En relisant ces chapitres, surtout le 14, j'ai été surprise par les mots qui se répètent, par la place de celui que Jésus appelle son Père et par le lien qui est entre eux. J'ai eu envie de laisser venir en moi les mots, pour dire autrement ce temps qui précède l'arrestation.
Celui qui parle, dans le récit ci-dessous, n'a pas de nom. Il peut-être le disciple bien-aimé, qui est censé nous représenter tous; mais il peut-être n'importe lequel de ceux qui étaient là ce soir là, et qui ont vécu l'angoisse, la peur, la déception, le doute, l'incompréhension aussi; qui mettront du temps pour se remettre du traumatisme généré par la mort de leur Maître, et qui auront besoin de la présence de ce "Défenseur", ce "Consolateur", pour aimer à leur tour comme cela leur a été demandé.
Quelqu'un raconte:
Ce fut un repas pas comme les autres. Imaginez que d'un coup, alors qu'on était en plein milieu du repas, Jésus, comme si une mouche l'avait piqué, a enlevé son manteau, cherché un tissu qu'il a passé dans sa ceinture, et versé de l'eau dans un bassin; un petit bassin, pas trop grand, pas trop lourd. On se demandait bien ce qu'il allait faire. Eh bien là, il nous a surpris, renversés, étonnés. Il a mis un genou sur le sol, et il s'est met à laver les pieds de Jean, son ami de toujours, qui était pécheur en Galilée. Et là, on s'est tous regardé sans comprendre, parce que ce qu'il a fait là, c'est un travail d'esclave.
Quand on reçoit quelqu'un chez soi pour un repas, quand il entre, on lui présente une cuve pour qu'il puisse en se lavant les mains se purifier, laisser dans l'eau ce qui vient du dehors; mais les pieds, c'est rare... Et il a fait cela pour chacun de nous. On n'osait rien dire, sauf Pierre qui comme d'habitude a fait son cinéma. Il s'est levé, il a dit à Jésus qu'il ne voulait pas que lui, le maître, lui lave les pieds; mais Jésus lui a répondu que s'il ne lui lavait pas les pieds, il n'aurait pas de place avec lui dans le royaume. Je ne sais pas s'il a compris, Pierre, mais moi, pas trop bien. Pierre a dit: "Ne me lave pas que les pieds, mais aussi la tête". Et là, Jésus a eu une phrase sibylline: "Celui qui a pris un bain est pur, il n'a pas besoin de se laver; et il a ajouté qu'il y en avait un qui n'était pas pur.
Il dit souvent que sa parole nous purifie. Et même si je ne comprends pas trop, je comprends quand même. Alors peut-être qu'il a voulu dire que ses paroles n'atteignaient plus le cœur d'un d'entre nous. Puis il a remis son manteau, et il nous a dit que ce qu'il venait de faire, il faudrait que nous le fassions par la suite les uns aux autres.
Souvent, on s'était disputé pour savoir qui serait le chef après lui. Et là, il nous a fait comprendre que celui qui veut être le chef doit être capable de s'agenouiller devant ses frères, de leur laver les pieds; de leur faire du bien en quelque sorte, et non pas d'ordonner.
Puis, je ne sais pas trop pourquoi, Judas est sorti et le repas s'est terminé. Et il nous a dit que quelque chose allait se passer, il a dit que son Père allait être glorifié en Lui, et que Lui serait glorifié par son Père.
Quand il parle de gloire, moi, je pense à l'Exode, au Seigneur qui se manifeste sur le Sinaï, mais ça ne doit pas être ça, parce qu'il a toujours refusé de faire des signes où le ciel parlerait. Je crois qu'il veut dire que quelque chose que nous ne connaissons pas va se révéler au monde.
Et tout de suite après, il a dit qu'il nous donnait un commandement nouveau. Alors on a dressé l'oreille. Et ce commandement, c'était de nous aimer les uns les autres. Bon, ça on peut entendre, même si ce n'est pas facile. Il y a eu un petit silence, et il a ajouté: "Comme je vous ai aimés, aimez vous les uns les autres". Alors ça c'est autre chose, parce que lui, quand il nous regarde, on se sent aimé de fond en comble, et nous, nous ne savons pas faire cela pour les autres. Il a insisté sur cette manière d'aimer. Et comme je me souviens qu'il a dit aussi qu'il était le berger, et que le berger donnait sa vie pour ses brebis, je pense que ce qu'il nous dit, c'est que nous devons être capables de donner notre vie par amour, pour nos frères. Ouille…
Puis, comme il avait dit qu'il ne resterait plus avec nous et qu'il allait partir, Pierre lui a demandé où il allait. Jésus a répondu qu'un jour il le suivrait, mais que ce n'était pas demain la veille, et qu'il en était bien incapable; tellement incapable qu'il allait le renier. Alors là, ça a encore jeté un sacré froid.
La nuit était tombée, c'était un nouveau jour qui allait commencer; un jour que je ne sentais pas bien, un jour qui me faisait un peu peur. Et puis ce jour, c'est celui où dans le temple on immole les agneaux, pour le repas qui fait mémoire de notre délivrance d'Egypte.
Il s'est remis à parler.
Il s'était bien rendu compte que nous étions inquiets, que nous ne nous sentions pas bien. Alors il a voulu nous rassurer, en nous disant que dans la maison de son Père (c'est comme cela que Lui, il appelle notre Dieu de notre peuple) il allait nous préparer une place. C'est bien gentil, mais il dit qu'il va revenir et ça on ne comprend pas. Et le brave Thomas s'est risqué à poser une question que nous nous posions tous. Il a dit que nous, on ne savait pas où il avait l'intention de se rendre, donc que nous ne pouvions pas connaître la route. A quoi Jésus a répondu que pour aller vers le Père - ce qui prouve que c'est là où il va aller, donc qu'il va mourir - il fallait passer par lui. Il a dit qu'il était le chemin, la vérité et la vie; eh bien, désolé, mais ce n'est pas clair du tout. Et qu'il faut écouter ce qu'il enseigne, le pratiquer, et que cela fera des nous des vivants. Enfin c'est ce que j'ai cru comprendre.
Du coup, comme il parle beaucoup du Père, Philippe a posé la question qui nous brûle aussi les lèvres; enfin il l'a posée un peu différemment. Il lui demandé qu'il nous montre le Père. Sauf que Dieu, personne ne l'a jamais vu. On peut voir ses manifestations, mais lui, même s'il est dans le buisson ardent, on ne le voit pas. Et là, et j'ai eu vraiment l'impression que Jésus était plus que déçu, il nous a dit que quand on le voyait lui, quand on le regardait, on voyait au fond de lui quelqu'un d'autre et que ce que nous percevions, c'était le Père. Et il l'a expliqué un peu, mais c'est trop difficile; il a dit qu'il est dans le Père, et que le Père est en lui; que tout ce qu'il fait, tout ce qu'il dit, c'est comme si le Père le lui soufflait. Et que lui, il obéit toujours, parce que c'est cela qui le rend heureux, qui le met dans la joie. Il a même ajouté qu'un jour, mais ça j'ai du mal à le croire, nous ferions nous aussi des choses magnifiques; et que si nous demandions quelque chose en son nom, il demanderait au Père de nous exaucer.
Et alors il a eu une phrase un peu étonnante, peut-être la plus étonnante; il a dit que quand il serait parti (et ça ça me fend le cœur), il nous donnerait un autre défenseur, qui sera avec nous pour toujours. Un défenseur.. Qu'est ce qu'il veut dire? Et c'est vrai que les grands-prêtres, certains pharisiens, lui en veulent, ils nous en veulent. Alors on aurait avec nous une présence qui nous aiderait? Là c'est vraiment un rayon d'espoir, parce que ce soir, moi l'espoir je ne le sens pas.
Et il a continué, en disant qu'il n'allait pas nous abandonner, et que si nous continuions à l'aimer, nous serions aimés par son Père et par lui, et que lui se manifesterait. Se manifester, mais comment quelqu'un qui est mort peut-il se manifester? Alors Jude le lui a demandé. Je crois qu'il voulait savoir si ce serait une manifestation énorme, ou juste pour nous, plus intime.
Jésus a alors répondu sans répondre, sauf qu'il a reparlé de l'Esprit Saint, qu'il appelle le Défenseur. Et cela me fait du bien, parce que sans que je puisse dire, je sens comme si le malin rodait, comme s'il était à l'affut, et comme s'il allait nous tomber dessus et emporter notre maitre dans ses griffe. Il a même ajouté que ce Défenseur, serait comme une mémoire, que grâce à lui, on ne pourrait pas oublier tout ce que Jésus nous a dit.
Comme il se rendait compte que nous étions de plus en plus troublés, il nous a dit qu'il nous laissait sa Paix, qu'il nous donnait sa Paix. C'est vrai que quand on le voit, lui, on sent que malgré tout ce qu'il vit ou subit, il y a en lui une sorte de stabilité, qui permet que jamais l'union entre lui et son père ne soit rompue. Alors nous laisser cela, s'il doit partir, quel cadeau. Mais pourquoi doit-il partir? Pourquoi? Je ne comprends pas vraiment.
Il a alors parlé du Prince de ce monde, et ça confirmait bien ce que je ressentais. Et on s'est levé pour aller ailleurs. Et au fond de moi, ça tremblait très fort, et en même temps, ça chantait à la fois de tristesse et de joie, d'allégresse aussi: parce que ce qui était prévu de toute éternité allait advenir; et que nous les hommes, avec nos limites, nous allions être entraînés avec lui dans une autre vie, la vraie vie, même s'il lui fallait passer par la mort.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire