lundi, août 01, 2005

Marthe et Marie Lc 10,38-43

Catherine Lestang

Réflexions sur l'évangile "de Marthe et Marie",
Luc10,38-43: une relecture.



La lecture traditionnelle de cet évangile fait de Marthe une petite ménagère un peu ronchon qui brique et brique encore sa maison pour qu’elle soit accueillante, et de Marie le modèle de la contemplation : être assis et se laisser nourrir par la parole du Seigneur.

Même si par exemple Maître Eckhart essaye de réhabiliter la figure de Marthe, en montrant que Marthe est capable de contempler et de travailler, l’attitude de Marthe ne reste pas un modèle ! Elle n’est même pas capable de s’adresser directement à sa sœur et on a l’impression qu’au bout du compte elle se fait rabrouer par Jésus. Si je mets des mots plus actuels, cela donne : « ce n’est pas ton problème, elle a le droit de faire ce qu’elle veut, laisse tomber ». Or si on regarde ce qui se passe quand Jésus rentre dans une maison, et ce qu’il dit, cela ne colle pas ! Le message est toujours un message centré sur la guérison.

De plus je me demande s’il ne faut pas, quand on entend cet évangile, essayer de regarder un peu autrement, et de sortir de l’image du « pauvre » village, de l’image de « la ménagère », à l’européenne.

J’aime, quand je le peux, m’identifier aux personnages. En écoutant la lecture de ce court passage, je me disais que recevoir Jésus c’est une chose, mais accueillir tous ceux qui se réclament de Lui, ce n’est peut-être pas si simple, et du coup une grande sympathie pour Marthe est née en moi. J’ai alors essayé de repenser un peu autrement ce texte si souvent cité.

Je reprends les différents versets et commente « librement ».

10 38 Comme ils faisaient route, il entra dans un village, et une femme, nommée Marthe, le reçut dans sa maison.

Quand Jésus se déplace, il ne se déplace pas seul. Il s’agit semble t il d’un choix de Jésus. Quand Jésus choisit de s’arrêter chez quelqu’un, c’est qu’il va se passer quelque chose pour le propriétaire de la maison !

Les autres choix que nous connaissons sont la maison de Zachée, la maison de Lévi (Mathieu) la maison de Simon le pharisien. Globalement, ce sont des maisons « riches » avec certainement des serviteurs ou des esclaves. Pour recevoir Jésus et ses disciples il faut de la place et la maison de Marthe n’est sûrement pas une petite «bicoque» pas très bien entretenue !

Si cette Marthe est la sœur de Lazare (évangile de Jean), il s’agit aussi d’une famille loin d’être dans le besoin. Et des serviteurs, il doit y en avoir.

Mais, malgré tout, recevoir Jésus et la troupe qui l’accompagne n’est pas une petite affaire, d’autant qu’Il n’a pas téléphoné pour prévenir !

Alors je peux imaginer, non pas comme on le dit, qu’elle travaille à faire une belle maison, mais qu’elle doit donner un peu partout de la tête. Maintenant, quant à aider ce genre de maîtresse femme, pas évident du tout. Alors elle agit. D’ailleurs n’est ce pas son rôle? Je veux dire, qu’il n’est pas certain qu’elle ait envie de se faire aider et cela Marie le sait certainement.

Quand moi, je fais quelque chose, j’aime le faire à ma manière et je n’aime pas trop que les autres viennent faire « différemment ». C’est vrai que cela peut me mettre de mauvaise humeur, mais comme on dit, « on a sa fierté » même si elle est mal placée! Ceci étant bien entendu un apparté.

Alors pourquoi un peu plus tard irait-elle se plaindre ?

10,39Celle-ci avait une soeur appelée Marie, qui, s'étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.

Je pense que compte tenu du tempérament de Marthe, il vaut mieux ne pas se frotter à elle quand elle a trop de choses à faire, et cela Marie le sait.

Mais si on pense à d’autres passages, on peut penser que cette Marie, c’est celle qui a été délivrée, guérie par Jésus. Et même si ici, elle est décrite uniquement comme la soeur, comme elle connaît bien Marthe, elle se « met dans les pattes de Jésus », parce que Marthe, elle n’est pas facile à vivre.

Mais là se pose une question. Est ce la place d’une femme ? Que peuvent penser les pharisiens qui semblent toujours si présents ? Que vont-ils penser ? Dire ? Est-ce que Marie doit se montrer ainsi ? N’est ce pas inconvenant. Et si cette Marie, c’est celle qui avait une vie « dissolue, à la grecque », que mijote t elle en se mettant ainsi en vue ? Cela ne se fait pas !

10,40 Marthe, elle, était absorbée par les multiples soins du service.

Peut être peut-on là faire un parallèle entre Marie qui « écoute et se nourrit de la parole » et de Marthe qui est « absorbée » par le contrôle de la situation. Toutes les deux sont absorbées. Quand on est absorbé, on ne se rend pas compte de ce qui se passe autour de soi. On est « pris ». L’une est prise par la parole, l’autre est prise par l’action. L'une semble passive, l’autre active.

Intervenant, elle dit: "Seigneur, cela ne te fait rien que ma soeur me laisse servir toute seule? Dis-lui donc de m'aider."

Alors d’un coup Marthe sort de ce qui l’absorbe et elle se rend compte (cela c’est mon interprétation) que Marie n’est pas du tout là où elle devrait être et qu’elle risque de mettre la famille dans une fâcheuse position, car les pharisiens ne font pas de cadeaux ! L’enseignement c’est pour les hommes ! Pourquoi se met elle là, au premier rang (si j’ose dire ?) pour qui se prend elle ? Alors elle formule une « fausse demande », car la vraie demande, elle ne peut la formuler. Mais c’est bien pour cela qu’elle s’adresse à Jésus et non à sa sœur. Car ces demandes à mi mots, Il peut les entendre !

10 41 Mais le Seigneur lui répondit: "Marthe, Marthe, tu te soucies et t'agites pour beaucoup de choses;

Il y a le doublement du prénom, et cela en soi c'est un signe que Jésus va dire (et faire) quelque chose d’important. Quand il dit tu te soucies, je pense qu’elle se soucie du « quand dira t on », pas du repas, parce que les serviteurs sont là et savent ce qu’ils doivent faire. Et quand il ajoute « tu t’agites » je me demande si ce qui agit Marthe, ce n’est pas « aller à droit et à gauche » mais la colère et l’inquiétude. Et je pense à la tempête apaisée. Et ce que fait Jésus c’est de permettre à Marthe de prendre conscience de cette colère dévastatrice qui est en elle et qui voudrait priver (c'est de l’envie) Marie de ce qui lui est donné à ce moment là. Oui, beaucoup de choses sont en Marthe, l’envie d’être à la place de sa sœur, la peur de ce que vont penser les autres devant cette « liberté » qui traduit la libération de Marie, et peut-être aussi le fait qu’il y a un peu trop de choses à gérer, et que personne « ne propose de l’aider ». Je ne sais pas si elle aurait accepté, mais au moins quelqu’un aurait remarqué qu’il y avait beaucoup à faire.

Je crois, comme je l’ai déjà dit, que la demande de Marthe est comme une fausse demande. Il ne s’agit pas que Marie vienne l’aider, mais, que Jésus, signifie que la place d’une femme n’est pas là ! Ne doit Il pas protéger la famille de ces pharisiens à la pierre si facile?

L’important est que la tempête qui est en Marthe puisse s’apaiser ! La fin peut s’interpréter dans ce sens !

10 42 pourtant il en faut peu, une seule même. C'est Marie qui a choisi la meilleure part; elle ne lui sera pas enlevée.

Il y a le parallèle entre « beaucoup de choses » et « peu, une seule même». Beaucoup de choses s’agitent en Marthe. En Marie, il n’y a plus cette agitation. Il y a juste le « être là », quelles qu’en soient les conséquences.

Ce que fait Marie est une bonne chose. Marthe n’a pas à s’inquiéter. Il n’arrivera rien. Marthe peut être en paix, comme Marie est en paix.

Alors la bonne nouvelle pour cette maison ?

Peut-être de permettre à Marthe de laisser vivre sa sœur sans crainte (ne plus avoir peur), et d’être délivrée d’une agitation qui peut-être une espèce de maladie.