mercredi, mai 29, 2019

Le figuier desséché: Mt 21, 18-22



Dans l'évangile de Luc, au chapitre 17, les disciples sont confrontés à des paroles de Jésus qui les déstabilisent. Si on doit pardonner tout le temps, où va-t-on? Et ils demandent à Jésus d'augmenter leur foi. A quoi Jésus répond: "Si vous aviez la foi, gros comme une graine de moutarde (c'est- à-dire trois fois rien), vous diriez à l'arbre que voici, déracine- toi et va te planter dans la mer, et il le ferait". Cette phrase, on la retrouve un peu à l'identique (l'arbre est remplacé par une montagne) dans l'évangile de Matthieu, au début du ministère à Jérusalem. Elle leur est donnée après que Jésus ait prononcé une malédiction sur un figuier qui aurait dû porter les premiers fruits et qui n'en portait pas. 

En lisant ce petit texte avec notre groupe qui travaille sur l'évangile de Matthieu, je me suis dit que ceux qui avaient été là ce jour là avaient eu de quoi être déconcertés. J'ai eu envie de laisser parler Pierre. Mais je me suis aussi servie de quelques versets de l'évangile de Jean (la vigne et les sarments) qui, même si chronologiquement ils n'ont pas leur place ici, m'ont paru importants. 

Pierre raconte:

Alors là, alors là, les bras m'en tombent, comme ces feuilles qui jonchent le sol, ces grandes feuilles de figuier qui sont là toutes sèches et qui s'envolent une à une. Ce figuier, il était là sur notre route. C'était un bel arbre, plein de feuilles toutes neuves parce que le printemps est là. Cet arbre, il aurait dû donner ces petites figues vertes qui sortent en même temps que les fleurs de la vigne, comme le dit le Cantique des Cantique (Ct 2, 13). Je ne sais pas si c'est parce qu'en Judée le climat est différent, mais les figues n'étaient pas au rendez-vous. Et Jésus, qui avait faim, est - si je puis dire - resté sur sa faim. 

L'ennui, c'est qu'avec lui, on ne sait jamais trop s'il a faim pour de vrai, ou s'il a faim d'autre chose. Une fois, on était en Samarie, on s'était arrêté près du puits de Jacob, on était partis chercher de quoi manger, et quand est revenu avec des provisions (et quand on est juif, se faire servir par des Samaritains ce n'est pas facile), il nous a dit qu'il n'avait pas faim, que sa nourriture était de faire la volonté de son Père; et on s'est trouvé tout bêtes.

Mais là, cet arbre qui était tout feuillu, cet arbre dont les feuilles qui sont comme divisées en cinq parties évoquent pour nous les livres de notre Père Moïse, et dont les fruits symbolisent la sagesse, il était trompeur.

Et Jésus, lui qui a guéri un homme dont la main était toute maigre, toute sèche, il a maudit cet arbre. J'ai pensé à notre prophète Elie, quand il avait provoqué une famine en Israël en disant: "Par le Seigneur qui est vivant, par le Dieu d'Israël dont je suis le serviteur, pendant plusieurs années, il n'y aura pas rosée ni de pluie, à moins que je n'en donne l'ordre" (1R 17,1). Je dis cela parce que Jésus, lui, a dit: "Que plus jamais aucun fruit vienne de toi". Et immédiatement les feuilles ont commencé à se dessécher et à tomber.

En fait, je ne sais pas trop ce qu'ont pensé les autres, mais moi, j'ai eu un peu peur devant un tel pouvoir. Quand il guérit, je ne me pose pas trop de questions, parce que c'est bien comme cela qu'il montre qu'il est le Messie, l'Envoyé, mais là... 

Pourquoi n'a-t-il pas fait pousser les figues en un clin d'œil? Après tout, il est capable de tellement de choses. Ne nous a-t-il pas fait attraper une grosse quantité de poissons en plein jour, alors que nous n'avions rien pris de la nuit? N'a-t-il pas apaisé une énorme tempête, n'a-t-il pas donné du pain à manger à je ne sais plus combien de personnes? Mais là, il a maudit...

Je me suis dit: et moi, si je ne donne pas ce qu'il veut, si je ne donne pas de fruits, de bons fruits, qu'est ce que je vais devenir? Un jour il a dit qu'il était la vigne et que tout sarment qui ne portait pas de fruit, il était coupé pour être brûlé. Je fais ce que je peux, mais je ne suis pas sûr du tout de faire ce qu'Il veut que je fasse. Bon, ça c'est pour moi, pour expliquer un peu ma peur. Sauf que je l'aime et qu'il le sait, et que je pense que mes fruits finiront bien par arriver.

Et puis, j'ai eu comme l'impression que cet arbre, trompeur finalement, c'était un peu comme toutes ces personnes qui sont venues hier nous dire de faire taire la foule qui l'acclamait quand il est entré dans Jérusalem, ces personnes qui pensent qu'elles ont le savoir et la connaissance et qui méprisent les pauvres, les traine-savates, et qui le prennent pour quelqu'un de dangereux. Je ne sais pas, mais c'est possible: eux qui vivent à Jérusalem, eux qui sont dans le Temple, qui récitent la loi tous les jours, qui la connaissent par cœur, ils peuvent séduire, mais leurs fruits, est ce qu'ils sont au rendez vous? Peut-être pas.

Je crois qu'il aurait aimé que ceux-là, qui se prennent pour les bergers, reconnaissent que c'est lui le berger, reconnaissent qu'ils ne s'occupent pas du tout des petits, des défavorisés; qu'ils les jugent sans chercher à les comprendre en se réfugiant derrière le légalisme. 

Naturellement, on n'a pas osé lui poser de questions. Depuis qu'on a quitté la Galilée, il n'est plus le même. Il est un peu comme un condamné qui sait que ses jours sont comptés. Et voilà qu'il nous sort une de ces phrases dont il a le secret, une des phrases qui nous chamboulent. 

Il nous a affirmé que si on a la foi, on peut ordonner à une montagne qu'elle aille se jeter dans la mer, et qu'elle le fera. Déjà que parfois réussir à chasser un esprit mauvais on n'y arrive pas.. Mais déplacer une montagne? Vous vous rendez compte. 

Moi je veux bien mais à quoi ça sert. Pardon, mais si une montagne fait ça, ça va provoquer des vagues énormes, et surement des inondations, alors je ne comprends pas trop ce qu'il a voulu faire, ce qu'il a voulu nous faire comprendre. Peut-être que quand il parle de montagne, il parle des montagnes dans notre vie, qui obscurcissent le ciel. 

Et pourtant lui, il en déplace des montagnes, des montagnes d'incrédulité, des montagnes de doute. 

Et je me suis dit qu'ici, des montagnes il y en a. Que le temple nous domine, que le mont des Oliviers nous domine, le Mont Sion nous domine. Peut-être qu'un jour tout cela sera détruit, renversé, parti. Je ne sais pas, mais là encore, j'ai un peu peur. Quelle est cette foi qui renverse les montagnes? 

Parfois, il nous parle d'une force qui nous sera donnée quand lui sera parti. C'est certain que nous n'aimons pas du tout quand il parle comme ça. Mais déplacer les montagnes, ce n'est pas pour nous les hommes, c'est pour Dieu, qui les a créées et qui peut les faire danser de joie. Alors peut-être que ce qu'il nous dit, c'est qu'un jour, comme Lui, nous aurons en nous cette force qui ne sera pas de nous, mais qui sera là, et qui nous permettra de déplacer les montagnes, de parler en son nom, de guérir et de proclamer, comme je l'ai fait un jour, qu'il est le Messie, le Fils du Dieu vivant; et qu'il a les paroles qui donnent la vie.





mardi, mai 21, 2019

Jean 13 et 14

La liturgie propose en lecture continue ce qu'on appelle le discours après la Cène. Les deux chapitres 13 et 14 forment un tout; et le chapitre 14 se termine par "Levons nous, partons d'ici".

En relisant ces chapitres, surtout le 14, j'ai été surprise par les mots qui se répètent, par la place de celui que Jésus appelle son Père et par le lien qui est entre eux. J'ai eu envie de laisser venir en moi les mots, pour dire autrement ce temps qui précède l'arrestation.

Celui qui parle, dans le récit ci-dessous, n'a pas de nom. Il peut-être le disciple bien-aimé, qui est censé nous représenter tous; mais il peut-être n'importe lequel de ceux qui étaient là ce soir là, et qui ont vécu l'angoisse, la peur, la déception, le doute, l'incompréhension aussi; qui mettront du temps pour se remettre du traumatisme généré par la mort de leur Maître, et qui auront besoin de la présence de ce "Défenseur", ce "Consolateur", pour aimer à leur tour comme cela leur a été demandé.

Quelqu'un raconte:

Ce fut un repas pas comme les autres. Imaginez que d'un coup, alors qu'on était en plein milieu du repas, Jésus, comme si une mouche l'avait piqué, a enlevé son manteau, cherché un tissu qu'il a passé dans sa ceinture, et versé de l'eau dans un bassin; un petit bassin, pas trop grand, pas trop lourd. On se demandait bien ce qu'il allait faire. Eh bien là, il nous a surpris, renversés, étonnés. Il a mis un genou sur le sol, et il s'est met à laver les pieds de Jean, son ami de toujours, qui était pécheur en Galilée. Et là, on s'est tous regardé sans comprendre, parce que ce qu'il a fait là, c'est un travail d'esclave. 

Quand on reçoit quelqu'un chez soi pour un repas, quand il entre, on lui présente une cuve pour qu'il puisse en se lavant les mains se purifier, laisser dans l'eau ce qui vient du dehors; mais les pieds, c'est rare... Et il a fait cela pour chacun de nous. On n'osait rien dire, sauf Pierre qui comme d'habitude a fait son cinéma. Il s'est levé, il a dit à Jésus qu'il ne voulait pas que lui, le maître, lui lave les pieds; mais Jésus lui a répondu que s'il ne lui lavait pas les pieds, il n'aurait pas de place avec lui dans le royaume. Je ne sais pas s'il a compris, Pierre, mais moi, pas trop bien. Pierre a dit: "Ne me lave pas que les pieds, mais aussi la tête". Et là, Jésus a eu une phrase sibylline: "Celui qui a pris un bain est pur, il n'a pas besoin de se laver; et il a ajouté qu'il y en avait un qui n'était pas pur. 

Il dit souvent que sa parole nous purifie. Et même si je ne comprends pas trop, je comprends quand même. Alors peut-être qu'il a voulu dire que ses paroles n'atteignaient plus le cœur d'un d'entre nous. Puis il a remis son manteau, et il nous a dit que ce qu'il venait de faire, il faudrait que nous le fassions par la suite les uns aux autres. 

Souvent, on s'était disputé pour savoir qui serait le chef après lui. Et là, il nous a fait comprendre que celui qui veut être le chef doit être capable de s'agenouiller devant ses frères, de leur laver les pieds; de leur faire du bien en quelque sorte, et non pas d'ordonner. 

Puis, je ne sais pas trop pourquoi, Judas est sorti et le repas s'est terminé. Et il nous a dit que quelque chose allait se passer, il a dit que son Père allait être glorifié en Lui, et que Lui serait glorifié par son Père. 

Quand il parle de gloire, moi, je pense à l'Exode, au Seigneur qui se manifeste sur le Sinaï, mais ça ne doit pas être ça, parce qu'il a toujours refusé de faire des signes où le ciel parlerait. Je crois qu'il veut dire que quelque chose que nous ne connaissons pas va se révéler au monde. 

Et tout de suite après, il a dit qu'il nous donnait un commandement nouveau. Alors on a dressé l'oreille. Et ce commandement, c'était de nous aimer les uns les autres. Bon, ça on peut entendre, même si ce n'est pas facile. Il y a eu un petit silence, et il a ajouté: "Comme je vous ai aimés, aimez vous les uns les autres". Alors ça c'est autre chose, parce que lui, quand il nous regarde, on se sent aimé de fond en comble, et nous, nous ne savons pas faire cela pour les autres. Il a insisté sur cette manière d'aimer. Et comme je me souviens qu'il a dit aussi qu'il était le berger, et que le berger donnait sa vie pour ses brebis, je pense que ce qu'il nous dit, c'est que nous devons être capables de donner notre vie par amour, pour nos frères. Ouille…

Puis, comme il avait dit qu'il ne resterait plus avec nous et qu'il allait partir, Pierre lui a demandé où il allait. Jésus a répondu qu'un jour il le suivrait, mais que ce n'était pas demain la veille, et qu'il en était bien incapable; tellement incapable qu'il allait le renier. Alors là, ça a encore jeté un sacré froid. 

La nuit était tombée, c'était un nouveau jour qui allait commencer; un jour que je ne sentais pas bien, un jour qui me faisait un peu peur. Et puis ce jour, c'est celui où dans le temple on immole les agneaux, pour le repas qui fait mémoire de notre délivrance d'Egypte. 

Il s'est remis à parler. 

Il s'était bien rendu compte que nous étions inquiets, que nous ne nous sentions pas bien. Alors il a voulu nous rassurer, en nous disant que dans la maison de son Père (c'est comme cela que Lui, il appelle notre Dieu de notre peuple) il allait nous préparer une place. C'est bien gentil, mais il dit qu'il va revenir et ça on ne comprend pas. Et le brave Thomas s'est risqué à poser une question que nous nous posions tous. Il a dit que nous, on ne savait pas où il avait l'intention de se rendre, donc que nous ne pouvions pas connaître la route. A quoi Jésus a répondu que pour aller vers le Père - ce qui prouve que c'est là où il va aller, donc qu'il va mourir - il fallait passer par lui. Il a dit qu'il était le chemin, la vérité et la vie; eh bien, désolé, mais ce n'est pas clair du tout. Et qu'il faut écouter ce qu'il enseigne, le pratiquer, et que cela fera des nous des vivants. Enfin c'est ce que j'ai cru comprendre.

Du coup, comme il parle beaucoup du Père, Philippe a posé la question qui nous brûle aussi les lèvres; enfin il l'a posée un peu différemment. Il lui demandé qu'il nous montre le Père. Sauf que Dieu, personne ne l'a jamais vu. On peut voir ses manifestations, mais lui, même s'il est dans le buisson ardent, on ne le voit pas. Et là, et j'ai eu vraiment l'impression que Jésus était plus que déçu, il nous a dit que quand on le voyait lui, quand on le regardait, on voyait au fond de lui quelqu'un d'autre et que ce que nous percevions, c'était le Père. Et il l'a expliqué un peu, mais c'est trop difficile; il a dit qu'il est dans le Père, et que le Père est en lui; que tout ce qu'il fait, tout ce qu'il dit, c'est comme si le Père le lui soufflait. Et que lui, il obéit toujours, parce que c'est cela qui le rend heureux, qui le met dans la joie. Il a même ajouté qu'un jour, mais ça j'ai du mal à le croire, nous ferions nous aussi des choses magnifiques; et que si nous demandions quelque chose en son nom, il demanderait au Père de nous exaucer. 

Et alors il a eu une phrase un peu étonnante, peut-être la plus étonnante; il a dit que quand il serait parti (et ça ça me fend le cœur), il nous donnerait un autre défenseur, qui sera avec nous pour toujours. Un défenseur.. Qu'est ce qu'il veut dire? Et c'est vrai que les grands-prêtres, certains pharisiens, lui en veulent, ils nous en veulent. Alors on aurait avec nous une présence qui nous aiderait? Là c'est vraiment un rayon d'espoir, parce que ce soir, moi l'espoir je ne le sens pas.

Et il a continué, en disant qu'il n'allait pas nous abandonner, et que si nous continuions à l'aimer, nous serions aimés par son Père et par lui, et que lui se manifesterait. Se manifester, mais comment quelqu'un qui est mort peut-il se manifester? Alors Jude le lui a demandé. Je crois qu'il voulait savoir si ce serait une manifestation énorme, ou juste pour nous, plus intime. 

Jésus a alors répondu sans répondre, sauf qu'il a reparlé de l'Esprit Saint, qu'il appelle le Défenseur. Et cela me fait du bien, parce que sans que je puisse dire, je sens comme si le malin rodait, comme s'il était à l'affut, et comme s'il allait nous tomber dessus et emporter notre maitre dans ses griffe. Il a même ajouté que ce Défenseur, serait comme une mémoire, que grâce à lui, on ne pourrait pas oublier tout ce que Jésus nous a dit. 

Comme il se rendait compte que nous étions de plus en plus troublés, il nous a dit qu'il nous laissait sa Paix, qu'il nous donnait sa Paix. C'est vrai que quand on le voit, lui, on sent que malgré tout ce qu'il vit ou subit, il y a en lui une sorte de stabilité, qui permet que jamais l'union entre lui et son père ne soit rompue. Alors nous laisser cela, s'il doit partir, quel cadeau. Mais pourquoi doit-il partir? Pourquoi? Je ne comprends pas vraiment.

Il a alors parlé du Prince de ce monde, et ça confirmait bien ce que je ressentais. Et on s'est levé pour aller ailleurs. Et au fond de moi, ça tremblait très fort, et en même temps, ça chantait à la fois de tristesse et de joie, d'allégresse aussi: parce que ce qui était prévu de toute éternité allait advenir; et que nous les hommes, avec nos limites, nous allions être entraînés avec lui dans une autre vie, la vraie vie, même s'il lui fallait passer par la mort.


vendredi, mai 17, 2019

L'arbre de la vie (Genèse 2)

Genèse 2: Les deux arbres dans le jardin

Dans l'évangile de Jean que la liturgie propose en ce temps pascal, je suis frappée par le fait que Jésus parle en permanence de Vie. Il n'est pas venu pour juger, mais pour donner la vie. S'il donne sa vie, dans cet évangile, ce n'est pas une rançon, mais parce qu'il s'agit d'amour, c'est la seule manière de nous permettre, par le don de l'Esprit, de devenir des vivants. Or quand on lit la Bible, au début du récit mythique de la Genèse, il est bien question d'un arbre de Vie (ou de la Vie) qui devient inaccessible à Adam (figure de l'humain), après le choix malencontreux de l'arbre de la connaissance du bien et du mal.

Le texte qui suit est donc une réflexion sur ces deux arbres et peut-être sur le fait que la tentation c'est de choisir ce qui nous donne puissance sur l'autre. D'ailleurs n'est ce pas ce qui est en filigrane dans les tentations de Jésus? 

Ce que je veux dire c'est que nous sommes appelés à être des vivants, et qu'il ne faut pas nous tromper d'arbre.

Donc, dans le jardin que l'homme est appelé à cultiver, il y avait, nous dit le texte, deux arbres. Leur localisation l'un par rapport à l'autre reste un peu difficile, mais l'arbre de vie est au milieu du jardin, quant à l'arbre de la connaissance du bien et du mal on ne sait pas trop. Mais cet indice, le milieu, dit bien son importance. Il est central cet arbre. C'est l'arbre qui donne la vie, l'arbre qui peut donner l'immortalité, apanage des Dieux, mais aussi le désir de vie que nous avons tous. Surtout, c'est un arbre dont le fruit permet et donne la croissance de la Vie chez l'humain, c'est à dire du meilleur de lui; autrement dit, de sa capacité à aimer. Il me semble qu'il est différent des arbres dont parlent les livres d'Ezéchiel et de l'Apocalypse qui sont des arbres guérisseurs. 

Et puis, bien sûr, il y a l'autre arbre. Or curieusement, dès le début, l'auteur dit bien, ou fait dire par la bouche de Dieu, que si on mange du fruit de cet arbre, on trouvera la mort. Cela montre bien que cet arbre est comme l'opposé de l'arbre de Vie. Seulement il est présenté comme l'arbre qui donne non pas la connaissance tout court (par là je veux dire ce qui nourrit l'intelligence, qui permet son développement, mais aussi la connaissance de l'univers, que ce soit l'infiniment grand ou l'infiniment petit), mais la connaissance du bien et du mal - ou comme cela est parfois écrit la connaissance du bon et du mauvais. Or là on est dans quelque chose qui est radicalement différent de la connaissance au sens large.

Savoir, ou croire connaître, ce qui est bon ou mauvais, ne fait pas de nous des Dieux, mais donne l'illusion d'être comme Dieu, puisque cela nous permet de décider à la place d'un autre (ou d'un enfant, d'une femme, d'un clan, ou d'un peuple) ce qui est bon ou mauvais pour elle, et donc d'édicter des lois en conséquence. En d'autres termes, ce savoir là conduit au pouvoir sur l'autre, avec certes du positif, parce qu'il régente la vie sociale, mais tellement de négatif, parce qu'on est dans le pouvoir et souvent dans la domination. Et le pouvoir, quand il n'est pas cadré, quand il est en proie aux forces brutes qui sont en tout être humain, peut conduire à la violence, à la mort.

Oui, cet arbre là ouvre les portes de la violence. Ce qui se passera dans la suite du récit entre Caïn et Abel en est presque la démonstration (Gn 4).

Et le serpent là-dedans? Je ne vais pas revenir sur la pauvre Ève, qui ayant bravement goûté le fruit de l'arbre, et qui - parce que rien ne se passe pour elle (elle ne tombe pas raide morte) - en a donné à son mari et sur laquelle on fait retomber toute la faute, mais sur la perversité du mauvais. Car en se centrant uniquement sur l'arbre porteur de l'interdit, il détourne l'humanité de l'arbre de la vie, alors que c'est bien l'arbre le plus important. Et c'est bien pour nous donner la Vie que Jésus viendra un jour du temps sur notre terre. Car c'est bien le fruit de cet arbre là qui fait de nous, non pas des Dieux, mais qui nous modèle à son image et à sa ressemblance.

Alors, pour le serpent la perversion, c'est bien de détourner du bon pour rendre le mauvais désirable. On connaît, parce que les exégètes les ont bien mises en valeur, ces phrases inversées ("tous les arbres") ou tronquées, du discours du malin. C'est instiller le désir que l'homme a d'être le juge de ce qui est bon ou mauvais, alors qu'il est loin d'avoir les capacités pour le faire. Et, devenu juge, il s'érige en tout puissant et prend bien la place de celui qui a mis en place ce qu'il a fallu pour que l'homme prenne racine et naissance sur la terre. Et ce faisant, il devient sans s'en rendre compte un sujet du serpent, puisque comme lui il "sait" ce qui est bon ou mauvais; et il s'oppose à un dessein qui devient pour lui obscur voire incompréhensible. 

Le serpent, le plus rusé des animaux des champs, a parfaitement réussi son coup. Et quand les yeux s'ouvrent, ce n'est pas tant la nudité qui est en cause, que de savoir ce que la nudité éveille chez l'autre, en terme de pouvoir, et là, il vaut donc mieux la masquer la nudité et la masquer derrière des feuilles qui sont celles de l'arbre de la sagesse, et oublier...
Sauf que Dieu n'oublie pas et va petit à petit permettre à l'homme d'accéder à nouveau à ce fruit qui donne la vie en la personne de son Fils. 

vendredi, mai 10, 2019

Le disciple bien-aimé raconte ce qui s'est passé au bord du lac:Jn 21

Les lectures de ce temps après Pâques nous ont permis d'entendre une fois encore la finale de l'évangile de Jean, ce chapitre 21, qui se passe en Galilée, un peu comme si, malgré ce qui s'était passé après la résurrection, les deux apparitions de Jésus au milieu de ses disciples en train de partager un repas n'avaient pas été suffisantes pour les pousser à "sortir et annoncer la vraie nouvelle". On a l'impression que la peur reste présente, et si l'on en croit ce qu'écrit le "disciple bien-aimé", on peut presque penser à une fuite. Reprendre la vie en Galilée, loin de Jérusalem, est quand même plus simple. Et on a donc cet épisode de la pêche des 153 poissons, de ce feu de braises, de Pierre qui saute dans l'eau après avoir passé un vêtement, du repas, du dialogue entre Jésus et Pierre, dialogue d'où Jean est exclu, alors que lui, il a cru dès le début, il a compris les signes. Alors j'ai eu envie de le laisser parler ce disciple aimé, et de le laisser parler en imaginant un peu son amertume: parce que si c'était à lui que Jésus avait posé la question "Jean m'aimes-tu", il aurait été tellement convaincant, et convaincu, que Jésus n'aurait pas dû poser trois fois la même question…

Le disciple que Jésus aime raconte c,e qui se passe au bord de la mer

 Ce n'est vraiment pas juste.. Je peux tout comprendre, je peux tout admettre, parce que je l'aime plus que tout, parce que j'ai posé ma tête sur sa poitrine, parce que j'ai écouté battre son cœur, mais ce qui s'est passé là, cela n'a pas été facile, même s'il a dit que je devais "demeurer". Demeurer, être là, pour lui, avec lui et en lui.. Mais bon, pas si simple.

Moi, j'ai tout de suite su que c'était Jésus, le Jésus neuf, le Jésus vivant, qui nous attendait sur la rive avec ce feu dont je voyais la fumée. Je sentais l'odeur du poisson grillé, du pain et naturellement les autres ne comprenaient rien. Pourtant ils m'ont raconté que le premier jour de la semaine, cette semaine qui a vu sa mort, son ensevelissement, il leur était apparu, il avait soufflé sur eux, il leur avait donné son Esprit; et que la semaine d'après il avait parlé à Thomas, qui ne pouvait pas croire qu'il était vivant autrement, qu'il était ressuscité: pas comme Lazare, pas comme le fils de veuve de Naïm; mais qu'il était, comme il nous l'avait dit, la Vie. 

Et Pierre, quand j'ai dit cela, au lieu de se préparer à accoster, il a fallu qu'il saute dans l'eau. Pourquoi a-t-il mis un vêtement? Peut-être parce qu'il se sentait tout nu devant Jésus, un peu comme Adam et Eve se sont sentis tous nus, l'un devant l'autre, quand leurs yeux se sont ouverts. Alors nous, on est restés dans la barque et lui, il est arrivé le premier, parce que faire manœuvrer la barque avec le poids des poissons, ce n'était pas facile. Et peut-être qu'il voulait être sûr que c'était bien lui. Qu'est ce qu'ils se sont dit? J'aurais bien aimé le savoir… Des poissons, on en a compté cent cinquante-trois. Mais le plus beau des poissons, si j'ose dire, c'était le Seigneur, qui était là et qui nous attendait. 

Ensuite, par trois fois, il a demandé à Pierre, en l'appelant "Simon fils de Jean", s'il l'aimait. Et Pierre disait oui, mais c'était timide. Ce n'est pas facile pour un homme de dire à un autre homme qu'il l'aime plus qu'il n'aime ses compagnons, mais ce n'est pas si difficile. La troisième fois, il m'a semblé qu'il était proche des larmes... Peut-être qu'il a pensé à cette terrible nuit où il n'a pas eu la force de dire qu'il était du côté de Jésus. Peut-être aussi que Jésus qui, cette terrible nuit, avait entendu Pierre dire qu'il ne le connaissait pas, voulait lui faire comprendre quelque chose, je ne sais pas. 

Pourquoi il ne me l'a pas demandé à moi, si je l'aimais, moi dont le cœur fond dès que je le vois, moi qui étais près de lui quand il était sur la croix, moi qui ai pris sa mère chez moi, moi qui ai couru au tombeau parce que Marie de Magdala était venue nous dire que le corps avait disparu, moi qui ai attendu que Pierre entre le premier, moi qui ai compris qu'il n'était plus là, qu'il ne serait plus jamais là, parce que comme il nous l'avait dit, il était ressuscité parce qu'il avait accompli pleinement la volonté de son Père. Moi j'aurais crié que je l'aimais. Mais ce n'est pas à moi qu'il a donné la charge d'être le pasteur de la communauté qui allait naître. Peut-être que ce n'est pas cela ma charge. 

Et puis il a dit à Pierre de le suivre, et à moi de "demeurer"; et ça, les autres n'ont pas compris. Demeurer, c'est cela que je veux. Demeurer avec cette présence de lui en moi, demeurer avec toutes ces paroles qu'il a dites, et les transmettre à mes frères; demeurer avec la présence de l'Esprit, demeurer en Lui, devenir son corps; me nourrir de lui pour être lui, et raconter les merveilles que son Père a faites pour nous, son nouveau peuple.