Mt 15,26 "Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens"
Il y a peu de temps, le directeur artistique du Festival de Musique des Arcs disait aux membres de l'association que, pendant une représentation, "filmer les artistes, c'est mal". Il a insisté sur ce "c'est mal" au moins trois fois. Pour lui, faire cela, c'est comme voler quelque chose aux artistes qui n'ont pas donné leur autorisation, et qui ne veulent pas que l'on diffuse le concert sur des réseaux sociaux. Ce "c'est mal", je l'ai vraiment entendu comme "ce que vous faites là, c'est une vraie faute" (un péché).
Or, si on prend la phrase prononcée par Jésus: "Ce n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens", elle peut aussi s'entendre comme: "c'est mal de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens". Mais qu'est ce qui est mal?
Est- ce mal pour Jésus? Au début de ce chapitre il vient de donner tout un enseignement sur le pur et l'impur; il a choisi de passer un peu de temps dans un territoire impur (Tyr ou Sidon), et de donner du pain (alors qu'il vient de le multiplier et qu'il y a eu des restes), à une population considérée comme impure (les petits chiens)? Est ce qu'il désobéit à son Père? Et que met-il derrière ce "pain": nourriture, guérison?
Ou alors, est-ce mal pour cette femme de voler (une guérison) ou plus exactement de prendre quelque chose qui ne lui est pas destiné (j'ai été envoyé aux brebis perdues de la maison d'Israël)?
On connaît la réponse de la femme: il ne s'agit pas de "prendre" le pain mais de se contenter des miettes qui tombent sur le sol: cela ne prive en rien les enfants. La réponse de Jésus, "Femme, ta foi est grande, que tout se passe pour toi comme tu veux" montre que ce que la femme obtient c'est à la fois la guérison de son enfant, mais aussi quelque chose pour elle, car la mère d'une enfant malade (possédée nous dit-on) est confrontée à une impuissance totale; surtout qu'on peut bien penser qu'elle a fait appel à tous les guérisseurs possibles, un peu comme la femme qui perdait du sang. C'est elle qui est au bout du rouleau, qui n'en peut plus...
Car ce qui m'a étonnée en lisant ce texte, c'est que la femme ne demande pas la guérison de sa fille. Ce qu'elle demande, c'est que Jésus ait pitié d'elle; puis qu'il vienne à son secours (et ce sont des phrases de psaumes: Ps 39 par exemple).
Or cela, c'est reconnaître en Jésus sa divinité (ce que les "enfants de la maison d'Israël" sont souvent bien loin de faire). Mais surtout c'est attirer l'attention sur elle, sur sa souffrance, sur sa tristesse, sur peut-être même son désir de mourir, tellement elle a peur, tellement c'est insupportable, tellement elle est impuissante pour libérer sa fille de cette possession..
Je dois dire que j'ai été touchée par cette manière de parler, de demander, de dire. Tellement souvent nous demandons (je demande) à Jésus d'aider quelqu'un; mais je ne le lui demande pas forcément de me sortir de l'inquiétude que provoque en moi la situation de cette personne: ce qui peut aussi vouloir dire que je ne me sens pas atteinte en moi par la souffrance de l'autre, comme cette mère l'est par la souffrance de sa fille, souffrance devant laquelle elle est impuissante.
L'impuissance est quelque chose de difficile à supporter… Ne pas pouvoir faire, ne rien pouvoir faire, être impuissant, désarmé. C'est peut-être seulement lorsque nous (je) reconnaissons notre totale impuissance, que nous remettons tout à Jésus, que celui ci peut agir; et c'est bien ce que dit Paul: "c'est quand je suis faible que je suis fort, parce que la puissance de Dieu se manifeste en moi" (2 Cor 2,10).
Alors ce petit texte, au-delà de la question de savoir si ce n'est pas bien, ou si c'est mal, d'obliger Jésus à faire un miracle, m'a fait réfléchir sur la manière dont je suis concernée par la souffrance de l'autre. Et là encore Paul le dit bien; "Qui est faible que je ne sois faible" (2 Cor 11,2).
Mais ce n'est pas toujours facile.
Mais ce n'est pas toujours facile.
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