Ascension. Mt 28, 16-20
C'est l'année A, donc c'est un texte de Matthieu qui a été choisi, mais la lecture des Actes des Apôtres (Ac 1) permet d'avoir un autre son de cloche que ce qui est rapporté par Matthieu.
Cela se passe à Jérusalem, quarante jours après Pâques, temps utilisé par Jésus pour enseigner ses disciples. Et, bien entendu, ces quarante jours ont une portée symbolique. Cela se passe au cours d'un repas; Jésus leur donne l'ordre de ne pas quitter Jérusalem en attendant de recevoir le baptême dans l'Esprit, cet Esprit qui a été promis et qui leur donnera la force d'être témoins à Jérusalem, en Samarie et dans le monde entier.
Puis là - la description est différente de celle rapportée dans l'évangile - Jésus s'élève, et cela fait penser à une sorte de lévitation qui va bien au-delà de simplement s'élever au-dessus du sol: on peut imaginer que cela prend un certain temps, et qu'un voile de nuages arrive et le masque aux regards; un peu finalement comme des rideaux; et il est alors logique que les disciples qui regardent se demandent ce qu'il en est, et qu'ils soient un peu en attente.
C'est alors que deux hommes en blancs apparaissent, et leur demandent de cesser de bailler aux corneilles (cela, c'est ma manière de traduire le "Pourquoi restez-vous à regarder vers le ciel, ce Jésus qui a été enlevé au ciel viendra auprès de vous, de la même manière que vous l'avez vu s'en aller vers le ciel".
De fait cela ne dit pas grand-chose sur ce qui adviendra un jour, mais une autre venue de Jésus est clairement annoncée, son temps sur la terre est fini. Ce que je note, car cela est un peu différent de ce qui se passe dans l'évangile, c'est que Jésus s'élève de lui-même - c'est donc bien sa volonté, mais en même temps, il a été enlevé au ciel, ce qui est un moyen de dire clairement où Jésus se trouve désormais, et que c'est aussi la volonté du Père. Dans l'évangile (que j'aime beaucoup), Jésus se sépare d'eux et est emporté au ciel, ce qui est finalement la même chose, mais le verbe se séparer montre bien que quelque chose se termine, comme l'enfant qui vient au monde se sépare de l'intérieur du ventre de sa mère. https://giboulee.blogspot.com/2020/05/il-fut-enleve-leurs-yeux-il-se-separa.html
Travail sur le texte
Mais revenons au texte de Matthieu. Les femmes qui sont venues au tombeau ont eu la vision d'un ange, qui provoque un tremblement de terre renversant les hommes qui gardent le tombeau, s'assied sur la pierre roulée qui montre bien le vide, et leur dit de venir voir le lieu où Jésus reposait (ce qu'elles ne feront pas) et d'aller dire aux disciples qu'Il est ressuscité d'entre les morts et qu'il les précède en Galilée; et que là, ils le verront. Puis l'Ange s'en va, et les femmes se mettent en route, remplies de crainte et de joie. C'est là que Jésus leur apparaît, qu'il les salue, qu'elles s'approchent, lui saisissent les pieds, ce qui est un moyen d'être certaines qu'il n'est pas un fantôme, et se prosternent. Jésus leur dit alors d'être sans crainte, et confirme le message de l'ange: aller en Galilée.
Si on fait une recherche sur le verbe se prosterner chez Matthieu, on ne le trouve que trois fois, une première fois au tout début des évangiles - Mt 2, 11: les mages entrent, voient l'enfant et sa mère, se prosternent et adorent, et deux fois dans ce dernier chapitre: les femmes et les disciples.
16 En ce temps-là, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
Cela se passe sur une montagne. La montagne, c'est le lieu de rencontre avec Dieu: dans le premier testament (montagne de l'Horeb, don de la loi); mais aussi don de la nouvelle loi, les Béatitudes, lieu de la multiplication des pains et de la transfiguration. Cet "ordre" n'a pas été mentionné précédemment, si on reste au texte seul. Mais il s'agit bien d'un ordre et des ordres, il y en aura d'autres.
17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes.
Manifestement quand ils arrivent, ils sont seuls. Ils attendent, et Jésus, d'un coup, est là; ce qui évoque un peu ce qui se passe dans l'évangile de Jean le soir de Pâques. Ils se prosternent, mais comme je l'ai noté, jamais les disciples se sont prosternés devant Jésus. On ne se prosterne que devant le Très Haut. Et là, la question du doute. Peut-être la question sur ce qu'on voit: est-ce bien lui? Est-ce que cet homme qui ressemble au maître est bien le maître? Comment est-ce possible? Les femmes ont éprouvé de la crainte, ce qui est normal; eux éprouvent des doutes, et peut-être que cela peut nous arriver aussi.
18 Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
Pour ma part, je vois ce verset en deux temps. Les doutes manifestent une résistance, et certains sont comme à distance de Jésus. Et lui ne reste pas loin, mais s'approche et parle. Car jusque-là il n'y a pas eu de mots, de paroles, donc pas de reconnaissance du timbre de sa voix. Et c'est une affirmation: désormais, il a reçu tout pouvoir au ciel (et cela c'est le divin) et sur la terre (l'humain), vrai Dieu et vrai homme.
19 Allez !
De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit
20 apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé.
Puis une série d'ordres. Le premier c'est "allez". Je me suis demandé si on ne peut pas faire un rapprochement avec Mt 10, l'envoi des apôtres en mission. Là ils devaient aller seulement vers les brebis perdues de la maison d'Israël, proclamer que le Royaume est tout proche. Puis il s'agissait de guérir les malades, de ressusciter les morts, de purifier les lépreux, et d'expulser les démons. Désormais c'est bien ce que va accomplir ce baptême, donné aux nations et donné au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Baptême qui permet d'entrer dans cette relation d'amour, et qui permet de renaître, de devenir vivant, d'être libéré de sa lèpre et de ses démons.
Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Et la promesse: Jésus absent, mais présent chaque jour et sans aucune limitation dans le temps. Réalisation de la prophétie d'Isaïe; on lui donnera le nom d'Emmanuel, ce qui veut dire Dieu avec nous.
Faire raconter l'Ascension à un disciple à partir de l'évangile de Luc, c'est possible. Le faire à partir de celui de Matthieu, qui est beaucoup moins imagé car rien n'est dit, c'est un peu une gageure. Je me suis dit que seul Matthieu pourrait le faire. Mais je dois dire que si, comme toujours, je m'appuie uniquement sur le texte attribué à Matthieu, je n'ai pas tout retenu des chapitres 27 et 28. Je me place au moment qui suit directement la résurrection, et je pense que la restitution des trente deniers aux prêtres, l'achat du champ, ou le soudoiement des soldats n'apportent pas grand-chose et peuvent avoir été rajoutés lors de la rédaction du texte.
Matthieu raconte
Quand le maître a été arrêté par la faute de ce traître de Judas Iscariote, nous étions avec lui au Jardin des oliviers. Puis tout est allé très vite. Les grands-prêtres et le sanhédrin ont chercher des faux témoins pour le faire condamner; mais ils n'en n'ont pas eu besoin car Jésus a affirmé qu'il était bien le Christ, le Fils du Très Haut, et qu'on le verrait, lui le fils de l'homme, siéger à la droite du Tout-Puissant et venir sur les nuées du ciel. Or nous savons bien que celui que chevauche sur les nuées n'est autre que le Seigneur.
Ils l'ont ensuite livré à Pilate, qui même s'il ne voulait pas le faire mettre à mort, a cédé à la pression. Il a libéré un bandit, Barrabas, et a livré Jésus pour qu'il soit crucifié. Lorsque la sixième heure est arrivée, le ciel qui était clair est devenu tellement sombre qu'on se serait cru en pleine nuit; puis, trois heures plus tard le Maître, en poussant un grand cri, a rendu l'Esprit. À ce moment-là il y a eu comme un tremblement de terre, comme si la terre tremblait elle-même devant ce qui venait de se passer. Moi qui étais là je sais que, devant cela, beaucoup ont dit que Jésus, condamné comme un malfaiteur, était bien Fils de Dieu. Et d'ailleurs cela accomplit bien la prophétie d'Isaïe, de ce serviteur méprisé par tous, transpercé à cause de nos révoltes, broyé à cause de nos fautes, retranché de la terre des vivants.
Le corps a été mis dans un tombeau creusé dans le roc, fermé par une lourde pierre.
Au petit matin du troisième jour après la mort, les femmes sont venues pour regarder le sépulcre. Comme une escouade de gardes avait été postée tout autour à la demande des grands-prêtres, qui pensaient que certains d'entre nous allaient prendre le corps et répandre le bruit qu'il était redevenu vivant, elles avaient un peu peur.
À leur arrivée, il y a eu un tremblement de terre, comme si la terre allait rendre le corps. Les soldats ont eu la peur de leur vie. Elles, elles ont vu l'Ange du Seigneur, tout resplendissant, assis sur la pierre qui avait été roulée. Le tombeau, lui, était grand ouvert. L'ange leur a dit de ne pas avoir peur, que Jésus était relevé d'entre les morts, redevenu vivant comme il l'avait toujours dit; qu'elles devaient aller prévenir les disciples de ce qu'elles avaient vu, et qu'ils devaient aller en Galilée où il les précèderait: là ils le verraient. Elles sont parties, et Jésus lui-même est venu au-devant d'elles. Il les a saluées, elles ont entendu le son de sa voix, elles l'ont vu; elles nous ont dit qu'elles n'avaient pas pu s'empêcher de le saisir par les pieds, à la fois pour le retenir, et aussi pour le toucher, pour être sûres que celui qu'elles voyaient n'était pas un fantôme. Bien entendu elles avaient vu l'Ange éblouissant de lumière, mais quand même, elles avaient un doute. Elles se sont alors prosternées devant lui, et il leur a dit ce que l'Ange leur avait déjà demandé de nous dire: d'aller en Galilée.
Nous avons quitté Jérusalem, je dois dire avec une certaine joie. Il y avait la joie de savoir que les écritures s'étaient accomplies, que notre Rabbi était bien vivant, mais aussi la joie de quitter cette ville qu'Il avait tant aimée et qui l'avait condamné à mort; et qui pouvait aussi nous mettre à mort.
Chemin faisant, nous nous demandions quand même comment il serait, comment il nous parlerait, et ce qu'il nous raconterait. Nous savions, même si cela n'avait pas été dit aux femmes, que le lieu où nous devions le retrouver c'était cette colline qui est tout près du Lac, cette montagne qu'il avait gravie au début de sa mission et où il avait parlé pour la première fois à nous ses disciples, mais aussi à toute cette foule qui était venue et qui buvait ses paroles, cette montagne où il avait donné des paroles qui font vivre, des paroles de bénédiction, ces paroles que j'aime appeler les Béatitudes.
Quand nous sommes arrivés, nous étions seuls. Pourtant il avait dit qu'il nous précèderait. Mais non il n'était pas là. Et si nous étions trompés de montagne? Brusquement il était là devant nous.
La stupeur s'est emparée de nous, un peu comme lorsque Pierre, Jacques et Jean l'avaient vu transfiguré sur cette autre montagne qui est près de Césarée de Philippe.
Nous nous sommes prosternés devant lui, certains par peur, d'autres parce qu'ils le voyaient Autre: parce qu'ils voyaient en Lui le Fils de l'homme. En reparlant ensuite avec mes amis de ce qui s'est passé ce jour-là, je me suis rendu compte que certains d'entre nous avaient du mal à y croire, qu'ils doutaient: un peu comme lorsqu'Il était apparu sur la mer déchaînée, et que nous pensions que notre dernière heure était arrivée. Était-ce Lui, ressuscité d'entre les morts, ou était-ce un fantôme?
Il nous a fait signe de nous relever, et moi j'ai vu qu'il y avait plein d'amour dans ses yeux, cet amour qui m'a conquis, moi le publicain, le jour où il m'a appelé à le suivre à Capharnaüm. Il s'est approché de nous, il nous a tous regardés, et il nous a donné en quelque sorte ses dernières volontés. Moi, j'aurais voulu qu'il raconte, mais non, il a donné des ordres; n'est-il pas le Seigneur des Seigneurs?
Il a affirmé que tout pouvoir lui avait été donné au ciel et sur la terre, qu'il était Tout-Puissant, que cette autorité qu'il nous avait donnée autrefois pour annoncer sa venue, elle était maintenant totale, absolue en Lui. D'ailleurs, et cela se voyait sur Lui. Il était à la fois le même et plus le même.
Ensuite, si je puis dire, il nous a dit de ne pas rester là, de nous bouger; car il nous dit "Allez!", comme un maître envoie son serviteur faire ce qu'il doit faire.
Et ce que nous devons faire, c'est de faire des disciples dans toutes les Nations - la nôtre comme les nations païennes - et de baptiser au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Que nous nous allions les immerger dans cet amour qui est en Lui, qui est dans le Père, qui est dans cet Esprit d'Amour, pour leur apprendre à vivre pour être le sel de la terre.
Il a enfin ajouté qu'il serait avec nous tous les jours, jusqu'à la fin des temps.
Il est bien l'Emmanuel que nous attendions, qui avait été promis jadis à Joseph.
Et tandis que ses mots résonnaient encore en nous, un silence nous a enveloppé, l'absence s'est faite tangible, nous étions là, seuls: et Lui était parti dans son Royaume, dans ce Royaume qui appartient à ceux qui ont un cœur de pauvre.
À nous maintenant de témoigner et d'être des passeurs de vie, pour que tous puissent recevoir la vie éternelle.