mercredi, juin 07, 2023

Mc 10, 46-52. L'aveugle de Jéricho raconte.

 C'est assez étonnant! J'ai publié le billet hier, et il m'avait déjà fallu beaucoup de temps pour le rédiger. Ce billet je l'ai relu et je me suis dit que celui qui devait raconter, c'était l'aveugle, pas un autre, pas un disciple. Non, c'était lui qui voulait raconter, qui voulait dire. Alors j'ai laissé faire. 


Timée, l'aveugle, le fils de Timée, raconte. 

Je m'appelle Timée, je suis le fils de Timée, ce qui veut dire que nous portons le même prénom. Longtemps je lui ai fait honneur, mais avec la cécité je suis devenu quelqu'un que l'on méprise, un peu la honte de la famille. Et, comme tout aveugle qui ne peut plus rien faire, je mendie. Ceux de ma famille, qui s'occupent de moi, me conduisent tous les jours à la sortie de Jéricho. 


J'aime bien ce lieu, car c'est le passage obligé pour tous ceux qui montent à Jérusalem et ils sont nombreux, puisque trois fois par an il nous faut aller rendre un culte à notre Dieu. Seulement moi, avec cette infirmité, et la malédiction du roi David sur les aveugles et les boiteux, leur interdisant l'entrée du Temple, je ne peux pas monter à la ville du Très Haut. 

 

La Pâque est proche maintenant, et beaucoup se mettent déjà en route. J'espère qu'ils me regarderont et me donneront une petite pièce. 

 

J'écoute aussi beaucoup ce qui se rapporte. Il paraît qu'il y a un nouveau prophète, un Jésus qui est aussi un guérisseur. Il a rendu la vue à un aveugle. C'était m'a-t-on dit à Bethsaïde: On lui avait amené un aveugle, il l'avait pris par la main, et lui avait mis de la salive sur les yeux. Ce qui est étonnant, c'est que cela ne l'a pas guéri complètement, il y voyait seulement un peu. Moi je m'en contenterais. Mais ceux qui racontent cela disent que Jésus lui a ensuite posé les mains sur les yeux et que là, la vue lui était complètement revenue (Mc 8, 22-26). Moi, si je le rencontrais, ce Jésus, c'est moi qui lui demanderais de retrouver la vue; je ne laisserais pas les autres demander à ma place. Mais voilà, Jésus n'est pas venu à Jéricho. Et moi, je demande au Très haut que cet homme vienne et me guérisse.

 

Et puis, j'ai entendu quelque chose de différent. Comme je ne vois pas, les bruits pour moi c'est la source de mes informations. Beaucoup de monde passait devant moi, beaucoup, beaucoup plus. Bruits de pas, bruits de voix, mais aussi odeurs différentes. J'ai demandé, et là on m'a dit que c'était Jésus. C'est comme si ma prière, qu'il passe à Jéricho, avait été entendue.

 

Alors je me suis mis à crier de toutes mes forces, parce que je voulais qu'il m'entende et qu'il s'arrête. Je criais la même phrase encore et encore, jusqu'à en perdre la voix. Je l'ai un peu flatté en lui donnant le titre de fils de David, mais après tout, peut-être que s'il a de tels pouvoirs il est de cette famille royale, de cette famille d'où sortira le Messie.

 

Seulement, m'entendre crier comme ça, bien entendu, ça a importuné; et ceux qui passaient devant moi m'ordonnaient de me taire, mais je ne pouvais pas. Il fallait que le Rabbi m'entende, qu'il me voie, qu'il voie ma misère, qu'il me sauve. Et les autres, ils gueulaient presque plus fort que moi.  L'horreur. Puis deux hommes sortis de je ne sais où se sont approchés de moi. Ils m'ont dit que Jésus m'appelait. Alors, ce qui est curieux, c'est que ceux qui étaient près de moi ont changé de ton. Ils m'ont dit d'avoir confiance, de me lever, et qu'il m'appelait.

 

Et je me suis levé d'un bond! Quelque chose me poussait à jaillir presque en dehors de moi. J'ai balancé mon manteau qui m'alourdissait avec les petites pièces de monnaie que j'avais récoltées ce matin-là, et je suis parti vers lui. Il y a eu des gens charitables pour me guider un peu, mais au fond de moi, même si je ne le voyais pas, je savais où il était. Et j'ai entendu le son de sa voix. Il m'a demandé ce que je voulais qu'il fasse pour moi.  Vous vous rendez compte, il m'a demandé ce que je voulais et pour moi, c'était extraordinaire que quelqu'un tienne compte de moi comme cela. C'était comme une renaissance: j'existais.

 

Et que lui demander d'autre que de retrouver la vue? Mais je ne parlais pas à un simple guérisseur, je demandais la vue à celui qui était devenu, sans que je le veuille, sans que je fasse rien, non pas un Maître, mais "mon" Maître, celui qui avait ma confiance entière, celui qui pouvait tout, celui qui était le Maître; pas un simple rabbi qui essaye de faire comprendre la parole du Très Haut. 

 

Il ne m'a pas touché comme l'aveugle de Bethsaïde. Il m'a juste dit: "Va, ta foi t'a sauvé". Il ne m'a pas dit: "Ouvre les yeux et regarde", non. Il m'a dit, comme le très Haut l'avait dit à Abraham autrefois, d'aller, de partir; et que ma foi, ma foi en lui, m'avait sauvé. Il n'a pas dit "guéri", il a dit sauvé. Et en moi, au même moment, quelque chose s'est ouvert. Mes yeux ont vu, l'ont vu lui, ont vu la foule, et je suis parti à sa suite, vers cette ville où on allait bientôt célébrer la Pâque. Et je marche, je marche, et je regarde avec mes yeux tous neufs, et pour moi le monde ancien s'en est allé, un monde nouveau est déjà là. Que le très Haut soit béni. Et là où il ira, j'irai! 

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