dimanche, mars 12, 2023

Jn 4, 5-42. La samaritaine. 3° dimanche de carême. Mars 2023

La Samaritaine

 

Ce texte revient tous les ans durant le temps de Carême. Je pense que pour les futurs baptisés il  peut avoir un sens très particulier; mais aussi poser beaucoup de questions. Qu'est-ce que cette eau vive promise? Eau du baptême? Esprit Saint?

 

Quand on écoute ou lit toutes les interprétations de ce texte, on (je) ne sais plus trop où donner de la tête. Ce matin c'était St Augustin qui, d'emblée, compare la femme Samaritaine à l'église, et l'eau à l'Esprit Saint. C'est beau, mais quelque part cela ne me satisfait pas. 

 

Mais en lisant cela, je me suis demandée s'il ne fallait pas faire un parallèle avec le discours sur le pain de vie, car la démarche, si on suit le texte, est la même: faire passer du besoin le pain multiplié par Jésus pour répondre à la faim de des auditeurs à un autre pain, celui de la vie , mais avec cette précision si difficile parfois à accepter, et même pouvons-nous vraiment la comprendre, sur le corps qui devient lui nourriture. Mais la femme, elle, accepte ce qui lui est dit par Jésus, peut-être parce qu'en plus "il a dit tout ce qu'elle avait fait" et qu'elle a eu avec lui une relation que ceux de la synagogue de Capharnaüm n'auront pas, ou ne sont pas capables d'avoir. 

 

Je me suis parfois demandé si le début de l'évangile de Jean ne pouvait pas - du moins jusqu'au chapitre 6 inclus, celui sur le pain de la vie - être lu, entendu, vu, comme une catéchèse baptismale; mais cela c'est juste une interrogation.

 

Il faut dire d'emblée que l'évangile de Jean, avec ce passage constant à un autre niveau, ce que j'ai tendance à nommer besoin et désir, n'est pas facile; et que je me demande parfois si Jésus a vraiment parlé comme cela. On comprend que le narrateur, inspiré par l'Esprit, nourri par la relation avec celui que ses yeux ont vu et que ses mains ont touché, puisse écrire comme cela, et nous transmettre en quelque sorte un autre Jésus, qui même s'il reste très très humain (il est fatigué, il a soif, il pleure), est celui qui fait passer de la mort à la vie et qui se met à nos pieds pour cela. 

 

C'est donc ce texte - autour de la soif, où Jésus nous fait passer du niveau le plus basique, l'eau qui vient en réponse à la soif, à cette autre eau, qui étanche une autre soif - qui m'interroge aujourd'hui. 

 

Premières approches du texte

 

Si on cherche ce qui précède le texte, il y a au chapitre 2 les noces de Cana, qui elles se passent en Galilée, puis un séjour à Jérusalem qui ne se passe pas trop bien puisque Jésus chasse d'emblée les marchands installés dans le Temple; mais il éveille la curiosité de Nicodème (chapitre 3), qui rencontre Jésus de nuit; puis le départ en Judée sur les bords du Jourdain. Les pharisiens ne semblant ne pas apprécier que Jésus fasse davantage de disciples que Jean le Baptiste, Jésus quitte ce lieu pour retourner en Galilée et passe par la Samarie. Or les relations entre samaritains et juifs sont loin d'être bonnes, et cela depuis de nombreuses années, voire des siècles. On a un petit écho de cela dans les synoptiques, puisque les deux frères Jean et Jacques souhaitent faire descendre sur eux le feu du ciel, parce qu'on refuse de les accueillir (Lc 9, 56). 

 

Bien sûr, j'ai déjà écrit sur ce texte. Le billet le plus récent date de 2020, https://giboulee.blogspot.com/2020/03/et-leau-que-lui-donnerai-deviendra-  et le plus ancien (qui m'a agréablement surprise quand je l'ai relu) de 2018  https://giboulee.blogspot.com/2018/02/un-dialogue-improbable-jn-4.html    et à priori je ne pensais pas écrire quoique ce soit. 

 

Mais il y a eu une journée passée comme l'an passé, au Prieuré St Benoît, animée par le Père Guy Delachaux, qui nous a proposé une écoute de ce texte, mais aussi de la résurrection (relèvement) de Lazare. 

 

Je dois dire que ce que j'attendais de cette journée, c'était de sortir de mes habitudes, voire de mes certitudes, peut-être d'un certain savoir qui parfois aveugle. Et je n'ai pas été déçue. Ma première surprise a été d'entendre dire que si la femme va puiser au moment où la chaleur est la plus forte, c'est qu'elle a besoin de chercher de l'eau encore et encore: qu'elle est comme enfermée dans un cycle qui est presque de l'esclavage, car elle puise le matin, le midi et le soir; bref elle est dans un enfermement: maison puits, puits maison, maison puits. Or pour moi, si cette femme - cette femme sans nom, cette femme qui pourtant comme Marie de Magdala deviendra témoin - puise de l'eau à cette heure inhabituelle, c'est parce qu'elle veut éviter les regards des autres femmes, elle qui a eu cinq maris, peut-être pas d'enfants, et qu'elle vit avec un homme qui n'est pas son mari. 

 

Moi qui venais pour me faire bousculer dans mes habitudes, je n'ai pas été déçue. 

 

Mais je ne pensais toujours pas écrire, et c'est en commençant à travailler ce texte, en utilisant  aussi en partie ces nouvelles connaissances , qu'une petite idée a germé, le pourquoi pas... 

 

Pour être tout à fait honnête,  je dois ajouter que l'enseignement que mon fils François a donné à la paroisse d'Anse, sur le thème de la soif, m'a aussi donné beaucoup de bon grain à moudre; pour moudre, il faut souvent du temps… 

 

Alors il a déjà fallu laisser travailler le texte, en utilisant ce que j'avais pu retenir de ces deux apports, sans trop savoir ce qui allait en résulter.

 

 

Travail sur le texte. Jn 4, 5-45

 

5 En ce temps-là, Jésus arriva à une ville de Samarie appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph.

 

Importance du lieu: Sykar/ Sichem. C'est le lieu où Abraham dresse un autel pour son Dieu quand il arrive en Canaan, c'est le lieu où Jacob achète un bout de terrain - il y a le puits et les ossements de Joseph. C'est le lieu du du renouvellement de l'alliance avec Josué. Ce sera aussi la capitale du royaume du nord au moment de la scission des deux royaumes.

 

6 Là se trouvait le puits de Jacob.

 

Il me semble que ce puits, dans les Mirashims, a une histoire. Quand Jacob arrive, le puits déborde et permet d'abreuver les bêtes et les hommes. Pas besoin de prendre de l'eau, elle est là, en abondance. Et ce puits est donné par Jacob aux Samaritains. On sait qu'il est profond, une trentaine de mètres et qu'il a une bonne ouverture. 

 

Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi.

 

"Sixième heure," cela se retrouve  se trouve dans la parabole des embauchés à la vigne; et au moment de la mort de Jésus: ténèbres envahissant la terre. C'est, dans l'évangile de Jean, le moment où Jésus dira "j'ai soif".  C'est l'heure la plus chaude. Jésus est fatigué comme tout le monde; il a donc un vrai corps, qui a faim, soif, sommeil. 

 

7 Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. »

8 – En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions.

 

Jésus est donc seul. Qui a raconté alors ce qui s'est passé? 

 

On peut se demander ce que fait cette femme, à cette heure-là, seule pour chercher de l'eau. Il me semble que traditionnellement, compte tenu de son histoire (les 5 maris qui sont maris/Seigneurs/ Baals, et il me semble qu'il y avait 5 Baals aux quels les païens rendaient un culte) et de sa vie actuelle (il n'est pas son mari), elle est souvent considérée comme une pécheresse, du moins aux yeux des juifs. Et que, pour ne pas être l'objet de ragots, elle préfère éviter les autres femmes du village qui elles viennent matin et soir (à la fraîche), pour puiser de l'eau, eau pour la famille, mais aussi parfois pour les bêtes.

 

Une autre manière de voir les choses est déjà de parler d'une femme assoiffée, qui passe sa vie entre sa maison et le puits, qui est comme esclave de sa soif, qu'elle ne peut étancher. Peut-être aussi que son "pas mari" exige d'elle qu'elle apporte beaucoup d'eau, elle n'a peut-être pas une bonne place dans la famille où elle est. Mais c'est une autre approche, qui explique aussi la présence de Jésus. Il sait que cette femme est en manque. Et dans le cadre d'une catéchèse baptismale, cela s'entend encore mieux. Il précède la demande, il va la faire naître. 

 

Les disciples sont partis acheter des provisions: du solide, de quoi manger; là il y a de quoi boire, mais encore faut-il avoir quelque chose pour puiser. Ce qui m'étonne un peu, c'est qu'on ne puise pas avec une cruche, enfin il me semble. Il faut quelque chose comme un seau qui reste souvent sur place (ce sont les images des livres de mon enfance). Mais là, tout se passe comme si Jésus ne pouvait pas puiser.

 

C'est donc la première demande de Jésus: "Donne-moi à boire". Il anticipe, il donne un ordre et la réaction de la femme, est étonnante: c'est non. La deuxième sera: "Va chercher ton mari". Et là, un peu plus tard, elle obéira. Mais entre ces deux demandes, il va s'en passer des choses.

 

9 La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » – En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.

 

 

Elle pose un obstacle: tu es un juif, pourquoi oses-tu me demander à boire, tu sais bien qu'entre nous il n'y a aucun lien, il n'y a que de la haine et du mépris. On ne se fréquente pas, on n'est pas du même monde. 

 

10 Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »

 

Là, la réponse de Jésus désarçonne, mais ce n'est que plus tard qu'elle fera la demande. Eau vive s'oppose à eau dormante, une eau vivante, une eau qui donne la vie. Et le "don de Dieu" peut lui rappeler que ce puits, donné par Jacob, est d'abord un don de Dieu. 

 

11 Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ?

12 Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »

 

Deuxième obstacle ou résistance; tu vas faire comment, toi qui fais une promesse? Et pour qui te prends tu? Es-tu plus grand que Jacob? Bref quelle est ton origine? 

 

13 Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ;

14 mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »

 

Là, Jésus fait un pas de plus, mais va-t-elle comprendre? Il y a deux sortes d'eau, l'eau qui répond au besoin et l'eau qui correspond au désir; et le désir de l'homme, sa soif, c'est celle de la vie éternelle, de sortir du fugace pour aller à la plénitude.  Et la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi le vrai Dieu et son envoyé (Jn 17,3). Il ne s'agit pas de savoir, mais de connaître. Et je pense qu'il faut mettre cela en parallèle avec Jn 6,34-35:  34 Ils lui dirent alors: «Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là.» 35 Jésus leur répondit: «Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim; celui qui croit en moi n’aura jamais soif.»

 

15 La femme lui dit: « Seigneurdonne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. »

 

Et c'est la vraie demande, mais qui n'est peut-être pas la bonne. Elle veut juste être tranquille, ne plus avoir à se déplacer, avoir la réserve à domicile. Cela fait un peu penser à ce qui se passe pour le fils qui a dilapidé sa fortune et qui a faim (Lc 15). S'il veut rentrer chez son père, quitte à perdre son statut de fils qu'il pense ne plus mériter, c'est bien pour manger; rien de plus. On peut s'y reconnaître.

 

16 Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari, et reviens. »

17 La femme répliqua : « Je n’ai pas de mari. »

Jésus reprit :

« Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari :

18 des maris, tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là, tu dis vrai. »

 

Et c'est là qu'il se passe quelque chose. Jésus touche à du plus profond, et cela commence à lui ouvrir les yeux. Il n'est plus un juif, il n'est plus incapable de puiser, il est un prophète. Il est un voyant.

 

19 La femme lui dit : « Seigneur, je vois que tu es un prophète !...

 

20 Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. »

21 Jésus lui dit : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père.

22 Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.

 

C'est la question qui divise et qui fait obstacle: le religieux. Où faut-il rendre le culte au Très Haut? à Garizim avec son veau, ou à Jérusalem avec son faste? La réponse de Jésus est certainement plus pour nous que pour la femme sans nom. Plus besoin d'aller sur une montagne pour se rapprocher du divin, le divin est là, il est venu. Et la fin du texte montre que le religieux peut aussi être balayé. 

 

23 Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père.

24 Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. »

 

C'est bien le nouveau. Dieu est Esprit. On reconnaît sa présence, certes avec des gestes, mais avec cet au-delà qui fait de nous des "à la ressemblance". 

 

25 La femme lui dit : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. »

26 Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »

 

 Et on passe du juif - de celui qui se prend plus grand que Jacob, au prophète puis au messie, celui qui fait connaître toutes choses. Et ça c'est autre chose que le Messie qui délivre de l'occupant. Bravo Madame… Là, Jésus se dévoile, voilà qui il est, lui cet homme fatigué par la chaleur et par le chemin.

 

27 À ce moment-là, ses disciples arrivèrent ; ils étaient surpris de le voir parler avec une femme. Pourtant, aucun ne lui dit : « Que cherches-tu ? » ou bien : « Pourquoi parles-tu avec elle ? »

 

Les disciples reviennent chargés, mais ils ne posent pas de questions, ils doivent bien voir que ce n'est pas le moment. Le "que cherches tu " est curieux. Cela fait penser à l'appel des premiers disciples: Jésus leur demande "que cherchez-vous". Là ce serait Jésus qui cherche, mais quoi?

 

28 La femme, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens :

29 « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? »

30 Ils sortirent de la ville, et ils se dirigeaient vers lui.

 

Comme Pierre et André l'ont fait, elle laisse en plan sa cruche (eux leur barque, Matthieu son bureau) et elle devient témoin. Et là, c'est la curiosité qui est le mobile. 

 

31 Entre-temps, les disciples l’appelaient : « Rabbi, viens manger. »

32 Mais il répondit : « Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. »

 

Les disciples qui n'ont pas fait tout ce trajet pour rien veulent qu'il partage la nourriture avec eux, mais là, il commence à parler d'une autre nourriture , qu'il va leur falloir apprendre à connaître. Là on est dans un enseignement pour les disciples.

 

33 Les disciples se disaient entre eux : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? »

34 Jésus leur dit : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre.

 

La nourriture de Jésus et de son disciple c'est de faire la volonté de Dieu, et d'être suffisamment à l'écoute pour la discerner.

 

35 Ne dites-vous pas : “Encore quatre mois et ce sera la moisson” ? Et moi, je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs déjà dorés pour la moisson. Dès maintenant,

36 le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit en même temps que le moissonneur.

37 Il est bien vrai, le dicton : “L’un sème, l’autre moissonne.”

38 Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucun effort ; d’autres ont fait l’effort, et vous en avez bénéficié. »

Les disciples pourront récolter ce que Jésus a semé, grâce à cette femme, ou à cause de cette femme. Mais il s'agit du fruit pour la vie éternelle,  peut-être aussi ce grain qui doit tomber en terre. 

 

39 Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus, à cause de la parole de la femme qui rendait ce témoignage : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. »

40 Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Il y demeura deux jours.

41Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de sa parole à lui,

 

 

Il y a certainement du symbolisme, avec les deux jours que l'on retrouve dans la résurrection de Lazare. Jésus reste deux jours là où il est, au bord du Jourdain. Là il reste, dans ce peuple qui a mauvaise réputation, deux jours. 

 

42 et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes,

nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »

 

 

Les Samaritains comprennent ce que les pharisiens vont refuser tout au long du parcours de Jésus: qu'il soit le Sauveur du monde. Eux, les méchants, entendent et comprennent que cet homme est bien plus qu'un voyant ou un prophète, mais qu'il est le Sauveur du monde. Et c'est peut-être cela dont Dieu a soif aujourd'hui..

 

 

Réflexions nouvelles.

 

Cette femme n'a pas de nom. Elle est "la samaritaine". 

 

Quand Jésus s'adresse à elle, dans un premier temps c'est presque un ordre: donne-moi à boire;  puis il lui dira, comme il le dira à sa mère: "femme" par deux fois. Et manifestement, quand il s'adresse à la samaritaine, cela va bien au-delà de la femme qui est là devant lui. 

 

Mais ce qui m'est venu, c'est que d'une certaine manière cette femme est transparente, elle n'a plus de vie: elle puise. Elle ne regarde personne, elle n'est regardée par personne. Et au fur et à mesure que le texte avance, Jésus en lui posant, à sa manière à lui, des questions qui désarçonnent, lui redonne sa place. 

 

Elle peut dire sa manière de penser, elle peut aller jusqu'à demander elle aussi à boire, elle peut poser des questions, et elle peut avoir un rôle à jouer: aller chez son mari, mais aussi les autres et transmettre. 

 

Alors j'ai pensé la laisser raconter dans ce sens-là. Comment elle a repris sa place, sa valeur, sa vie.  Et ce sera un premier récit. Elle n'est plus transparente. 

 

Mais il y aussi ce qui se passe entre Jésus et des disciples qui sont allés faire des provisions. Et eux aussi ont certainement quelque chose à raconter; ce sera un deuxième récit. 

 

Peut-être faudrait-il laisser aussi Jésus raconter, ainsi que les habitants de ce village, qui sait…

 

 

La Samaritaine raconte

 

C'était une journée comme les autres, une de ces journées où je ne fais que faire, où personne ne me parle sauf pour me donner des ordres; une journée comme les autres. Comme tous les jours je suis partie au puits de Jacob, mais pas en même temps que les autres femmes du village, parce que leurs regards, leurs sous-entendus, parfois leurs moqueries, je ne les supporte plus. 

 

Moi j'y vais à l'heure la plus chaude, la sixième heure, parce que même si c'est plus dur, au moins je suis tranquille. Et parfois j'aime écouter le bruit de l'eau au fond du puits, prendre un tout petit peu de temps pour moi. 

 

Alors, comme tous les jours, je suis partie, avec ma cruche. Et là, il y avait un homme assis. Alors déjà ça, je n'ai pas aimé. Moi je ne veux rencontrer personne. Et de plus, c'est un juif. Mais qu'est -ce qu'il fait là lui?  Bref je n'étais pas contente du tout. Il me regarde, et déclare qu'il veut que je lui donne à boire. Que moi, je lui donne à boire. Je lui dis, le plus gentiment possible, pour ne pas le vexer, parce que juif ou pas, c'est un étranger de passage, qu'il ne doit pas m'adresser la parole, que c'est comme ça. 

 

Et là, il me regarde, il me regarde vraiment, pas comme ceux de mon village. Et il me déclare que je si savais le don de Dieu et qui est celui qui me parle, c'est moi qui lui aurai demandé à boire et que lui, il m'aurait donné de l'eau vive. 

 

Je l'ai regardé un peu comme s'il était fou. Comment est-ce que je le connaîtrais cet homme, ce juif? Je sais bien que notre puits, ce puits donné par notre père Jacob, il est un don. Don du très Haut, je ne sais pas, mais don, oui. Et tout don vient de Dieu. Bon pour ça, je comprends. Notre puits, il est alimenté par une source, mais une source très profonde.  Bien sûr c'est de l'eau vive, si on peut dire, pas de l'eau stagnante, mais comment, lui qui n'a rien pour puiser, il pourrait me donner de cette eau? 

 

Est-ce qu'il pense être plus grand que Jacob, père des douze tribus, qui faisait déborder l'eau quand il se tenait à côté d'elle, ce qui irriguait les terres, donnait de l'eau aux troupeaux? Je voudrais bien voir cela.

 

Il a ajouté que celui qui boirait de l'eau que lui pouvait donner, il n'aurait plus jamais soif. Plus jamais soif, il a dit, et ça j'ai entendu. Plus jamais soif…  et que cette eau deviendrait source en lui d'eau jaillissant, pour la vie éternelle.  Avoir une source en soi, devenir sa source. Je ne comprends pas trop, mais jamais personne ne m'a parlé comme cela, comme si j'étais stupide, insignifiante. Lui, le juif, voilà qu'il me parle. Et je sens que cela fait jaillir en moi quelque chose. Alors je lui ai dit que moi je la voulais cette eau, même si je ne comprends pas. Mais si cela peut aussi me permettre de ne plus avoir besoin de venir puiser, si cela peut combler cette espèce de soif qui est en moi, qu'est-ce que je risque? 

 

Là, il ne m'a dit ni oui, ni non, il m'a dit de partir et d'appeler mon mari. Il pense que je suis comme tout le monde, mais moi, je n'ai pas de mari et je le lui ai dit. Il m'a alors presque félicitée d'avoir dit la vérité, parce que je n'avais pas de mari, que j'en avais eu cinq et que celui-là n'était pas mon mari. 

 

Alors j'ai cessé de voir en lui juste un juif. J'ai compris qu'il était un prophète, un envoyé, qu'il parlait au nom de Dieu; et moi qui ne pose jamais de questions parce que je suis une femme, et pour beaucoup une mauvaise femme, parce que personne ne connaît mon histoire, je lui ai demandé qui avait raison: nous qui adorons sur la montagne qui est là, le Mont Garizim, ou eux qui adorent sur le Mont Sion à Jérusalem. 

 

Et il a bien voulu me répondre, mais quelle réponse! Il a dit que l'heure vient où plus personne n'ira sur une montagne, que ce soit celle-ci ou l'autre, pour adorer le Père. Il a dit: "Adorer le Père".  Quand il a dit cela, j'ai compris au fond de moi qu'il était bien plus qu'un prophète qui parle au nom du Très Haut; que Celui dont il parle, c'est vraiment son Père. Lui, il est sûrement le Messie. Il a ajouté que les vrais adorateurs adoreront le Père, en esprit et en vérité, parce que c'est comme cela que Dieu veut qu'on l'adore (moi je dirais: qu'on L'aime). 

 

Je lui ai dit que je savais que le messie doit venir, et qu'il nous fera tout connaître; mais en disant cela, je me demandais bien si ce n'était pas lui. Et il a dit qu'il l'était. Et en moi, quelque chose est né, ou est devenu vivant. Le temps n'existait plus, il était là, j'étais là. Et c'était tout.

 

C''est à ce moment que ses disciples sont revenus. Ils n'ont pas posé de questions, mais moi, j'ai laissé ma cruche là, et j'ai été au village pour leur dire qu'il y avait un homme qui savait tout de moi, que c'était peut-être le Christ. Ils m'ont suivie et ils l'ont entendu parler. Au début, ils croyaient en lui parce que moi j'avais dit qu'il m'avait dit tout ce que j'avais fait; mais après l'avoir entendu, ils ont cru en lui, parce que c'était lui. Il est resté deux jours dans notre village, et il est parti. 

 

Maintenant, je vais toujours au puits avec ma cruche puiser de l'eau, mais en moi il y a une source qui chante et ça, c'est bien autre chose; et ma vie est devenue autre. Je regarde et je suis regardée, je donne et je reçois. La source en moi, elle jaillit, elle se répand et elle donne vie. Je bénis le très Haut pour cette rencontre qui a fait de moi une femme vivante. Je ne suis plus transparente, je suis celle qui a permis à Jésus de demeurer chez nous. 

 

 

Les disciples racontent

 

Quand Jésus nous a fait passer par la Samarie pour retourner en Galilée, nous avons fait un peu grise mine. La Samarie et les Samaritains, ce n'est pas simple. Depuis qu'ils ont osé mettre des ossements d'animaux morts dans le Temple au moment de la fête de la Pâque, nous les haïssons, et c'est réciproque. 

 

Nous nous sommes arrêtés à Sykar, près du puits de Jacob. Jésus était épuisé, et nous n'avions rien avec nous. Il est resté à côté de la source et nous nous sommes partis faire des provisions. Quand nous sommes revenus, il était en grande conversation avec une femme, une Samaritaine. Quand elle nous a vus, elle a laissé en plan sa cruche, et elle est partie en courant, malgré la chaleur, vers le village. 

 

Nous, nous n'avons pas posé de questions pour comprendre ce qu'il s'était passé avec cette femme, mais comme nous avions des provisions, nous l'avons appelé pour qu'il vienne avec nous. Sauf que là, il a eu une de ces réponses qui nous déconcertent complètement. Il nous a dit qu'il n'avait pas faim, parce qu'il avait de quoi manger; est ce qu'elle lui avait donné quelque chose cette femme? Mais ce n'était pas ça. En fait nous avons compris, mais bien plus tard, que lui, ce qui le nourrit, ce qui lui donne sa force, c'est de faire ce que son Père lui demande. Et là, avec cette femme qui est allée raconter aux habitants que lui Jésus était l'envoyé, qui apportait le salut à tous - qu'ils soient Juifs ou Samaritains, elle avait été son témoin. Grâce à elle, nous allions en quelque sorte récolter des fruits que nous n'avions pas semé, parce qu'ils avaient été semés d'abord en elle, puis dans les autres; mais que nous devions nous réjouir de ce que la moisson était belle et bonne. 

 

Que lui avait-il dit? Nous avons juste su qu'il lui avait promis de lui donner de l'eau, d'une eau qui ferait d'elle une source d'eau jaillissant en vie éternelle, et qu'elle avait compris que sa soif de connaître Dieu serait étanchée. Mais nous n'avons pas compris grand-chose.

 

Ce qui est sûr, c'est que nous sommes restés chez eux deux jours pleins, et que nous avons repris la route, où finalement nous avons reçu un bon accueil. 

 

 

Jésus raconte

 

Pour éviter tout conflit avec les pharisiens, parce que l'heure n'est pas venue et de loin, nous avons quitté le bord du Jourdain pour retourner en Galilée. Il fallait passer par la Samarie. Arrivés du côté de Sykar, nous étions tous épuisés par la chaleur. Je me suis assis à côté du puits, ce puits donné par Jacob aux Samaritains, ce puits qui avait entendu du temps de Josué le renouvellement de l'Alliance; et eux tous sont partis, chercher des provisions. 

 

Une femme est arrivée, je me suis dit qu'elle allait pouvoir me donner à boire. Mais elle n'a pas voulu. Elle a commencé par me faire remarquer que je n'avais pas, parce que j'étais Juif, à lui demander de l'eau; parce qu'elle était Samaritaine. En moi, malgré la fatigue, j'avais envie de rire. Mais elle devait être bien malheureuse pour dire cela. Et je lui ai répondu que moi je pouvais lui donner de l'eau vive. Je suis certain que si mon Père a mis cette femme sur mon chemin, c'est pour que les Samaritains, qui sont aussi ses fils, puissent connaître la bonne nouvelle. 

 

Petit à petit elle a perçu qui j'étais, mais aussi qui elle était, elle; parce que je savais bien que pour venir puiser de l'eau à l'heure la plus chaude, c'est qu'il y avait quelque chose qui la poussait à faire cela, et qu'il fallait que je la délivre. Petit à petit, elle en est venue à ce que ce soit elle qui demande à boire, à boire de ce qui est en moi, de la Source qui est en moi et qui pouvait jaillir en elle.  

 

Il faut dire qu'elle passait son temps à me mettre, comme on dit, des bâtons dans les roues. Mais moi, j'aime les gens qui posent des questions, qui sont simples et je sais bien qu'elle n'a jamais le droit de parler, de poser des questions. 

 

C'est quand je lui ai dit d'aller chercher son mari, qu'elle est devenue vraie; parce qu'elle aurait pu partir, mais elle ne l'a pas fait. Elle a dit que l'homme avec lequel elle vivait n'était pas son mari, et moi, je savais qu'elle avait eu cinq maris avant cet homme. Et cela je le lui ai dit, et là j'ai vu que quelque chose basculait en elle. Je savais, et pourtant je ne la méprisais pas, je ne la rejetais pas. Et elle a posé d'autres questions. Elle voulait savoir où il fallait adorer mon Père et là je lui ai révélé un des objets de ma mission. Mon Père ne veut plus être adoré dans un lieu, mais être adoré en Esprit et en Vérité. Je ne sais pas si elle a compris, mais elle a dit qu'elle savait que le Messie allait venir, et qu'il ferait connaître toutes choses. Elle était prête à entendre que j'étais celui qui fait connaître toutes choses. Et elle a cru. 

 

C'est juste à ce moment-là que mes amis sont arrivés avec des provisions. Donc ils avaient été accueillis. Ils ont bien vu que je parlais à cette femme, mais ils n'ont pas posé de questions, malgré leur étonnement. Elle, quand elle les a vus, elle est partie au village, très vite, en laissant là sa cruche. J'espère qu'elle va revenir la chercher sa cruche, même si sa soif de connaître et d'être connue a été étanchée.

 

Je savais qu'elle allait tout leur raconter, au village; que pour une fois, elle ne baisserait pas les yeux, qu'elle parlerait. Et qu'ils viendraient, un peu par curiosité, mais qu'ils viendraient. Et que la moisson serait abondante, que ces Samaritains reconnaîtraient que le Salut c'est maintenant, en moi. Alors j'ai essayé d'expliquer cela à mes amis, en leur disant qu'ils allaient moissonner alors qu'ils n'avaient pas semé, mais je ne sais pas s'ils ont compris; par contre ce qu'ils ont compris, enfin je l'espère, c'est que faire la volonté de mon Père, c'est cela ma nourriture; et que tout mon être est alors rassasié et que je n'ai pas besoin de pain. 

 

Les habitants sont alors arrivés, et ils nous ont invités, nous les juifs, à venir chez eux. Et ils ont compris que j'étais celui qui est le Salut. Nous sommes demeurés chez eux deux jours puis nous avons pris la route, et le chemin de la Judée. 

 

Un jour je parlerai de mon corps qui sera nourriture, mais comprendront-ils? 

 

 

Les Samaritains racontent

 

Notre village est tout près d'un puits, et pas n'importe lequel. C'est le puits que nous a donné Jacob, le père d'Israël. Ce puits c'est notre richesse. Les femmes y vont puiser matin et soir. Mais pas toutes. Il y en a une que nous regardons un peu de travers, parce qu'elle a eu cinq maris et que celui chez lequel est vit n'est pas son mari. Une femme ne peut pas rester seule, mais de là à vivre comme cela! Alors elle, elle va puiser à l'heure la plus chaude. Et voilà qu'aujourd'hui elle revient au village sans sa cruche (c'est son homme qui ne va pas être content), qu'elle ameute tout le monde, pour dire qu'au puits, il y a un homme, un juif, qui lui a dit tout ce qu'elle avait fait, et qu'elle tait bien sûr. 

 

Alors nous sommes partis pour voir qui était ce juif, dont elle dit qu'il est un prophète, mais peut-être aussi le Messie que nous attendons, ce Messie qui doit nous délivrer de notre esclavage. Nous voulions vraiment voir quelle tête il avait, et ce qu'il avait pu dire pour transformer ainsi cette femme. 

 

En arrivant au puits, nous l'avons vu, lui et ceux qui sont avec lui. De l'eau avait été tirée, et ils nous en ont donné. Des juifs qui nous donnent à boire! Ils ont aussi partagé leurs provisions avec nous. Peut-être pas de bon cœur, mais ils l'ont fait. Et lui, Jésus, il a parlé. Nous l'avons écouté; et nous lui avons demandé de rester un peu chez nous, ce qu'il a accepté. Il est resté deux jours chez nous. Nous avons vraiment compris qu'il était le Sauveur que Dieu nous envoie aujourd'hui, et nous rendons grâce. Nous n'irons plus sur le Mont Garizim, nous n'irons pas à Jérusalem, mais nous allons petit à petit apprendre à adorer le Très Haut en esprit et en vérité, car Dieu, on ne l'enferme pas.


Finalement, si on lit bien cette séquence, Jésus n'a pas eu à boire, puisque la femme n'a pas puisé d'eau pour lui, et qu'elle a laissé sa cruche en plan pour témoigner.  Mais en elle, une source a jailli et c'était bien cela le désir de Jésus pour elle, mais c'est certainement son désir, pour nous qui vivons dans un siècle d'assoiffés. 

 

 

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