De l'agneau à la brebis
Dans la finale de l'évangile de Jean, Jésus dit à Pierre, d'abord sois le "berger" de mes agneaux, puis sois le "pasteur" de mes brebis; et enfin à nouveau "sois le berger" des brebis. Dans tous les cas, il s'agit du troupeau qui appartient à Jésus et qu'il remet à Simon, Fils de Jean et non à "Pierre", ce qui est étonnant. De fait, le Pasteur, c'est Jésus, et Pierre est le représentant du pasteur, mais surtout le berger. Si on prend le chapitre 34 d'Ezéchiel où il est question de pasteur, le pasteur c'est c'est celui qui possède le troupeau, alors que souvent le berger peut être un employé qui, même s'il a une très bonne connaissance du troupeau et de ses besoins, n'en n'est pas le propriétaire. C'est la même chose pour le vigneron, qui possède la vigne, et le vendangeur qui coupe les grappes, fait le vin mais n'est pas le propriétaire.
Mais mon propos est surtout de réfléchir sur les mots agneaux et brebis. Avoir un troupeau de brebis c'est un signe de richesse, encore faut-il savoir s'en occuper. Peut-être que si Jacob est devenu le "père" du peuple d'Israël, c'est parce qu'il a su faire prospérer et fructifier les brebis de son beau-père Laban, et avoir lui aussi un beau troupeau (Gn 30).
L'agneau: de l'Ancien au Nouveau testament
Le mot "agneau" ne figure que peu dans le premier testament. Il apparaît quand Isaac demande à son père où est l'agneau du sacrifice. Et là il est clair que l'agneau est la figure du fils, comme le bélier sera représentation du père. Dieu aurait très pu faire apparaître un agneau, mais le bélier renvoie à Abraham lui-même qui devient réellement père ce jour là, en laissant partir son agneau de fils, pour qu'il devienne ce qu'il doit devenir, pas une chose ou une copie de son père.
On le retrouve ensuite dans le livre de l'Exode, en Ex 12,3, où l'agneau là encore est sacrifié à la place des premiers nés, (qui devront par la suite être rachetés). L'agneau bien sûr est mentionné dans le Lévitique, mais là dans sa fonction d'holocauste. Par la suite, l'agneau est toujours associé au sacrifice; on peut penser au texte du serviteur (Is 53): "Comme un agneau que l'on mène à l'abattoir", ou au texte de Jérémie (Jr 11,19): " Moi, j'étais comme un agneau docile qu'on emmène à l'abattoir". Puis le mot disparaît, jusqu'à l'arrivée de Jésus lors de sa rencontre avec Jean le Baptiste (Jn 1,29) qui le désigne comme l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde - ce qui est bien la fonction de l'agneau holocauste; il donnera sa vie pour sauver l'humanité et non plus le seul peuple Israël; et enfin le mot apparaît dans l'Apocalypse (Ap 5, 6): "Je vis un Agneau debout, comme égorgé"; et là, l'agneau n'est plus victime: il est vivant, il est debout.
Alors qu'est ce que Jésus fait comprendre à Pierre?
Peut-être que les agneaux ce sont ceux que l'on aime le plus: alors ce seraient ceux de la première heure, ceux qui un jour donneront aussi leur sang pour leur église. Etre le berger des agneaux, c'est être le berger de ceux qui ont connu Jésus de son vivant, mais aussi des petits, de ceux sur lesquels il faut veiller pour qu'ils grandissent. Et si l'agneau renvoie à l'holocauste, alors peut-être que l'on peut dire que Pierre est bien appelé à être le berger de ceux qui seront à l'image de Jésus des "agneaux offerts"...
Les brebis, de l'Ancien au Nouveau Testament.
Puis il est question par deux fois de brebis, avec la même question: "M'aimes-tu?" Si on fait référence aux synoptiques, Jésus compare souvent la foule à des brebis sans pasteurs, et le rôle de Pierre sera alors comme Jésus celui qui rassemble en Son Nom à Lui, les brebis qui sont loin, celles qui sont perdues, celles qui sont égarées, celles qui sont malades ou blessées, et aussi celles qui vont bien (Ez 34). Mais si on fait référence à l'évangile de Jean, il y a les brebis qui connaissent la voix du berger, mais aussi celles qui ne sont pas de la bergerie. Et peut-être que de ces autres brebis, Pierre devra s'occuper, comme de ce centurion Corneille qui est un païen; même s'il ne semble pas avoir tellement envie de s'en occuper (Gal 2, 11).
Alors peut-être que l'on peut penser qu'il s'agit des brebis de l'enclos, celles qui ont entendu la voix, ou qui l'attendent, mais aussi des brebis des autres bergeries (celles auxquelles Paul sera envoyé en premier), mais dont Pierre est le pasteur désigné.
Donc des agneaux, qui renvoient à ceux qui donneront leur vie, et des brebis qui sont à la fois celles qui viennent du peuple juif et d'autres brebis, celles qui vont entendre l'appel de la bonne nouvelle et qui ayant une autre origine seront aussi des brebis.
Les brebis, les troupeaux de brebis doivent être l'objet des soins du berger, il doit choisir les bons pâturages (Ps 23), mais ils sont aussi un certain signe de richesse. Celui qui possède un troupeau est un homme qui ne sera pas dans le besoin. Et si on se réfère à la parabole donnée par Nathan au roi David, il y e entre la brebis et son propriétaire une relation très forte: "il l'aimait comme sa fille" (2 Sam 12).
Et si on revient au texte d'Ezéchiel, on se rend compte qu'il peut arriver pas mal de choses à ces brebis: il y a la brebis perdue, la brebis égarée, la brebis blessée, la brebis malade, et aussi la brebis en bonne santé.
Quand on lit la parabole du berger qui a cent brebis et qui en perd une, curieusement on pense qu'elle a perdu son chemin, qu'elle n'a pas suivi les autres, qu'elle est tombée dans un trou, qu'elle s'est égarée. Or égarée et perdue ce n'est pas la même chose.
Si Ezéchiel fait parler Dieu, qui s'adresse à ceux qui avaient en charge le peuple d'Israël, et qu'il parle de brebis perdues, que veut-il dire? Jésus ne parle-t-il pas des brebis perdues de la maison d'Israël, brebis vers lesquelles il est envoyé?
Alors qu'est ce qu'une brebis perdue? On peut voir cela du côté de celui qui possède la brebis, ou bien du point de vue de la brebis.
La brebis perdue
Il y a le maître, qui a laissé se perdre la brebis (il était absent et elle ne savait plus qui suivre), donc c'est lui qui l'a perdue, il ne s'est pas occupé d'elle. Cela, Dieu peut le reprocher à ceux qui avaient en charge son peuple. Peut-être est-elle allée dans d'autres pâturages, elle y a trouvé son compte, et ne veut plus revenir. Alors là, le maître a bien perdu sa brebis. Mais peut-être qu'un jour elle trouvera que ces pâturages ne sont pas les meilleurs, elle retrouvera le désir des anciens pâturages et reviendra. Je pense que c'est cela ce que disent les prophètes, mais aussi Jean le Baptiste et surtout Jésus. Réveiller le parfum de la présence, donner le désir d'aller vers un Dieu qui vous attend, qui vous respecte, qui vous aime.
Mais, on peut aussi parfois croire que le maître veut se débarrasser de sa brebis, et parfois les épreuves (et l'exil pour le peuple en a été une sacrée!) peuvent détourner du maître. Dans nos contes de fées, les parents qui abandonnent leurs enfants dans la forêt, c'est parce qu'ils sont dans une période de disette, et qu'ils ne supportent pas de voir leurs enfants mourir sous leurs yeux; et peut-être qu'ils espèrent que quelqu'un va leur donner à manger., Et la souffrance des parents est réelle; alors on peut imaginer que lorsque le peuple vit ces épreuves qui finalement vont le fortifier, le maître souffre pour ses brebis; mais c'est le seul moyen, sauf qu'il prend un véritable risque.
Mais perdre la brebis, cela veut dire la laisser se tourner vers d'autres Dieux, devenir adultère?
Cette brebis-là, elle a perdu son cœur pour le tourner vers un autre. Autrefois, quand on parlait d'une fille "perdue", cela voulait dire: on a eu une fille, mais elle n'existe plus pour nous, et elle a pris le mauvais chemin, elle a perdu nos principes, c'est une fille de mauvaise vie. Or Dieu, lui, va vers ces filles là, parce qu'il sait que ce n'est peut-être pas de leur faute; et il les reprend telles qu'elles sont. Il n'y a rien à faire; juste à savoir que pour Dieu, rien n'est jamais perdu. Et Jésus, c'est pour ces brebis-là qu'il est envoyé, pour ces brebis qui ont perdu le gout de Dieu, qui n'ont plus besoin de lui, qui vivent sans lui et qui ne se rendent pas compte qu'elles ont perdu le sens de leur vie. Et c'est ce que Jésus a fait en allant vers les publicains et les pécheurs. Et c'est ce que Pierre et ceux qui lui succèderont sont amenés à faire.
Une brebis égarée, c'est une brebis qui, a un moment donné, ne sait plus qui croire, que faire, qui suivre. Et ce temps peut-être un temps plus ou moins long. Ce peut-être le temps de la folie (où on erre dans les tombeaux sans savoir où aller, où on ne sait plus bien qui on est, qui est l'autre, ce que l'on doit faire). Et là Dieu arrive, redonne ses repères, et parle (là je pense à Jn 10). Une brebis égarée est dans l'attente. La brebis perdue ne l'est peut-être plus. Peut-être que ces brebis égarées, ce sont tous ces possédés dont parle l'évangile.
Une brebis blessée, c'est qu'elle s'est fait mal en tombant ou en étant attaquée. Il y a une plaie, et cette atteinte, Dieu va la panser. Ce n'est pas un acte magique, parce qu'il faut du temps pour la guérison, mais Dieu est là.
Une brebis malade, c'est une brebis faible, dépendante des autres. Et celle-là, Dieu ne la rejette pas. Mais parfois il faut aller la chercher parce qu'elle se cache, elle a honte..
La brebis "normale". Quant à la brebis qui est restée là où il fallait, il y a un risque, c'est qu'elle ne se soucie pas des autres, qu'elle mijote un peu dans sa graisse. Alors celle-là, elle doit se soucier de ce qu'elle mange, de ce qu'elle enfourne, mais c'est aussi au berger de veiller sur elle. Car il est aussi question de la brebis maigre ou de la brebis grasse; qui sont dans le troupeau, mais sur lesquelles il faut aussi veiller.
Alors voilà toutes les brebis dont Pierre est chargé. Et il a bien du du travail en perspective, car il lui est demandé d'être le berger, mais aussi le pasteur, ce qui n'est pas tout à fait pareil. Le berger c'est celui qui au jour le jour s'occupe des brebis, là où elles sont; le pasteur, même si cela peut paraître très proche, est aussi celui qui cherche les "bons lieux", qui doit voir à long terme; et si on se réfère au chapitre 10 de l'évangile de Jean, c'est celui qui, à l'image de Jésus, doit marcher à leur tête, et donner sa vie pour ses brebis.
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