mercredi, octobre 12, 2011

"Conjugaison" tu, il, je


Conjugaison ; Je, tu il (elle)… L’identité.



Quand des personnes ont vécu un traumatisme grave qui porte (ou qui risque de porter atteinte à leur intégrité physique et/ou psychique) un très bon mécanisme de défense (qui fonctionne en automatique) est le clivage. Il permet en quelque sorte de conserver une partie saine qui est enfouie très profondément, pendant qu’une autre partie est détruite, abîmée. Les personnes victimes d’inceste au long cours disent souvent que malgré tout ce que leur corps a vécu, leur cœur lui est resté vivant, mais pour que celui ci se manifeste, il lui faut des conditions particulières, car cette partie qui ne se soumet pas, a peur de se faire détruire si elle se manifeste.


Certains disent qu’il y a en eux une sorte de dialogue incessant entre une partie qui gère le quotidien (parce qu’il faut bien faire semblant de vivre, d’être adapté, de faire comme si rien ne s’était passé) et une autre partie qui a sa propre existence et dont il est difficile de parler. Ce clivage ou plus exactement cette dissociation ne permet pas aux personnes de dire Je, même si dans la vie de tous les jours elles le disent. Elles ne sont ni psychotiques, ni autistes.  Le traumatisme a touché à leur identité la plus profonde et bien souvent elles ne sentent pas vivre : elles sont des survivantes avec parfois des réactions que personne ne comprend et qui de ce fait les isole d’avantage et renforce la dissociation.


Si on admet que l’espèce humaine a été confrontée pour survivre à d’innombrables traumatismes, il est envisageable de penser que ceux ci ont laissé des traces (on travaille beaucoup aujourd’hui sur ce que l’on appelle le stress post traumatique) qui peuvent aller de l’agressivité (violence brutale) au retrait et à la dissociation. En d’autres termes nous savons très bien nous dissocier, nous mettre un peu en rondelles, et j’en veux pour exemple cette capacité que nous avons de nous parler à la deuxième personne du singulier ou même à la troisième.


Combien de fois pouvons nous nous entendre nous dire : "tu es nul, tu vas faire ceci, tu vas faire cela", comme si persistait en nous alors que nous sommes des adultes, un parent qui nous commande et qui nous juge. Une grande partie du travail thérapeutique fait en Analyse Transactionnelle, consiste justement à ne plus se laisser dominer par ce « parent autoritaire » et le remplacer par un parent bienveillant. 


Quand on fait un peu attention à ce dialogue automatique intérieur, il est facile de passer de ce « tu » au « je » et de reprendre les choses à la première personne. Mais il y a des personnes qui se font maltraiter par cette instance surmoïque et qui auront tendance à répéter cela pour le bien de ceux ou celles qui vivent avec eux. 


Pour ma part, quand j’entends en moi ce « tu vas faire ceci ou cela », je le transforme en « je vais faire (ou ne pas faire d’ailleurs) ceci ou cela ». Quand aux phrases, tu es nulle, il y a belle lurette que je les transforme en : "ce truc là tu n’as pas su le réussir ou tu n’as plus la force de la faire, mais tu n’es pas nulle pour autant", mais il a fallu trois années d’analyse pour que j’en arrive là. Aujourd’hui je dirai que se regarder ainsi : "je n'y suis pas arrivée, ce n’est pas une catastrophe", permet même de se regarder avec une certaine compassion ce qui est bien préférable à un regard de colère ou de haine parce qu’on n’a pas été à la hauteur.


Je me suis rendue compte que au delà de ce « tu » bien connu des psy, puisque quand il perdure en soi (ne pas pouvoir dire Je ou Moi) il est signe d’autisme c’est à dire d’indistinction en soi et l’autre, il existe en tous les cas chez moi un autre pronom qui est le « elle ». Existe t il chez les autres ? Je ne le sais pas. Ce pronom est très présent chez les écrivains qui décrivent à distance des comportements de personnages qui sont des émanations d’eux–mêmes, mais parler de soi à la troisième personne, qu'est ce que cela veut dire? 


On trouve cela dans les évangiles quand Jésus affirme sa filiation divine, quand il se nomme "Le fils de l'homme"(1) Il dit à la fois ce qu'Il est déjà, mais aussi ce qu'Il sera après la résurrection. C’est Celui là que voit Etienne dans le livre des Actes 5, ,5 « Ah dit il, je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout ». Ce que je veux dire c’est que parler de soi à la troisième personne est un peu une manière de faire de soi un héros, quelqu’un d’un peu extraordinaire.

Je reviens à moi. Quand je dois recevoir quelqu’un, et que je pense à la manière dont je vais accueillir cette personne, automatiquement je m’entends penser : «  elle mettra telle nappe, elle fera telle entrée…etc ». Qui est cette « elle » qui n’est pas vraiment moi parce que de toutes les manières, finalement je ne fais jamais ce que cette « elle «  a décidé ? Je dirai que cette elle est une espèce de Moi idéal, devant laquelle les autres devraient penser : « qu’est ce que c’est bien, qu’est ce que cette femme fait bien les choses ». Cela paraît très infantile et je pense que ça l’est. Quand j’étais beaucoup plus jeune, cette partie là fonctionnait dans mes rêves éveillés où je pouvais enfin ne pas me laisser faire par mon père, ou même de m’imaginer en sauveur du monde (excusez du peu), mais il y avait cette dimension là dans le christianisme qui a été le mien autrefois.

Cette « elle » ou je suppose ce « il » pour un homme, est une sorte d’illusion, une sorte de personnage idéal, et il correspond peut être à ce qu’un enfant peut imaginer que ses parents attendent de lui. Quand j’ai appris à lire, la Sœur qui m’enseignait la lecture a dit devant moi à ma mère : «  Madame votre fille vous fera honneur ». Inutile de dire que je n’ai pas compris ce qu’elle voulait dire, sauf que ma mère était très fière et qu’elle m’a ressorti cette phrase bien des fois. En d’autres termes, le travail d’un enfant c’est de faire honneur (qui s’oppose certainement à faire honte) à ses parents, pour que ceux ci puissent soit être fiers, et s’enorgueillir d’avoir mis au monde un enfant pareil.

C’est peut être mettre en application le 6° commandement : « tes pères et mères honoreras, afin de vivre longuement ». Le « Honorer » ici étant faire honneur à  (et non pas le sens hébreux de donner du poids). Ce serait faire des choses dont les parents puissent être fiers. Alors peut être que dans la réalité on ne se sent pas tout à fait à la hauteur, on se crée un il ou une elle qui sera un sorte de super héros. Il permettra en tous les cas de se sentir un peu invulnérable, un peu glorieux, un peu extraordinaire et parfois cela fait du bien à l’égo, même si c’est de l’imaginaire et aussi aimé de ses parents ou de ses proches.

Cette troisième personne est finalement un sacré boulet. Elle voudrait vous obliger à être un « sur  quelque chose" que l’on ne peut pas être. Oui, j’ai appris à lire très vite, mais cela ne m’a pas coûté d’efforts, donc je n’ai pas rien fait de spécial pour faire honneur à qui que ce soit, sauf peut –être à l’enseignante que j’aimais bien.. En d’autres termes cette « elle », aujourd’hui je ne l’aime pas beaucoup, et j’ai tendance dès que je sens sa présence à lui dire d’aller se faire voir. Je n’ai pas à être parfaite, ni à faire honneur à qui que ce soit. L’important est que Je sois celle que je désire être aujourd’’hui.


Mais si d’une certaine manière mon Je englobe les injonctions du tu (tu dois faire, tu es nulle) et du « elle » (elle fera de la perfection) la question qui se pose est celle de l’unification. D’une certaine manière le "tu" peut renvoyer à ce qui ne va pas, à la culpabilité, à la faute. L’important est parfois de reconnaître que le « tu » a raison, mais de ne pas les laisser envahir l’espace et de ne pas lui donner de pouvoir. Quant au  « elle » il ferait basculer du côté de la toute puissance, de l’idéal et là aussi dans la mesure où il ne peut être atteint, cela peut conduire à une espèce de poursuite éperdue de perfection. Certes il peut être moteur, mais il peut aussi conduire à la dépression: ne pas être à la hauteur de...

Pouvoir dire « Je » c’est d’une certaine manière ne pas se laisser envahir par ces deux instances, c’est non pas faire comme si elles n’existaient pas, parce qu’elles sont là, mais ne pas les laisser dominer. Le Je devient une sorte de chef d’orchestre, qui sait demander des sourdines, mais pas forcément le silence.

Arriver à l’unification n’est pas aisé. La phrase de Jésus « qu’ils soient uns comme nous sommes un » s’entend certes à un niveau communautaire, mais aussi individuel, car si le mauvais est appelé le « diviseur » ce n’est pas pour rien. La diversité en nous n’est pas mauvaise, à condition qu’elle ne mène pas la barque. Peut être que le rôle de l’Esprit Saint, c’est d’être le chef d’orchestre de ce qui est en nous, pour que petit à petit la chant soit harmonieux, le chant d’un petit ruisseau qui murmure au fil du temps mais qui parfois peut se taire sous la neige, ce qui ne l'empêche pas d'exister.











(1) 29 fois chez Matthieu.

1 commentaire:

AlainX a dit…

Voilà un texte bien intéressant sur la manière dont tu présentes les concepts que tu développes.

Je pense que le moi idéal est en effet très tourné vers la recherche d'une reconnaissance par l'extérieur. En ce sens il ne peut être qu'aliénant.

En revanche, n'y a-t-il pas aussi en lui une sorte de désir d'accomplissement, au sens d'être pleinement soi-même. Une sorte de tension interne ( au sens de la corde tendue du violon) Qui nous attirent vers un « plus être » ?

Quant au il/elle, je ne m'y retrouvais pas vraiment en te lisant. Puis je pensais aux jeux solitaires de mon enfance, ou non seulement j'inventais des personnages chimériques, mais « je m'inventais moi-même autre ». Cependant, il me semble, que je ne me suis jamais pris au jeu au point de ne plus différencier la chimère et ma réalité.
C'était plutôt pour y échapper (la réalité), mais je crois que je n'étais pas dupe.

( À moins bien entendu que je ne me leurre sur moi-même, réécrivant mon histoire comme il me convient…)

Enfin, quant à la phrase de Jésus «… Comme nous sommes un. », Elle m'interroge toujours sur le psychisme de cet homme, qui en arrive à un tel propos. ( attention ! Je ne le soupçonne nullement d'être malade mental… !).
Mais où est donc la Réalité ? : fils de Dieu, Dieu lui-même comme Réalité existant « pour du vrai » comme diraient les enfants…?
Ou position résultant d'un cheminement spirituel tout à fait noble et respectable, mais n'en étant pas moins une « construction de soi », une affirmation identitaire… Qui n'engage que lui… Et ceux qui y croient…