses adeptes se disperseront, et nous serons tranquilles. Puisque nous avons le pouvoir, c'est que nous le méritons et que Dieu est avec nous. Lui, il n'a rien et il n'aura rien, c'est un pauvre qui veut nous faire la morale. A nous la gloire, à lui la mort. 

 

La seule chose, c'est qu'il a dit qu'il serait mis à mort, mais qu'il reviendrait à la vie. Alors ça, à d'autres... Et nous ferons tout pour étouffer cela dans l'œuf.

 

Oui, la vigne nous appartient, nous en faisons ce que nous voulons, nous gardons son fruit; et notre nation vivra éternellement, quoi que que raconte ce Galiléen.

 

dimanche, septembre 20, 2020

Matthieu 20 1-16. Les ouvriers de la onzième heure

"Beaucoup de premiers seront derniers et beaucoup de derniers seront premiers". 

 

Cate phrase termine le chapitre 19 de l'évangile de Matthieu. A Pierre, qui demande quelle récompense auront ceux qui ont tout quitté pour le suivre, Jésus donne une réponse curieuse: d'abord il annonce que celui qui aura tout quitté pour le suivre recevra le centuple, et surtout aura la vie éternelle; ce qui peut sembler satisfaisant. Mais il y a cette petite phrase: "Beaucoup de premiers seront derniers, et beaucoup de derniers seront premiers", qu'à mon avis on interprète un peu de travers dans un sens moralisateur du moins pour nous. Les derniers appelés à la mission, sont toujours les ouvriers de la onzième heure, et alors... Bien sûr on peut parler de gratitude de notre part de savoir que beaucoup auront la même récompense que les "anciens", mais chacun supporte le poids du temps à sa manière. Et ce qui compte c'est le "beaucoup". Pas tous, mais beaucoup. Et là c'est l'abondance qui se dit. On sort de la rétribution pour aller ailleurs; cet ailleurs est bien la bonne nouvelle. 

 

Cette petite phrase notée ou rajoutée par Matthieu, et qui en quelque sorte encadre la parabole qui suit, permet de comprendre que dans le Royaume il y aura des inversions, que cela ne marche peut-être plus au mérite, mais à la mise en route, au changement. On connaît la réponse de Jésus au bandit crucifié en même temps que lui et lui, on peut bien le considérer comme un ouvrier de la dernière heure!


 

Dans cette parabole, il est question d'une vigne. 


Dans la Bible, la vigne c'est le domaine du Dieu, c'est Israël. Alors, dans une première approche, vendanger cela permet de faire le vin des noces, noces de la rencontre entre le Très Haut et l'Humanité, parce qu'avec Jésus, du moins dans les évangiles, il y a un changement de perspective. Et le vin, il est composé d'une multitude de grains; et parfois ce peut être un grain (un autre cépage) qui fait la différence. Alors peut-être que celui qui arrive en dernier donne au vin son goût particulier.

 

Maintenant c'est vrai aussi, et je viens de le lire dans un commentaire sur cet évangile, que nous sommes temporellement les ouvriers de la onzième heure, comme on disait autrefois, parce que nous sommes les derniers appelés. Sauf que nous ne savons pas quand aura lieu le Retour et s'il y en aura d'autres qui viendront après nous. 

 

Alors il n'y a pas à se battre la coulpe d'être dans ce temps là. 


Mais si on pense que Jésus s'adresse certes à ses disciples, mais aussi à d'autres tels que les pharisiens, qui depuis un certain nombre d'années se battent pour que le nom de Dieu soit respecté et sanctifié, pour que le règne de Dieu arrive (les jeûnes et les prières, c'est aussi pour cela), alors oui, ils peuvent trouver anormal que les disciples de Jésus (et parmi eux il y a des publicains, des prostituées, bref des pêcheurs) aient comme eux la vie éternelle. Ils se considèrent comme les premiers, et c'est aussi à eux, autant qu'à nous aujourd'hui, que Jésus s'adresse. Faire de bonnes choses, c'est bien, mais ce n'est pas cela qui ouvre le royaume. On aura peut-être de sacrées surprises de l'autre côté… Alors ne soyons pas surpris… Il y a des personnes que nous jugeons pas bien et qui pourtant seront - si on accepte la notion de classement (ce que je n'aime pas) - bien mieux classées que nous, après l'examen de passage qu'est la mort.

 

 

Maintenant si on relit cette parabole, on peut aussi penser à la joie de ceux de la dernière heure... Et c'est ce que j'ai voulu exprimer, parce que ces laissés pour compte, en étant embauchés, retrouvent une dignité; et c'est bien là le travail de restauration que fait en chacun l'Esprit saint, à un moment où à un autre.

 

 

 

C'est un de ceux de la dernière heure qui raconte, à sa manière.

 

Si vous aviez vu la tête des autres...


Nous, et là je veux dire moi et mes amis, qui sommes considérés comme des fainéants - et c'est vrai que le travail, surtout la vendange, ce n'est pas trop notre truc-

 on a reçu le même salaire que ceux qui avaient été embauchés dès le petit matin! 


Mais il fallait voir aussi notre tête: parce que le Maître n'avait pas parlé vraiment de salaire. Un denier, vous vous rendez compte? Avec un denier on allait pouvoir payer un peu nos dettes, acheter des figues, acheter des choses que nous ne mangions plus depuis longtemps, et rentrer chez nous les mains pleines.

 

Je vous raconte. 


Le maître de ce domaine là, il aime bien savoir qui il fait travailler chez lui, et il ne laisse pas son intendant se charger de l'embauche. Il sait que le travail est rare par ici, alors quand la vigne a donné son fruit, il embauche. Bon ça, on le sait, mais comme j'ai dit, c'est dur... Bref, au petit matin, il va sur la place du village, il demande aux hommes qui sont là s'ils veulent travailler à sa vigne. D'après ce que je sais, ils aiment travailler, ils aiment vendanger, ils sont même habiles. Un salaire a été fixé un denier pour la journée. C'est un bon salaire, même si la journée va être longue pour eux. Le travail de vendangeur ce n'est pas rien, mais le soir il y a le repas partagé, et surtout le gout du jus du raisin pressé.

 

Alors ils ont convenu d'un salaire et ils sont partis travailler. Puis le maître est revenu à la troisième heure. Il y avait à nouveau des hommes qui attendaient. Il les a embauchés, sans dire le salaire: il a dit "le juste prix". Ensuite, vous n'allez pas me croire, mais il est revenu au moment des heures les plus chaudes, à midi et à trois heures. Il veut vraiment que tout le raisin soit cueilli. Puis il a vu que du raisin il en restait encore et il est revenu et c'est là qu'il nous a trouvés. Il nous a demandés d'un ton pas très aimable pourquoi nous étions là, à attendre on ne sait trop quoi. Et il nous a dit d'aller à sa vigne. Et on s'est mis à cueillir ce qui restait, mais aussi à ramasser le bois mort, et faire du propre..

 

Le temps a passé, et celui qui devait nous payer est arrivé, l'intendant. Il nous a appelés en premier; on s'attendait à quelques grappes et peut-être quelques pièces, mais il nous a donné à chacun une pièce d'un denier. Nous n'en croyions pas nos yeux. 

 

Puis il a appelé ceux de la neuvième heure, puis ceux de la sixième heure, et il a fini par ceux qui avaient été embauchés au petit matin. Et à ceux là, il a donné une pièce d'un denier, comme à nous tous. Alors là, il y en a un qui s'est mis à ronchonner. En général quand ça ronchonne, le Très Haut n'aime pas, souvenez vous de ce qui se passait dans le désert à la sortie d'Egypte. Et le maître est arrivé, pas trop content. Il lui a demandé pourquoi il se sentait lésé, puisqu'un contrat avait été passé. Et il a dit une phrase qui résonne encore dans mon cœur: "Pourquoi ton regard est-il mauvais, alors que moi je suis bon". Bon c'est ce que dit le très Haut quand il crée la lumière, quand il sépare les eaux d'en bas avec les eaux d'en haut, quand il crée les animaux, quand il crée l'homme. Alors croyez moi ou pas - cela n'a pas d'importance - mais moi, ce n'est pas tant cette somme que je n'avais pas vraiment méritée qui m'a rendu heureux, mais cette parole. 

 

Moi aussi, je veux que désormais mon regard devienne bon, pour que je sois à l'image et à la ressemblance du Créateur. Je suis heureux, et je travaillerai toujours pour ce maître qui est juste parce qu'ill est bon, et qui est capable de nous transformer au dedans de nous, de changer notre regard. Je suis heureux d'avoir été un dernier et peu importe si je deviens premier ou pas; ce n'est pas cela qui compte, c'est que mon regard devienne autre, que mon regard ne soit pas dans la comparaison ou la jalousie, que je cesse de récriminer, parce que récriminer, je connais; mais que tous les jours de ma vie, je me laisse prendre par cette parole. Le regard du maître de la vigne est un regard de bonté et d'amour, qui voit au-delà et qui permet aux derniers de devenir comme les premiers.