lundi, juin 06, 2022

Luc 1, 39-56. Fête de la Visitation. 31 Mai.

 Je ne m'attendais pas à cette fête de la Visitation le 31 Mai, même si cela clôt le mois de mai, le mois de Marie. Cette visite de la petite cousine, qui vient certainement pour aider, mais pas seulement, j'en ai déjà parlé, dans le temps de l'Avent: "La rencontre des deux cousines" - "Ils racontent les évangiles" page 15. 

Mais le commentaire entendu sur RCF, Marie qui fuirait Nazareth à cause des ragots, m'a étonnée, pour ne pas dire scandalisée, car à trois mois, désolée, mais ça ne se voit pas, alors les regards, c'est un peu du n'importe quoi, même si cela permet d'expliquer pourquoi Marie est partie. Cela ma paru une telle méconnaissance du féminin, que j'ai eu envie d'écrire..

Visitation: mardi 31 mai.

 

Le prêtre qui commentait cet évangile pendant la messe, s'extasiait lui, à juste titre, sur le fait que ces deux jeunes femmes étaient comblées.: comblées par leur maternité; et il pensait que, même enfin comblée, Elisabeth, celle que l'on appelait la stérile, avait toujours en elle de la place pour accueillir l'Esprit Saint. Quant à Marie, elle ne peut qu'être comblée par ce qui se passe en elle qui attend un enfant: quoi de plus beau pour une femme. Et Elisabeth devient prophète: cela,  c'est quelque chose qui est rarement donné aux femmes dans le Premier testament. Quand on y pense, Elisabeth ne pouvait pas savoir ce qu'il en était de l'état de sa cousine et quel était l'enfant qu'elle portait.

 

Un autre prêtre (commentaire de RCF), celui dont j'ai parlé et qui est peut-être un peu à l'origine de ce billet, imaginait que Marie, enceinte de trois mois dans son village, devant les regards qui se fixaient sur son ventre, était partie se réfugier chez Elisabeth, un peu comme un ado va chez ses grands-parents quand ça devient intenable à la maison. Je dois dire que cela m'a interloqué, car à trois mois, on ne voit vraiment pas grand-chose, surtout si on porte une robe assez lâche; mais à chacun de voir les choses à sa manière. 

 

De plus, j'ai toujours imaginé, comme l'avait aussi suggéré il y a des années un autre prêtre, que Marie n'avait pas attendue cent sept ans (je veux dire trois mois), pour se mettre en route; l'ange lui a donné ce signe, et elle obéit en se rendant là où il lui a demandé d'aller. Elle est la servante (l'esclave), alors certainement elle sera utile, ou elle sera utilisée, là aussi par le Très Haut. 

 

Autrefois la traduction disait "Marie partit en grande hâte", ce qui est pour moi très différent de "avec empressement". Et peut-être que lorsqu'elle part, elle ne sait pas vraiment qu'elle est enceinte. Je pense qu'elle le sent, parce que cela se sent, mais qu'il n'y a en elle aucun signe, et c'est bien Élisabeth qui est le signe qui concrétise la promesse. Mais pour ma part, j'aime imaginer Marie se mettant en route aussitôt, comme aurait dit l'évangéliste Marc.

 

Pour en revenir à Élisabeth, j'ai toujours été très sensible au fait que, lorsqu'elle répond à la salutation de Marie, elle s'écrie "d'une voix forte", comme si quelque chose de neuf était né en elle. Si on reprend les versets précédents, ceux qui parlent du retour de Zacharie, le rédacteur nous dit bien qu'Elisabeth attend un enfant, mais que pendant cinq mois, elle garde le secret et qu'elle se dit: "Voilà ce que le Seigneur a fait pour moi, en ces jours où il a posé son regard pour effacer ce qui était ma honte devant les hommes". Certes elle attend un enfant, mais pour moi il y a un mais. Elle n'est plus stérile, mais est-ce qu'au fond d'elle-même elle croit que cet enfant verra le jour, qu'elle-même sera en vie quand il poussera son premier cri? Alors il me semble que certes cet enfant grandit en elle, mais de même qu'elle en garde le secret, de même cet enfant n'est pas vraiment vivant pour elle. On parle parfois de déni de grossesse, c'est-à-dire de femmes qui prennent du poids, ou peu et qui ignorent totalement qu'elles sont enceintes, donc qui ne sentent rien des mouvements du bébé. 

 

Or s'il y a bien un instant qui est je dirai béni entre tous les instants, quand on attend un enfant, c'est ce moment où l'on perçoit en soi ce minuscule frétillement, ce minuscule signe de vie. Et je crois qu'Elisabeth ne l'a pas ressenti jusqu'au moment où elle entend la parole de paix de sa cousine, la salutation de Marie, ce Shalom prononcé, cette parole de paix; alors quelque chose se passe pour elle, et elle devient vraiment mère. L'enfant tressaille en elle, la parole lui donne vie, la parole est vie; sa mère n'est plus dans l'angoisse, dans l'inquiétude, mais elle se transforme, elle la femme de l'ombre, en prophète. Car voici qu'elle voit, en la jeune fille qui vient de la saluer, celle qui est la nouvelle Ève, celle qui est bénie entre toutes les femmes, celle qui porte en son fils la vie au monde, celle qui (peut-être contrairement à Zacharie et même à elle), a cru pleinement, totalement, en l'accomplissement des paroles dites de la part du Seigneur. 

 

La réponse de Marie, est alors comme un chant à l'unisson avec ce qui vient de se passer. Elle jubile de joie pour sa cousine qui devient porteuse de vie, elle aussi tressaille de joie et d'allégresse. Et on peut évoquer le cantique d'Isaïe comme la ligne mélodique de ce premier verset de ce que nous appelons le Magnificat. Is 61, 10-11 :" Je tressaille, je tressaille à cause du Seigneur ! Mon âme exulte à cause de mon Dieu ! Car il m’a vêtue des vêtements du salut, il m’a couverte du manteau de la justice, comme le fiancé orné du diadème, la fiancée que parent ses joyaux. Comme la terre fait éclore son germe, et le jardin germer ses semences, le Seigneur Dieu fera germer la justice et la louange devant toutes les nations." 

 

En Marie, c'est tout Israël qui peut exulter et chanter. Et c'est la louange du très haut qui franchit les lèvres de Marie, l'humble servante de ce Dieu qui l'a choisie. Et la voilà qui loue ce Tout Puissant qui fait des merveilles, ce Tout puissant dont la miséricorde s'étend d'âge en âge, ce Dieu qui est capable de rejeter ceux qui se prennent pour lui, qui veulent ou voudraient régner à sa place, et qui au contraire se penche sur les humbles, sur les petits, ceux que Jésus ira chercher, relever, restaurer; de ce Dieu qui est un dieu fidèle, qui ne se dédit pas de ses promesses et les respecte. Cela c'est la louange qui jaillit de la bouche de celle qui sera la mère de celui qui réalisera les promesses, son fils. 

Et c'est ensuite le silence et la vie de tous les jours qui reprennent la place, avec les deux vies en promesse, celle qui est en Elisabeth, et celle qui est en Marie: deux vies qui vont changer le cours de l'histoire.

Élisabeth raconte.

Ma petite cousine est arrivée chez nous. Comment pouvait-elle savoir que moi, la stérile je suis en enceinte, car j'ai encore du mal à y croire et pourtant cela fait près de six mois maintenant. Mon mari ne parle pas, il ne peut pas. En parler aux autres femmes, je n'ose pas et cette vie qui est en moi, elle est là, mais je ne la sens pas vraiment, même si mon ventre et mes seins ont changé. Et elle, elle savait. 

Quand ses lèvres se sont ouvertes, quelque chose s'est passé en moi, en fait plusieurs choses. La plus importante, c'est que mon enfant s'est manifesté dans mon vieux ventre. Il lui a redonné une vraie jeunesse, et ce tressaillement c'était la vie en moi, la vie. Et cela m'a comme redressée, donné une nouvelle vigueur. Moi qui n'ose pas me montrer, qui n'ose pas sortir de chez moi, moi qui me tais depuis si longtemps, j'ai exulté de joie et j'ai béni ma cousine, et des mots sont sortis de moi, des mots qui n'étaient pas les miens, mais ceux du souffle du Très Haut. j'étais devenue prophète. Je l'ai bénie, ma petite Marie, et en même temps j'ai béni cet enfant qu'elle aussi portait en elle, cet enfant que je savais être celui que notre peuple attendait, le sauveur d'Israël

Et elle, elle en avait les larmes aux yeux, ma petite Marie, et j'ai vu qu'en elle aussi quelque chose de passait, car elle s'est mise à chanter. Au début c'était un chant tout doux, elle disait que son âme exultait en elle, comme mon fils exultait en moi et que peut-être son fils à elle, exultait en elle. Puis elle a remercié le très Haut, le Tout Puissant, comme elle le nomme, de s'être penché sur elle qui est sa toute petite servante, lui qui est le Saint, lui le Tout Puissant qui peut disperser les orgueilleux, chasser les riches, mais combler de biens les affamés. Et affamés nous le sommes tous. Elle lui a rendu grâce pour sa fidélité, car oui, notre Dieu est un Dieu qui tient ses promesses. Puis sa voix s'est tue, et elle s'est jetée dans mes bras. 

Quand Zacharie est arrivé, il était allé faire des courses parce que je ne sors pas, il s'est mis à pleurer, lui l'homme, il s'est incliné devant elle, puis il l'a étreinte. 

Maintenant, je suis rassurée, je ne suis plus seule. Mon fils est vivant, bien vivant, et ma petite cousine sera avec moi au moment de ma délivrance; béni soit Dieu qui veille sur nous.

 


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