mardi, août 07, 2018

La nuit, le vent. Mt 14, 24-36

En travaillant cet évangile, en soulignant soit des verbes soit des mots, je me suis rendue compte qu'il y avait dans ce texte quelque chose autour de la nuit.

La nuit qui se profile, et qui fait que les apôtres demandent à Jésus de renvoyer la foule; la nuit qui descend et le miracle de la multiplication des pains; la nuit qui est là, profonde, et la foule qui s'en va; les disciples qui partent eux aussi, et Jésus qui reste seul dans la nuit: seul avec lui-même, seul avec son Père.

Puis la nuit et le vent sur le lac; la nuit qui commence à céder mais pas vraiment; la nuit de la peur où tout peut arriver, où des fantômes peuvent venir, pour vous prendre, vous tromper; et le vent qui gonfle, le vent méchant, le vent qui tue.

Et le jour qui se lève, et la tempête qui se calme; et la vie qui reprend. Nuit qui dure, tempête qui s'accroche et le Maître de tout cela...

Alors m'est venue l'envie de raconter cette nuit là, de laisser Jésus parler, de laisser Pierre parler, mais aussi de montrer - une fois n'est pas coutume - comment ce texte a travaillé en moi.

Mt 14, 24-36

22 Aussitôt Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules.
23 Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul.


La  multiplication a eu lieu au moment où le soir tombait. Là, la nuit est tombée. Jésus renvoie d'abord les disciples, avec une consigne précise quand même: l'attendre (le précéder) sur l'autre rive; ils ont reçu des pouvoirs (Mt 10), alors peut-être qu'ils pourraient déjà commencer l'œuvre du Salut; seulement ils n'arriveront pas avant lui, mais avec lui. 

Dans cet évangile, Jésus gravit la montagne pour prier, et il était là, seul. En cela c'est différent de l'évangile de Jean, où Jésus gravit la montagne et enseigne. Cette phrase, "il était là seul" c'est peut-être un leitmotiv, car oui, Jésus, somme toute, est seul  Est-ce que moi, (un peu le jardin de l'agonie), est ce que je peux veiller un peu avec lui; être avec? J'aimerais bien...

24 La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire.
25 Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer.

Le jour pourrait se lever, mais pas encore; c'est vers la fin de la nuit, la quatrième veille peut-on lire ailleurs. Jésus se met en marche vers eux, en marchant sur les vagues. Eux, ils ont ramé toute la nuit, vents contraires. Mais ils rament.

26 En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent à crier.

Etonnant, quand on est bouleversé on parle. Quand on a peur, on crie..

27 Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! »

On trouve là, la voix qui rassure. La voix qui dit: c'est moi, n'ayez pas peur, mais n'ayez plus peur; que votre peur s'envole, elle n'a plus de raison d'être.  

28 Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. »
29 Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus.

Quand je lis cela, pour moi, j'ai toujours ressenti que pour Pierre il y avait un doute. Qu'il mettait Jésus à l'épreuve. Bien sûr, Pierre reconnait la voix de Jésus, encore qu'avec la tempête ce n'est pas évident, mais il peut penser: "c'est bien ta voix, mais les fantômes sont capables de beaucoup de choses", alors "prouve le que c'est bien toi". Et là, ce qui se passe, c'est beau: Pierre enjambe le bord de la barque et se lance. Cela fait un peu penser à un enfant qui commence à marcher et qui se lance vers son père ou sa mère. Et tant qu'il est centré vers les bras ou le regard, il avance. Sinon, il retombe sur ses fesses.

30 Mais,voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait  à enfoncer, il cria :« Seigneur, sauve-moi ! »
31 Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit, et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »
32 Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba.


Il se passe quelque chose avec le vent. On dirait que le vent s'est mis à redoubler de violence, que Pierre vacille, qu'il a peur, qu'il perd pied; et lui, l'homme fort, il appelle au secours. C'est une expérience qu'il doit faire. Jésus lui a prouvé qu'il n'est pas un fantôme puisqu'il peut marcher sur les vagues, mais il est partagé entre ses pieds et sa tête, et c'est la tête qui gagne: la peur. Il fait alors l'expérience de quelqu'un qui ne se détourne pas, qui étend la main (et étendre la main, c'est aller vers l'autre - "il étendit les mains à l'heure de sa passion", sur les offrandes); là ce n'est pas le même geste, c'est le geste qui précède le saisir. Et un petit reproche quand même… Ce n'est qu'une fois dans la barque avec Jésus que le vent tombe, sans que Jésus se soit adressé à la tempête.

Il y a aussi une petite phrase qui ne vient pas des psaumes mais de 2 Sam 22,17: "Du  haut du ciel il étend sa main pour me prendre, pour me retirer des grandes eaux". Et cela je pense c'est le vécu de Pierre. 


33 Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »


34 Après la traversée, ils abordèrent à Génésareth.
35 Les gens de cet endroit reconnurent Jésus ; ils firent avertir toute la région, et on lui amena tous les malades.

36 Ils le suppliaient de leur laisser seulement toucher la frange de son manteau, et tous ceux qui le faisaient furent sauvés.



Ce petit morceau de texte, c'est une histoire de nuit une histoire de vent. Soit Jésus parle, soit Pierre parle.

Si c'est Jésus qui raconte , il pourrait dire… 

"Tous ceux qui étaient avec moi ont eu à manger: quand la nuit a commencé à venir, les disciples m'ont demandé de renvoyer ceux qui m'avaient écouté. Mais ça, je ne pouvais pas le faire. Bien sûr il faisait encore un peu jour, mais ce n'était pas possible. Je leur ai donné à manger avec que l'on avait. Je sais qu'ils n'ont pas compris; ils comprendront plus tard, quand je serai parti. 

Puis la nuit est vraiment tombée. Alors j'ai envoyé mes hommes avec leur barque sur l'autre rive.  Je voulais être seul; je voulais avoir mon temps avec mon Père, je voulais aussi profiter de cette nuit, la nuit des commencements. Et puis, quand les étoiles ont commencé à pâlir, quand je suis sorti de mon temps à moi, de ce temps où je suis avec la Source de tout, j'ai vu les nuages, j'ai entendu la tempête, et j'ai su que je devais les rejoindre. 

Je me suis levé pour me mettre en route sur ce chemin d'eau. Il y a un chant qui dit" Ô Dieu lève toi sur les flots, que ta face domine la terre", et je me suis dressé sur les flots.. Je les ai rejoints, mais là, au lieu d'être heureux de me voir, ils se sont mis à hurler, eux mes hommes, ils ont cru que j'étais une émanation du mal, un fantôme qui venait pour les entraîner avec moi dans les profondeurs du lac, dans le néant, dans le shéol. 

Ma voix, les a un peu rassurés, mais pas vraiment. Un fantôme, on en connaît qui chantent pour attirer les marins vers la mort. Alors Pierre, mon Pierre m'a dit: Si c'est toi (ah le doute), dis-moi (commande-moi) de venir jusqu'à toi. C'est ce que j'ai fait. Là il a eu le courage d'enjamber le bord de la barque et de se mettre à marcher. Il me regardait, il avançait. 

Seulement les vagues étaient toujours là, le vent aussi, un vent qui voulait le faire vaciller, parce que oui, le mal est là, le mal existe. Alors la peur est revenue, il a oublié que j'étais là en face de lui, et il a perdu pied, il a commencé à perdre l'équilibre, et à être attiré par la mer qui voulait me le voler. Mais il a crié et c'est cela qui l'a sauvé. Il n'a pas vu que je m'approchais de lui très vite, il a juste vu que je tendais la main vers lui, que je l'attrapais que je le remettais debout et qu'épaule contre épaule, nous avons marché vers la barque, mais toujours avec le vent, qui voulait nous faire tomber tous les deux. 

Nous avons enjambé le bord de la barque, et le vent est tombé d'un coup. Cela a été le silence, un silence étonnant, même pour moi, un silence rempli de présence, et les autres, mes hommes à moi, mes hommes qui avaient eu tellement peur, tellement douté, se sont prosternés devant moi. Pas Pierre, parce que lui, il avait vécu autre chose, quelque chose qui je l'espère l'avait transformé. Lui a a été saisi par moi, et sorti du gouffre. Là aussi, je l'ai sorti du gouffre.

Puis nous sommes arrivés à Génésareth et la vie a repris son cours habituel avec les guérisons; mais je ne suis pas sûr qu'ils comprenaient que Dieu visitait son peuple et que le Salut était vraiment là. 

Et si c'est Pierre qui raconte, voilà ce que lui aurait peut-être pu dire.

Une fois de plus les foules attendaient notre maître : c'est au bord du lac, un endroit sans rien, juste de l'herbe. Il a parlé, parlé comme il sait si bien le faire; il a guéri aussi. Nous, nous étions là, et quand il parle, le temps n'existe plus; et quand le soleil est allé sur l'horizon, on lui a dit qu'il fallait qu'il renvoie tous ceux qui étaient là, pour qu'ils puissent rentrer chez eux avant la nuit, et puis que nous n'avions rien pour leur donner à manger.  Là, une fois de plus, il nous a pris à rebrousse poil. Il nous a dit de leur donner à manger. On avait en tout et pour tout cinq pains (je dis cinq pour dire qu'il y avait un peu) et deux poissons. On lui a donné cela et là il a levé les yeux vers le ciel, il a prononcé la bénédiction et on a donné et donné et donné encore. Tout le monde a eu de quoi manger et il y a eu des restes, beaucoup de restes. Je dois dire qu'au fond de nous on était choqués, on ne comprenait pas. Mais lui il savait ce qu'il faisait. 

Il nous a dit de le laisser, et de repartir avec la barque de l'autre côté. On n'a pas posé de questions, on est parti. On n'aime pas trop le laisser tout seul, mais c'est comme ça. On s'est mis à ramer, et comme ce foutu lac sait le faire, il est devenu mauvais. Je veux dire qu'une tempête s'est levée, qu'on ne voyait plus rien, que les vagues battaient le bateau et qu'on luttait tant qu'on pouvait; et en plus, dans la nuit, on ne savait plus où on allait: plus de repères.

Et voilà qu'aux premières lueurs du jour, enfin même pas, on a vu une silhouette qui avancait vers nous. Alors ce fut la panique à bord. C'était sûrement un fantôme qui venait nous entraîner au fond. Le fantôme s'est mis à parler, il a dit "C'est moi, n'ayez crainte". Mais les fantômes, souvent ils prennent la voix des autres, alors je lui ai dit qu'il me donne l'ordre de venir jusqu'à lui sur les eaux. Et il l'a fait et moi, moi qui ne sais pas nager, j'ai enjambé le bord de la barque et j'ai commencé à marcher sur les vagues. Cela était étonnant, je ne comprenais pas comment c'était possible. Seulement si mes pieds sentaient l'eau, je sentais le vent qui m'enveloppait, qui me poussait, qui me renversait et je voyais les vagues et là, j'ai commencé à m'enfoncer et j'ai eu peur, peur et j'ai crié, j'ai crié au secours Jésus. Et il m'a attrapé, il m'a relevé et j'ai compris que ce que cela voulait dire être sauvé. C'est Lui qui m'a aidé à enjamber le bastingage; et une fois dedans, le vent s'est calmé. 

Alors tous les autres se sont tournés vers lui, ils auraient pu l'acclamer, mais ce n'est pas ça qu'ils ont fait, parce que ce qui venait de se passer, c'était un peu comme le miracle vécu par nos ancêtres quand la mer s'était ouverte pour les laisser passer. Je veux dire que pour nous, en Jésus, la puissance de Dieu était présente, et là on ne peut que se prosterner.

Nous avons accosté; et dès que nous avons posé pied à terre, le bouche à oreille à fonctionné, et on a apporté à Jésus des malades et encore des malades. Il y en avait trop pour qu'il puisse leur imposer les mains à chacun, mais il leur a permis de toucher la frange de son manteau et ils étaient guéris, comme moi j'ai aussi été guéri de ma peur, de mon manque de confiance, et de mon peu de foi. 

Je sais que dans le futur quand vous lirez ce texte vous allez vous centrer sur la barque, dire que c'est l'église, que l'église est en proie aux forces du mal. Vous n'aurez pas tort. Restez un peu avec le Maître dans sa nuit; soyez attentifs à ces vents qui veulent faire basculer, chavirer ceux que vous aimez, ceux que vous connaissez, et priez! Non pas pour que le vent tombe, mais pour que se manifeste, au coeur du vent et de la nuit, cette brise qui est signe de la Présence. Signe du vent de l'Esprit qui souffle dans les voiles de la barque Eglise, mais aussi dans les coeurs. Dans vos coeurs. 


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