samedi, août 04, 2018

Jn 6, 15: "Mais Jésus savait qu’ils allaient venir l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira dans la montagne, lui seul."

Jn 6, 15: "Mais Jésus savait qu’ils allaient venir l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira dans la montagne, lui seul.

Ce verset conclut la multiplication des pains dans l'Évangile de Jean. Il sera suivi par l'épisode de la tempête affrontée par les disciples et par le discours sur ce que l'on appelle le pain de vie (j'aimerais mieux dire le "pain qui donne la vie"). 

Si on compare ce verset avec ce qui est dit par Matthieu: "22 Aussitôt Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. 23 Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul" , on constate de nombreuses différences.

Bien souvent, Jean montre à quel point Jésus est la maître de la situation. Il sait (comme il sait ce qu'il y a dans le coeur de l'homme, ou ce que pensent les scribes quand il remet les péchés) que non seulement la foule le reconnait comme le "grand prophète", en d'autres termes le successeur de Moïse, mais qu'ils veulent faire de lui leur roi.

Et c'est là dessus que j'aimerais insister, parce que ma réflexion sur ce petit verset s'est faite sur ce mot, du moins en grande partie.

Roi, oui Jésus le sera, mais plus tard, et pas de cette manière mais ce sera le motif de sa condamnation, et c'est ce qui sera écrit sur la croix. Là il est trop tôt. Mais il y a quelque chose de prophétique.

Alors que se passe-t-il? Jésus sait qu'on va l'enlever. Enlever est un terme très fort; on va (et c'est ce qui se passera le soir de la passion) le prendre, et faire de lui un "objet". Etre enlevé, c'est perdre sa liberté, c'est devenir le jouet de l'autre, et cela c'est impensable mais c'est surtout d'une extrême violence.

Alors là Jésus (alors que chez Matthieu il oblige les disciples à partir et que lui même renvoie la foule) "disparait", et il y a ce "de nouveau", comme si c'était quelque chose d'habituel. "Alors de nouveau, il se retira dans la montagne, et il était seul".

Il me semble qu'il y a quelque chose d'abrupt dans le texte de Jean. Il y a la foule, il y a les disciples et Jésus "de nouveau " disparait dans la montagne. Il y a comme une fin de non recevoir. Il ne dit rien, il n'ordonne rien. Il y a là la trace de ce que Jésus fait dans l'évangile de Marc, dès le chapitre 1, où après avoir guéri, il se lève avant l'aube pour aller prier, il disparait. Du coup les disciples, qui savent que le Maître a besoin de ces temps de solitude, reprennent leur barque et retournent sur l'autre rive, pour lui laisser "son" temps. Mais la foule ne sait pas trop que faire; on a l'impression qu'une partie reste sur place, tandis qu'une autre s'en retourne. 

Il y a ce verbe se retirer. On a l'impression que Jésus, un peu comme la mer qui se retire lors de la marée, ou du rideau de théâtre qui tombe, s'en va dans un ailleurs, comme si le premier acte de la pièce était terminé. Et c'est bien ce qui se passe dans ce chapitre 6: le premier acte c'est la multiplication des pains; le second c'est la tempête, et le troisième ce sera le discours sur la signification du signe et surtout sur qui est cet homme. Se retirer, c'est aussi permettre peut-être aux autres de se poser des questions, les vraies questions: qui est-il celui là?

Mais il y a aussi le "seul dans la montagne". Et le "dans" a évoqué pour moi le tombeau. Jésus sera seul aussi dans sa passion, seul dans le jardin des Oliviers, seul face aux prêtres, seul sur la croix et seul dans le tombeau. Ce que je veux dire, c'est que là encore j'entends une préfiguration de ce qui se passera.

En même temps, je me dis que si Jésus reste seul, c'est pour pouvoir retrouver son Père ("le Père et moi, nous sommes un.". "Je suis dans le Père et le Père est en moi"), et peut-être que durant ce temps, Jésus reçoit (comme on le dirait aujourd'hui) sa feuille de route: rejoindre les disciples qui vivent sans le savoir ce qu'ils vivront après la mort de Jésus, c'est-à-dire une tempête dévastatrice: ne plus savoir où l'on va, ce qui arrive, et simplement se cramponner pour rester ensemble dans la barque. Et ensuite leur faire comprendre que le signe du pain donné renvoie à autre chose.

Car là encore, si on prend les paroles prononcées par Jésus, elles sont pratiquement les mêmes que celles qu'il prononcera le soir du jeudi: il prit le pain il le bénit et le donna (ici à la foule, là, à ses disciples). Quant aux mots "ceci est mon corps", ce sera bien l'essence de ce qui sera dit dans la synagogue de Capharnaüm.

Cette petite phrase a donc eu pour moi, des harmoniques aussi bien dans l'évangile de Jean que dans les synoptiques. D'une certaine manière, tout ce qui va advenir est déjà là: la maîtrise des événements, la relation avec le Père, les paroles du jeudi, la condamnation parce qu'il est le Roi des Juifs, le vécu des disciples dans la tourmente, et aussi la disparition, dans le tombeau puis dans cet ailleurs. 

Moi qui ai parfois du mal avec cet évangile, qui me fait avec ses répétitions, ses redites, penser un peu aux poupées russes qui s'emboîtent les unes dans les autres et on ne sait jamais si on ne va pas en trouver encore une autre, ou dans quel ordre elles seront, j'ai pu faire grâce à cette phrase la découverte de ces harmoniques et cette résonance est pour moi un véritable don.


Aucun commentaire: