dimanche, août 29, 2010

" Abel, hevel": de l'inconsistance au poids


:Je parlais avec une amie sur internet. C'était son anniversaire et pas un seul des membres de sa famille ne s'était manifesté. Envoyer un texto ou une carte électronique ce n'est pas difficile.

 Et pourtant si quelqu'un doit se souvenir d'un anniversaire, c'est bien la famille. Les heures passent  et rien. Le lendemain elle reçoit un appel de sa soeur qui lui demande un service, mais qui ne fait aucune mention de son anniversaire. Inutile de dire que ceci la rend malheureuse et réactive tout un passé où on lui a fait comprendre qu'elle n'avait pas le droit d'exister, qu'elle était tolérée mais pas aimée.

Ce que moi j'ai ressenti en passant un peu de temps avec elle (mais ce n'était pas de moi dont elle avait besoin et peut-être que ma présence renforçait encore le sentiment de manque, de colère contre ses proches) c'est que au fur et à mesure que le temps passait, elle était comme un  nuage qui s'effiloche, qui perd sa densité, une fumée qui se dissipe dans l'air. D'une certaine manière elle cessait d'exister et ainsi qu'elle le disait un peu plus tard: si je n'existe pas (pour eux) à quoi bon exister. En d'autre termes pour exister il est indispensable de se sentir reconnu, d'avoir une place, d'avoir du poids.

Je sais que chez les Témoins de Jéhovah, quand un membre quitte la secte, les autres s'ils sont amenés à le croiser, font comme si ce membre était invisible, transparent, sans existence et ceci est très dur à supporter.

Pour elle, c'est être invisible pour sa propre famille...Comme je viens de le dire, j'avais en moi cette image du feu qui s'éteint, de la fumée qui s'étire et disparaît.

En l'entendant parler, j'avais l'impression qu'elle devenait insaisissable, que je ne pouvais plus entrer en relation avec elle, qu'elle échappait, qu'elle n'avait plus de corps.

Et cela m'a fait penser à Abel dont le nom hébreux Hevel veut dire je crois brume sans consistance. Ce prénom renvoie à de l'inconsistant, à du fugace (le même mot est employé dans l'ecclésiaste: vanité), à quelque chose qui ne laisse pas de trace, qui s'évapore, à une absence de poids.

 Bien sûr, j'avais pensé à lui souhaiter son anniversaire, et donc d'une certaine manière à essayer de lui montrer qu'elle comptait pour moi, qu'elle avait du poids pour moi, mais de celle de ses proches.

Ceci montre bien que c'est l'investissement du tout petit dans une famille, qui lui donne son "poids".

Si j'en reviens à Abel, c'est au moment où  YHWH en agréant son sacrifice alors qu'il refuse celui de Caïn, que brusquement il prend du poids, comme si la gloire de Dieu (la shékina) s'était incarnée en lui. Il acquière une existence, et c'est peut être pour cela que la jalousie se déclenche et provoque le meurtre.

Brusquement Abel change de statut: il est reconnu, il est accepté; Si l'on pense que le nom de Caïn veut dire "acheté ou acquis"; on peut imaginer que par sa naissance il a donné corps à sa mère, il lui a donné du poids ce que le puîné n'a pas eu besoin de faire. Mais cette existence de "complément" n'est pas bonne, car trop liée à celle de sa mère.

Et quand Dieu rompt le lien en donnant du poids à Abel, alors Caïn se délite, croit ne plus exister et le seul moyen pour lui de reprendre sa place est alors non pas de "parler" de mettre des mots, mais de passer à l'acte et du détruire. Ainsi Abel ne lui fera plus d'ombre, mais la haine qui l'a envahie ne la lâchera plus et ce poids là est un poids de mort.

Avoir du poids, c'est être existant, c'est "compter" pour l'autre.Mais c'est aussi compter pour soi même. C'est là où le narcissisme primaire est fondamental car c'est le regard de la mère et l'investissement qu'elle fait de son petit qui permettra à celui ci de se sentir exister, d'abord en lien avec elle, puis petit à petit pour lui.

Il me semble que les personnes abusées n'ont pas perdu la vie, mais ont perdu l'existence et le droit d'exister depuis qu'une personne les a transformée en chose. Les clivages défensifs de la personnalité permettent certainement que les personnalités morcelées conservent un certain poids, une certaine capacité à exister, mais ce clivage a quand même un prix sur le plan psychologique car il risque de maintenir la confusion qui est entrée quand les limites du corps ont été bafouées.

Peut être que les troubles de l'alimentation que l'on trouve si souvent chez ces personnes sont un moyen dans un premier temps d'avoir du poids (pour soi) puis de se vider de ce poids pour mourir comme on l'a souhaité au moment de l'abus.

Un autre moyen d'avoir du poids, de se sentir exister c'est de devenir nécessaire à l'autre. Je pense que c'est pour cela que bien souvent les personnes abusées sont très gentilles, trop gentilles. Elles se mettent en quatre pour les autres et ainsi se sentent nécessaires, utiles. Seulement bien souvent, elles sont "trop gentilles" et de ce fait se montrent comme n'ayant pas de consistance car elles ne sont pas capables de dire non, de s'opposer, et du coup dès qu'on n'a plus besoin d'elles on les jette comme un kleenex et à nouveau elles perdent leur poids et la compulsion à la répétition fait que la situation risque de se répéter à l'infini.

Je crois aussi que pour ces personnes, imaginer avoir du poids pour Dieu est presque impensable, puisqu'il est un Dieu non protecteur, un dieu absent, un dieu méchant. C'est un Dieu qui a laissé faire l'innommable, qui a laissé le mal agir.

D'une certaine manière je dirai que si Dieu est aussi évanescent pour beaucoup d'entre elles, qu'elles se sentent elles mêmes vides et sans consistance.Comment un  Dieu non protecteur pourrait il avoir du poids?

On peut dire que c'est en Jésus que Dieu prend son corps et donc du poids, mais la foi chrétienne, telle qu'elle est présentée avec sa quasi obligation de pardon me semble être un chemin très difficile. Et pourtant, il court dans toute la bible cette idée que l'humain a du prix pour Dieu.

 Or aujourd'hui, dans la démarche qui est le mienne, Dieu parce qu'il respecte ma liberté ne s'impose pas à moi, mais va se révéler petit à petit différent de ce que j'imaginais de Lui.

Si je pense que Dieu doit être comme ceci ou comme cela, alors je fais un Dieu à mon image. Dans la parabole des talents, le troisième serviteur se fait une image du maitre  dur  qui récolte là où il n'a pas semé, et c'est ce maître là qui va se trouver en face de lui et qui le mettra dehors.(Mat 25,14-19)

Si je ne reconnais pas que "celui qui suis" a du poids, alors il risque de ne pas en avoir et de rester au loin dans son ciel. Ce que je sens, mais que j'ai du mal à exprimer c'est que pour agir pour moi, Dieu désire que je Le reconnaisse que j'ai foi en Lui. S'il a du poids pour moi, moi j'aurais du poids pour Lui et Lui qui est l'existant me donnera la vie. IL me remplira de son amour, il me purifiera, il me rendra belle.

D'une certaine manière créer du Dieu revient à créer du Je.

Ce qui revient au saut de la foi. Accepter de faire confiance en ce qu'Il a dit, pour qu'il me prenne la main et me fasse marcher sur les eaux. La foi c'est un cadeau, parce que ce n'est pas simple.

Je crois que pour les personnes qui ont cessé un jour d'exister parce qu'un proche a fait voler leur confiance en éclat et leur corps en miette, la confiance en quelqu'un qui puisse leur donner le sentiment de leur valeur est possible, mais que la peur est un obstacle puissant.



C'est à nous de prier tous les jours pour que le souffle de l'Esprit vienne sur les braises qui demeurent au plus profond d'elles et leur donne la force de se tourner vers celui qui donne la vie et que peu à peu le vide qui le habite cède le pas à plénitude.

Merci à M. et à E. de me permettre de cheminer et d'apprendre à leur contact.



dimanche, août 15, 2010

"Marche et Prière du Coeur".

 Montée et descente du Col de la Seigne: Prière du coeur.

départ
Nous avons fait ce parcours qui grimpe bien (750m) par un temps très agréable. Comme souvent quand je marche, la prière du coeur sert à rythmer le pas. Souvent je me force à ralentir car si je marche trop vite, je m'essouffle et je perds le rythme. L'important est de trouver un accord entre les mots et le rythme du corps, que ce soit le souffle, la longueur du pas et même son balancé.

En fait compte tenu du mon genou qui grogne surtout en descente, il a fallu que je m'adapte à une certaine douleur et je dois dire que globalement elle m'a peu gênée.
L'aiguille des glaciers et son glacier

Autrefois je comptais sur quatre temps. Maintenant je préfère rythmer mes pas sur "Jésus Christ, Fils de Dieu aie pitié de moi pécheur" . Je ne dis pas que je pense les mots, ils viennent tout seuls et en fait c'est comme une mélodie intérieure qui n'empêche pas de penser et de regarder (cela c'est même nécessaire) où je mets les pieds et le paysage.

Il m'est d'ailleurs venu une phrase de l'évangile de Luc "ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps et après cela ne peuvent rien faire de plus" Luc 12,4 et je pensais à ces personnes que je connais dont le corps a été mis à mal, qui auraient voulu mourir, qui disent que d'une certaine manière elles sont mortes le jour où elles ont été violées, mais qui pourtant ont en elles une partie vivante, une partie que le violeur n'a pu tuer.



 Et je me disais que peut être le travail d'accompagnement est de permettre à cette partie là de reprendre sa place, de ne pas se laisser détruire. je pense que les tentatives de suicide, les mutilations, les troubles alimentaires sont comme des atteintes de l'âme, mais l'âme est là, elle est vivante même si les blessures sont là, même si l'agresseur reste présent dans la mémoire. Si  ténu soit le feu de la vie il est là. Et je crois profondément que la dissociation que vivent au quotidien ces personnes est la preuve que non l'âme n'a pas été mise à mal. Mais je crois que seule la présence de l'Esprit Saint peut remplir ce corps troué et que le rôle de l'accompagnant est de permettre que le souffle de Vie soit simplement un jour demandé.


Ceci pour dire que la prière du coeur qui pour moi est ouverture au souffle et à L'esprit Saint, permet de penser.

Pour en revenir à la marche, le regard porté sur le chemin est différent à la montée ou à la descente. A la montée, c'est pour moi, un coup d'oeil sur la structure du chemin puis un pas l'un après l'autre. A ls descente je visualise mieux l'itinéraire et le rythme est différent peut être un peu plus souple, même si les genoux n'aiment pas trop.



Cette prière part de certains lieux du corps. En général elle démarre je dirais assez haut, au niveau du plexus et le corps ne participe pas vraiment; elle se rythme sur la respiration. A ces moments là, je suis aussi dans l'admiration devant les couleurs des fleurs, cette infinie variété de jaunes, de rouges, de roses , de bleus. J'aimerai pouvoir m'imbiber de ces couleurs, de cette variété et cette beauté est un peu pour moi signe de la présence du Dieu créateur. Oui Seigneur que tes oeuvres sont belles (en tout cas celles là).

Et puis vient un moment où la prière du coeur descend. D'une certaine manière ce sont les jambes qui lancent la prière, et cela se passe alors au niveau du ventre. Parfois j'ai comme l'impression d'une marche un peu chaloupée qui me donne de la joie. Et tout le corps devient participant. Ce n'est pas que je cesse de voir le chemin avec ses cailloux, les gens que je croise (je peux même prier pour eux, même si je ne le connais pas), ou de ressentir la douleur dans le genou, mais il se passe quelque chose. Mon corps est comme envahi par une présence que j'appellerai joie. Je refuse de dire que cette joie est crée par les endorphines liées à la marche. Pour moi c'est bien autre chose, car il y a cette sensation qui est une certitude d'être en phase avec quelqu'un, et ce que je ressens c'est donné par un Autre.

le col:la france et l'Italie


C'est aussi la sensation que le coeur se dilate (je dois dire que mon coeur n'a pas battu trop vite, même si parfois quand ça montait trop j'ai du m'arrêter pour me défatiguer) parce que en ayant un pas un peu lent, le coeur ne fait pas de bruit. Alors quelque chose s'apaise, qui va à un rythme différent, un rythme autre.

Le fait que cela parte du ventre et peut être des hanches, renvoie aussi à la maternité, à ce portage interne d'une réalité qui est à la fois mienne et pas mienne.


La phrase de la pr!ère du coeur se conjugue tout au long de la marche. Les mots en fait n'existent plus tellement, mais le rythme comme je viens de l'écrire est pour moi signe d'une présence qui se laisse atteindre (oui Dieu quand on l'appelle Il vient, Il répond) une présence qui me crée et me donne cette joie et cette paix qui a été promise par Jésus.






2Cor 4, 7:Ce trésor nous le portons dans des vases d'argile;


Pendant la messe de l'Assomption, je pensais à l'Esprit Saint et sur ce don qui peut nous être fait chaque jour si nous le demandons, cet Esprit qui a rempli Elisabeth et bébé Jean quand Marie, l'Arche de l'alliance s'est approchée d'eux. 


Il m'est alors venu en mémoire une des phrases de la seconde épître aux corinthiens:
 2Cor4,7: "et ce trésor nous le portons dans des vases d'argiles pour que cette incomparable puissance de Dieu soit en nous..."


Alors je me suis dit que comme l'argile est poreux, l'Esprit ce don de Dieu ne peut pas demeurer totalement en nous, il s'échappe, alors c'est tous les jours que nous avons à demander d'être remplis de cet Esprit, de manière à ce que l'argile ne se fissure pas, ne se dessèche pas. Cela c'est de notre responsabilité. 



vendredi, août 13, 2010

Mat18, 23-27: Remise de dette.

En lisant cet évangile hier, je me suis posé la question suivante: si le roi est capable de remettre la dette d'un simple serviteur, pourquoi Jésus a t Il dû donner sa vie en rançon (payer une dette)? 

Je cite le texte:
 "En effet, le Royaume des cieux est comparable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. 
Il commençait, quand on lui amena quelqu'un qui lui devait dix mille talents (c'est-à-dire soixante millions de pièces d'argent). 
Comme cet homme n'avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette.
 
Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : 'Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout. '


Saisi de pitié, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette".


Un commentaire de ce texte faisait remarquer que le serviteur n'a pas dit merci, ce qui est quand même un comble..


Il s'agit d'une dette qui ne peut être remboursée. On peut donc se demander comment un homme a pu en arriver là et on peut se demander sil s'agit d'un homme ou de tous les hommes... Un peu comme une scène de jugement dernier. 


Le roi se laisse toucher, d'ailleurs cet argent peut être n'en a t il pas besoin. 


Peut être que l'important pour lui est de faire du bien et de ne pas prendre la vie de cet homme en le mettant en prison avec toute sa famille. Ce que ce Roi peut désirer c'est que cet homme change. Et c'est bien parce que ce changement ne se fait pas que le châtiment tombe.


Si ce Roi qui est figure de Dieu se laisse ainsi toucher, on peut se demander pourquoi il aurait désiré que son fils donne sa vie en rançon pour éponger une dette. S'il suffit de se prosterner et de parler, pourquoi laisser son fils mourir comme un malpropre?  


Si Jésus donne  sa vie ce n'est peut être pas pour un éponger une dette, si énorme soit elle, mais bien plus pour que la relation entre Dieu et l'humain soit rendue possible par l'envoi de l'Esprit Saint et pour que l'homme devienne capable d'un amour qui soit à l'image de l'amour montré par ce roi capable de se laisser attendrir..  

mardi, août 03, 2010

Au jour le jour.

Instruments de musique

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Le festival de musique des Arcs se termine et une fois de plus je suis étonnée par ce que font les compositeurs contemporains avec les instruments eux-mêmes. Il ne s'agit plus de les faire "chanter", mais de les faire crier.

Je m'explique. Quand on tape presque à coups de poings sur les notes basses d'un piano à queue ouvert, alors les notes aiguës se mettent à vibrer sans qu'elles soient touchées par le pianiste. Entendre cette note n'est pas aisée. Mais le piano d'une certaine manière pousse un cri à sa manière.

Il est aussi possible de faire vibrer un violoncelle plus haut qu'un violon en frappant ou en pinçant les cordes d'une certaine manière. 

Moi qui aime bien les analogies, je me demande si le corps humain ne fonctionne pas de la même manière. Certains événements qui s'exercent sur une partie du corps, peuvent faire crier une autre partie sans qu'il s'agisse du cri proprement dit.

Peut-être que les pathologies somatiques dont souffrent tant de personnes qui ont vécu des abus quelqu'ils soient, sont une partie de ces cris.

Ce cri là est difficile à percevoir, mais il existe. Il est lié à la souffrance, car il faut vraiment taper comme un fou (ou comme un sourd) sur le piano pour qu'il entre en résonnance avec lui-même.

Comment l'entendre, comment en tenir compte? Est ce ce cri là que Dieu entend quand il dit à Moïse: "j'ai entendu le cri de mon peuple", est ce cri là que Jésus a poussé sur la croix? Est ce cri que les personnes abusées lancent dans notre monde? 

Quelque part je le crois et il peut y avoir une surdité à ce cri  parce qu'il nous angoisse et nous dérange. Et puis c'est facile de dire qu'on ne l'a pas entendu.
Pourtant il est là, il vibre et c'est peut le rôle de la petite voix "murmurante" de l'Esprit Saint en nous de nous ouvrir à ce cri pour que les personnes sortent de leur solitude.