samedi, mars 25, 2023

Jn 11, 1- 45: la résurrection de Lazare. 5° dimanche de carême. Mars 2023

 La résurrection de Lazare.

Je pensais avoir écrit plusieurs billets sur ce récit, mais il n'y a qu'un seul texte: 

https://giboulee.blogspot.com/2020/01/la-resurrection-de-lazare-jn-11.html  et c'est Marthe qui raconte. 


La résurrection de Lazare n'a rien à voir avec celle de Jésus. Lazare a comme une sorte de sursis, qui lui permet de reprendre la vie habituelle des hommes, vie qu'il perdra à nouveau (peut-être chez nous en Provence). On pourrait parler de relèvement de Lazare, mais je préfère réanimation.


 Ce qui est radicalement nouveau avec ce signe proposé par Jean, c'est qu'il s'agit d'un mort enterré, alors que dans les résurrections de l'ancien testament (résurrection du fils de la veuve de Sarepta 1R 17,17-23; ou du fils de la Sunamite 2R 4,32-37; ou même cette résurrection étrange provoquée par les ossements d'Élisée 2R 13, 20-21) la mort est récente, l'esprit (le souffle) vient que quitter le corps, et le prophète demande à Dieu de remettre le souffle dans ce corps inanimé, en insufflant d'ailleurs son propre souffle, en donnant sa propre chaleur. 


Les synoptiques rapportent aussi ce genre de résurrection, et Jésus est dans la lignée des prophètes: il touche et il parle, que ce soit pour la fille de Jaïre (Lc 8, 49- 56 ) ou pour le fils de la veuve de Naïm (Lc 7, 11-15). Il en sera de même dans la première communauté chrétienne: la mort vient de survenir depuis peu. Bien sûr, dans l'évangile de Matthieu il est question au moment de la mort de Jésus de tombeaux qui s'ouvrent, et de la résurrection de nombreux saints, mais il s'agit là de montrer que la mort du Juste d'entre les Justes permet à certains d'entre eux, non pas d'avoir la vie éternelle, mais de revenir à la vie, ce qui est très différent.

 

 

Là, c'est le quatrième jour que le mort est rappelé à la vie. J'ai entendu un commentaire sur ce chiffre 4, mais je ne sais pas sur quoi il repose. L'idée c'est que ce chiffre renvoie à l'humain ou à l'humanité, et que c'est à cette humanité en train de se décomposer que Jésus redonne souffle et vie, en la déliant des liens de la mort. 

 


Je pensais me servir, pour présenter cet épisode, de la journée que j'ai passée au Prieuré St Benoît, mais avec le temps, il en ressort plus des points qui m'ont heurtée que les points qui m'ont aidée à mieux entrer dans ce texte; je m'en servirai probablement dans le travail sur les versets. Et je reviens à ce que j'aime: revenir en arrière c’est-à-dire au moins au chapitre précédent; car je pense que chez Jean, rien n'est laissé au hasard. 

 

Le chapitre 10 se passe, comme le chapitre 9 (guérison de l'aveugle de naissance), à Jérusalem. Jésus se présente comme le bon berger, celui qui donne sa vie pour ses brebis (et d'une certaine manière, en donnant la vie à son ami Lazare, il va perdre la sienne - et cela il le sait ou le pressent). Mais il y a aussi une attaque assez virulente de ceux qui devraient être les bergers et qui de fait ne sont que des mercenaires. Jésus parle de la porte, qui permet d'entrer dans l'enclos des brebis, de celui qui a le droit de passer par la porte, le berger, et de ceux qui pour entrer escaladent par un autre endroit; qui sont des bandits. De quelles brebis parle-t-il? C'est si peu clair qu'il doit donner une explication supplémentaire, qui reste objectivement très difficile, car il dit qu'il est la porte, c’est-à-dire le lieu de passage, qui permet d'être sauvé. En d'autres termes; si on suit son enseignement, on est sauvé quand on croit en lui. Et il y a opposition entre lui et les bergers mercenaires, qui ne s'occupent que d'eux et de sauver leur propre vie, et non pas de sauver la vie des brebis. 

 

C'est ensuite la fête de la Dédicace, avec une demande: "Dis-nous si oui ou non tu es le Christ", et une réponse qui reprend les versets d'avant: Il est, comme David qui était l'homme choisi par le Très haut  (le "messie") pour sauver son peuple d'un agresseur (les Philistins), le messie qui sauve non pas des Romains mais du malin. Et c'est la phrase "le Père et moi nous sommes Un" qui met le feu aux poudres, ce qui peut se comprendre. Puis, une fois de plus, Jésus prend la fuite; on nous dit qu'il s'arrête de l'autre côté du Jourdain, là où Jean baptisait au début. Le décor est planté pour la suite. Mais si la dédicace se passe en hiver, et si au chapitre 12, Jésus revient à Béthanie six jours avant la Pâque, on peut penser qu'il s'est écoulé du temps entre la fuite de Jérusalem et la maladie et la résurrection de Lazare et le repas à Béthanie. Peut-être un temps consacré par Jésus à l'enseignement de ses disciples. 

 

Mais c'est bien parce que Jésus est le bon Berger, qu'il est celui qui permet d'entrer dans la vie donnée par le Père, et qu'il est le Fils qui fait Un avec le Père, que ce qui se passe ce jour là est possible. Jésus donne la vie à Lazare, mais il donne aussi la Vie aux deux sœurs, et cela provoquera sa mort. 

 

Travail sur le texte

 

Il me semble que l'on peut découper assez facilement ce texte en plusieurs séquences. 

 

La première séquence, versets 1-3, qui de fait suit directement le dernier verset du chapitre 10 où on nous dit que Jésus s'est installé au bord du Jourdain là où Jean baptisait, présente un homme, malade, ainsi que son endroit d'origine et sa famille - les deux sœurs - et l'envoi d'un messager qui demande à Jésus de venir sur place, ce qui est peut-être dangereux; mais que ne ferait-on pas pour quelqu'un que l'on aime, puisque c'est ce qualificatif qui est donné à Lazare.

 

La deuxième séquence, versets 4-15, rapporte la réaction de Jésus, celle de ses disciples, et la décision de répondre à la demande, mais en la différant.

 

La troisième séquence, versets 16-37, subdivisée elle-même en trois sous-séquences, rapporte l'épisode de Béthanie: dans un premier temps ce qui se passe là-bas; puis les rencontres, d'abord avec Marthe, puis avec Marie. 

 

La quatrième séquence est centrée sur l'appel de Lazare, versets 38-41,  qui revient à la vie.

 

 

Séquence 1: Description de ce qui se passe, et les demandes des sœurs.

 

1 Il y avait quelqu'un de malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de Marthe, sa sœur.

2 Or Marie était celle qui répandit du parfum sur le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux. C’était son frère Lazare qui était malade.


Ce qui est étonnant c'est que ce qui est relaté là, au verset 2, ce qu'on appelle l'onction à Béthanie, n'arrivera que quelques semaines après. Je me suis demandée, si le rédacteur voulait apporter une précision, importante pour lui, surtout si on compare avec les récits parallèles des synoptiques et qui lui sont certainement connus, puisque très antérieurs à la rédaction de son texte. Il insiste sur le fait que c'est Marie de Béthanie, la sœur de cette Marthe qui a ouvert sa maison à Jésus dans l'évangile de Luc, qui est cette femme. Elle n'est pas une pécheresse, comme dans l'évangile de Luc (Lc 7,36-50), cette femme sans nom, qui s'invite dans la maison de Simon, un pharisien et qui répand du parfum sur les pieds de Jésus, et les essuie avec ses cheveux (ce qui est plus que difficile, car les cheveux ne sont pas poreux). Si Luc parle au chapitre suivant de Marie de Magdala, qui est une des femmes qui suit Jésus, et qui a été délivrée de sept démons, rien ne prouve qu'il s'agisse de la femme à l'onction. Le souci de l'évangéliste est très clair: celle qui a fait ce geste, qui s'explique très bien, c'est la sœur de l'homme relevé d'entre les morts, et qui pressent quel va être le destin de Jésus.

 

3Donc, les deux sœurs envoyèrent dire à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade. »

 

On peut bien imaginer un serviteur, envoyé par les deux sœurs, qui aborde Jésus en disant: Celui que tu aimes est malade. C'est un beau qualificatif. Et cela renvoie au berger qui aime ses brebis, qui les connait, et qui donne sa vie pour elles. 


Comme ce qualificatif est aussi celui d'un des disciples de Jésus, celui que Jésus aimait, et que l'on dit parfois que cet homme est de fait chacun d'entre nous, alors ne peut-on entendre la suite de la manière suivante: nous sommes aimés, nous sommes malades, Jésus n'empêche pas le cours des choses, mais il nous relève et nous donne la vie, la vraie vie; il ne laisse pas la mort nous ravir. 

 

 

    Séquence 2: Centration sur Jésus et ses réactions en fonction de ce que disent les disciples.

 

4 En apprenant cela, Jésus dit : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. »

5 Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare.

6 Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait.

7 Puis, après cela, il dit aux disciples : « Revenons en Judée. »

 

Jésus est donc prévenu, et il affirme que cette maladie ne conduit pas à la mort, mais à la gloire de Dieu, et à sa gloire à lui. Si je me réfère au commentaire du Père Guy Delachaux, la gloire, c'est ce qui donne tout son poids à quelqu'un. 


Jésus, en mourant sur la croix, montre que c'est l'amour qui donne tout son poids à un être. C'est cela sa gloire; et il montre aussi la gloire du Père, qui donne son fils au monde. Ce qui fait la gloire du Père, c'est cet amour qui est le don, plus que la gloire qui se rattache aux exploits accomplis, encore que ces exploits donnent à l'homme qui les réalise une autorité, un poids. 

 

Jésus va déjà donner la mesure de son amour en ramenant à la vie celui qui est mort, et montrer aussi l'amour de son Père pour lui.

 

Les disciples lui dirent : « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? »

Jésus répondit : « N’y a-t-il pas douze heures dans une journée ? Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ;

10 mais celui qui marche pendant la nuit trébuche, parce que la lumière n’est pas en lui. »

 

Inquiétude légitime des disciples, réponse de Jésus: qui est la lumière, et qui est avec eux; mais quand il ne sera pas là, alors peut-être trébucheront-ils. Et peut-être que ce "trébucher" évoque ce qui se passera au chapitre 13, car quand Judas sort, il fait nuit, et la nuit on trébuche. La lumière vient de Jésus; elle n'est pas en nous, elle nous est donnée. 

 

11 Après ces paroles, il ajouta : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer  . »

12 Les disciples lui dirent alors : « Seigneur, s’il s’est endormi, il sera sauvé. »

 

13 Jésus avait parlé de la mort ; eux pensaient qu’il parlait du repos du sommeil.

 

Le verset 13, est un commentaire du rédacteur pour nous. Attention aux mots. Quels mots employons-nous pour parler de la mort, ou d'un mort? Il y a le "Il repose en paix", mais il y aussi "le disparu", "le défunt", "celui qui est parti", "qui n'est plus là". Ce qui est certain, c'est que pour les disciples, dormir, c'est plus ou moins une possibilité de guérison, sûrement pas la mort.

 

14 Alors il leur dit ouvertement : « Lazare est mort,

15et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. Mais allons auprès de lui ! »

16 Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! »

 

Jésus sait ce qu'il va faire; il sait, lui, que Lazare est mort, que son corps s'est endormi, et qu'il va le relever. Et il y a la petite note sur Thomas, qui montre qu'il est courageux et prêt à donner sa vie, ce que démentira peut-être la suite. Peut-être que Thomas est prophète, car c'est cet évènement qui va décider les autorités de passer à l'acte, et il est plus que probable que l'onction à Béthanie soit pour Judas la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. 

 

          Séquence 3: Jésus va à Béthanie.

 

    Séquence 3-a:  Description de ce qui se passe à Béthanie.

 

17 À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà.

 

18 Comme Béthanie était tout près de Jérusalem – à une distance de quinze stades (c’est-à-dire une demi-heure de marche environ) –,

19 beaucoup de Juifs étaient venus réconforter Marthe et Marie au sujet de leur frère.

20 Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison.

 

Comme dans la première séquence, le rédacteur brosse le tableau. Arrivée à Béthanie, quatre jours après la mort de Lazare; donc il ne s'est pas trompé, Lazare est bien mort. Il y a beaucoup de juifs qui viennent de Jérusalem, pour réconforter les sœurs. Et là, tableau un peu analogue à ce qu'on a lu chez Luc, on a Marthe qui est active et Marie qui ne bouge pas, alors qu'elle a bien dû entendre; elle semble prostrée et reste dans son chagrin. Deux attitudes, qui reflètent le caractère des deux sœurs.

 

    Séquence 3 b. Jésus et Marthe.

 

21 Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort.

 

22 Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. »

 

 Est-ce un reproche? Pour moi, oui, mais Jésus ne pouvait pas être là, si l'on suit la chronologie, car Lazare a dû mourir au moment de l'arrivée du messager, car même si on ne sait pas exactement où Jésus se trouvait, il devait être relativement loin de Jérusalem. Marthe est certaine que si Jésus avait été là, il aurait empêché la mort de son frère, mais maintenant, c'est trop tard; elle ne peut imaginer que Jésus redonne vie. Pourtant elle affirme que Jésus est en lien avec Dieu, et que Dieu l'exauce, quelle que soit la demande. C'est une affirmation de sa foi en Jésus. Elle est une brebis qui écoute la voix, qui la reconnaît et qui suit.

 

23 Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. »

24 Marthe reprit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. »

25 Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ;

26 quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »

27 Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »

 

Jésus emploie un futur et pour Marthe c'est évident, mais maintenant il est mort, et l'attente peut sembler interminable, même avec la foi. Sauf que Jésus continue. 

 

Il affirme qu'il est la résurrection et la vie, et que celui qui vit et croit en lui, ne mourra jamais. 

Là, c'est un présent. Et cela, elle le croit, elle est passée du simple "croire que si Jésus demande quelque chose, cela lui sera accordé", à la certitude que Jésus n'est pas un saint homme, mais qu'il est celui qui vient dans le monde, pour donner la vie au monde. Il me semble que pour elle, c'est une véritable ouverture des yeux qui se produit. Elle voit en Jésus, celui qui le Sauveur. Et elle ne demande plus rien.

 

     Séquence 3-c Jésus et Marie.

 

28 Ayant dit cela, elle partit appeler sa sœur Marie, et lui dit tout bas : « Le Maître est là, il t’appelle. »

29 Marie, dès qu’elle l’entendit, se leva rapidement et alla rejoindre Jésus.

 

30 Il n’était pas encore entré dans le village, mais il se trouvait toujours à l’endroit où Marthe l’avait rencontré.

31 Les Juifs qui étaient à la maison avec Marie et la réconfortaient, la voyant se lever et sortir si vite, la suivirent ; ils pensaient qu’elle allait au tombeau pour y pleurer.

 

Marthe veut, à mon avis, que Marie, fasse cette découverte, et elle lui dit que le Maître l'appelle. Marie alors se lève "rapidement" (ce qui pour moi évoque Marie, la mère de Jésus qui se met en route rapidement pour aller chez sa cousine Elisabeth), et va rejoindre Jésus. Les juifs venus pour consoler sont surpris qu'elle se lève; ils ne doivent pas savoir que Jésus était arrivé; un peu comme si cela la rencontre s'était passée à l'entrée du village, comme si Marthe attendait cette venue. Ceci pouvant évoquant Tobie qui attend le retour de son fils .

 

32 Marie arriva à l’endroit où se trouvait Jésus. Dès qu’elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. »

 

Même phrase que celle prononcée par Marthe, mais la posture des deux sœurs est différente. Dès qu'elle voit Jésus, elle se jette à ses pieds, et cela évoque ce qui se passe avec les femmes au matin de la résurrection. (Mt 28, 9) et elle parle ensuite. On peut imaginer que la phrase a dû être un peu hachée, puisqu'elle pleure.

 

33 Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé,

34 et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. »

35 Alors Jésus se mit à pleurer.

 

Là, ça pleure beaucoup, et pour Jésus cela se passe en deux temps: en son esprit il est saisi d'émotions,  bouleversé. Puis une question, et cette réponse: "viens et vois", qui évoque ce qu'il avait dit aux tout premiers disciples qui demandaient où il habitait: venez et vous verrez. Peut-être qu'il anticipe aussi sa propre sépulture.  

 

36 Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! »

37 Mais certains d’entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »

 

Toujours la division à propos de Jésus. D'un côté, on voit son émotion et on trouve cela beau, et de l'autre, ça ronchonne: il aurait pu se presser un peu, et éviter cela. 

 

     Séquence 4: au tombeau de Lazare.

 

38 Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau. C’était une grotte fermée par une pierre.

 

Contrairement à ce qui se passera pour le tombeau de Jésus, la grotte est bien fermée, la pierre est en place, et Lazare dedans. 

 

39 Jésus dit : « Enlevez la pierre. » Marthe, la sœur du défunt, lui dit : « Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. »

40 Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. »

 

Si le nombre "quatre" renvoie à l'humanité (évolution qui va du minéral, au divin), alors c'est bien l'humanité en décomposition qui est là, et Jésus parle de cette gloire de Dieu, ce qui doit sembler incompréhensible à Marthe; mais Marie, elle, sait qui est en face d'elle. On a presque l'impression que Marthe s'oppose à l'ouverture de la grotte. 

 

41 On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé.

42 Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. »

43 Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! »

 

Et là, c'est un présent: Jésus lève les yeux vers son Père (comme il le fera en Jn 17), et il affirme que ce qui se passe là, c'est la preuve qu'il est bien l'envoyé du Père. Et il peut crier d'une voix forte, lui qui pleurait peu de temps avant. Et c'est un ordre. Le but de ce signe, comme les signes précédents c'est que ceux qui sont présents croient que Jésus est l'Envoyé. 

 

44 Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. »

 

45 Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.

 

C'est le relèvement, et comme toujours l'attention de Jésus aux petits détails: déliez-le, et laissez-le-aller. Peut-être désire-t-il que Lazare ait du temps pour lui, qu'on ne le lui saute pas dessus, qu'il puisse revenir à son rythme. On retrouve les mêmes linges que Pierre et Jean verront dans le tombeau de Jésus, les bandelettes et le linge sur le visage. Mais là tout est normal: le corps est bien là, alors que pour Jésus le corps ne sera plus là. 

 

 

Il semble que ce qui se passe là provoque la croyance de beaucoup de ceux qui sont là. Croire en la résurrection de Jésus sera plus difficile, mais on peut lire dans tout ce texte, presque en filigrane, ce qui se passera quelques semaines plus tard, à Jérusalem.

 

Qui peut raconter?

 

Qui peut raconter? J'ai déjà fait raconter le texte par Marthe. Et utiliser les sœurs, cela ne permet pas de raconter ce qui se passe de l'autre côté du Jourdain. Faire parler Jésus, cela me paraissait impossible. Alors il reste, comme souvent, un disciple; ce qui peut montrer aussi les questions que cela soulève en lui, questions qui peuvent être les nôtres. J'ai choisi de le situer dans le présent de ce qu'il a vécu à ce moment-là. Il ne sait pas ce qui va advenir de Jésus, même s'il pense que sa mort est imminente. Il ne peut pas savoir non plus que c'est un des Douze qui le trahira. 

 

Un disciple raconte

 

Une fois de plus, nous avons dû quitter le Temple et Jérusalem, car les Juifs voulaient l'arrêter, et peut-être même le lapider, car il avait affirmé que "le Père et lui font Un", et cela, c'est se faire l'égal de Dieu, un blasphème. Je me dis que parfois il les cherche, mais il veut leur faire comprendre, à ces brebis qui ne sont pas de sa bergerie, qu'ils devraient ouvrir les yeux, regarder ce qu'il fait et ne pas avoir la nuque raide.

 

Nous sommes partis de l'autre côté du Jourdain, là où Jean baptisait; là où il avait vu l'Esprit descendre comme une colombe sur Jésus et y demeurer, et où il avait dit à certains d'entre nous que Jésus était l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. 

 

Je ne sais pas comment les sœurs de Lazare ont su que nous étions là-bas, mais elles nous ont envoyé un serviteur pour dire à Jésus que leur frère Lazare - ce Lazare que Jésus aime beaucoup ainsi que toute cette famille qui l'accueille toujours avec joie - était malade. Elles n'ont pas dit qu'elles désiraient que Jésus suive le serviteur, mais je pensais que c'est ce qu'il ferait. Au lieu de cela il a eu une phrase curieuse, il a dit que cette maladie ne conduisait pas à la mort, mais qu'elle était pour la Gloire de Dieu, afin que par elle le fils de Dieu soit glorifié. Je dois dire que je n'ai pas compris du tout ce qu'il voulait dire; sauf que toutes les œuvres qu'il fait, tous ces signes, sont la preuve de l'amour de Dieu pour nous.


Et nous sommes restés encore deux jours pleins sur place. Puis il a dit que nous allions retourner en Judée, ce qui, à vrai dire,  ne nous a pas trop plu. 

 

Nous savions que c'était dangereux pour lui, et nous le lui avons dit. Là il nous a répondu que quand on marche dans la journée, on ne trébuche pas, parce qu'il fait clair, mais que la nuit ce n'est pas pareil. Bon je veux bien, mais qu'est -ce que ça veut dire? 


Peut-être que cela se relie à ce qu'il a dit au moment de la fête de la Dédicace: qu'il est la lumière du monde.  Et c'est sûr que lui, il voit clair et il sait ce qu'il fait. 


Il a ajouté que Lazare s'était endormi, et qu'il allait le tirer de son sommeil. Toujours ces drôles de mots. Pourtant si Lazare dort, c'est bon signe. Mais une fois de plus, nous n'avions pas compris; il nous a regardés comme si nous étions un peu bêtes, et a dit que Lazare était mort. 


Là je me suis bien demandé ce qu'il allait pouvoir faire, puisque c'était trop tard. Il a même dit qu'il était content que cela se soit passé ainsi, pour que nous croyions. Croire en quoi? Et là, Thomas, qui a pris un peu le rôle de chef, a dit qu'il y allait avec lui, même si c'était pour perdre la vie en même temps que lui; et nous sommes tous partis.

 

A l'entrée de Béthanie, on nous a dit que Lazare était mort depuis plusieurs jours; ce que Jésus nous avait dit. Je pense que Marthe a été avertie de notre arrivée, et elle est venue à la rencontre de Jésus tout de suite. Ensuite nous avons su qu'il y avait dans leur maison beaucoup de Juifs de Jérusalem, qui étaient venus pour les consoler. Marie, elle, n'avait pas bougé de la maison à ce moment- là. 

 

Marthe a dit à Jésus que s'il avait été là, son frère ne serait pas mort. Cela, c'était évident, Jésus aurait empêché cela; sauf qu'il n'a rien fait, et qu'il n'est pas revenu avec le serviteur; je pense que Marthe lui en voulait peut-être un peu, mais ce qui est fait est fait. Elle a ajouté qu'elle était sûre que tout ce que Jésus demanderait à Dieu, Dieu le lui accorderait. 

 

Cela c'est un peu curieux. Qu'est-ce que Jésus devrait demander à Dieu? Lazare est mort. Bon je sais que par le passé, le prophète Élisée a redonné vie à un petit garçon, mais c'était un enfant, ce n'est pas pareil. 

 

Jésus lui a alors dit que son frère ressusciterait; mais de cela elle était convaincue: mais dans un futur que personne ne connaît, sauf le Tout Puissant. Puis Jésus a affirmé qu'il était, lui, la résurrection et la vie, et que celui qui croyait en lui, vivrait, même s'il meurt. Et que quiconque vit et croit en lui, ne mourra jamais. 


Quelle phrase étonnante. Marthe a regardé Jésus comme si elle le voyait autrement, elle l'a regardé longuement avec des larmes dans les yeux. Elle, elle a compris, mais peut-être pas avec des mots, ce qu'il venait de dire, et elle a affirmé qu'elle croyait cela, et que lui Jésus était le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde. Cela c'est ce que Jésus aimerait tellement entendre des pharisiens; qu'ils reconnaissent cela, mais eux, ils ne veulent pas.

 

Ils se sont regardés longuement. Nous, autour, nous étions muets. Puis Marthe est partie, et peu de temps après Marie est arrivée. Quand elle a vu Jésus, elle s'est jetée à ses pieds et lui a dit en pleurant que s'il avait été là son frère ne serait pas mort; la même phrase que sa sœur, mais elle, elle pleurait. Et Jésus s'est comme figé, et on voyait bien à quel point la peine de Marie le bouleversait. Avec Marthe ça n'avait pas été pareil; là il était ému, et ça se voyait. 

 

Des amis de la famille étaient là aussi. Il a demandé où le corps avait été mis. On lui a a dit de venir et de voir; et là, il s'est mis à pleurer. Cela fait quelque chose de voir un homme pleurer; et lui il pleurait, il montrait combien il était triste, et qu'il ne pouvait pas se retenir.

 

Nous sommes tous arrivés au tombeau. Jésus a demandé qu'on enlève la pierre. Naturellement Marthe n'a pas pu s'empêcher de dire qu'il ne fallait pas, que le corps sentait mauvais. Elle n'avait pas compris pourquoi Jésus demandait cela, et nous non plus. On ne va pas voir un cadavre. 

 

Ce qui s'est passé ensuite c'est inimaginable. Jésus s'est adressé au mort, il a ordonné à Lazare de sortir! Vous vous rendez compte; de se lever, debout, de sortir. Et Lazare est sorti, avec les pieds les mains entravés par les bandelettes et le suaire sur le visage. Nous étions pétrifiés, car ce qui se passait là, ce n'était pas une apparition, c'était bien le mort qui était revenu à la vie.

 

Jésus a alors parlé, il a dit de le délier et de le laisser aller. Oui, il fallait bien faire quelque chose. Sauf que personne n'avait trop envie de le toucher; mais il fallait bien le faire, et naturellement c'est Marthe qui l'a fait. Elle semblait tellement heureuse. 

 

Nous nous étions vraiment sous le choc. Voir quelqu'un qui sort de son tombeau, cela fait peur. 

 

Lazare est revenu dans sa maison, aidé par ses sœurs. Jésus a choisi de ne pas rester, car nous nous doutions que dès que les prêtres seraient au courant de ce qui venait d'arriver ils feraient tout pour tuer Jésus. Redonner la vie à un homme mort depuis quatre jours, jamais cela n'avait été vu en Israël et cela ne pouvait être que l'œuvre de Dieu.

 

Nous sommes partis dans la ville d'Ephraïm. 

Que Dieu nous protège, car peut-être que les jours du Rabbi sont comptés.

dimanche, mars 19, 2023

Jn 9, 1-41. Guérison de l'aveugle-né. 4° dimanche de Carême.Mars 2023

Jn 9, 1-41: La guérison de l'aveugle-né, 4° dimanche de Carême - Mars 2023.

 

"Naître d'en haut".

 

 

Le quatrième dimanche de Carême, c'est le dimanche Laetare, le dimanche de la joie, le dimanche où on se réjouit, et dans notre paroisse qui accueille aujourd'hui les catéchumènes pour le deuxième scrutin il y a de quoi se réjouir. Le seul ennui c'est que maintenant on ne chante plus les antiennes d'ouverture des célébrations, et c'est peut-être bien dommage.  C'est aussi le dimanche en "rose". Mais c'est surtout le dimanche de la guérison de cet homme qui n'a jamais pu voir ce qui est autour de lui. Et quand on essaie de se représenter cela, c'est vivre dans le noir; c'est connaître le monde par le contact, et c'est être obligé de faire confiance en permanence aux autres, pour beaucoup de gestes de la vie de tous les jours. 

 

Peut-être que la cécité de cet homme est différente de celle des aveugles qui sont guéris dans les autres évangiles. Je sais qu'il y a en Afrique des virus qui provoquent la cécité. Il s'agit alors d'une perte. Notre aveugle, lui, il n'a jamais vu, ce qui est bien différent. 

 

Je dois dire aussi que des aveugles de naissance, j'en ai connu deux ou trois. C'était des séquelles de prématurité, et je dois dire que si je n'avais pas su qu'il y avait cette cécité je ne l'aurais pas remarqué, car ces jeunes tournaient la tête vers ceux qui leur parlaient, et que leur regard était clair; mais hélas ils étaient bien aveugles, avec un gros handicap moteur. C'est pour cela, je veux dire le handicap associé,  que dans mon récit, puisqu'il y a cette difficulté à reconnaître en l'homme guéri celui qui fut aveugle, j'ai pensé que son corps aussi avait participé à la guérison, ce qui rendait plus difficile la reconnaissance.

 

J'avais commencé à travailler ce texte et, ce matin, en regardant les lectures associées, le verset: "à partir de ce moment l'Esprit Saint s'empara de lui " m'a paru très importante: onction et esprit. Puis en laissant à nouveau le texte travailler, je crois que l'Esprit m'a soufflé que dans cet évangile, il ne faut pas en rester au premier sens du mot. Et qu'il faut peut-être remplacer "aveugle-né", par "aveugle de naissance"; et là, cela renvoie à ce que Jésus dit à Nicodème au chapitre 3: 

 

03 Jésus lui répondit: « Amen, amen, je te le dis: à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu. »

04 Nicodème lui répliqua: « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître? »

05 Jésus répondit: « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu.

06 Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit. »

 

 

L'homme, avec la boue sur les yeux, est bien le glaiseux, le boueux que nous sommes tous. Il va se laver les yeux, et il renaît de l'eau. Puis en tenant tête aux Pharisiens, en reconnaissant en Jésus "le Fils de l'Homme" et en se prosternant devant lui, il est né de l'Esprit; cet aveugle de naissance est bien né de nouveau.  Et je crois que c'est cela la pointe de cet évangile, naître de nouveau, être rempli du souffle de l'Esprit. Alors cet homme;, lui, entre déjà dans le Royaume, ce qui n'est pas le cas des Pharisiens qui eux, pensent savoir, mais sont des aveugles endurcis, malgré ce qu'ils pensent d'eux-mêmes.

 

Retour sur les synoptiques et les guérisons d'aveugles

 

La guérison la plus connue, c'est celle de l'aveugle de Jéricho, qui se retrouve dans les trois synoptiques: Mt 20, 29-34 (mais il y a deux aveugles); Mc 10, 46-52 (récit le plus fourni); et Lc 18, 35-43. 

 

Mais il y en a d'autres durant le début de la vie publique, et c'est Matthieu qui en est le champion, ce qui se comprend car ouvrir les yeux des aveugles, faire marcher les boiteux, cela était annoncé par Isaïe Is 35,5-6 et Is 42,16-18: le raconter permettant de comprendre que Jésus est bien le Messie annoncé. 

 

Par ailleurs la cécité, sur le plan symbolique, cela renvoie à la raideur de la nuque, à la surdité, ce qui est reproché par tous les prophètes. 


 

J'ai réuni en un tableau ces récits de guérisons d'aveugles, mais je l'ai mis en fin de billet, pour ne pas alourdir. Mis à part la guérison opérée à Jéricho et qui est pratiquement le dernier miracle public de Jésus, les infirmes guéris ne doivent pas raconter ce qui s'est passé. Seul l'infirme de Jéricho suit Jésus sur son chemin, et c'est une constante des trois évangiles. Il en ira de même pour l'aveugle de Jérusalem, mais lui verra et reconnaîtra en Jésus - cet homme qu'il n'a pas pu voir et dont il connaît seulement la voix - le Fils de l'Homme. 

 

 

Comparaison entre les synoptiques et le récit johannique

 

D'une manière générale Jésus touche, ou impose les mains (sauf dans la version lucanienne de l'aveugle de Jéricho), mais il y a d'emblée la foi qui est là: Jésus répond à une demande plus ou moins explicite. 

 

Or chez Jean, cette guérison n'est pas demandée, d'autant que l'homme ne sait pas que Jésus est là. Et c'est un peu comme lors de la guérison du paralytique de la piscine aux cinq portiques. Là on retrouve un peu ce qui se passe pour la guérison des dix lépreux (eux doivent aller se montrer aux prêtres et c'est sur la route que la lèpre les quitte, que le péché s'en va): l'homme doit aller se laver , donc obéir, et c'est l'obéissance qui va permettre le miracle, mais aussi plus que cela. Car si Jésus est pour lui un prophète avant la rencontre visuelle, il le reconnaîtra ensuite comme le Fils de l'homme, ce qui est bien autre chose.

 

La source de Siloé n'est pas n'importe quelle source. Elle permet le ravitaillement en eau de Jérusalem en cas de siège, mais surtout c'est de ce lieu que sont puisées les eaux qui sont montées en procession lors de la clôture de la fête des Tentes. Obtenir l'abondance de l'eau: cela c'est aussi ce que Jésus promet, que ce soit à la Samaritaine ou lors de la fête des Tentes, Jn 7, 37: Au jour solennel où se terminait la fête, Jésus, debout, s’écria: « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi".

 

Ce chapitre dans l'évangile de Jean

 

Mais avant d'aborder le texte, il faut revenir un peu en arrière, car il s'est passé bien des choses avant cette guérison, l'avant dernière du livre des signes. Il y a eu celle du paralytique de la piscine aux cinq portiques qui est, comme pour l'aveugle, un geste gratuit de Jésus, je veux dire qu'il n'y a pas de demande et que cela se passe un jour de Sabbat. Si pour le paralytique, porter son grabat est vu comme une transgression à la loi, il est certain que guérir, faire du bien ce jour, peut nous paraître normal, mais ce ne sera pas le cas pour les Pharisiens, qui considèrent cela comme une transgression à la loi donnée par Moïse.  

 

Dans le chapitre qui précède cette guérison, Jésus, après avoir évité la lapidation de la femme adultère, a proclamé qu'il était la lumière du monde, et que celui qui le suit aura la lumière de la vie Jn 8,12. Et cela est important, car il ne s'agit pas d'un futur mais d'un présent. Et c'est certainement ce qui va se passer pour l'aveugle, qui va passer d'une guérison physique à une autre guérison: voir en Jésus la lumière qui donne la vie. Ce chapitre se termine mal pour Jésus qui manque de se faire lapider et qui doit se cacher pour sortir du temple.

 

On peut aussi en reprenant brièvement "les signes" se rendre compte de la place que prend l'eau dans cet évangile. 

Le premier signe, celui de l'eau transformée en vin, a peut-être son pendant dans le repas à Béthanie, qui est en quelque sorte un repas de funérailles, les larmes remplaçant l'eau. Il y a surtout la source ou le puits de la rencontre avec la Samaritaine et la soif de Jésus; la guérison du paralytique qui ne peut entrer dans cette eau qui bouillonne; la guérison de l'aveugle qui se lave à la source de Siloé - dont le nom veut dire l'Envoyé; et ce dernier repas où Jésus va laver les pieds de ses amis. Place de l'eau, de cette eau qui jaillira du côté transpercé pour donner la vie. 

 

Première description de la rencontre

 

Ce jour-là, quand Jésus arrive au Temple, il voit à la porte un aveugle en train de mendier. Il faut savoir que ni les aveugles ni les boiteux n'ont le droit d'entrer dans le Temple (2 Sam 5), interdiction promulguée par David lors de la prise de la forteresse de Jérusalem. A cet homme qui ne demande rien, Jésus propose un acte de foi : aller se se laver en quittant la sécurité de sa place plus ou moins réservée devant le Temple, prendre un chemin qui descend, donc pas facile pour un aveugle. Et aussi faire peut-être plus que les mille pas autorisés le jour du sabbat. 

 

Mettre de la boue en la malaxant avec de la salive, c'est un geste normal. On dit que cela évoque la création, puisque Dieu prend de la boue pour façonner le premier homme: Gn 07 - Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. 

 

Et c'est bien un nouvel homme qui renaît après avoir lavé ses yeux et son visage dans l'eau de la source. Mais la suite ne sera pas simple pour lui, puisque les pharisiens vont aller jusqu'à mettre en doute sa cécité initiale; et ce que cette péricope montre, c'est que les aveugles ce sont ceux qui croient voir. Cela reste bien quelque chose qui nous interroge encore et encore.



Travail sur le texte

 

Découpage possible:

 

Séquence 1: Jésus, ses disciples et l'aveugle.

Séquence 2: l'aveugle et son voisinage.

Séquence 3:

3a - Première rencontre avec les pharisiens: accent porté sur le non-respect du sabbat.

3b - Les parents convoqués par les pharisiens.

3c - Nouvelle rencontre avec les pharisiens et exclusion de la synagogue

Séquence 4:

4a Avec l'ancien aveugle.

4 b Avec les pharisiens.

 

 

 

Séquence 1: Jésus, les disciples, l'aveugle.

 

1 En ce temps-là, en sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance.

2 Ses disciples l’interrogèrent: « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? »

 

Les aveugles et les boiteux n'avaient pas le droit d'entrer dans le Temple. Comment sait-on que cet homme est aveugle de naissance? Peut-être que cela se voit à l'œil nu: pour les disciples c'est évident; et survient la question du pourquoi. C'est la faute à qui? On sait que dans l'Exode - Ex 34,7 - Dieu dit qu'il punit la faute des pères sur les fils et les petits-fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération. Mais le prophète Ezéchiel, promet (Ez 18,20) que le fils ne portera pas l'iniquité du père, et le père ne portera pas l'iniquité du fils. 

La demande des disciples demeure: C'est la faute de qui? Et comme David a dit qu'il était "pécheur dès le sein de sa mère", tout devient possible, dans ce registre de rejet de la faute. 

  

3 Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui.

4 Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne pourra plus y travailler.

5 Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. »

 

 Je me dis que pour l'aveugle, entendre cela, ça doit être très dur. La réponse de Jésus, ne peut que lui faire du bien, et c'est sûrement quelque chose qui peut le mettre en route. Une parole de réconfort, qui ne lui est pas adressée. Mais Jésus va plus loin, comme cela se passera avec la maladie de Lazare: ce qui se passe là, ce qui se passera là, a pour but de montrer la puissance de Dieu, et que Jésus obéit à ce que son père lui demande. Il affirme, et pour un aveugle cela doit résonner beaucoup plus que pour un autre, qu'il est la lumière du monde, du moins pour le temps présent.

 

 

6 Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle,

7 et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce nom se traduit : Envoyé. L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait.

 

 

Et là c'est le geste assez classique des guérisseurs, utiliser la salive, mais prendre de la poussière de la terre, cela évoque la création (Gn 2) et il s'agit bien d'une re-création. Une partie reste à l'homme: aller se laver la piscine de Siloé. L'homme y va, il doit sûrement être aidé, et il revient au temple, maintenant qu'il a le doit d'y entrer. On ne sait pas quand le miracle a eu lieu, à Siloé ou sur le chemin du retour? La guérison a eu lieu. Sur la foi d'une parole il s'est mis en route, et - pardon pour le jeu de mots - mais peu importe le regard des autres sur son visage.

 

Séquence 2. L'homme n'est pas reconnu par ceux qui le connaissent, mais dit que c'est bien lui. 

 

8 Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant – car il était mendiant – dirent alors : « N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? »

9 Les uns disaient : « C’est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. » Mais lui disait : « C’est bien moi. »

10 Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-ils ouverts ? »

 

Et voilà, les interrogations des voisins, de ceux qui lui donnent peut-être une petite pièce de temps en temps. C'est étonnant ça, il voit? Qu'est ce qui s'est passé. 

 

11 Il répondit : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il me l’a appliquée sur les yeux et il m’a dit : “Va à Siloé et lave-toi.” J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. »

12 Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. »

 

Ce qui est étonnant, c'est que certains de ceux qui ont l'habitude de le voir ne le reconnaissent plus, et cela m'évoque Jésus après la résurrection: il est le même et il n'est pas le même. Alors on peut penser que ce qui s'est passé en cet homme va bien au-delà de la simple guérison. Jésus, lui, est le grand absent des séquences qui suivent.

 

 

Séquence 3: les pharisiens. 

 

Séquence 3-a. l'aveugle et les pharisiens 

 

13 On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle.

14 Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.

 

Ce n'est que maintenant que l'on apprend la transgression: guérir un jour de Sabbat; et désormais ce n'est plus la guérison qui sera mise en cause, mais bien le fait que Jésus ne respecte pas la loi de Moïse.

 

15 À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir. Il leur répondit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. »

16 Parmi les pharisiens, certains disaient : « Cet homme-là n’est pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. » D’autres disaient : « Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés.

 

17 Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? » Il dit : « C’est un prophète. »

 

Si la guérison à ce stade n'est pas mise en doute, un doute vient diviser le groupe: comment un homme pourrait-il accomplir de pareils signes s'il n'est pas de Dieu. Pour l''ancien aveugle, celui qui lui a ouvert des yeux est un prophète, donc un homme à qui Dieu parle et qui transmet les paroles de Dieu.

 

Séquence 3-b les parents convoqués par les pharisiens

 

18 Or, les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme avait été aveugle et que maintenant il pouvait voir. C’est pourquoi ils convoquèrent ses parents

19 et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu’il est né aveugle ? Comment se fait-il qu’à présent il voie ? »

 

20 Les parents répondirent : « Nous savons bien que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle.

21 Mais comment peut-il voir maintenant, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer. »

 

22 Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet, ceux-ci s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ.

23 Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! »

 

Cet interrogatoire, au cours duquel manifestement les parents ont peur, est assez étrange. Il faut s'assurer de l'identité de celui qui a été guéri, avec peut-être l'idée sous-jacente que l'on a trouvé un homme qui ressemblait à l'infirme, mais qui était un voyant, ce qui permet de faire croire que Jésus a fait un miracle. C'est quand même très tordu comme raisonnement! Cela revient à prêter à Jésus un désir de puissance, et non un désir d'amour. Si Jésus guérit ce jour là, c'est sûrement, comme il le dit, pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui, et qu'en lui la lumière soit reconnue; ces lumières qui sont plus fortes que les ténèbres, qui ne peuvent les retenir.

 

Séquence 3-c  L'ancien aveugle convoqué à nouveau par les pharisiens. 

 

24 Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l’homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. »

 

Pourquoi devrait-il rendre gloire à Dieu? Parce ce que celui qui lui a rendu la vue est un imposteur? Cela parait vraiment étrange.

 

25 Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien. Mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et à présent je vois. »

26 Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t’ouvrir les yeux ? »

27 Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre encore une fois ? Serait-ce que vous voulez, vous aussi, devenir ses disciples ? »


Et c'est un peu le dialogue de sourds qui se terminera par des injures. Mais ce qui est sous-jacent c'est que cet homme est maintenant devenu disciple, juste l'inverse de ce qu'imaginaient les pharisiens.

 

28 Ils se mirent à l’injurier : « C’est toi qui es son disciple; nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples.

29 Nous savons que Dieu a parlé à Moïse; mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est. »

30 L’homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d’où il est, et pourtant il m’a ouvert les yeux.

31 Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce.

32 Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance.

33 Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. »

 

 

C'est finalement un très beau (ou très triste) dialogue. Pour les pharisiens, puisque Jésus, dans leur logique, ne respecte pas la loi de Moïse, il est pécheur, donc un maudit; alors qu'eux sont les purs, ce que Jésus passe son temps à contester en affirmant même que leur père c'est le diable et non Abraham (voir chapitre 8). 

 

34 Ils répliquèrent : « Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.

 

Ici l'homme guéri n'est pas lapidé mais exclu, comme s'il était un lépreux.

 

 

Séquence 4 

 

4-a Jésus avec l'ancien aveugle, en présence de pharisiens.

 

35 Jésus apprit qu’ils l’avaient jeté dehors. Il le retrouva et lui dit : « Crois-tu au Fils de l’homme ? »

36Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »

37 Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »

 

38 Il dit : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.

 

Ce que j'aime bien dans cette courte séquence, c'est que Jésus vient au secours de celui qu'il a guéri. Avoir été mis dehors, alors qu'il peut enfin entrer dans le Temple, cela parait complètement injuste et injustifié. Mais cela permet une confession de foi, qui montre que cet homme ne voit plus en Jésus un prophète, mais le Fils de l'homme, ce qui est bien confesser la divinité. 

 

4-b les pharisiens.

 

39 Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »

40 Parmi les pharisiens, ceux qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous aveugles, nous aussi ? »

41 Jésus leur répondit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : “Nous voyons !”, votre péché demeure. »

 

Étonnant comme jugement, mais rendre la vue à ceux qui ne peuvent pas voir (mais qui le reconnaissent) et enlever encore plus la vue à ceux qui pensent voir, peut paraître étonnant, mais cela évoque un peu le combat entre Pharaon et Moïse et l'endurcissement du cœur, car c'est bien de cela dont il est question.

 

La question posée par les pharisiens qui sont présents (on a un peu l'impression qu'ils sont partout), donc la question de leur cécité (qu'ils n'acceptent pas), est de fait une question qui me taraude depuis toujours. C'est si facile de s'estimer voyant, alors qu'on navigue dans les ténèbres. Mais, au moins, le savoir permet de demander de l'aide à celui qui est la Lumière du monde.

 

 

L'aveugle de naissance raconte. 

 

Aveugle je suis né, aveugle je suis resté, au grand désespoir de mes parents. Je crois que je suis né un peu trop tôt, mais non seulement j'ai un peu de mal pour me déplacer, mais je suis dans le noir depuis toujours. Et pourtant j'ai grandi, peut-être difficilement mais j'ai grandi, je parle, je connais les mots, je connais la chaleur, le froid, mais le soleil je ne l'ai jamais vu, la lune non plus, je suis dans le noir, les ténèbres depuis ma naissance. 

 

Je ne peux rien faire, alors je mendie. On me conduit à l'une des portes du Temple tous les matins, et je tends la main. Que puis-je faire d'autre. Le temple aussi m'est interdit et pourtant que j'aimerais pouvoir assister à ces offices qui sont si beaux. Mais non, les aveugles n'ont pas le droit d'entrer dans le Temple. 

 

Pourquoi suis-je ainsi? Je ne le sais pas, certains autour de moi, disent que c'est la faute de mes parents, d'autres que c'est de ma faute à moi.  C'est facile de rejeter la faute sur les autres; moi, si je pouvais, je leur crierais que ce n'est de la faute de personne, et que tous les jours je vis avec ce malheur. 

 

Ce matin-là, comme tous les matins, j'étais installé à ma place; il y avait déjà quelques piécettes déposées par ceux qui ont l'habitude de me voir. Il m'a semblé que plusieurs personnes passaient devant moi et me regardaient. 


L'une d'entre elles a demandé à une autre si c'était moi qui avais péché, ou bien mes parents. Cela m'a mis de mauvaise humeur, la matinée commençait mal. Un autre a répondu que mes parents et moi-même n'avions rien à voir là-dedans, mais que si j'étais comme cela, c'était pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en moi. Je n'ai pas compris ce qu'il voulait dire, mais que quelqu'un prenne ma défense, alors là, je n'en revenais pas. 


Il a surtout dit ensuite qu'il était la lumière du monde (et là j'ai imaginé, même si imaginer c'est difficile quand on ne voit pas) qu'il était peut-être comme ce soleil dont je sentais la chaleur, mais que je ne voyais pas, quelqu'un de bon. Et juste après, j'ai senti sur mes yeux quelque chose de froid. J'ai su qu'il avait craché sur le sol, fait de la boue avec la poussière et qu'il avait posé cette boue sur mes yeux. Et il m'a dit d'aller me laver à la piscine de Siloé. Elle est loin cette piscine, je n'y vais jamais, mais il s'est passé un premier miracle pour moi. Quelqu'un m'a pris par le bras, m'a aidé à me lever, parce que cela ce n'est pas facile non plus pour moi, et m'a conduit à Siloé. Il a fallu du temps pour y arriver et j'avais l'impression qu'avec ce truc sur mon visage, tout le monde devait se demander ce que j'avais fait. 

 

Nous sommes arrivés à Siloé, il y avait le bruit de la source qui coulait. J'ai pris de l'eau, je me suis lavé. Et là, comment dire ce que j'ai ressenti. Il y avait le frais de l'eau, la boue qui partait, et mes yeux, mes pauvres yeux morts qui sont devenus vivants et j'ai vu. J'ai vu la source, j'ai vu le soleil, j'ai vu les arbres, j'ai vu le vent, j'ai vu et en même temps, il y avait en moi comme une force qui me redressait, qui me mettait debout, qui m'affermissait, et je suis remonté tout seul au temple. Et en moi, ça chantait la gloire de Dieu. Que j'aurais voulu le remercier cet homme qui avait permis cela. Celui qui m'avait accompagné, et qui était dans la stupeur, m'avait dit que c'était Jésus. 

 

Jésus, j'en avais entendu parlé; je savais qu'il avait chassé les vendeurs qui s'étaient installés dans le temple, et que souvent il prêchait. Je savais aussi qu'il avait guéri un paralytique à la piscine des cinq portiques, et je ne désirais qu'une chose, lui dire ma joie, ma reconnaissance; et s'il le voulait bien, le suivre. Mais ça ne s'est pas passé tout à fait comme cela.

 

Ceux qui me connaissaient ne me reconnaissaient pas. Parce que, comme je l'ai dit, mes yeux étaient ouverts; mais aussi mon corps s'était redressé et fortifié. Ils m'ont demandé de raconter ce qui s'était passé et je leur ai raconté comment l'homme qu'on appelle Jésus avait fait de la boue, m'avait dit de me laver à la piscine de Siloé, et comment j'avais retrouvé la vue. Ils voulaient voir Jésus, mais il avait disparu; et pourtant que j'aurais aimé qu'il soit là. 

 

Ils m'ont alors conduit auprès des pharisiens, et j'ai dû raconter ce qui s'était passé, mais eux, ma guérison ça leur était égal, ils étaient en colère parce que cela s'était passé le jour du Sabbat et que guérir ce jour-là, ce n'est pas permis, du moins c'est ce qu'ils pensent eux. Et du coup, ils se disputaient pour savoir si Jésus était un pécheur ou un homme de Dieu, et ça discutait ferme entre eux, et moi je ne comptais plus pour eux, je n'étais à nouveau rien. Ils m'ont quand même demandé ce que moi je disais de lui, et j'ai répondu qu'il était un prophète, mais je suis sûr qu'il est bien plus que cela. Et je suis parti.

 

J'ai dit que mes voisins ont eu du mal à me reconnaître, alors ils se sont imaginé que je n'avais jamais été aveugle, que j'avais fait semblant de ne pas voir, pour que l'on puisse attribuer un miracle à Jésus. Les Pharisiens ont convoqué mes parents pour qu'ils attestent que j'étais bien leur fils qui était né aveugle. Cela les a bien ennuyé d'être ainsi convoqués, parce que les pharisiens détestent tous ceux qui croient que cet homme est le messie, l'envoyé du Très Haut, et les excluent de la synagogue, les traitant comme des lépreux. Mes parents ont juste dit que j'étais bien leur fils et qu'ils pouvaient m'interroger s'ils en avaient envie. Et ils m'ont à nouveau convoqué.

 

Moi, je n'étais pas trop content, celui que je voulais voir, celui que mon cœur attendait, c'était Jésus. Ils ont commencé par me dire que je devais rendre gloire à Dieu parce qu'eux savaient que celui qui m'avait guéri était un pécheur. Je me suis retenu pour ne pas leur rire au nez. Comment Dieu pourrait-il écouter un pécheur? Et tout ce que je savais, c'était que je voyais. Du coup ils ont encore voulu savoir comment ça s'était passé, seulement moi j'ai refusé de raconter encore une fois. Je leur ai demandé s'ils voulaient  devenir ses disciples, mais là, ils se sont mis en colère. Ils disaient qu'ils étaient disciples de Moïse, ce qu'ils passent leur temps à clamer haut et fort et à dénigrer tous les autres. Et comme ma guérison avait eu lieu un jour de Sabbat, ils ont ajouté que lui, il n'était sûrement pas disciple de Moïse et que personne ne savait d'où il sortait, à quelle école il appartenait, comme s'il fallait appartenir à une école!

 

Je n'ai pas pu me retenir, et tant pis s'ils me mettent dehors, et j'ai ajouté que Dieu n'exauce pas les pécheurs, mais que si quelqu'un fait sa volonté, il l'exauce et que si lui n'était pas un homme de Dieu, il n'aurait pas pu m'ouvrir les yeux, à moi, un aveugle de naissance. Là ils étaient très en colère, ils ont crié sur moi en me disant que j'étais dans le péché depuis ma naissance et ils m'ont jeté dehors. 

 

Tandis que je rentrais chez moi, triste malgré tout, de leur dureté, Jésus est venu à ma rencontre; on lui avait dit ce qui venait de se passer; et en moi, simplement le voir avec mes nouveaux yeux, mes yeux de chair, cela me donnait le bonheur. 

 

Il m'a regardé, et je l'ai regardé. Le temps s'est comme arrêté. Il m'a demandé si je croyais au Fils de l'homme. Je lui ai demandé de qui il parlait pour que je croie en lui. Mais je savais bien qu'il parlait de lui, et je lui ai demandé quand même qui était ce fils de l'homme pour que je croie en lui, puisque je savais bien que celui qui me parlait était le Fils de l'homme. Il m'a dit que c'était lui, et je me suis prosterné devant lui. 

 

Il a ajouté pour les autres qui écoutaient et qui regardaient, qu'il était venu dans ce monde pour que ceux qui ne voient pas, puissent voir, et que ceux qui voient, deviennent aveugles. Enfin, moi j'aurais dit, ceux qui croient voir, qui estiment voir parce qu'ils ont un savoir, des lettres; mais ce n'est pas ce qu'il a dit. Seulement, les pharisiens qui étaient là ont bien compris qu'il parlait pour eux, et naturellement ils ont posé une question, eux ces poseurs de questions. Ils ont demandé s'ils étaient aveugles eux aussi, à quoi il leur a répondu que s'ils étaient (de vrais) aveugles ils ne seraient pas dans le péché, mais que comme ils disent qu'ils voient (en fait: qu'ils ont le savoir), leur péché demeure. Et ils sont partis pas contents.

 

Moi je me suis relevé, et je me suis mis à son service. Pour lui, j'irai jusqu'au bout du monde, mais là, je l'ai invité dans la maison de mes parents et nous avons fait la fête. Ils avaient enfin un fils, et moi j'avais la vie en moi, cette autre vie, la vraie, l'unique, celle que lui seul donne.


Nicodème raconte.

 

Le rabbi Jésus ne cessera jamais de m'étonner. Je l'avais rencontré de nuit, parce que comme je suis un notable, je ne voulais pas trop être vu en compagnie de ce Galiléen et de sa petite bande de disciples, que je trouve complètement incultes. Et pourtant la Parole il la connaît, et il en vit. 

 

lI m'avait dit qu'à moins de renaître d'en haut, on ne pouvait pas voir le royaume de Dieu, ce à quoi j'avais rétorqué que je me voyais mal revenir dans le sein de ma mère. Il m'avait lancé un drôle de regard, un peu moqueur, un peu triste, comme si j'avais dit une énormité, et il avait dit alors que personne, à moins de naître de l'Esprit et de l'eau, ne pouvait entrer dans le royaume. Il a ensuite parlé de l'Esprit qui souffle ou il veut, et qui serait à l'origine de cette nouvelle naissance. Je n'ai pas compris, tout maître en Israël que je sois. 

 

Il en a dit des choses ce soir-là, dont une que je retiens au fond de mon cœur. Il a dit que Dieu avait tellement aimé le monde qu'il a donné son fils unique, pour que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Cette vie éternelle, nous les pharisiens nous la désirons tellement que nous suivons à la lettre toutes les prescriptions données par notre père Moïse, prescriptions que ce Jésus semble prendre à cœur de transgresser. Pourtant il dit des choses tellement étonnantes; il dit qu'il est la lumière du monde, et quand on le regarde, on la voit en lui cette lumière.

 

Dernièrement, nous nous sommes réunis pour parler du cas d'un homme que Jésus avait guéri de sa cécité un jour de sabbat. Quelle transgression! Comment peut-il ignorer les préceptes divins? 

 

Cet homme, c'est un aveugle de naissance. Et cela m'a ramené à ce soir où Jésus avait parlé de renaître. D'après ce que nous avions su, l'homme guéri mendiait à la porte du Temple, puisqu'il n'a pas le droit d'y pénétrer. Jésus aurait craché sur le sol, fait de la boue. Cette boue, il l'a appliquée sur ses yeux et il l'a envoyé se laver à la piscine de Siloé; et l'homme a retrouvé la vue. Lui l'aveugle de naissance, il est né à nouveau, grâce à cette eau qui n'est pas n'importe quelle eau, puisque c'est celle que nous montons en procession dans le Temple pour la conclusion de la fête des Tentes. Et si je dis cela, c'est que cet homme, ce mendiant, quand je l'ai vu j'ai eu comme un choc. Ses parents avaient déjà été convoqués car certains d'entre nous pensaient à une supercherie, mais ils avaient certifié que c'était bien leur fils. 

 

Cet homme, il y avait en lui quelque chose en plus. Certes il découvrait le monde, mais en lui, il y avait autre chose, comme si l'éternité était déjà en lui. Pourtant mes confrères ont fini par le mettre dehors, à le renvoyer en lui disant qu'il était un pécheur, que Jésus en était un aussi; alors que moi je sais que cet homme est rempli de cet Esprit qui était déjà sur David au moment de son onction.

 

Je sais que j'ai vu un homme qui est né d'en haut. Il a été purifié par l'eau, mais aussi par le geste et la parole de Jésus; et il est devenu un vivant, alors que nous avec notre savoir, parfois nous sommes des momies. 

 

Et cela Jésus, l'a reproché à mes amis qui l'ont vu parler avec l'homme qui a recouvert la vue et qui s'était prosterné devant lui. Il leur a dit qu'il était venu pour que les aveugles recouvrent la vue et pour que ceux qui voient deviennent aveugles. Ce à quoi les confrères lui ont demandé si c'était pour eux qu'il disait ça. Et lui a répondu, à sa manière, que parce que nous sommes sûrs de voir, nous sommes dans le péché. Et je sais qu'il a raison le Rabbi Jésus, et je sais aussi que cela le mènera à la mort, malgré tous mes efforts pour le protéger. 

 

Il faut que je le revoie, et qu'il me parle de lui, de son Père, et de cet Esprit qui donne la vie. 

 

 

 

Tableau comparatif des récits de guérison d'aveugles dans les Synoptiques.

 

Matthieu

Marc

Luc

Mt 9, 27-28

 

27 Tandis que Jésus s’en allait, deux aveugles le suivirent, en criant : « Prends pitié de nous, fils de David ! »

 

 

 

28 Quand il fut entré dans la maison, les aveugles s’approchèrent de lui, et Jésus leur dit : « Croyez-vous que je peux faire cela ? » Ils lui répondirent : « Oui Seigneur. »

 

 

 

 

 

 

29 Alors il leur toucha les yeux, en disant : « Que tout se passe pour vous selon votre foi ! »

 

 

30 Leurs yeux s’ouvrirent, et Jésus leur dit avec fermeté : « Attention ! que personne ne le sache ! »

 

 

31 Mais, une fois sortis, ils parlèrent de lui dans toute la région.

 

Mc 8, 22-26

 

22 Jésus et ses disciples arrivent à Bethsaïde. Des gens lui amènent un aveugle et le supplient de le toucher.



23 Jésus prit l’aveugle par la main et le conduisit hors du village. Il lui mit de la salive sur les yeux et lui imposa les mains. Il lui demandait : « Aperçois-tu quelque chose ? »

24 Levant les yeux, l’homme disait : « J’aperçois les gens : ils ressemblent à des arbres que je vois marcher. »

 

 



25 Puis Jésus, de nouveau, imposa les mains sur les yeux de l’homme ; 

 

 

 

celui-ci se mit à voir normalement, il se trouva guéri, et il distinguait tout avec netteté.

 

 

26 Jésus le renvoya dans sa maison en disant : « Ne rentre même pas dans le village. »

 

 

Mt 12, 22-

 

22 Alors on lui présenta un possédé qui était aveugle et muet. Jésus le guérit, de sorte que le muet parlait et qu’il voyait.

 

 

 

 

Mt 15, 30-31

 

29 Jésus partit de là et arriva près de la mer de Galilée. Il gravit la montagne et là, il s’assit.

30 De grandes foules s’approchèrent de lui, avec des boiteux, des aveugles, des estropiés, des muets, et beaucoup d’autres encore ; on les déposa à ses pieds et il les guérit.

31 Alors la foule était dans l’admiration en voyant des muets qui parlaient, des estropiés rétablis, des boiteux qui marchaient, des aveugles qui voyaient ; et ils rendirent gloire au Dieu d’Israël.

 

 

 

Mt 20, 29-34

 

29 Tandis que Jésus avec ses disciples sortait de Jéricho, une foule nombreuse se mit à le suivre.

 

 

 

3

0 Et voilà que deux aveugles, assis au bord de la route, 

 


 

apprenant que Jésus passait, crièrent : « Prends pitié de nous, Seigneur, fils de David ! »

 

 

 

31 La foule les rabroua pour les faire taire. Mais ils criaient encore plus fort : « Prends pitié de nous, Seigneur, fils de David ! »

 

 

 

32 Jésus s’arrêta et les appela : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? »


 

 


 


 

 


 

 

33 Ils répondent : « Seigneur, que nos yeux s’ouvrent ! »

 

 

 

 

 

34 Saisi de compassion, Jésus leur toucha les yeux  



aussitôt ils retrouvèrent la vue

 

et ils le suivirent.

 

 

 

Mc 10, 46-52

 

46 Jésus et ses disciples arrivent à Jéricho. Et tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, l

 

e fils de Timée, Bartimée, un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin.

4

 

 

7 Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! »



 

 

48 Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! »

 

 

 

49 Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. »

50 L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus.

51 Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » 

 

 

 

 

L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! »

 

 

 


 

52 Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt 


l’homme retrouva la vue


 

et il suivait Jésus sur le chemin.

 

Lc 18, 35-43

 

35 Alors que Jésus approchait de Jéricho, un aveugle mendiait, assis au bord de la route.

 

 

36 Entendant la foule passer devant lui, il s’informa de ce qu’il y avait.

37 On lui apprit que c’était Jésus le Nazaréen qui passait.

3

 

8 Il s’écria : « Jésus, fils de Davidprends pitié de moi ! »

3

 

 

 

 

 

 

9  Ceux qui marchaient en tête le rabrouaient pour le faire taire. Mais lui criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! »


 

 

40 Jésus s’arrêta et il ordonna qu’on le lui amène. Quand il se fut approché, Jésus lui demanda :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

41 « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Il répondit : « Seigneur, que je retrouve la vue. »

 

 

 

 

 

42 Et Jésus lui dit : « Retrouve la vue ! Ta foi t’a sauvé. »

 

 

43 À l’instant même, il retrouva la vue

 

il suivait Jésus en rendant gloire à Dieu. Et tout le peuple, voyant cela, adressa une louange à Dieu.