samedi, juin 25, 2022

Luc 1, 57-60.80. Fête de la nativité de Jean le Baptiste.

 J'ai déjà écrit quelques textes, et bien sûr il y a des similitudes entre eux et ceux de ce jour.  

        https://giboulee.blogspot.com/2018/12/temps-de-lavent-zacharie-retrouve-la.html


https://giboulee.blogspot.com/2021/12/luc-1-77-79-zacharie-raconte-la.html


   

Travail sur le texte lui-même:

 

 

57 Quand fut accompli le temps où Élisabeth devait enfanter, elle mit au monde un fils. 

58 Ses voisins et sa famille apprirent que le Seigneur lui avait montré la grandeur de sa miséricorde, et ils se réjouissaient avec elle. 

 

C'est étonnant, ce n'est qu'au moment de la naissance que quelque chose est comme révélé. Un peu comme si ce bébé qui a un père muet était l'enfant du secret. Et on ne parle pas du père, on se centre sur Elisabeth et sur le fait qu'elle est vivante, et que Dieu a montré sa miséricorde et sa grandeur. 

 

59 Le huitième jour, ils vinrent pour la circoncision de l’enfant. Ils voulaient l’appeler Zacharie, du nom de son père. 

60 Mais sa mère prit la parole et déclara : « Non, il s’appellera Jean. » 

61 On lui dit : « Personne dans ta famille ne porte ce nom-là ! »

 

La première semaine de vie du nouveau-né se passe, et c'est la circoncision. Pourquoi vouloir l'appeler Zacharie alors qu'en général dans les généalogies le fils ne porte pas le nom du père? Peut-être parce que comme Zacharie a une infirmité qui l'empêche d'aller au Temple, son fils sera prêtre comme lui, et cela qui est dit ici. 

 

62 On demandait par signes au père comment il voulait l’appeler. 

63 Il se fit donner une tablette sur laquelle il écrivit : « Jean est son nom. » Et tout le monde en fut étonné. 

 

Et le père confirme bien que l'enfant (Dieu fait grâce) ne sera pas son successeur, qu'il aura un destin autre, un peu comme celui de Samson ou de Samuel.

 

64 À l’instant même sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia : il parlait et il bénissait Dieu.

 

Pour moi, ses cordes vocales ont pu à nouveau vibrer, vibrer de reconnaissance. Il confirme ce qu'a dit sa femme; il retrouve la parole et la voix. Et c'est son cantique qui prend place: "Toi petit enfant, tu seras appelé prophète du très haut"...

 

 65 La crainte saisit alors tous les gens du voisinage, et dans toute la région montagneuse de Judée on racontait ces événements. 

66 Tous ceux qui les apprenaient les conservaient dans leur cœur et disaient : « Que sera donc cet enfant ? » En effet, la main du Seigneur était avec lui. 

 

De quelle crainte s'agit-il? Mais en même temps on a le "bouche à oreille": et le "les conservait dans leur cœur" fait écho à Marie. 

 

       Le cantique de Zacharie. Béni soit le Seigneur le Dieu d'Israël.. 

 

Zacharie retrouve la voix et la parole.

 

     80 L’enfant grandissait et son esprit se fortifiait. Il alla vivre au désert jusqu’au jour où il se fit connaître à Israël.

C'est un enfant pas comme les autres. Il semble ne pas s'occuper de ses parents et répond à un appel: vivre au désert.


 

Réflexions

 

Pour la fête de Jean le baptiseur, fils très tardif d'Elisabeth et de Zacharie, la liturgie nous propose l'évangile de Luc, la fin du premier chapitre. Le chapitre 2, lui, racontera l'autre naissance, celle dont Zacharie parle dans son cantique (que nous ne lisons pas aujourd'hui). 

 

Dans les versets qui nous sont lus, on peut se centrer un peu sur Elisabeth. Car il est quand même étonnant que finalement personne de son voisinage ne soit au courant de ce qui est en train de se passer en elle. Cette naissance, est un peu comme un secret. On n'en parle pas, de même que Zacharie ne peut pas parler non plus. Il est condamné au silence et il en va de même pour sa famille. 

Mais après la naissance il y a le choix du prénom. Je pense qu'il faut revenir un peu là-dessus: Zacharie veut dire "Dieu se souvient"; Elisabeth serait "Dieu est serment", et Jean "Dieu fait grâce". 

 

Les parents et l'entourage voudraient que l'enfant porte le prénom de son père/ Or si je me réfère aux tables des nombreuses généalogies qui émaillent l'ancien testament, il me semble que c'est rarissime. Alors pourquoi? Une explication serait qu'en tant que fils d'un descendant d'Aaron, un prêtre, l'enfant sera prêtre comme son père, et comme celui-ci est encore muet (ce qui est une tare, une infirmité qui le rend impropre à assurer son service), l'enfant sera un autre Zacharie. Il devra à son tour rappeler au peuple que Dieu se souvient, que Dieu n'oublie pas, que Dieu a une mémoire, que Dieu est le Berger de son peuple, le maître de sa Vigne. 


Seulement la vocation de cet enfant n'est pas de prendre la succession de son père, mais bien d'annoncer que le temps du changement est advenu; que des temps nouveaux sont tous proches. Son nom qui signifie "Dieu fait grâce" lui donne d'emblée ce rôle de prophète que Zacharie annonce: "et toi petit enfant tu seras appelé prophète du très Haut, tu marcheras devant à la face du Seigneur et tu prépareras ses chemins, pour donner à son peuple de connaitre le Salut par la rémission de ses péchés". 

 

Le temps de grâce est donc advenu. A cet enfant de préparer le chemin de celui qui est le Messie. 

 

Puis le récit nous rapporte qu'Elisabeth n'a pas beaucoup de succès quand elle dit que l'enfant s'appellera Jean, et il faut alors demander l'avis du père. Pourtant dès la Genèse ce sont les femmes qui nomment les enfants. Et dans la plus part des généalogies, les fils ne portent par le nom de leur père. C'est étonnant cette réaction des proches. Peut-être pensent-ils que c'est un caprice de vieille femme, qui a un peu perdu la tête malgré tout. 

 

J'ai toujours trouvé très curieux le fait que l'on demande par signes à Zacharie comment l'enfant doit se nommer. Zacharie est muet, il n'est pas sourd. Mais c'est presque comme si on nous disait qu'en refusant d'écouter la voix de l'Ange, Zacharie avait été sourd à la voix du Seigneur, et que cela se manifestait par la perte de la parole. 

 

On sait que c'est lorsqu'il confirme la parole d'Elisabeth que la parole lui est rendue et lui permet de louer et de bénir le Seigneur. 

 

A ce propos, je voudrais parler de quelque chose que j'ai vécu. Suite un choc que je peux qualifier d'émotionnel, j'ai eu une paralysie partielle des cordes vocales. L'une d'elle ne vibrait plus, ce qui avait inquiété un médecin qui craignait un cancer du cerveau. C'était rentré dans l'ordre après un traitement à l'électricité. Mais si je raconte cela, c'est que cette paralysie des cordes vocales, pourrait expliquer la mutité de Zacharie; mais cela ne l'empêche pas de prononcer les mots, et celui qui sait lire sur les lèvres peut décoder; peut-être Élisabeth était-elle dans ce cas; et je vais me servir de mon vécu pour parler de celui de Zacharie.  

 

Zacharie raconte

 

Neuf mois, neuf mois que pas un mot n'est sorti de ma bouche; que je dois m'exprimer par gestes, que je suis souvent incompris, et que tout le monde me tourne le dos. Je suis muet depuis que j'ai eu du mal à ne pas mettre en doute la parole de l'Ange du Seigneur qui m'est apparu durant mon service au Temple, alors que j'offrais de l'encens dans le Sanctuaire. 

 

Il était là, debout à la droite de l'autel, et comme le disent les prophètes Ézéchiel et Daniel, j'ai ressenti en moi une très grande crainte: l'envie de tomber face contre terre, de disparaître. Qui suis-je, moi, pour rencontrer l'Ange du Seigneur? Il m'a dit que ma prière avait été exaucée; je me demandais bien laquelle. Il a dit qu'il s'agissait de nos prières pour avoir un fils. 

 

Seulement je dois dire que ces prières, nous ne les faisons plus depuis longtemps, notre temps d'enfanter est mort. Nous sommes âgés l'un et l'autre.

 

Et l'Ange, lui, me disait que je devais donner à l'enfant le nom de Jean. Et que cette naissance nous rendrait très heureux, et pas seulement nous, mais ceux qui l'apprendraient. Il a ajouté que l'enfant ne devrait pas boire de vin ni de boissons fortes, et cela pour moi m'a fait penser à la naissance du Juge Samson. Sa mère devait s'abstenir de toutes boissons alcoolisées durant sa grossesse et ne pas lui couper les cheveux. Mon fils serait-il un nouveau Samson? 

 

Puis il a ajouté qu'il serait rempli d'Esprit Saint dès le ventre de sa mère. Là, j'ai eu du mal à le croire. Les prophètes sont certes choisis - comme le dit Jérémie - dès le sein de leur mère, mais l'Esprit saint ne les remplit que bien plus tard. Et lui, ce serait avant même d'avoir vu le jour. Et puis ma pauvre femme sera-t-elle capable de porter à terme une grossesse?

 

Il a dit qu'il ferait revenir de nombreux fils d'Israël au Seigneur leur Dieu, et cela je dois dire que c'est mon vœu le plus cher, peut-être la demande qui a remplacé celle d'avoir un enfant, de sortir de la honte de la stérilité. 


Puis il a comparé mon fils au prophète Elie, dont le retour a été annoncé par le prophète Malachie; en disant qu'il aurait la puissance et l'esprit du prophète Elie, pour réconcilier les pères et leurs enfants, ramener les rebelles à la raison et préparer au Seigneur un peuple bien disposé. 

 

J'écoutais, j'entendais toutes ces merveilleuses paroles, mais en moi il y avait la peur que compte tenu de nos âges nous ne puissions pas être les témoins de cela, les instruments dont notre Dieu avait besoin. Alors je me suis risqué à le dire, car malgré tout, la mort n'est pas loin. 


Et là, tout Ange qu'il soit, il l'a très mal pris.

 

Pour lui, c'est comme si je doutais de la puissance du Très Haut, et avec un ton de majesté, il m'a dit qu'il se tenait en présence du Seigneur, donc qu'il était un des Anges qui sont en permanence auprès du Seigneur, qui peuvent contempler sa face jour et nuit; qu'il se nommait Gabriel, qu'il avait été envoyé pour me parler et m'annoncer cette bonne nouvelle; et - parce qu'il y a eu un et - que je ne pourrais plus parler, parce que je n'ai pas cru à ses paroles, jusqu'à ce qu'elles se réalisent. Et j'ai senti que quelque chose se passait dans ma gorge, que quelque chose se raidissait. J'ai voulu dire et je n'ai pas pu, mes cordes vocales étaient mortes, elles ne vibraient plus. Ma langue bougeait, mes lèvres aussi, mais plus aucun mot ne franchissait ma bouche.

 

J'ai alors quitté le sanctuaire, mais je ne pouvais expliquer à qui que ce soit ce que je venais de vivre. Les autres me regardaient bizarrement, mais je comprenais bien qu'ils pensaient tous que j'étais un grand pécheur pour être ainsi sanctionné. Je suis resté à Jérusalem le temps de terminer mon service liturgique et je suis retourné chez moi. 

 

Ma très douce femme sait lire sur les lèvres, alors elle a un peu compris ce qui nous était demandé et promis; et l'enfant à naître a pris chair en elle, mais elle n'en parlait à personne, sortait encore moins que d'ordinaire, faisait presque comme s'il ne se passait rien. Cela jusqu'à l'arrivée de notre petite cousine Marie. 


La promesse de l'Ange s'est réalisée. Mon fils a été rempli d'Esprit Saint et a tressailli dans le ventre de sa maman. La vie était enfin là, la promesse se réalisait, mais moi je ne parlais toujours pas, et je sortais aussi le moins possible pour fuir les regards.

 

Heureusement que Marie était avec nous. Elle a dû partir quelques jours avant la naissance de notre fils. Mais elle avait prévenu la sage-femme que je suis allée chercher, et tout s'est bien passé; mon Elisabeth est en vie, mon fils est vigoureux. On en raconte des choses sur les enfants de vieux, mais nous nous sommes des très vieux.. 

 

Ma joie quand il a poussé son premier cri, quand je l'ai pris dans mes bras. J'espère qu'il ne me prendra pas pour son grand-père quand il sera en âge de parler. J'aurais tant voulu chanter une chanson pour lui, mais ma voix n'est pas revenue, et pourtant la promesse a été accomplie et je ne peux que bénir le très Haut de nous avoir donné cet enfant. Combien de temps pourrons-nous être auprès de lui? Mais Dieu pourvoit, alors il fera.

 

Le jour de la circoncision est arrivé, j'aurais pu le faire, mais je n'osais pas. Les proches sont arrivés et ils voulaient que l'enfant se prénomme comme moi, Zacharie; mais ce n'était pas ce qu'avait demandé l'Ange. Elisabeth a dit qu'il s'appellerait Jean, car cela je l'avais dit et elle l'avait lu sur mes lèvres, mais eux, ils ne voulaient pas démordre de leur choix. Pourtant c'est bien la mère qui choisit et donne son nom à l'enfant. C'est ce qu'ont fait la mère de Samson, la mère de Samuel, sans parler de Sarah, de Rebecca, et de toutes ces femmes qui nous ont précédés.

 

Ils sont venus me chercher et m'ont demandé, en faisant de grands gestes comme si j'étais sourd, comment je voulais l'appeler. Ils m'ont donné une tablette et j'ai écrit: son nom est Jean. Et là, le miracle s'est produit, j'ai senti que la vie revenait dans ma gorge, que ma voix m'était rendue! Et vous savez, j'ai une belle voix, un chant a jailli de mes lèvres, un chant dont les paroles n'étaient pas de moi mais de l'Esprit qui avait œuvré dans mon fils. Et j'ai loué et béni le Très haut qui a daigné visiter son peuple. 

 

Les mots coulaient tout seuls, ma voix n'était pas rouillée et pourtant elle sonnait un peu autrement. J'ai chanté la force de notre Dieu, qui nous visite, qui est fidèle à ses promesses; qui nous délivre de la main de nos ennemis, qui va faire surgir la force que nous attendons dans la maison de David son serviteur, et qui va utiliser mon fils pour annoncer ce qui va advenir. Non, mon fils ne sera pas prêtre, mais s'il est descendant de la tribu d'Aaron, il sera prophète, comme le fut le prophète Élie.

 

Puis, la vie a repris son cours. Qu'adviendra-t-il de mon petit? Verrai-je, verrons-nous, les promesses faites à ma petite cousine se réaliser? Je ne sais pas, mais ce que je sais c'est que Dieu est fidèle et que ses promesses il les tient.

 

 

mardi, juin 21, 2022

Jean 21 - Réflexions

 

Jn 21, dernière semaine du temps pascal.

La semaine après la fête de Pâques, l'octave de Pâques comme on dit, nous avions entendu le début de ce chapitre 21, avec la pêche des 153 poissons au bord du lac. Puis après avoir été plongés tout au long de ces sept semaines dans les textes johanniques, nous voilà arrivés au bout du parcours, avec la finale des chapitres 20 et 21. 

 

Le chapitre 20, qui relate ce qui se passe le matin de la résurrection et l'apparition de Jésus auprès des onze avec Thomas, se termine de la manière suivante:

 

"30 Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre.

31 Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom".

 

On aurait pu s'attendre à ce que le rédacteur en reste là. Mais non, puisqu'il y a ce chapitre 21, qui lui se termine d'une manière assez semblable 

 

24 C’est ce disciple qui témoigne de ces choses et qui les a écrites, et nous savons que son témoignage est vrai.

25 Il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; et s’il fallait écrire chacune d’elles, je pense que le monde entier ne suffirait pas pour contenir les livres que l’on écrirait.

 

Il me semble que cela permet de comprendre que l'auteur de cet évangile a écrit logiquement bien après les autres rédacteurs, car le commentaire qu'il donne sur la mort de Simon-Pierre montre qu'il sait que ce dernier est mort sur une croix, comme son Maître. Et, pardonnez-moi, mais il se lance quand même des fleurs, en disant à propos de lui-même: "Nous savons que son témoignage est vrai". 


Or si je ne mets pas cela en doute, il me semble que cet additif montre une certaine amertume. Lui, le disciple qui était tout près de Jésus le soir du lavement des pieds, lui qui était au pied de la croix, lui qui a pris chez lui Marie la mère de Jésus, lui qui comprenait tout alors que Pierre accumulait les erreurs, voilà que lui, il doit attendre de mourir de vieillesse et dans des conditions somme toutes assez pénibles, puisque la tradition le met en exil à Patmos. 

 

Dans toute la deuxième partie de l'écrit de celui que nous pensons être le disciple bien-aimé, ce que nous appelons le livre des heures, il est beaucoup question de la relation entre ces deux hommes. 


Lui, le jeune qui a suivi après le baptême de Jean, qui court plus vite, qui comprend plus vite, qui a aussi été capable de faire entrer Simon-Pierre dans la cour du Grand-Prêtre la nuit de l'arrestation, le voilà qui est confronté au choix de Jésus: qui confirme ce Pierre qui n'est plus tout jeune, qui a renié le Maître par trois fois, qui n'a rien compris quand il a vu le tombeau vide, qui est même retourné en Galilée comme si le don de l'Esprit n'avait pas été fait. Et c'est lui qui est choisi, confirmé comme le Pasteur. Il y a peut-être de quoi en vouloir un peu quand même au monde entier. 

 

On peut dire que Jean a eu souvent le rôle de portier avec Pierre; il le fait entrer dans la cour du Grand-Prêtre, il le précède au sépulcre, il reconnait Jésus sur la rive, ce qui permet à Pierre d'arriver le premier sur la rive, et comme je l'ai écrit, c'est à Pierre que sont confiées les clés du Royaume. À lui restera le rôle, qui pour nous est son titre de gloire, de transmettre, de faire entendre et comprendre qui était Celui que le Père a envoyé, qui était Celui par lequel l'Esprit Saint a été répandu sur le monde, et surtout de parler de l'Amour infini, cet autre nom du Père dont personne ne pouvait comprendre la profondeur.

 

Alors merci à cet homme qui, par sa réflexion, nous donne d'entrer à chaque lecture de son écrit un peu plus profondément dans la dynamique du don, dans la dynamique de l'amour.  

 

Le disciple "bien-aimé" explique. 

 

Peut-être vous demandez-vous pourquoi j'ai jugé nécessaire de rajouter ces histoires étonnantes qui se sont passées en Galilée, sur les bords du lac, après que Jésus soit redevenu vivant et nous ait donné son Esprit? C'est parce que beaucoup d'entre vous se demandent pourquoi je suis encore vivant après toutes ces années: et peut-être que je suis "éternel"? Mais il n'en n'est rien, je vais vers ma mort, que j'attends comme chacun d'entre nous, car c'est à ce moment-là que je serai à nouveau couché sur la poitrine de mon bien-aimé. Mais le temps est long, il me dure et je trouve que Simon, finalement a toujours eu de la chance, lui qui était tellement à la traîne. 

 

Moi, j''ai été le premier avec André à suivre Jésus, sur les bords du Jourdain. Simon-Pierre, c'est son frère qui est allé le chercher. J'ai toujours eu l'impression qu'il ne comprenait pas grand-chose, sauf peut-être après la multiplication des pains, car lui a été capable de prendre la parole au nom de tout le groupe et de dire qu'ils ne quitteraient pas Jésus; qu'ils ne l'abandonneraient pas car en lui il y avait les paroles qui donnent la vie éternelle, cette vie qui comme il l'avait dit à la Samaritaine est source d'eau jaillissante qui ne tarit jamais, quand elle est dans le cœur de celui qui lui a ouvert la porte.

 

J'étais là pour son premier miracle, à Cana, quand il a changé de l'eau en vin, mais je ne savais pas qu'un jour, ce serait son sang qui deviendrait vin de noces pour nous, vin de l'alliance. 

 

Je l'ai vu chasser les vendeurs du Temple, et affirmer que son corps à lui était le temple de la Présence; et surtout qu'il se relèverait au bout de trois jours. Mais cela nous ne le comprenions pas.

 

J'ai assisté à ses démêlés avec les pharisiens, j'ai vu leur mauvaise foi, leur haine qui gonflait de plus en plus. Et pourtant, rendre la vue à un aveugle-né, ou permettre à un homme paralysé depuis 38 ans de se mettre debout et de marcher, n'est-ce pas un signe de la Présence? Seulement il n'aurait pas fallu faire cela un jour de Shabbat, et surtout de pas dire au paralytique de prendre son brancard. Mais comment ont-ils pu être aussi aveugles? 

 

J'étais tout près de mon maître lors de ce repas que nous avons pris ensemble après qu'il ait ramené à la vie notre ami Lazare. C'était juste avant de partager les plats qui avaient été préparés pour ce soir-là, qu'il nous a lavé les pieds. Et il a fallu que Simon refuse, et que Jésus soit obligé de lui faire comprendre que ce geste était un peu comme un baptême, et que ce geste-là, nous aurions à le faire les uns pour les autres, pour nous souvenir que comme Jésus, nous devons être au service de nos frères, quels qu'ils soient. 

 

C'est moi qui ai compris qui était celui qui allait trahir Jésus, et je l'ai dit à Pierre qui n'a pas voulu me croire; lui, n'avait pas compris que ce qui rendait Jésus si triste, c'était de savoir que l'un de ceux que lui avait choisi allait le vendre pour une bouchée de pain, alors que nous venions de partager ce même pain. 


Je dois reconnaître, même si j'ai écrit que celui qui hait son frère n'est pas dans la lumière, que quand j'ai vu Judas arriver avec les soldats, j'aurai bien aimé que Simon, au lieu de s'en prendre au serviteur du grand-prêtre, lui plonge son poignard dans le cœur; mais Judas est parti tranquillement après avoir livré celui qui l'avait choisi.

 

C'est encore moi qui lui ai permis d'entrer dans la cour du grand-prêtre, sauf que je me dis que je n'aurais peut-être pas du le faire, parce que cela aurait lui aurait évité de faire comme s'il ne connaissait pas Jésus, de le renier publiquement; et pourtant Jésus l'avait bien dit. 


Mais moi, je l'ai entendu dire cela, et j'aurais voulu qu'il se taise. Pas étonnant qu'ensuite il ait disparu, il avait trop peur de se faire arrêter, lui qui avait coupé l'oreille du serviteur du Grand-Prêtre. Il a beau être plus âgé que moi, c'est un impulsif qui ne se contrôle pas. 

 

Tous, ils ont abandonné notre Rabbi, moi seul je suis resté avec sa mère, avec Marie de Magdala et avec sa tante. C'est à moi qu'il a confié sa mère, pas à Simon. 

 

Je l'ai entendu dire qu'il avait soif. J'aurais tant voulu étancher sa soif, mouiller ses lèvres gercées, mais je ne pouvais pas; je l'aime tant mon maître; mais il fallait qu'il dise cela, qu'il fasse bien comprendre qu'il est pleinement homme, tout autant qu'il est le Fils de Dieu.

 

C'est moi qui l'ai vu rendre son souffle, son dernier souffle. Mais, comme il l'avait dit, ce souffle qu'il a remis à son Père est revenu sur moi, en me donnant une force que je n'imaginais pas. 


C'est moi qui ai vu ces soldats romains rompre les jambes des deux autres condamnés et percer d'un coup de lance le côté de Jésus. Pourquoi ont-ils fait cela? C'était gratuit, ça ne servait à rien, mais il en est sorti du sang et de l'eau, et pour moi, ce sang c'est le sang de la véritable alliance, et l'eau, c'est cette eau dont il avait parlé un jour, en disant que c'était une source d'eau jaillissante. Et il a donné son souffle pour que la vie soit en nous, pour que la vie soit manifestée, lui qui est retourné vers le Père et qui vient du Père.

 

J'ai accueilli Simon chez moi, parce que c'était un endroit relativement sûr. Et au petit matin, quand Marie de Magdala est venue, dans tous ses états, nous dire que le corps avait disparu, nous avons couru vers le tombeau. Comme moi je suis un rapide, je suis arrivé le premier, et j'ai bien vu que la pierre avait été roulée, mais je ne suis pas entré parce que je pensais que Simon devait entrer le premier; et il est entré, je ne sais pas ce que lui a compris, mais moi, quand j'ai vu les linges posés bien à plat sur la pierre, le suaire là où sa tête avait reposé, j'ai su - je dis bien j'ai su parce que c'était au-delà de la compréhension - qu'il n'était plus là, qu'il était redevenu vivant comme il l'avait dit, lui qui disait de Lui qu'il était la lumière du monde, que les ténèbres ne pourraient rien contre lui, qu'il était le vivant. 


Moi j'ai compris. Lui, il était perplexe. Heureusement que Jésus lui est apparu ensuite, comme il nous est apparu dans cette pièce où nous étions calfeutrés par peur des Juifs. 

 

Je n'ai pas compris pourquoi, après que Celui qui est notre Seigneur et notre Dieu nous ait donné son Esprit - cet Esprit qui doit nous rappeler tout ce qu'il nous a enseigné, cet esprit qui est notre consolateur et notre défenseur - Simon est retourné chez lui en Galilée, comme s'il voulait tout oublier. Vraiment je n'ai pas compris. 

 

Et si je raconte ce qui s'est passé sur le bord du lac, si je parle de cette pêche miraculeuse avec seulement des gros poissons, et de ce feu de braises qui nous attendait sur le bord, c'est pour montrer comment Jésus s'y est pris pour que Simon devienne le Pasteur de son troupeau. C'est pour montrer comment il faisait, et comment il fait, pour nous permettre de comprendre nos erreurs, nos manques. C'est pour montrer aussi sa capacité à parler de ce qui va arriver alors que nous n'en n'avons pas la moindre idée.  

Voilà pourquoi j'ai ajouté ces récits à mon grand récit. Pour que vous compreniez que, même si moi j'attends le retour du Maître, même si je sais que ma place c'est d'être témoin et de témoigner que Dieu aime le monde et qu'il lui a donné son fils, même si j'ai autour de moi une communauté que je peux enseigner, le temps me dure, me dure…  

lundi, juin 06, 2022

Luc 1, 39-56. Fête de la Visitation. 31 Mai.

 Je ne m'attendais pas à cette fête de la Visitation le 31 Mai, même si cela clôt le mois de mai, le mois de Marie. Cette visite de la petite cousine, qui vient certainement pour aider, mais pas seulement, j'en ai déjà parlé, dans le temps de l'Avent: "La rencontre des deux cousines" - "Ils racontent les évangiles" page 15. 

Mais le commentaire entendu sur RCF, Marie qui fuirait Nazareth à cause des ragots, m'a étonnée, pour ne pas dire scandalisée, car à trois mois, désolée, mais ça ne se voit pas, alors les regards, c'est un peu du n'importe quoi, même si cela permet d'expliquer pourquoi Marie est partie. Cela ma paru une telle méconnaissance du féminin, que j'ai eu envie d'écrire..

Visitation: mardi 31 mai.

 

Le prêtre qui commentait cet évangile pendant la messe, s'extasiait lui, à juste titre, sur le fait que ces deux jeunes femmes étaient comblées.: comblées par leur maternité; et il pensait que, même enfin comblée, Elisabeth, celle que l'on appelait la stérile, avait toujours en elle de la place pour accueillir l'Esprit Saint. Quant à Marie, elle ne peut qu'être comblée par ce qui se passe en elle qui attend un enfant: quoi de plus beau pour une femme. Et Elisabeth devient prophète: cela,  c'est quelque chose qui est rarement donné aux femmes dans le Premier testament. Quand on y pense, Elisabeth ne pouvait pas savoir ce qu'il en était de l'état de sa cousine et quel était l'enfant qu'elle portait.

 

Un autre prêtre (commentaire de RCF), celui dont j'ai parlé et qui est peut-être un peu à l'origine de ce billet, imaginait que Marie, enceinte de trois mois dans son village, devant les regards qui se fixaient sur son ventre, était partie se réfugier chez Elisabeth, un peu comme un ado va chez ses grands-parents quand ça devient intenable à la maison. Je dois dire que cela m'a interloqué, car à trois mois, on ne voit vraiment pas grand-chose, surtout si on porte une robe assez lâche; mais à chacun de voir les choses à sa manière. 

 

De plus, j'ai toujours imaginé, comme l'avait aussi suggéré il y a des années un autre prêtre, que Marie n'avait pas attendue cent sept ans (je veux dire trois mois), pour se mettre en route; l'ange lui a donné ce signe, et elle obéit en se rendant là où il lui a demandé d'aller. Elle est la servante (l'esclave), alors certainement elle sera utile, ou elle sera utilisée, là aussi par le Très Haut. 

 

Autrefois la traduction disait "Marie partit en grande hâte", ce qui est pour moi très différent de "avec empressement". Et peut-être que lorsqu'elle part, elle ne sait pas vraiment qu'elle est enceinte. Je pense qu'elle le sent, parce que cela se sent, mais qu'il n'y a en elle aucun signe, et c'est bien Élisabeth qui est le signe qui concrétise la promesse. Mais pour ma part, j'aime imaginer Marie se mettant en route aussitôt, comme aurait dit l'évangéliste Marc.

 

Pour en revenir à Élisabeth, j'ai toujours été très sensible au fait que, lorsqu'elle répond à la salutation de Marie, elle s'écrie "d'une voix forte", comme si quelque chose de neuf était né en elle. Si on reprend les versets précédents, ceux qui parlent du retour de Zacharie, le rédacteur nous dit bien qu'Elisabeth attend un enfant, mais que pendant cinq mois, elle garde le secret et qu'elle se dit: "Voilà ce que le Seigneur a fait pour moi, en ces jours où il a posé son regard pour effacer ce qui était ma honte devant les hommes". Certes elle attend un enfant, mais pour moi il y a un mais. Elle n'est plus stérile, mais est-ce qu'au fond d'elle-même elle croit que cet enfant verra le jour, qu'elle-même sera en vie quand il poussera son premier cri? Alors il me semble que certes cet enfant grandit en elle, mais de même qu'elle en garde le secret, de même cet enfant n'est pas vraiment vivant pour elle. On parle parfois de déni de grossesse, c'est-à-dire de femmes qui prennent du poids, ou peu et qui ignorent totalement qu'elles sont enceintes, donc qui ne sentent rien des mouvements du bébé. 

 

Or s'il y a bien un instant qui est je dirai béni entre tous les instants, quand on attend un enfant, c'est ce moment où l'on perçoit en soi ce minuscule frétillement, ce minuscule signe de vie. Et je crois qu'Elisabeth ne l'a pas ressenti jusqu'au moment où elle entend la parole de paix de sa cousine, la salutation de Marie, ce Shalom prononcé, cette parole de paix; alors quelque chose se passe pour elle, et elle devient vraiment mère. L'enfant tressaille en elle, la parole lui donne vie, la parole est vie; sa mère n'est plus dans l'angoisse, dans l'inquiétude, mais elle se transforme, elle la femme de l'ombre, en prophète. Car voici qu'elle voit, en la jeune fille qui vient de la saluer, celle qui est la nouvelle Ève, celle qui est bénie entre toutes les femmes, celle qui porte en son fils la vie au monde, celle qui (peut-être contrairement à Zacharie et même à elle), a cru pleinement, totalement, en l'accomplissement des paroles dites de la part du Seigneur. 

 

La réponse de Marie, est alors comme un chant à l'unisson avec ce qui vient de se passer. Elle jubile de joie pour sa cousine qui devient porteuse de vie, elle aussi tressaille de joie et d'allégresse. Et on peut évoquer le cantique d'Isaïe comme la ligne mélodique de ce premier verset de ce que nous appelons le Magnificat. Is 61, 10-11 :" Je tressaille, je tressaille à cause du Seigneur ! Mon âme exulte à cause de mon Dieu ! Car il m’a vêtue des vêtements du salut, il m’a couverte du manteau de la justice, comme le fiancé orné du diadème, la fiancée que parent ses joyaux. Comme la terre fait éclore son germe, et le jardin germer ses semences, le Seigneur Dieu fera germer la justice et la louange devant toutes les nations." 

 

En Marie, c'est tout Israël qui peut exulter et chanter. Et c'est la louange du très haut qui franchit les lèvres de Marie, l'humble servante de ce Dieu qui l'a choisie. Et la voilà qui loue ce Tout Puissant qui fait des merveilles, ce Tout puissant dont la miséricorde s'étend d'âge en âge, ce Dieu qui est capable de rejeter ceux qui se prennent pour lui, qui veulent ou voudraient régner à sa place, et qui au contraire se penche sur les humbles, sur les petits, ceux que Jésus ira chercher, relever, restaurer; de ce Dieu qui est un dieu fidèle, qui ne se dédit pas de ses promesses et les respecte. Cela c'est la louange qui jaillit de la bouche de celle qui sera la mère de celui qui réalisera les promesses, son fils. 

Et c'est ensuite le silence et la vie de tous les jours qui reprennent la place, avec les deux vies en promesse, celle qui est en Elisabeth, et celle qui est en Marie: deux vies qui vont changer le cours de l'histoire.

Élisabeth raconte.

Ma petite cousine est arrivée chez nous. Comment pouvait-elle savoir que moi, la stérile je suis en enceinte, car j'ai encore du mal à y croire et pourtant cela fait près de six mois maintenant. Mon mari ne parle pas, il ne peut pas. En parler aux autres femmes, je n'ose pas et cette vie qui est en moi, elle est là, mais je ne la sens pas vraiment, même si mon ventre et mes seins ont changé. Et elle, elle savait. 

Quand ses lèvres se sont ouvertes, quelque chose s'est passé en moi, en fait plusieurs choses. La plus importante, c'est que mon enfant s'est manifesté dans mon vieux ventre. Il lui a redonné une vraie jeunesse, et ce tressaillement c'était la vie en moi, la vie. Et cela m'a comme redressée, donné une nouvelle vigueur. Moi qui n'ose pas me montrer, qui n'ose pas sortir de chez moi, moi qui me tais depuis si longtemps, j'ai exulté de joie et j'ai béni ma cousine, et des mots sont sortis de moi, des mots qui n'étaient pas les miens, mais ceux du souffle du Très Haut. j'étais devenue prophète. Je l'ai bénie, ma petite Marie, et en même temps j'ai béni cet enfant qu'elle aussi portait en elle, cet enfant que je savais être celui que notre peuple attendait, le sauveur d'Israël

Et elle, elle en avait les larmes aux yeux, ma petite Marie, et j'ai vu qu'en elle aussi quelque chose de passait, car elle s'est mise à chanter. Au début c'était un chant tout doux, elle disait que son âme exultait en elle, comme mon fils exultait en moi et que peut-être son fils à elle, exultait en elle. Puis elle a remercié le très Haut, le Tout Puissant, comme elle le nomme, de s'être penché sur elle qui est sa toute petite servante, lui qui est le Saint, lui le Tout Puissant qui peut disperser les orgueilleux, chasser les riches, mais combler de biens les affamés. Et affamés nous le sommes tous. Elle lui a rendu grâce pour sa fidélité, car oui, notre Dieu est un Dieu qui tient ses promesses. Puis sa voix s'est tue, et elle s'est jetée dans mes bras. 

Quand Zacharie est arrivé, il était allé faire des courses parce que je ne sors pas, il s'est mis à pleurer, lui l'homme, il s'est incliné devant elle, puis il l'a étreinte. 

Maintenant, je suis rassurée, je ne suis plus seule. Mon fils est vivant, bien vivant, et ma petite cousine sera avec moi au moment de ma délivrance; béni soit Dieu qui veille sur nous.