Dans l'évangile de Luc, au chapitre 17, les disciples sont confrontés à des paroles de Jésus qui les déstabilisent. Si on doit pardonner tout le temps, où va-t-on? Et ils demandent à Jésus d'augmenter leur foi. A quoi Jésus répond: "Si vous aviez la foi, gros comme une graine de moutarde (c'est- à-dire trois fois rien), vous diriez à l'arbre que voici, déracine- toi et va te planter dans la mer, et il le ferait". Cette phrase, on la retrouve un peu à l'identique (l'arbre est remplacé par une montagne) dans l'évangile de Matthieu, au début du ministère à Jérusalem. Elle leur est donnée après que Jésus ait prononcé une malédiction sur un figuier qui aurait dû porter les premiers fruits et qui n'en portait pas.
En lisant ce petit texte avec notre groupe qui travaille sur l'évangile de Matthieu, je me suis dit que ceux qui avaient été là ce jour là avaient eu de quoi être déconcertés. J'ai eu envie de laisser parler Pierre. Mais je me suis aussi servie de quelques versets de l'évangile de Jean (la vigne et les sarments) qui, même si chronologiquement ils n'ont pas leur place ici, m'ont paru importants.
Pierre raconte:
Alors là, alors là, les bras m'en tombent, comme ces feuilles qui jonchent le sol, ces grandes feuilles de figuier qui sont là toutes sèches et qui s'envolent une à une. Ce figuier, il était là sur notre route. C'était un bel arbre, plein de feuilles toutes neuves parce que le printemps est là. Cet arbre, il aurait dû donner ces petites figues vertes qui sortent en même temps que les fleurs de la vigne, comme le dit le Cantique des Cantique (Ct 2, 13). Je ne sais pas si c'est parce qu'en Judée le climat est différent, mais les figues n'étaient pas au rendez-vous. Et Jésus, qui avait faim, est - si je puis dire - resté sur sa faim.
L'ennui, c'est qu'avec lui, on ne sait jamais trop s'il a faim pour de vrai, ou s'il a faim d'autre chose. Une fois, on était en Samarie, on s'était arrêté près du puits de Jacob, on était partis chercher de quoi manger, et quand est revenu avec des provisions (et quand on est juif, se faire servir par des Samaritains ce n'est pas facile), il nous a dit qu'il n'avait pas faim, que sa nourriture était de faire la volonté de son Père; et on s'est trouvé tout bêtes.
Mais là, cet arbre qui était tout feuillu, cet arbre dont les feuilles qui sont comme divisées en cinq parties évoquent pour nous les livres de notre Père Moïse, et dont les fruits symbolisent la sagesse, il était trompeur.
Et Jésus, lui qui a guéri un homme dont la main était toute maigre, toute sèche, il a maudit cet arbre. J'ai pensé à notre prophète Elie, quand il avait provoqué une famine en Israël en disant: "Par le Seigneur qui est vivant, par le Dieu d'Israël dont je suis le serviteur, pendant plusieurs années, il n'y aura pas rosée ni de pluie, à moins que je n'en donne l'ordre" (1R 17,1). Je dis cela parce que Jésus, lui, a dit: "Que plus jamais aucun fruit vienne de toi". Et immédiatement les feuilles ont commencé à se dessécher et à tomber.
En fait, je ne sais pas trop ce qu'ont pensé les autres, mais moi, j'ai eu un peu peur devant un tel pouvoir. Quand il guérit, je ne me pose pas trop de questions, parce que c'est bien comme cela qu'il montre qu'il est le Messie, l'Envoyé, mais là...
Pourquoi n'a-t-il pas fait pousser les figues en un clin d'œil? Après tout, il est capable de tellement de choses. Ne nous a-t-il pas fait attraper une grosse quantité de poissons en plein jour, alors que nous n'avions rien pris de la nuit? N'a-t-il pas apaisé une énorme tempête, n'a-t-il pas donné du pain à manger à je ne sais plus combien de personnes? Mais là, il a maudit...
Je me suis dit: et moi, si je ne donne pas ce qu'il veut, si je ne donne pas de fruits, de bons fruits, qu'est ce que je vais devenir? Un jour il a dit qu'il était la vigne et que tout sarment qui ne portait pas de fruit, il était coupé pour être brûlé. Je fais ce que je peux, mais je ne suis pas sûr du tout de faire ce qu'Il veut que je fasse. Bon, ça c'est pour moi, pour expliquer un peu ma peur. Sauf que je l'aime et qu'il le sait, et que je pense que mes fruits finiront bien par arriver.
Et puis, j'ai eu comme l'impression que cet arbre, trompeur finalement, c'était un peu comme toutes ces personnes qui sont venues hier nous dire de faire taire la foule qui l'acclamait quand il est entré dans Jérusalem, ces personnes qui pensent qu'elles ont le savoir et la connaissance et qui méprisent les pauvres, les traine-savates, et qui le prennent pour quelqu'un de dangereux. Je ne sais pas, mais c'est possible: eux qui vivent à Jérusalem, eux qui sont dans le Temple, qui récitent la loi tous les jours, qui la connaissent par cœur, ils peuvent séduire, mais leurs fruits, est ce qu'ils sont au rendez vous? Peut-être pas.
Je crois qu'il aurait aimé que ceux-là, qui se prennent pour les bergers, reconnaissent que c'est lui le berger, reconnaissent qu'ils ne s'occupent pas du tout des petits, des défavorisés; qu'ils les jugent sans chercher à les comprendre en se réfugiant derrière le légalisme.
Naturellement, on n'a pas osé lui poser de questions. Depuis qu'on a quitté la Galilée, il n'est plus le même. Il est un peu comme un condamné qui sait que ses jours sont comptés. Et voilà qu'il nous sort une de ces phrases dont il a le secret, une des phrases qui nous chamboulent.
Il nous a affirmé que si on a la foi, on peut ordonner à une montagne qu'elle aille se jeter dans la mer, et qu'elle le fera. Déjà que parfois réussir à chasser un esprit mauvais on n'y arrive pas.. Mais déplacer une montagne? Vous vous rendez compte.
Moi je veux bien mais à quoi ça sert. Pardon, mais si une montagne fait ça, ça va provoquer des vagues énormes, et surement des inondations, alors je ne comprends pas trop ce qu'il a voulu faire, ce qu'il a voulu nous faire comprendre. Peut-être que quand il parle de montagne, il parle des montagnes dans notre vie, qui obscurcissent le ciel.
Et pourtant lui, il en déplace des montagnes, des montagnes d'incrédulité, des montagnes de doute.
Et je me suis dit qu'ici, des montagnes il y en a. Que le temple nous domine, que le mont des Oliviers nous domine, le Mont Sion nous domine. Peut-être qu'un jour tout cela sera détruit, renversé, parti. Je ne sais pas, mais là encore, j'ai un peu peur. Quelle est cette foi qui renverse les montagnes?
Parfois, il nous parle d'une force qui nous sera donnée quand lui sera parti. C'est certain que nous n'aimons pas du tout quand il parle comme ça. Mais déplacer les montagnes, ce n'est pas pour nous les hommes, c'est pour Dieu, qui les a créées et qui peut les faire danser de joie. Alors peut-être que ce qu'il nous dit, c'est qu'un jour, comme Lui, nous aurons en nous cette force qui ne sera pas de nous, mais qui sera là, et qui nous permettra de déplacer les montagnes, de parler en son nom, de guérir et de proclamer, comme je l'ai fait un jour, qu'il est le Messie, le Fils du Dieu vivant; et qu'il a les paroles qui donnent la vie.
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